Anonyme [1652], SECONDE PARTIE DE L’ASNE ROVGE, DÉPEINT AVEC TOVS ses deffauts, en la personne du Cardinal Mazarin. I. Sur son incapacité & maniement des affaires. II. Sur son ignorance & ambition démesurée. III. Sur ses actions & entreprises, qui font cognoistre ses trahisons & perfidies, contre l’Estat. , françaisRéférence RIM : M0_85. Cote locale : B_12_57.
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SECONDE PARTIE DE
L’ASNE
ROVGE,
DÉPEINT AVEC TOVS
ses deffauts, en la personne
du Cardinal Mazarin.

I. Sur son incapacité & maniement des affaires.

II. Sur son ignorance & ambition démesurée.

III. Sur ses actions & entreprises, qui font cognoistre
ses trahisons & perfidies, contre l’Estat.

A PARIS,
Chez LOVYS HARDOVIN, ruë S. Victor.

M. DC. LII.

Auec Permission

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SECONDE PARTIE DE
l’Asne Rouge, dépeint auec tous ses
deffauts, en la personne du Cardinal
Mazarin.

APRES auoir bien recognu par vne soigneuse
recherche, les veritables causes des
maux qui à present nous minent & nous consomment,
& les ayant trouuées en Iules Maz. &
considere que ce que nos quatre derniers Rois
auoient enduré des troubles qui de leur temps
trauailloient leur Estat, procedoit plutost de la
foiblesse de leurs Conseils, que de la force de
leurs ennemis, cela nous deuroit encourager à
prendre vne resolution vraiement digne de l’inclination
naturelle des legitimes François, non
auortons, bastards & illegitimes, le nombre desquels
est auiourd’huy trop grand au sensible
mal heur de la France, qui les doit porter aux
choses grandes, & d’arrester le cours de cét Asne
Rouge, qui s’est engraissé & aggrandy des ruines
de cét Estat & de la misere du pauure peuple, &
faire voir vne fois pour toutes, qu’ils sont capables

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de borner toutes les entreprises pernicieuses
qu’il fait sur eux, aussi tost qu’ils sont las
de les souffrir, à peine devoir bien-tost inonder
à la fin ce Royaume.

 

Mal-heur estrange, que nous n’ayons point
de plus grands ennemis que nous-mesme, à vouloir
nous-mesme nous faire perir pour nous opposer
à nostre propre bien quand il se presente,
en ne nous voulant défaire d’vn tyran estranger,
lequel en ses actions impies, fait assez cognoistre
que l’impieté & le mespris de la Religion sont
les diuinitez qu’il adore, ce sont ces Deitez sous
la guide desquelles il se promet reduire cette
tres-puissante Monarchie aux basses marches, &
seruir de marche-pied à la fortune, comme si
dans le Ciel, il y auoit vn Dieu oisif & fait à la
façon d’Epicure, qui ne se meslast des actions des
hommes, vn Dieu auquel il suffit d’épouuenter
le Monde par des esclairs & des tonnerres, ou
d’estre sur Autels des Areopagites, plus pour
monstre que pour secourir & ayder. Vilain Asne
Rouge, detestable Phlegias, qui pour tes desseins
de perfidie meriterois de ressentir la violence du
foudre que Pericles destourna iadis de la teste
d’Anaxagore, quand il disoit qu’il n’y auoit sur
le Ciel que des cailloux pour chastier les mortels.

C’est vn grand mal pour la France, de dire

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qu’elle est semblable aux Abeilles, parmy lesquelles
se nourrissent tousiours quelques frelons
qui font naistre mille querelles, pour lesquelles
appaiser, ont donné vne infinité de deffiances à
ses Rois de leur fidelité, & leur ont maintes fois
rauy des mains, les Lauriers immortels qu’ils
alloient cueillir au dommage des terres estrangeres.

 

Nostre Asne Rouge a esté bien aise de trouuer
tant de tels & semblables frelons en France,
dont il s’est seruy, pour par leur inclination aux
troubles, renuerser cét Estat & bouleuerser la
Maison Royale ; De sorte que s’il falloit auiourd’huy
taster le poulx à la France, on la verroit
merueilleusement alterée ; il bat sans cesse d’vne
émotion extraordinaire, qui fait cognoistre la
soif desesperée qu’elle a de s’ennyurer du sang de
ses propres enfans, si elle n’en trouue d’autre,
ainsi que le fiévreux qui boit indifferamment
tout ce qui luy est presenté, pourueu qu’il luy
oste la soif.

C’est à quoy se plaist ce mal heureux Mazarin,
quand il veut exalter le merite des François,
il dit par moquerie, qu’ils ne sont propres qu’aux
forests aux prisons & aux fourches, comme disoit
vn Archi-Partisant & insigne voleur son
plus confident amy, lors qu’on se plaignoit de la
surcharge du peuple, qu’il falloit le punir par

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les potences & les gibets : ces maudites sangsuës,
nourries de sang ne se repaissent que de carnages,
leur science n’est que de faire mourir, & ne
respirent que les troubles, tant leurs mouuemens
sont violens & boüillans.

 

Si nous estions bien aduisez nous n’aurions
pas grands peine à nous deffaire de ce tyran &
meurtrier. Nos peres nous ont frayé le chemin
& laissé les moyens pour nous en dépescher. Les
loix de cét Estat nous prescriuent la façon de
l’exterminer : de sorte qu’il n’y a rien de si facile
que d’en voir vne fin. Et ne le pas faire, c’est nous
rendre volontairement complices des maux
dont nous nous plaignons. Vne partie de l’Europe
le cognoist par ses trahisons & le condamne :
il n’est personne intelligente aux affaires qui
ne deteste ses perfidies. Et certes en quelque endroit
du monde, & dans quelque siecle qu’il soit
né, le souuenir de tant d’actions impies qui se
rencontrent en luy dans vn degré superlatif, sa
memoire sera en malediction en la bouche de
tous, ce qui n’est pas moins sans exemple que
sans éloge ; il semble que la fortune a fait en luy
vn peché extraordinaire, produisant vn tel monstre
en la nature : aussi n’est-il pas possible de representer
le détail de tous les maux qu’il a faits
durant son ministere : car tout ce qu’on en pourroit
dire à écrire seroit moins de ce qu’on en

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sçait. Sans parler du reste, ie diray, que sortant
d’vn sang Sicilien, il est sorty d’vne nation qui
a tousiours esté ennemie du repos, qui luy est si
contraire, que sans trouble il n’est iamais à son
aise. Cét Asne Rouge a tres-bien retenu le naturel
de son sang, car depuis le premier iour qu’il
a esté esleué à la dignité de premier Ministre, il
a employé toute son industrie à entretenir le
trouble & la guerre par toute la Chrestienté, en
Allemagne, aux Pays-Bas, en Italie, & à present
en France, où il l’a allumée, & luy en fait ressentir
les effets si cruels, que ce que l’on peut dire
de la guerre, se cognoist veritable en celle-cy, &
par les vers suiuans qui font sçauoir les faits de
la guerre, & on en cognoistra la verité parmy
nous.

 

 


Par la guerre cruelle on renuerse les Villes,
On viole les Loix diuines & ciuiles,
On brûle les Autels & les Temples de Dieu,
L’equité ne fleurit, la iustice n’a lieu,
Les maisons de leurs biens demeurent dépoüillées,
Les vieillards sont occis, les filles violées,
Le pauure Laboureur du sien est deuestu,
Et du vice execrable on fait vne vertu.

 

Depuis le retour de cét Asne Rouge en France,
& vn an auparauant, on y a veu la verité de
ses funestes impietez & trahisons, la Champagne,
la Picardie, la Brie, le Gastinois, la Guyenne,

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le Poictou, la Xaintonge, l’Anjou, le Blaisois,
la Sologne, & les enuirons de Paris, en reserueront
non seulement la memoire detestable ;
mais encores les marques que les Siecles aduenir
ne pourront effaces des cœurs, non plus que des
Villes, des Temples, des Monasteres, & d’vne
infinité de maisons abandonnées, pillées & ruinées.

 

Pour les plaisirs de son corps, il n’a espagné ny
or, ny argent pour satisfaire à son sale plaisir.
Semblable à Epicure, qui constituoit le souuerain
bien en la volupté, & afin de l’entretenir il
a esté si effrontement lascif, qu’il a fait en ses salles
basties prés son Escurie à Paris, representer en
marbre & en relief, les diaboliques postures de
Larretin & les Metamorphoses d’Ouide, afin
qu’en les voyant & y arrestant sa veuë & son esprit,
il allumast d’auantage le feu de sa volupté
excessiue : aussi tous les Epithetes qu’on donne a
vn parfait paillard & ruffien, se rapportent à luy,
comme lascif, impudent, vilain, putier, cauteleux,
escarmoucheur de cottes.

Il se plaist d’auantage aux doux & charmans
concerts des Luths, des Violes & des voix delicates
de musique, qu’au çon enroüé des Tambours,
qu’au bruit furieux des Trompettes aux
foudre & aux esclairs des canons : il aime mieux
s’entretenir aux Balets, aux Comedies & aux danses

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des Corybanthes qu’aux allarmes de la Deesse
Bellone, ses delices plus recherchez sont plutost
dans les compartimens bien ordonnez d’vn parterre
à fleurer & sentir le musque des roses musquées
& des œillets, & à deuiser en ces lieux auec
les Dames, qu’aux sueurs des harnois & à la senteur
de la mesche, & aux escadrons armez d’vne
bataille, ces lieux là sont propres à luy & à ceux
qui comme luy, se veulent laisser charmer par
les oreilles, & par leçon delié d’vne chanterelle
bien pincée, que se trouuer à la chaleur d’vne
bataille, & de s’en durcir comme le diamant
contre la trempe du marteau.

 

Il veut la guerre, il la desire, il la fait dans vn
Cabinet, & ainsi que Mercure Dieu & grand
Maistre des chemins les monstre bien du doigt ;
mais il ne bouge & ne les fait pas. Ainsi cét
Asne Rouge & lasche enuoye bien la Noblesse
& les vaillans à la guerre, sans y aller & ne la veut
voir qu’en peinture. C’est vn autre Heliogabale,
vray pourceau d’Epicure, effeminé, infame &
voluptueux, lequel quoy qu’Empereur viuoit
neantmoins en toute sorte de luxure & de paillardise,
& eust vne vanité si grande qu’il vouloit
que les pots de chambre fussent d’or, aussi sa
fin fut elle de mesme que sa vie, car il fut tué en
vn ret rait où il s’estoit refugié, par le trou duquel
son corps ne pouuoit passer pour estre trop

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estroit, & mort qu’il estoit, il fut traisné par le
Licque (lieu où se faisoient les joustes & les
combats) comme la charogne d’vn chien, puis
ietté dans le Tybre. Que Mazarin prenne garde,
qu’ayant fait tant de mal, & s’estant rendu si
odieux, il ne soit traité de la sorte, & que comme
Asne Rouge, il n’ait pour tombeau ridicule,
la sepulture d’vn Asne, qui est traisné à la voirie.

 

Ne sont-ce pas là les actions d’vn premier Ministre
d’Estat, lequel en cette qualité au lieu de
rechercher le sacré Myrthe de Pallas & de Minerue,
Deesses de courage & de prudence. Il passe
ainsi son temps à l’odeur des Roses de Venus,
engendrée (au dire des Poëtes) de l’escume de la
mer & des genitoires du Ciel, qui luy furent
couppées par son fils Saturne, & furent iettées
en la mer.

Il a esté si insolent, qu’encores qu’il ne soit
qu’vn petit escargot, qu’il s’est attaqué aux Princes
du Sang, & par vne temerité sans exemple, il
a fait emprisonner Messieurs les Princes de Condé,
de Conty, de Beaufort & Duc de Longueuille,
pour gouuerner l’Estat, comme il luy plairoit,
& à eu la pensée de se prendre encores à
Mr le Duc d’Orleans fils de France & Oncle du
Roy, sans autre sujet que l’apprehension qu’il
auoit d’estre traité & chassé du Ministere comme
tres-incapable d’vne telle dignité.

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Mais qu’a-t’il à dire contre son Altesse Royale,
Prince qui n’a iamais aimé à broüiller, semblable
à vn de ces Astres qui peuuent bien pour vn
peu s’éloigner de la route du Soleil, mais non
s’opposer iamais à sa lumiere : son inclination
est toute contraire à ces humeurs turbulantes
ausquelles la paix est vne gehenne & le repos vn
supplice. La façon dont il a veseu iusques à present
dans le monde est vne preuue tres-certaine
de la douceur auec laquelle il est né, de ce que
cét Asne Rouge luy en veut, c’est que son
Altesse Royale n’a iamais approuué ses entreprises
temeraires & tyranniques comme estoit
la guerre de Bordeaux qui fut faite contre ses
aduis & ses conseils, sçachant tres bien qu’elle
ne se faisoit que pour le seul interest de ce pretendu
Ministre, de maintenir le Duc d’Espernon
en son Gouuernement de Guyenne en consideration
de l’alliance qu’il vouloit faire auec
luy par le mariage d’vne de ses niepces au Duc
de Candale son fils, & pour y paruenir, il fut si
outrecuidé qu’il fit faire le voyage de Guyenne
au Roy en la saison des plus grandes chaleurs de
l’année, & employa toutes les forces du Royaume
pour ruiner la ville de Bordeaux, & alloit
ainsi hazarder tout l’Estat pour venir à chef de
sa mal-heureuse pretention, ce qui dépleust tellement
à son Altesse Royale qu’elle refusa d’accompagner

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le Roy son nepueu en ce voyage entrepris
pour complaire à l’Asne Rouge, & la
fin de cette guerre ne fut que honteuse à sa Majesté
à laquelle il fit accorder des articles de paix
aux Bordelois tels qu’ils voulurent, puis les rompit
par vne espece de perfidie, disant, que le Roy
n’estoit point obligé à garder sa parole à ses sujets,
maxime la plus pernicieuse, laquelle si elle
estoit obseruée par les Souuerains, on ne verroit
que reuoltes, rebellions & seditions des peuples
dans leurs Estats.

 

Il fallut pourtant changer le Gouuerneur, la
Guyenne demeurant constante à rejetter la tyrannie
du Duc d’Espernon, & pour la contenter,
le Roy en donna le Gouuernement à Monsieur
le Prince de Condé, lequel Mazarin eust toûjours
pour suspect, cognoissant que ce Prince ne
deuoit pas se sousmettre à vn coyon Italien, ny
le souffrir luy seul gouuerner l’Estat & la personne
du Roy, ce qui n’appartient qu’aux enfans de
France, telle qu’est son Altesse Royale & les Princes
du Sang.

Mais cét effronté Asne Rouge, pour se liberer
de la jalousie qu’il auoit, & de l’apprehension
d’estre depossede d’vne charge dont il estoit indigne,
eust l’audace de faire arrester Monsieur
le Prince, auec le Prince de Conty son frere, &
le Duc de Longueuille son beau-frere au Palais

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Cardinal, & les faire conduire prisonniers au
Chasteau du Bois de Vincennes.

 

Entreprise qui demandoit vengeance à toute
la France & à tous les bons François, contre vn
perfide estranger venu à vn tel degré d’insolence,
qu’abusant du nom & de l’authorité du Roy,
il a osé attenter sur la liberté de nos Princes, qui
sont les pilliers plus puissans de l’Estat, & ce
pour en disposer selon que sa tyrannie le permettroit.

France qui malade, monstre qu’ayant à present
le goust depraué, elle reçoit indignement
les conseils ruineux d’vn Asne Rouge, qui est la
mesme ignorance & la pure perfidie. Il me fasche
d’autant, & ces paroles auec ce Phylonide ; mais
s’il est escrit au Ciel, qu’il faille qu’Apollon dispute
l’honneur de la Lyre, contre les quatre Marsiots.
Le Triumvirat Seruient, le Tellier & de
Lyonne, & Arnaudot, Gazetiers Paranymphes
de nostre Asne Rouge, j’en promets la
dépoüille toute asseurée aux pieds de nos Princes,
heureux seront-ils en leur deffaite se pouuant
vanter qu’vne Themis les aura chastiez de
leur temerité.

Mesdire, est honteux & infame d’vn Prince
duquel la reputation guerriere à paru effroiable
aux ennemis mesme de cét Estat : n’est ce pas
monstrer que vous estes du naturel de Coleuvre,

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dont toute la force & la puissance consiste en la
gorge pour n’auoir point de mains, & que vous
ne pouuez offenser que par l’effort de vostre plume
& vostre langue veneneuse : assassins &
meurtriers de tant de pauures peuples, qui par
le Philtre de vos paroles empoisonnées, voulez
faire mourir la gloire du plus genereux Prince
de l’Europe, qui vous donne l’asseurance de cette
temerité, que l’audace de ce mépris ? y aurat’il
des ambitions telles qu’elles puissent faire esclorre
ses desirs, & desquels sa naissance ne le rende
digne : les diadêmes, les bandeaux d’aucuns
Princes pourroient-ils fléchir sous la main d’vne
race plus éleuée que la sienne ? ce grand Prince
n’est-il pas capable de soustenir auec les forces de
son esprit, les carresses de la fortune ! pourquoy
cette genereuse ambition ne luy sera-elle permise !
pouuez-vous, insolent temeraire trancher
auec le glaiue de vos médisances les aisles de
sa vertu, pour empescher son vol qui le leue
dans le ciel de l’immortalité.

 

Se trouuera-il en France des esprits si méchans,
qui refusent l’honneur qui est deub à nos
Princes, quel sujet ont-ils de leur en vouloir !
est-il possible que leur ingratitude touchera à
l’aymand des obligations que nous leur auons
ne les peigne du vermillon de la honte sur leur
visage, & ne leur perce le cœur de mille remords

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de les poursuiure auec tant d’animosité ! iusques
à le recompenser par vne infame prison, & les
traiter comme s’ils estoient criminels de leze-Majesté,
pour assouuir le desir detestable de cét
Asne rouge, sans faire reflexion que tel attentat
sera puissamment vangé sur ses esclaues & mercenaires
gagez pour perdre les Princes auec l’Estat,
lors que le temps sera venu de ce faire, &
que ces genereux Alcedes sçauront bien faire
payer cherement la perfidie de cét ennemy
commun au grand soulagement de la France.
Voila pour ce qui regarde les entreprises temeraires
& criminels de l’infame Mazarin. Il faut
venir à ces conseils fatals à la France, & de son
Triumvirat traistres à leur patrie.

 

L’histoire nous apprend que beaucoup d’Estats
par les mauuais conseils ont esté perdus,
& que les méchans Conseillers ont eu des fins
tragiques.

Lesquels donnent souuent des aduis que les
Princes sages rejettent & se mocquent d’eux. Ils
diront qu’il faut que la Fortune jouë pour eux,
que l’on ne doit point empescher sa venuë par
des retranchemens, ainsi que Scipion, Emilian
assiegeant Numance, respondit à Aristobule,
qui luy conseilloit de se retrancher, craignant
d’estre surpris par les sorties des ennemis, Ce n’est
pas chose semblable, dit-il, de vouloir prendre nos

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aduersaires, & les craindre : Il faut que l’Espagne sçache
nostre arriuée deuant que nostre partement, sa perte
toute euidente auant que nostre victoire, sa fuitte auant
sa resolution, & que les Maures bazanez d’Afrique
à grande peine luy puissent-ils faire prendre party de
demeurer auec toute asseurance dedans Cartagene, où
les Myramulmins & puissans Roys d’Afrique enuoyent
si souuent asseurer leur vie.

 

C’est peu de chose de donner des conseils,
mais d’en vouloir estre cru, cela tient de l’infortune,
Cleante qui n’en donna iamais aucun qu’il
n’en desirast l’execution, & n’en fut executé
qu’il n’apportast du desastre & du malheur, tant
à celuy qui le donnoit, qu’à celuy qui le receuoit.

Ce fut le sort miserable auquel tomba la vie
d’Abrin fauory de Solyman, pour auoir destourné
les armées du Turc, & les faire porter d’Europe
en Asie. Ce grand homme estant logé au
Dome de sa fortune, ayant par son conseil mis
en l’esprit du grand Seigneur son Maistre, de
faire guerre à Tammar Ismaëlite Roy de Perse
(par lequel il fut deffait à Bethlis, & perdit
son armée) se vid égorgé par la main cruelle
d’Asanagas, si-tost qu’il fut arriué à Constantinople.

L’Empereur Charles V. apres la conqueste
victorieuse des Turcs en Barbarie, retournant

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en Italie, porta ses drapeaux en Prouence, & ce
par le conseil d’Anthoine de Leue contre l’aduis
du Marquis du Griast, & de Ferdinand de Gonzague,
qu’en arriua-il ? ce maladuisé Conseiller
de cette expedition, se voyant au couchant de
sa fortune tout porté à la perte de sa reputation,
mourut tenaillé du remords de sa propre conscience,
& poursuiuy d’vn repentir d’auoir attiré
sur luy les effets de la disgrace de son Prince,
& par la temerité de son conseil, il laissa à la posterité
vn exemple memorable de son malheur.

 

Grand miroir pour nostre Asne rouge, qui
n’est rien qu’vne souche de palais aupres de ces
grands Capitaines, il doit apprendre ce que c’est
que vouloir enfanter en sa ceruelle feslée vne
vengeance si dangereuse que le mauuais conseil.

Tres-pernicieux sur le Conseil que Cinon
donna aux malheureux Troyens, de rompre les
murailles de la ville, pour faire dedans le Cheual
que les Grecs presenterent ; au ventre duquel
estoient les plus vaillans Capitaines & soldats
de leur armée, car y estant entrez, ils en sortirent
& passerent par le fer & le feu ; tous les
habitans auec leur ville, & ce traistre Conseiller
Cinon fut des premiers tué pour recompense de
sa desloyauté.

Charlemagne grand en courage & en conqueste,

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s’estant laissé aller au mauuais conseil
d’Ibnabalat Roytelet de Sarragosse, passa les
Mont Pyrenées, rase les murailles de Pampelune,
triomphe de Sarragosse, & semble se voir
parmy les lauriers plein d’honneur & de gloire.
Mais le malheur qui marche bien souuent en
croupe des victoires, luy fait voir sa belle armée
ruinée & deffaite prés de Bayonne, auec la perte
de son cher fauory Roland, & plus de quarante
mille hommes, Milon chef de son armée tué,
comme encore quantité des plus grands & vaillans
Princes & Capitaines de France.

 

Les mauuais conseils furent cause de la disgrace
d’André de Foix Comte d’Asperant, frere
puisné d’Odet de Lautrec, qui recueilly par la
faction Gramontoise, ne trouue ny forteresses,
ny ville deuant la furie de son armée qui ne fleschisse :
Voila Pampelune abandonné, & le Duc
de Nagera fugitif en Castille, voila vn grand
bon heur qui le suit : Mais le reuers de la medaille
est bien battu d’vn autre coin, car le mal
conseillé Comte d’Asperant ne se contentant
point de ces bons succez, il assiege l’Ogrogne
par la commodité que luy en donnent les tumultes
de Castille : Neantmoins les Vice-Roys
ayans obtenu vne signalée victoire sur les Communes,
tournent teste contre les François, le
Duc de Nagera estant armé iusques à la mer, depuis

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puis Burgos, & donnant la charge de son armée
à Cosme Gonsales de Butron ; ils font d’abort
retirer les François, qui se virent contraints à
chercher leur retraite où ils peurent, & l’ardeur
impatient du Comte d’Asperant, sans attendre
le reste de ses forces qui estoient à Tafalla, perdre
auec la bataille le Royaume de Nauarre, &
ainsi il vid son armée deffaite, & ses plus grands
Capitaines faits prisonniers. Voila le succez des
mauuais conseils, qui n’ont autre suitte que la
fin tragique de ceux qui en entreprennent l’execution,
& ne leur arriue autre chose, sinon que
comme l’Onde, laquelle ayant en vain battu son
écueil, repasse par dessus le dos du flot qui le suit,
honteuse qu’elle est d’auoir si peu profité.

 

Les trophées ny les conquestes n’ont point de
part, où le hazard est la folie ne triomphe iamais
sur la prudence, c’est plustost perdre que vaincre,
ou les grands exploits d’armes ne se font
pas des conseils meurs & digerez.

Ie me tais des batailles Moresques, comme
celles de Muradal & d’Antiguera des Turcs,
comme de Solyman en Perse, & de Bajazet contre
Tamerlan. Ie passe sous silence Ferdinand
d’Austriche, qui ayant leué vne puissante armée
capable de passer sur le ventre à tout autant d’armes
qu’il y en pouuoit auoir depuis Vienne iusques
à Constantinople, se vid rompu faute de

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viure, sans auoir seulement veu que les murailles
d’Ezechio sur le Draue, auec la perte des plus
redoutables Capitaines qui combatirent iamais
sous les Enseignes de Hongrie.

 

Voyez encores vn grand Empereur heurter
aux portes de la France, du costé de Prouence,
qui chargé des dépoüilles gaignez sur les Barbares,
& remportées sur la valeur d’Ariaden
Barberousse, tourne ses victorieux drapeaux
sur la retraite, non faute d’hommes ny de courage ;
mais de bon conseil & de viures qui manquoient
à ses troupes d’Allemagne, lesquels impatiens
de la faim minuterent leur retraite presques
auant que leur arriuée.

L’on sçait & l’on le void par experience que
la vertu s’acquiert par le merite, & le merite par
le iugement, qui ne donne iamais des émotions
volages & populaires ; mais estançonne ses ouurages
à venir plus sur la verité que sur l’apparance :
& c’est icy qu’il se faut promettre des victoires ;
des conquestes lors quelles s’entreprennent
& se poursuiuent par de bons conseils, au
contraire il ne faut esperer rien de bon d’vn
mauuais conseil, rien que des succez funestes,
tragiques & honteux.

Tels qu’ont tousiours esté les conseils de nostre
Asne rouge Mazarin, notamment la belle
entreprise à la guerre de Bordeaux, promettant

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au Roy qu’en moins de huict iours il ameneroit les Bordelois
aux pieds de sa Majesté luy demander pardon. Il est
tellement accoustumé aux fraudes & fourberies qu’il ne
veut prendre aucune place par siege ny par assauts ; mais
par pratiques & trahisons : & durant le siege de Bordeaux
on le vid demeurer en personne deuant le Fort de la Bastide
trois ou quatre heures auec tous les Generaux de l’armée
du Roy, où il n’oublia point ses pratiques ordinaires
& frauduleuses, pour gagner des personnes qu’il pretendoit
pouuoir executer ses mauuais desseins ; il fit tout son possible
de débaucher deux Officiers des Regiments de la ville,
qui luy faisoient esperer merueilles.

 

D’autre costé, tous les Partisans qu’il auoit dans Bordeaux,
& qui y estoient sans auoir peu estre découuerts,
luy auoient fait donner à entendre que faisant approcher
l’armée, & donner de tous costez comme pour la forcer,
cela causeroit du trouble & de la diuision entre le Parlement
& les Bourgeois : & pour faire reüssir ce dessein, cét
Asne rouge n’espargna ny or ny argent, afin de donner
dauantage de terreur à ceux de dedans.

Au mesme temps qu’il fit sçauoir qu’il estoit prés la Bastide
en resolution de l’attaquer, il fit paroistre quelques
troupes vers le fauxbourg de sainct Surin, & ordonna son
armée Nauale d’auancer à demie lieuë prés la ville, composée
d’vn grand vaisseau, d’vn mediocre, & de quelques
Galliottes pour tenir la riuiere, & attendoit auec impatience
le succez de son entreprise, qui ne reüssit pas comme
il desiroit, & qu’il s’estoit proposé.

Alors le Parlement, au lieu de se diuiser, parut plus resolu
que iamais à se bien deffendre, le peuple ne s’émeut
point, & ce qui donna plus de peine aux Generaux de la
ville, fut à empescher les Bourgeois de sortir comme ils
vouloient auec les armes pour aller attaquer leurs ennemis
de toutes parts. Mais comme on cogneut qu’ils ne vouloient

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rien entreprendre, on ne voulut hazarder de si braues gens.

 

L’on demeura deux iours en cette posture, ayant enuoyé
deux mille hommes au Fort de la Bastide, & autant au fauxbourg
de sainct Surin auec mille cheuaux, & pour la riuiere
ils l’auoient bordée de vingt deux grosses pieces de canon,
la moindre de dix-huict liures de balle, le tout garny
de bons soldats.

Quelque soin que l’on prit d’empescher la sortie des
Bourgeois, il fut impossible ; car estans sortis, ils escarmoucherent
continuellement du costé de la Bastide contre les
Mazarins, desquels ils en tuerent plus de soixante, & en
blesserent plusieurs.

On sçauoit d’heure à autre de leurs nouuelles par les soldats
qui s’alloient rendre à eux, disans qu’ils ne pouuoient
subsister dans l’armée à cause des maladies & de la necessité
des viures : le pain de munition se vendoit trente sols piece,
de sorte que demeurant deux iours arrestez, ils mouroient
de faim. L’Asne rouge bien estonné, sçachant la resolution
genereuse qui estoit entre le Parlement & le peuple de la
ville de se bien deffendre, il iugea à propos de se retirer de
tous les quartiers de l’armée ; & pour cét effet les vaisseaux
s’en retournerent à Blaye, & luy à la Cour, & l’armée décampant
pour aller passer la riuiere à l’Isle de S. George.

L’aduis ne fut si tost arriué à la ville de la retraite de cette
armée Mazarine, que de la Bastide sortirent six ou sept
cens hommes qui pousserent la Caualerie demeurée pour
soustenir, & chargerent leur arrieregarde, estans plus de
cinquante des ennemis tuez sur la place, & ceux de la ville
ny perdirent que cinq soldats.

Ils délogerent auec telle precipitation, qu’ils laisserent
la plus grande partie de leur bagage, quantité de Tantes &
autres choses estimées valloit plus de dix mille liures.

Du depuis ils firent mine de vouloir tenter quelque chose
du costé de sainct Surin, ce qui fut cause que ceux de la

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ville y trauaillerent incessamment pour fortifier ce fauxbourg,
comme ils faisoient aux autres endroits ou se pourrois faire quelque
attaque ou surprise.

 

Il fut publié aux Prosnes des Parroisses, que ceux qui auroient
des valets les enuoyassent trauailler aux fortifications, les Bourgeois
y alloient en personne, les Dames, les Bourgeoises alloient
l’apresdinée pour y trauailler, de maniere que dans les trauaux
on n’y voyoit que satin, taffetas & poinct coupé de Genes.

Le Duc de Boüillon estoit à vn poste, & le Duc de la Rochefoucault
en vn autre, où ils faisoient porter leur disné, afin
de ne point quitter vne si belle compagnie, & ainsi on peut iuger
que nul n’estoit exempt du trauail.

Le soir le Duc d’Anguien fils de Monsieur le Prince de Condé,
que la ville de Bordeaux auoit fait Generalissime, alloit à
cheual, tres bien monté, & accompagné au quartier du Duc de
la Rochefaucault, & demeuroit fort long temps sur la [1 mot ill.]
à receuoir les panniers pleins de terre, que les Dames qui estoient
dans le fossé luy presentoient : le Duc de Boüillon y estoit aussi,
où il trauailloit auec les volontaires.

Là mesme se trouuoit Madame la Princesse, qui ne vouloit
point estre quitte à meilleure marché que les autres.

Le soir estant venu, les belles sortoient du trauail, & apres s’estre
vn peu reposées, elles faisoient vne dance, qui [1 mot ill.] toute
vne grande place deuant leurs Altesses.

Le lendemain on reprenoit le mesme trauail le Duc de la Rochefoucault
fit mener plusieurs pieces de vin à son trauail & en
suitte on faisoit venir les violons auec quantité de [1 mot ill.], &
forces fa[1 lettre ill.]ines.

Tout cela déplaisoit si sort à l’Asne rouge qui voyoit le mesconte
de ses mauuais conseils estre cogneu de tous, & dont chacun
blasmoit sa temerité, qui auoit ainsi fait souffrir vn affront au
Roy, luy disant qu’en huict iours sa Majesté entreroit dans Bordeaux ;
& cinq sepmaines s’estoient passées sans rien auancer, de
sorte que pour en sortir auec honneur, on accorda aux Bordelois

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ce qu’ils demandoient, & entr’autres d’éloigner les troupes à
trente lieuës de la ville, ce qui fut accordé, & non executé ny
gardé, façon d’agir de l’Asne rouge d’estre faussaire, pariure,
violateur de foy, & qui n’entretient point ce qu’il promet.

 

Pendant la guerre de Bordeaux, pour laquelle Mazarin auoit
fait venir l’armée que le Roy auoit en Flandre, cela donna sujet
à l’Archiduc Leopold d’entrer en France auec vne puissante armée,
en laquelle estoit le Mareschal de Turenne : Il prit en peu de
temps les villes d’Aubenton, Montcornet, Rethel (où il mit
douze cens hommes pour garder la place) Chasteau Porcian,
Neuf-Chastel, Fismes, & en suitte Mouson.

Apres cette guerre de Bordeaux, le Roy estant à Paris au mois
de Ianuier, de l’an 1630. l’Asne rouge fit arrester Messieurs les
Princes de Condé, de Conty, & le Duc de Longueuille, qui
surent enuoyez au Chasteau du Bois de Vincenne ; cette detention
dé pleut fort à son Altesse Royale & à toute la France, &
apres treize mois, ils furent deliurez ; & au mesme temps on
obligea l’Asne rouge à sortir de France, & se retira en Allemagne
non sans dessein d’y reuenir, se souciãt peu de la Declaration
du Roy, faite en Parlement le 7. Decembre 1652. au iour de sa
Majorité, luy enjoignant de ne plus retourner : mais continuant ;
auec ses adherans en la mauuaise volonté qu’il auoit de repasser
en France, pour essayer à perdre les Princes ; il fit assembler vne
armée de cinq à six mille hommes Allemands, Liegeois François
& Italiens, & dés le 24. Decembre il arriua à Sedan, & deux
iours apres il en sortit auec cette armée, & passa au trauers la France
en Poictou où le Roy estoit, ce qui fit resoudre son Altesse
Royale à prendre les armes, & vnir auec luy Monsieur le Prince,
le Duc de Beaufort, & le Duc de Nemours qui alla faire venir
l’armée qui se leuoit en Flandre pour Monsieur le Prince,
comme il fit.

FIN.

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Anonyme [1652], SECONDE PARTIE DE L’ASNE ROVGE, DÉPEINT AVEC TOVS ses deffauts, en la personne du Cardinal Mazarin. I. Sur son incapacité & maniement des affaires. II. Sur son ignorance & ambition démesurée. III. Sur ses actions & entreprises, qui font cognoistre ses trahisons & perfidies, contre l’Estat. , françaisRéférence RIM : M0_85. Cote locale : B_12_57.