Anonyme [1649], SVITTE DE L’ORPHEE, AVEC LES BACCHANTES OV LES RVDES IOVEVSES. EN VERS BVRLESQVES. SECONDE PARTIE. , françaisRéférence RIM : M0_2634. Cote locale : C_8_10.
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SVITTE
DE
L’ORPHEE,
AVEC LES
BACCHANTES
OV
LES RVDES
IOVEVSES.

EN VERS BVRLESQVES.

SECONDE PARTIE.

A PARIS,
Chez SEBASTIEN MARTIN, ruë S. Iean de Latran,
prés le College Royal, deuant S. Benoist.

M. DC. XLIX.

AVEC PERMISSION.

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L’ORPHEE QVI DECHANTE,
auec les rudes Ioüeuses ou les Bacchantes.

En vers Burlesques.

 


TEL qui pour dormir ou pour boire
Ne lasche rien de sa memoire,
Dira que i’estois enchanté
De ce chantre que i’ay chanté ;
Que ma ceruelle estoit coëffée
De cette archi-vielle d’Orphée,
Et qu’yure, ou du moins endormy,
Ie ne fis qu’vn compte à demy :
Mais mon comptant roulle assez preste,
Pour m’acquitter bien-tost du reste,
Et puis qu’on m’en fait souuenir,
A tout bon compte reuenir.
Le Vielleur veuf de sa Femelle
S’en consoloit auec sa vielle,
Et viella mieux tant qu’il fut saou
Qu’vn vielleur ne fait pour vn sou :
Saou qu’il fut il fut plus alaigre
Qu’vn poulain gras, & qu’vn chat maigre ;

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Mais son foye vn peu trop gourmand
Deuora son soulagement ;
Cette carrelure de ventre
Ne dura guere au pauure chantre :
A mesure qu’il dessouloit
Son veuuage renouuelloit,
Et son veuuage & sa famine
Ramena sa verve chagrine :
Quand ce veuf trop enamouré
Eust plus geint & plus soupiré
Qu’vn vieux soufflet d’orgue ou de forge
Par le soupirail de sa gorge,
Et fait boüillonner les ruisseaux
De ses pleurs, dont il pleut à seaux.
De chagrin sa ratelle enceinte
Auorta d’vne estrange pleinte
Que retint, & me reuela
Vn zephir qui venoit de là
Ah ! ma pauure femme encore fille,
I’enrage, renaque & petille ;
Que nostre amour qui prend vn rat
Manque au premier poinct du contract
Où ie t’ay bien moins estrennée,
Que Didon ne la fut d’Enée ;
Quoy que tu vaille bien Didon ;
Beauté fraiche comme vn gardon,
Tout verd-galand qui se marie
M’en fera piece ou raillerie :

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Pluton en fait le goguenard,
Et Caron m’en crie au renard ;
Loin de m’en plaindre, la Burlesque
M’acheue de peindre en grotesque :
Tous les railleurs m’en railleront,
Et quand les prudes m’en loüeront
De t’auoir iusqu’au mariage
Laissé ton ioyau de fillage,
Tu ne m’en sçauras point de gré,
Toy, qui fuyant m’as denigré,
Aussi pourquoy meurs tu si viste,
Tu boites & quittes ton giste :
Boitant, tu cours mieux qu’vn pieton
Coucher au Serrail de Pluton,
Que la Parque a fait son coup preste ;
Maudit soit-il, la male peste
Du serpent couuert d’vn gazon
Qui t’a morduë en trahison,
Navrant d’vne mesme morsure
Ton gros orteil & ma fressure :
I’aurois vû de moins mauuais œil
Mouche ardente sur ton orteil,
Faut-il qu’en dançant sur l’herbette
Cloton t’ait donné la gambette,
Quelle t’ait fait boiter plus bas
Qu’vn encloüé cheual de bas,
Ou pour te pleindre en plus haut stile
T’ait ferve au pied comme Achile.

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Pauurette, qu’en toy i’ay perdu,
Ton lezard m’a le plus mordu,
Apres toy dans quelle trouuaille
puis-ie trouuer femme qui vaille :
Apres toy qui me valois bien
Femme ne me sera de rien ;
Par ma vielle ie te proteste
D’enuoyer paistre tout le reste :
Nargue du sexe & de Cypris
Si ie la sers plus à tel prix,
Ie veux bien qu’elle me regale
De la podagre ou de la galle ;
On me verra plus hardiment
Rompre le col que mon serment.

 

 


Le fol, il a dit sa sentence :
Desia le beau sexe le tence ;
Belles qu’Amour fait tant valoir,
Qu’il nous range à vostre vouloir,
S’il renaissoit beaucoup d’Orphées,
Vous seriez bien mal attissées :
A bon chat, bon rat, diriez-vous,
Vous y perdriez moins qu’eux tous.
Mais i’entends Cypris renfrognée,
Dire en ton de femme indignée,
Traistre ennemy de nos esbats,
Maraud, ie t’enuoyeray la bas
Auec ta femme la boittasse
Braire & vieller de bonne grace :

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Oüy, tu mouras, cela vaut fait,
I’en iure par mon attiffet,
Comme tu iures par ta vielle,
De n’aimer plus laide ny belle ;
Venus sans delay ny repit,
Va dire à Bacchus son depit :
D’abord la flatteuse goüine
L’amadoüe & l’ambaboüine,
Luy remonstre en son fin patois,
Qu’elle est courtoise aux gens courtois :
La matoise, c’est bien l’entendre,
De le piquer par le plus tendre ;
Il n’ose refuser Venus,
Craignant d’elle d’autres refus.
Compere Bacchus luy dit-elle
Ie te plait, ie te semble belle,
Mais vn ladre de musicien,
Qui beffle mon sexe & le tien,
Soüillant la gloire masculine,
Nargue la beauté feminine ;
Ie te plait, j’empaume les Dieux,
Et ce faquin me crache aux yeux.
Vange nostre commune injure,
Mon gros garçon ie t’en conjure ;
Mets en compotte & charcutis
Ce fleau de nos appetits :
Lasche sur cette infame engeance
Tes Bacchantes en diligence.

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Il tombe auec elle d’accord,
Orphée ils ont iuré ta mort.
Quel si gueux violon t’enuie,
& voudroit donner de ta vie
Les vieilles gregues d’vn pendu,
Depuis que Venus t’a vendu,
A ces yurognesses de Thrace,
Qui tiennent l’yuresse de race,
Et s’embeguinent le cerueau
D’vne iatte de vin nouueau.
La moindre n’en est pas sevrée,
Bacchus leur donne fa livrée,
Vois-tu sous leurs fronts bourgeonnez
Flamber les rubis de leurs nez :
Leurs trognes d’yuresse enfumées
Et leurs mains de tyrses armées,
Auec leurs piques d’eschalas
Contrefaire icy les Pallas.
Oys-tu ces maudites Menades
Dans leurs fieres Pantalonades
Ioüer sur le cul d’vn chaudron
D’autres airs que ceux de Guedron,
Dont ces Amazones barbares
Sonnent leurs horribles fanfares :
Cette meutte yure court aux bois
Mettre son gibier aux abois,
Lors qu’au son de sa vielle il berce
Sa raison cheute à la renuerse ;

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On va bien malgré vielle & son
Le bercer d’vne autre façon,
Quand desia la meutte le fleure,
Ce fou l’attend à la malheure ;
Peust-il s’emboiter d’extrement
Dans l’estuy de son instrument :
D’eust-elle en se donnant carriere
Rouller la boiste en la riuiere.
Fremit-il point à tant d’abois,
Dont leur gueule estonne ce bois
Ah ! i’en tremble pour ce pauure homme
Bien luy prend si sa peur l’assomme.
La meutte d’vn cry bestial
Donne à la parque le signal,
Et semond le chantre à la feste,
D’vne pierre à trauers la teste.
La pierre à qui le son charmant
Rompt le rapide mouuement,
Brimballe prés du nez d’Orphée
Inuisiblement a graffée
Aux fredons qui la font trembler
D’auoir volé pour l’accabler.
Violons marchez en grand erre,
Parmy les gresles de la guerre,
Il n’y fait pas mauuais pour vous
Si les beaux sons parent les coups.
Alte, dans l’honneur qui vous pique
Conseruez vous pour la musique

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Les perils vous pourroient heurter,
Car voicy bien à dechanter :
L’abord de ces viues Meduses
Met le Bemol hors de ses ruses ;
Ses accords fugues tremblemens
S’estouffent dans leurs heurlemens.
Il s’en mocquera s’il escampe,
Mais ses pieds de peur ont la crampe,
Plus qu’estourdy, pis que troublé,
Il est mieux pris que dans vn blé.
Le pauure chantre hors de game,
Desia pense à reuoir sa femme ;
La vielle tremble sans fredon,
Pour son vielleur à l’abandon :
Car la Bacchantesque furie
N’entend point icy raillerie.
Quartier, quartier, oüy volontiers
Elle va le mettre en quartiers ;
Il sonne en vain, Bacchus estoupe
L’oreille à la brutale troupe,
Plus dure à la pitié pour luy
Qu’vn Iuif pour la bourse d’autruy.
Qu’vn postillon pour sa mazette,
Qu’vn bon drille pour la poullette,
Qu’vn charcutier pour vn verat
Et qu’vn gros matou pour vn rat.
Iamais pauure cerf que relance,
Limier, veneur, gueule, espieu, lance,

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N’est plus noblement charcuté
Pour la garnison d’vn pasté,
Qu’icy l’est le bon homme Orphée
Par cette canaille eschauffée ;
C’est à qui luy hachera mieux
Le nez, les oreilles, les yeux.
Qui l’éborgne aussi-tost l’aueugle
Dont il rugit, brait, heurle & meugle,
Bon pour luy s’il y pert les yeux
Vn franc vielleur n’en vaut que mieux
Par dépit leur rage passe outre,
Mieux fait là qui plus mal l’accoustre
Les cailloux tyrses & bastons
Luy font des abreuoirs à tons ;
Pour le coup de grace on luy ruë
Les ferrailles d’vne charruë,
Qui luy font à diuers fendants
Voler la ceruelle & les dents
On gouspille iusqu’en son ventre
La musique qui s’y concentre
Ce meurtre atroce affreux fracas
Blesse-il point les delicats ;
Ce ieu sent trop la boucherie
Pleurez-en si bien que i’en rie :
La belle esperance aux corbeaux
De voir nostre chantre en lambeaux ;
Quoy qu’à l’obiet de playe & bosse
Vn barbier pense estre à la noce

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Il seroit décontenancé,
Prés ce mal’heureux fracassé
Sur qui cette race ennemie
Fait la premiere anatomie :
Et qui pis est sans bistoury
Dont le pauure homme estoit mary.
Mais quoy qu’au lieu de l’art l’yuresse,
Le dissequast tout sans iustesse
De la prend son extraction
Damoiselle dissection
Quand le gibet rend quelque obene
Aux charcutiers de viande humaine
Concluons mieux cét entretien,
Ie cognoist des femmes de bien
Ou qui du moins en ont la mine,
Qui d’vne vertu pateline
Dans l’Eglise font oraison
Et puis font rage à la maison ;
Ces femmes folles ou meschantes
Feroient volontiers les Bacchantes,
Pourueu que Monsieur leur espoux
Fist trophée & portast les coups ;
Le vieux sujet que ie rabille
D’vne drosle & neuue roupille
Peut fournir dequoy censurer :
Qui joüeroit à le deschirer
Mais la censure trop picquante
Feroit vn meurtre de Bacchante.

 

FIN.

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