Anonyme [1652 [?]], SECONDE PARTIE DV POLITIQVE VNIVERSEL, OV BRIEVE ET ABSOLVE DECISION de toutes les questions d’Estat les plus importantes. SCAVOIR EST, VIII. S’il y doit auoir vn premier Ministre d’Estat. IX. Si tous les Ministres d’Estat ne doiuent pas auoir vne égale puissance. X. Si les Princes, l’Estat, & les peuples peuuent estre pis ou mieux, dans cette egalité de Mnistres (sic). XI. Si l’on doit receuoir vn estranger dans le Ministere. XII. Si l’on doit souffrir qu’vn seul Ministre gouuerne tous les affaires de France. , françaisRéférence RIM : M0_2818. Cote locale : B_17_31.
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QVESTION XII.

Sçauoir si l’on doit souffrir qu’vn seul Ministre
gouuerne tous les affaires de France.

IL n’y a pas vne Creature sur la terre, quelque
sçauante qu’elle puisse estre, qui soit capable

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elle seulle, de gouuerner tous les affaires
d’vne Monarchie, principallement dans le
temps où nous sommes où les ambitieux de la
fortune d’autruy, ne sont pas moins entendus
aux misteres des Estats, que ceux qui en ont la
conduitte. Cette qualité de Sur-intendant de
tout ce qui se passe dans vn Empire plein de diuisions
comme le nostre, rencontre peu de sujets
qui en soient dignes : & la vie de l’homme,
quelque consommée qu’elle puisse estre au
maniment des affaires publiques, semble estre
trop courte pour en apprendre seulement la
dixiesme partie. La France qui est le pays du
monde le plus fertille en la production des
hommes de cette science, n’en a pas encore
sceu voir vn qui n’ait eu besoin de secours quãd
il s’est voulu glorieusement acquiter de son ministere.
C’est pourquoy l’on ne deuroit pas
souffrir qu’vne seule personne s’ingerast de
gouuerner tous les affaires de France, & que
toutes choses fussent faites selon sa volonté, au
preiudice de cette pauure Monarchie.

 

C’est vn axiome indubitable, en quel sens
qu’on le puisse prendre, que Dieu & la nature,
designent premierement & immediatement
les graces qu’ils veulent faire aux creatures, à
toutes en general, plustost qu’à quelqu’vne en
particulier, ou pour mieux dire à tout vn corps
plustost qu’à quelque partie de ce corps là,

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quelque noble qu’elle puisse estre, comme
par exemple, la faculté d’agir est donné à tout
l’homme, & non pas au bras seul ; car si les autres
parties n’agissoient pas auec luy, ce bras
seul seroit incapable d’agir pour le biẽ & pour
l’vtilité de tout l’homme. Les yeux luy ont esté
donnez pour voir, la langue pour parler, le nez
pour sentir, les iambes pour marcher, & les
oreilles pour entendre, aux fonctions que le
seul bras ne sçauroit faire en façon quelcõque.

 

Quand Dieu donna la iurisdiction, le gouuernement
& la conduite de son Eglise, il ne
les donna pas à vn homme seul, il les donna immediatement
& essentiellement à tous les Apostres ;
C’est pourquoy il leur dit, que pas vn
de vous ne se glorifie en soy, car toutes choses
sont à l’Eglise, l’Eglise à Iesus-Christ, & Iesus-Christ
à Dieu son Pere. Cet adorable Sauueur
constitua toute l’Eglise Intendante & Architectrite
de toutes les affaires spirituelles des hommes,
& non pas vn seul Ministre, quand il dit
en S. Mathieu, si quelqu’vn peche & qu’il ne
se veüille pas corriger, dis-le à l’Eglise, & outre
cela il institua encore septantes Disciples, ausquels
il donna le mesme pouuoir qu’il auoit
donné aux autres, bien loin de laisser l’administration
de ses affaires à vn homme seul, comme
nous faisons en France. Enfin il n’y a point

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de gouuernement touchant la force coactiue,
qui ne depende du consentemẽt des hommes,
ainsi qu’il est confirmé par la loy Diuine & par
la loy Naturelle, que la longeur des temps, ny
les priuileges des lieux, ny les dignitez des personnes,
ne sçauroient prescrire : & ce la se doit
ainsi, afin qu’homme du monde ne fasse rien
sans le Conseil des autres, principallement en
des affaires où il y va du salut de toute vne Monarchie.
L’intelligence de plusieurs personnes
comprend bien mieux les choses vniuerselles
que celle d’vn homme seul, & Dieu n’a iamais
donné toute la sagesse à vn seul, de peur qu’il
ne s’esleuast apres par-dessus tous les autres.
C’est pourquoy nostre Seigneur montant au
Ciel, ne promet pas l’Esprit de verité à vne seule
personne : mais à tous ceux qui seront de son
Eglise.

 

Aristote dit en ses Politiques, que le gouuernement
Legal doit estre éternellement
preferé à l’Empire absolu d’vne seule personne,
la Loy estant ainsi que Dieu, exẽpte d’amour
& de haine. Les Loix n’ont point de force que
par l’émologation, & ne se confirment que par
l’aprobation de ceux qui s’en seruent, outre
que ie trouue qu’il y a vne grande difference
entre le Seigneur & l’Oeconome, ou pour
mieux dire, entre le Roy & le Ministre. Et si

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l’authorité de decreter & de gouuerner tous les
affaires de France est dõnée au seruiteur, quelle
difference y aura-t’il apres cela entre le maistre
& luy ? & qui seront ceux qui oseront opiner
librement deuant vn homme qui aura le
pouuoir de les bannir ou de les perdre ? Au contraire
ie soustiens que l’office du Ministre ne
consiste qu’à mettre en execution les commandemens
de la loy, suiuant les regles du temperament
Aristocratique ; car de dire qu’vn Ministre
puisse auoir vn empire absolu sur tous les
affaires d’vn Estat, cela repugne tout à fait à la
loy diuine aussi bien qu’à la naturelle Le Ministre
est pour le gouuernement, mais le gouuernement
n’est pas pour le Ministre, puis qu’il ne
regarde directemẽt que le Prince & le peuple.
Si Dieu n’a pas voulu qu’vn homme seul gouuernast
son Eglise, ie ne croy pas qu’il veüille
qu’vn homme seul gouuerne ses peuples. Si vn
seul Conseiller, ou vn seul Magistrat ne suffit
pas pour iuger la cause en particulier, vn seul
Ministre d’Estat suffit encore moins pour iuger
la cause de toute vne Monarchie.

 

Les Roys faisoient autrefois assembler tous
les Princes & tous les plus grands de la Cour,
pour le conseiller selon l’occurance de ses affaires,
ou Monsieur le Chancelier, qui n’estoit
pas en ce temps-là la creature d’vn Ministre, taschoit

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de leur remonstrer l’Estat du mieux qu’il
luy estoit possible. Autrefois les trois Estats
s’assembloient, pour resoudre des affaires de
plus haute importance, & maintenant vn seul
Ministre estranger en dispose comme il luy
plaist, sans se soucier de quoy que ce soit, pourueu
qu’il y trouue son compte.

 

Si le premier Ministre d’Estat est cause luy
seul de tous les malheurs, dont cette pauure
France est accablée, comme celuy qui tourne
toutes les choses à son profit, faut-il qu’il gouuerne
luy seul tous les affaires de France ? & faut-il
attendre qu’il se condamne luy-mesme &
qu’il y mette ordre ? Ie croy que si l’on attendoit
cela qu’on attendroit long-temps, & que le remede
de nos maux n’arriueroit qu’auec la fin
du monde. Mais pour éuiter cela, il faudroit
conuoquer les trois Estats de France : car quel
moyen peut-on prendre en vertu duquel on
puisse mieux faire sçauoir au Roy qu’il est obligé
d’obseruer les loix fondamentales de l’Estat :
que son gouuernement & son conseil doiuent
estre Aristocratiques, pour le bien commun
du Prince & du peuple ? que leurs Fauoris ne
deuroient point prendre connoissance de leurs
affaires, qu’il ny doit point auoir de premier
Ministre d’Estat, & qu’ils doiuent auoir tous
vne égale puissance : que les Princes, l’Estat, &

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les peuples en sont bien mieux : qu’on ne doit
pas donner aucune connoissance des affaires
d’Estat à pas vn estranger : & que l’on ne doit
pas souffrir qu’vn seul Ministre gouuerne les
affaires de France. Qui est-ce qui peut mieux
instruire le Roy de ce qu’il doit faire, que ceux
qui ont interest en la cause ? C’est par ce moyen
là que Louys XII. s’acquist le surnom de pere
du peuple, & c’est par ce moyen là que le Roy
pourroit remettre l’Estat en son anciẽne splendeur
& redonner la paix à ses peuples. Au contraire
s’il ne le fait pas, il est asseuré de n’estre
iamais bien obey, & de voir peut-estre tous ses
affaires en vn estrange desordre. La necessité
est vne estrange conseillere à des peuples oppressez,
& il n’y a rien au monde qui puisse si
bien faire le bon-heur d’vn Estat que la felicité
de ceux qui le composent. Qui diuise le Roy
d’auec ses sujets, diuise l’Estat, fait ce que le plus
grand ennemy de la terre voudroit pouuoir
faire. La perte de l’vn & de l’autre ne consiste
qu’en cela : car le Roy ne peut estre sans sujets :
mais les peuples peuuent bien estre sans Monarque.

 

L’Empereur Auguste, quoy qu’il eut incessamment
aupres de sa Maiesté vn Agrippa &
vn Mecenas, si est ce qu’il n’entreprenoit iamais
rien d’important qu’il ne l’eut bien consulté

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auec plusieurs de ceux à qui il se confioit
le plus de ses affaires.

 

Quoy que Philippe de Macedoine
eût tousiours vn Antipater aupres de luy pour le conseiller
& pour commander à ses armées, il ne
laissoit pas encore d’auoir vn bon conseil par la
moyen duquel il suplanta l’ausanias qui aspiroit
au Royaume : vainquist Argée : deffit les
Hongrois & les Esclauons en bataille s’empara
de plusieurs villes de Grece : reprima les tyrans
de Thessalie & plusieurs Roys voisins de
Macedoine : deffit les Atheniens & les Boeciens :
& mist cent cinquante diuers peuples à
son obeïssance.

Alexandre son fils, quoy qu’il eut vn ephestion,
ne laissoit pas d’auoir pareillement aussi
pres de sa personne, quantité de Senateurs tres-entendus
& tres-experts au fait de la guerre, &
par le moyen desquels il fist encore beaucoup
plus de conquestes que son pere ; Car à l’aage
seulement de vingt vn an, qui n’estoit pas
vn aage pour pouuoir faire quelque chose de sa
teste, il asseura son Empire, & subiuga quelque
cinquante nations. Voyez apres cela s’il
n’eust eu qu’vn Mazarin & qu’vn seul Ministre
estranger, s’il auroit pû faire tant de belles
choses, & si l’on doit souffrir qu’vn seul estranger
gouuerne toutes les affaires de France.

FIN.

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Anonyme [1652 [?]], SECONDE PARTIE DV POLITIQVE VNIVERSEL, OV BRIEVE ET ABSOLVE DECISION de toutes les questions d’Estat les plus importantes. SCAVOIR EST, VIII. S’il y doit auoir vn premier Ministre d’Estat. IX. Si tous les Ministres d’Estat ne doiuent pas auoir vne égale puissance. X. Si les Princes, l’Estat, & les peuples peuuent estre pis ou mieux, dans cette egalité de Mnistres (sic). XI. Si l’on doit receuoir vn estranger dans le Ministere. XII. Si l’on doit souffrir qu’vn seul Ministre gouuerne tous les affaires de France. , françaisRéférence RIM : M0_2818. Cote locale : B_17_31.