Anonyme [1650], RESPONSE AV LIBELLE INTITVLÉ BONS ADVIS, SVR PLVSIEVRS MAVVAIS ADVIS. , françaisRéférence RIM : M0_3377. Cote locale : B_14_41.
Section précédent(e)

RESPONSE
AV LIBELLE INTITVLÉ
BONS ADVIS,
SVR PLVSIEVRS
MAVVAIS ADVIS.

M. DC. L.

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RESPONSE
AV LIBELLE INTITVLÉ
BONS ADVIS
SVR PLVSIEVRS
MAVVAIS ADVIS.

LE Cardinal Mazarin apres auoir commis la plus noire
perfidie dont l’ame du monde la plus ingrate soit capable ;
apres auoir par vne iniustice sans exemple,
contre toutes les Loix du Royaume, fait emprisonner
Monsieur le Prince son bienfacteur, qui l’année passée par
les ordres de la Reyne, & les conseils de Monsieur le Duc
d’Orleans, employa sa valeur pour le sauuer des mains de
la justice ; Cet ingrat, dis-je, ne croiroit pas auoir pleinement
satisfait à sa lascheté, s’il ne deschiroit la reputation,
& s’il ne taschoit d’obscurcir la gloire de ce Prince,
qui par ses belles actions n’a pas donné moins d’esclat au
Sang Royal, qu’il en a receu de luy par sa naissance. C’est
peu au Cardinal Mazarin d’auoir sacrifié à sa vengeance
vne victime ornée de tant de Couronnes ; c’est peu d’auoir
insolemment triomphé de la liberté du Conseruateur de
l’Estat pour acheuer le crime qu’il a si heureusement commencé,
il faut employer toutes sortes d’artifices afin de rendre
les peuples irreconciliables auec Monsieur le Prince, &
les faire complices de l’indignité la plus barbare, des desseins

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les plus enormes, & de la plus iniuste violence qui leur
puisse iamais estre reprochée par la posterité.

 

C’est peu à cet ennemy du repos public d’auoir enuoyé des
Ordres secrets à ses emissaires pour empescher la conclusion
de la paix Generale, dont les conditions estoient si glorieuses
à la France, pour complaire à la malice du Cardinal, il
faut que ces esprits bas & mercenaires prennent toutes sottes
de formes, que de mauuais negociateurs ils s’erigent en
mauuais escriuains, qu’ils se monstrent quelquefois en public
sous le nom d’vn Gazetier ; tantost que pour se mieux
me François, enfin qu’ils fassent quelquefois les mauuais
plaisans, & tousiours les mauuais Ministres. Ce n’est pas
assez d’auoir prostitué sa reputation à la face de toute l’Europe ;
d’auoir trahi son employ & les interests de sa patrie ;
d’auoir malicieusement empesché qu’on ne terminast vne
guerre estrangere, qui depuis tant d’années fait gemir tant
de Nations ; il faut, pour monstrer iusques où peut aller
vne seruitude honteuse, fournir au perturbateur de l’Estat
des moyens pour allumer dans le milieu du Royaume, vn
feu qu’on ne puisse esteindre, que par le reste du sang que
la Noblesse a rapporté de tant de perilleuses occasions, où
elle a signalé son courage pour le seruice de la Couronne ;
vn feu qu’on ne puisse esteindre que par le sang & par les
larmes de tant de citoyens dont les enfans sont morts en
combattant genereusement pour la patrie, & qui secondant
la valeur de Monsieur le Prince, l’ont suiuy dans les
fameux combats qu’il a donnez, & l’ont aidé à remporter
tant de victoires, desormais inutiles par la mauuaise conduite,
& par la meschanceté du Ministre.

Le premier Prince du Sang auoit fait des reproches de
manquement de parole au Cardinal Mazarin, il auoit medité
de perdre cet ingrat, que tous les bons François sont
obligez d’auoir en horreur ; Ce n’est pas assez à ces ames
lasches d’auoir par des malicieuses negociations, trauersé

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vn dessein si necessaire pour le salut de l’Estat, il faut inuenter
des crimes contre le Prince, luy imposer des ecrimes
dont il est incapable, & le mettre en lieu où l’on puisse attenter
seurement sur sa vie ; il faut estendre toutes les marques
de la fureur sur toute la maison de Condé, & lauer
dans le sang Royal l’affront qu’on a receu.

 

Que s’il se trouue quelques fidelles François qui conseruent
encore du respect pour des Princes du Sang si indignement
traittez, & qui touchez d’vne cruauté si extraordinaire,
osent parler en faueur de ces fameux captifs ; si quelques
Prouinces preuoyant bien les suites d’vne entreprise si insolente,
taschent de se mettre en estat d’esuiter les foudres,
dont il menace tous ceux qui se sont declarez contre luy en
faueur du bien public, il faut que les flatteurs qui se sont
laschement déuoüez à sa fortune, declament contre la conduite
de Monsieur le Prince, qu’ils le couurent de tous les
crimes du Mazarin, afin d’entretenir les peuples dans vne
haine iniuste, & les obliger par cet artifice à fermer les
oreilles aux salutaires aduis qu’on leur donne : Il faut persecuter
vne mere desolée, lors que la pieté maternelle la
fait venir aux pieds du Tribunal de la Iustice, pour implorer
son secours contre les violences de l’ennemy de l’Estat & de
ses enfans ; il faut par des factions abominables exciter les
subjets du Roy à commettre les derniers excez d’inhumanité
contre la premiere Princesse du Sang il faut poursuiure
vne mere qui desrobe son fils vnique à la fureur de l’ennemy
de sa maison, & donner ordre à ceux qui sont honnorez
de ces beaux emplois, d’exercer toute sorte de rigueur contre
cette jeune Princesse, & de luy arracher d’entre les bras
la seule consolation qui luy reste dans ses mal-heurs.

Ce n’est pas assez d’auoir chassé hors du Royaume vne
Princesse qui n’est criminelle, que parce qu’elle est sœur &
femme de trois Princes malheureux ; il faut condamner les
soins qu’elle prend pour la seureté de sa personne, pour la
liberté de ses freres, & pour celle de son mary ; & de peur

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qu’elle ne soit escoutée lors qu’elle demande iustice, la rendre
odieuse par des traitez dont on corrompt tous les articles.
Il faut menacer les iuges de la fureur des peuples, s’ils
escoutent les iustes plaintes de cette Princesse affligée, &
par ces dangereuses ruses faire reprendre aux François le
joug de la domination du mesme estranger, qu’ils ont voulu
chasser pour restablir la paix & la tranquillité dans le
Royaume. Voila quelles sont les pensées, voila quelles
sont les actions du Cardinal Mazarin, voila qu’elle est la tyrannie
dont la France est menacée, si elle ne se reünit promptement
contre celuy qui prepare des chaisnes pour sa liberté,
& voila en vn mot quel est le dessein de son fidelle
Conseiller, l’Autheur du Libelle intitulé Bons aduis sur
plusieurs mauuais aduis.

 

Ce malicieux escriuain sçachant bien que les hommes
n’ont guere moins de haine pour ceux qu’ils ont iniustement
offensez, que pour ceux dont ils ont receu des injures
par vne calomnie aussi impudente qu’artificieuse, rejette
sur Monsieur le Prince toutes les meschancetez du
Mazarin, il exagere toutes les incommoditez que la guerre
de Paris a fait souffrir aux peuples, & en mesme temps
sous leur nom, il se laisse emporter à vne insolente licence
de censurer toutes les actions de la plus glorieuse vie du
monde, & de diminuer auec mespris l’esclat des plus beaux
exploits dont l’histoire ait iamais parlé. Ainsi par vne double
imposture il s’efforce de persuader aux peuples, qu’ils
doiuent auoir du ressentiment des maux qu’ils ont soufferts,
dont il attribuë iniustement la cause à Monsieur le Prince,
& tasche en mesme temps de leur faire apprehender le souuenir,
que Monsieur le Prince peut auoir des iniures qui ne
luy ont iamais esté faites que par ce calomniateur, afin que
fomentant par cet artifice vne haine irreconciliable, il fasse
de ces esprits credules les ministres de la passion du Mazarin,
qui est leur veritable ennemy.

Mais il n’est pas difficile de rendre vains les efforts de la

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malice des partisan ts du C. M. la gloire de M. le Prince a
des rayons assez brillans pour dissiper les nuages les plus
espais de la calomnie. C’est en vain que l’impertinent donneur
de bons aduis appelle les batailles de Fribourg & de
Norlinguen : Les succez à vne heureuse temerité, & dit, que la
precipitation de Monsieur le Prince auoit fait perir plus de cinq
cens braues Gentil-hommes, pour tüer autant de Lansquenets, &c.
Ces deux illustres victoires acquirent à Monsieur le Prince
le titre de Conquerant, & le rendirent si formidable à nos
ennemis, qu’apres auoir forcé deuant Fribourg les meilleures
troupes de l’Empire dans les postes les plus aduantageux
qu’elles auoient pû choisir, le seul bruit de sa marche
glaçoit le sang dans les vaines de ceux qu’il alloit vaincre :
l’importante forteresse de Philisbourg, qui auoit autrefois
occupé six mois entiers l’armée triomphante de Suede, n’arresta
que huit iours le cours de ses victoires, Vvorms, Spire,
Mayence, & tant d’autres places qui sont sur le Rhein furent
le fruict de cette bataille, où les vaincus ne donnerent
pas moins de loüanges au vainqueur, qu’ils tesmoignerent
auoir d’admiration pour sa conduite, & d’estonnement de
la grandeur de son courage. Nos ennemis iugeront bien
plus équitablement de la fameuse iournée de Norlinguen ;
Monsieur le Prince y repara le mal-heur & la perte qu’y fit
autresfois l’armée de Suede ; il y triompha de ces braues
troupes Bauaroises, qui auoient tant de fois deffendu le
passage du Rhein contre les nostres ; il obligea l’Empereur
de retirer ses troupes de la Hongrie, pour secourir le Duc
de Bauiere son allié. Il sauua le Mareschal Tortenson de
l’orage qui alloit fondre sur luy, & luy donna moyen
de retirer de la Morauie le reste de son armée, qui s’estoit
dissipée deuant Brin apres la bataille de Tabor. Ie m’estonne
que cet escriuain n’ait parlé auec autant de mespris de
Rocroy & de Lens, a-t-il creu qu’il auroit de la peine à détromper
les peuples de la haute estime qu’ils conceurent
pour la prudence & la valeur que Monsieur le Prince tesmoigna

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en ces deux importantes batailles ? qui firent aduoüer
aux meilleurs François, que si nous auions beaucoup
de Generaux qui pussent estre iustement loüez pour auoir
en diuerses rencontres heureusement serui l’Estat ; Monsieur
le Prince estoit le seul qui pouuoit se vanter de l’auoir
conserué. Il auroit bien encore appellé ses grands seruices
des temeritez heureuses, mais il a de la moderation, il se
contente d’auoir deffait la valeur & la reputation d’vn si
grand Heros en deux batailles rangées.

 

Ce calomniateur ne se contente pas d’apeller Monsieur
le Prince temeraire, il le nomme cruel, il l’accuse d’estre
l’autheur du despart inopiné du Roy, d’auoir bloqué la capitale du
Royaume, d’auoir fait piller les Temples sacrez, les maisons de plaisir
des Bourgeois, & violé les femmes & les filles, &c. Il n’est pas
necessaire d’employer beaucoup de paroles pour deffendre
Monsieur le Prince de ces impostures, la verité n’est que
trop cogneuë de tout le monde. A moins que d’estre estranger
dans son propre païs, il n’y a point de François qui ne
sçache qu’on ne peut faire d’autres reproches à Monsieur le
Prince que d’auoir obey, & d’auoir presté son bras pour executer
ce qui auoit esté resolu contre son intention : Mais
que cet homme si bien instruit des mysteres les plus secrets
du Gouuernement nous enseigne vn peu, où fut prise la
resolution de faire sortir le Roy, si ce fut à l’Hostel de Condé,
& si Monsieur le Prince poussé de quelque ressentiment
particulier contre les Parisiens, força la Reyne &
Monsieur le Duc d’Orleans de consentir au dessein qu’il
auoit de s’en venger au peril de l’Estat & de l’authorité
Royale ? Nostre donneur de bons aduis n’est pas assez effronté
pour accuser la Reyne d’vn consentement si preiudiciable
aux interests du Roy son fils ; il n’est pas assez impudent
pour reprocher à Monsieur le Duc d’Orleans, qui
tesmoigne tant de vigueur dans toutes les occasions, où il
s’agit du seruice de sa Majesté, vne foiblesse dont il est incapable ;
& le Parlement qui sur de simples soupçons, a

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condamné tant de fois auecque seuerité, & declaré criminels
de leze Majesté des fils de France & des Princes du
Sang, n’a compris dans son Arrest du 8. de Ianvier que le
Cardinal Mazarin, qu’il recogneut pour le seul autheur de
ces pernicieux Conseils, en le declarant ennemy de l’Estat,
& perturbateur du repos public. On sçait bien auec quelle
humanité Monsieur le Prince espargna le sang des subiets
du Roy durant le siege de Paris, personne n’ignore les soins
que son Altesse prit de maintenir autant qu’il estoit possible
dans vne discipline exacte, les troupes qu’il commandoit ; &
si l’on fait reflexion sur ce qui se passe à present dans toutes
les Prouinces du Royaume, sur les meurtres, les vols, les incendies,
& les cruautez que les soldats y commettent par
les ordres secrets du Cardinal, qui veut se venger de la iuste
auersion qu’elles ont pour son ministere, & qui desrobant
l’argent qu’il fait leuer par des voyes barbares & inouïes,
pour la subsistance des gens de guerre, leur donne en proye
toute la France comme vn païs de conqueste. Ne iugera-t’on
pas que si Monsieur le Prince n’eut moderé la fureur de
cet insensé nos campagnes seroient encore à present desolées,
qu’il en auroit fait de vastes cimetieres, & que tous les
habitans des lieux circonuoisins de Paris seroient demeurez
enseuelis dans les ruines, sous lesquelles il auoit medité de
les accabler. Les desordres qu’on a fait depuis l’emprisonnement
de Monsieur le Prince dans toutes les terres qui luy
appartiennent, ce qui s’est passé à Chantilly, où par le
commandement du Cardinal, sans respect des lieux consacrez
au culte diuin, on a foüillé iusques dans les tombeaux,
celuy de Mademoiselle de Dunois ouuert par les gardes
qu’il auoit enuoyez pour enleuer ce qui restoit de plus precieux
dans cette maison abandonnée à l’insolence de ses
satellites ; bref les indignitez auec lesquelles il s’efforce tous
les iours de porter au desespoir tous ceux qui sont alliez ou
seruiteurs de la maison de Condé, ne persuadent-elles pas
aisément que si les mouuements de sa passion eussent esté

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suiuis durant la guerre qu’il nous auoit iniustement declaré.
Ce Prelat, qui n’a que la seule teinture d’vn Prince de
l’Eglise Romaine, auroit fait piller nos Temples, prophaner
nos Autels, & pour satisfaire entierement à son impieté,
briser les tombeaux, & troubler les cendres de nos
peres.

 

L’Autheur des pretendus bons aduis apres auoir traité
Monsieur le Prince de temeraire & de cruel, continuant
ses artifices & ses impostures, l’accuse d’auoir tasché de descrediter
les Frondeurs par les apparences d’vne fausse amitié, de les
auoir fait declarer pour vne feinte querelle, & d’auoir abandonné
tous ceux qui s’estoient offerts à luy contre le Cardinal. Monsieur le
Duc de Beaufort & Monsieur le Coadjuteur font deux tesmoins
irreprochables de la conduite de Monsieur le Prince,
ils sçauent bien que son Altesse leur ayant confié le dessein
qu’il auoit de chasser de France le Cardinal Mazarin,
Monsieur le Duc d’Orleans pour des considerations particulieres
ne voulut iamais consentir à cette resolution, qu’il
creut à propos de differer encore pour quelque temps ; Ces
Messieurs ne peuuent nier qu’ayant offert à Monsieur le
Prince tout le credit qu’ils auoient dans Paris afin de passer
par dessus tous les obstacles qui s’opposoient à ses bonnes
intentions, il leur repartit que pour ses interests particuliers
il ne se porteroit iamais aux dernieres extremitez, qu’il
aymoit mieux souffrir vne injure, que de troubler l’Estat
pour s’en venger, qu’il aymoit mieux que le Cardinal luy
manquast de parole, que de manquer à ce qu’il deuoit au
Roy, & qu’il ne seroit iamais l’autheur d’vne guerre ciuile,
dont les suites ne pouuoient estre que funestes à l’authorité
Royale, & fatales à la Monarchie ; Ces Messieurs demeureront
d’accord d’auoir dit publiquement que Monsieur
le Prince presse par Monsieur le Duc d’Orleans de receuoir
du Cardinal toutes les sousmissions, & toutes les satisfactions
qu’il en pouuoit desirer, ne voulut iamais entendre
aucune proposition d’accommodement sans les en faire

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participans ; qu’il s’engagea d’estre à la Cour le solliciteur
de leurs interests, le protecteur de leurs personnes, & on
tous ceux qui s’estoient declarez de son party, & qu’enfin
il leur promit de leur donner en toutes rencontres des tesmoignages
du ressentiment qu’il auoit de leurs bonnes volontez.

 

Cependant l’imposteur qui reproche à Monsieur le
Prince d’auoir abandonné tous ceux qui s’estoient offerts à
son Altesse contre le Mazarin, ne se contente pas de l’accuser
d’vne ingratitude de laquelle il n’est point capable,
il veut faire croire que par vne lascheté horrible il a malicieusement
accusé les vns d’auoir voulu reuolter la Ville, & les autres
d’auoir entrepris sur sa personne. C’est vn grand mal-heur à
Monsieur le Prince de s’estre laissé surprendre par les faux
bruits qui couroient dans Paris l’onziesme du mois de Decembre
dernier ; il a tort de s’estre imaginé que le Marquis
de la Boulaye auoit eu dessein de faire prendre les armes
à la Bourgeoisie, & d’exciter vne sedition dans la Capitale
ville du Royaume. Ce n’estoit que son phantosme
qui se promenoit dans les ruës, qui haranguoit le peuple
dans le Palais, & qui se faisoit suiure par vn grand nombre
de canaille armée. Le Cardinal, ce grand Ministre ; ne se
laisse pas si facilement tromper par de semblables illusions ;
il ne se laisse pas sur prendre par les faux raports de ceux qui
veulent rendre mauuais office au Marquis de la Boulaye, &
pour faire voir qu’il n’adiouste aucune foy à ces impostures,
il luy donne la suruiuance de la charge de son beaupere ;
nous auions creu iusques icy qu’on auoit voulu attenter à la
personne d’vn Officier du Roy, parce qu’il sollicitoit auec
chaleur les interests du public ; nous auions creu iusques
icy que pour faire vne reparation exemplaire à Monsieur
de Beaufort & à Monsieur le Coadiuteur on feroit rigoureusement
punir les faux tesmoins, qui par des depositions
injurieuses, & par des calomnies espouuantables auoient
fait vn si sensible outrage à la reputation d’vn si grand Prince,

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& d’vn si grand Prelat : cependant on enuoye au Parlement
vne amnistie (dont la verification n’a point esté sollicitée
par Monsieur le Prince,) par laquelle on nous veut
faire croire que le meurtre commis en la personne de l’amy
de Monsieur de Beaufort & de Monsieur le Coadiuteur,
pour lesquels ils sollicitoient, est feint & supposé, &
par laquelle en mesme temps on met en seureté ces calomniateurs
en titre d’office qui auoient accusé Monsieur de
Beaufort & Monsieur le Coadiuteur d’auoir fait vn complot,
pour assassiner Monsieur le Prince. Ceux à qui le Cardinal
a declaré ses intentions ont beau nous dire, qu’ayant
esté forcé par de tres-importantes raisons d’Estat de faire
emprisonner Monsieur le Prince, pour luy tesmoigner
quelque reconnoissance des obligations qu’il confesse luy
auoir, il a voulu par cette declaration espargner la confusion
de son Altesse, & empescher qu’il ne receut le déplaisir
de perdre son procez, les Chambres assemblées. Tous
ceux qui ont de l’honneur & du sens commun, iugent
bien que ce grand Ministre ayant fait commettre l’vn de
ces meurtres & supposer l’autre, afin de se mettre à couuert
contre les exactes recherches qui se faisoient, & d’empescher
que la Iustice ne sçeut par la bouche des Cantos, des
Sociandos, & de ces autres infames tesmoins qu’il auoit faussement
fabriquez, qu’il estoit l’vnique autheur de leurs impostures.
Il a fait porter au Parlement cette Declaration
dressée par ses emissaires auec tant d’art & de malice, qu’elle
peut laisser quelque soubçon, que Monsieur de Beaufort
& Monsieur le Coadiuteur auoient supposé vn meurtre en
la personne d’vn Officier, afin d’auoir vn pretexte de faire
sousleuer le peuple, & de renuerser absolument l’Estat &
l’authorité Royalle. Si Monsieur le Prince estoit l’inuentuer
d’vn crime qu’on imposoit à ces Messieurs, si les faux
tesmoins qui ont deposé contre eux estoit l’ouurage de sa
violence, si le bruit qu’on a fait dans les rues n’estoit qu’vne
chimere, pourquoy falloit-il traiter de la mesme façon les

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protecteurs & les pestes du public, des gens de sac & de
corde & de bons citoyens, des criminels & des innocents ?
pourquoy falloit-il empescher le cours d’vne procedure,
qui pouuoit iustifier en quelque façon la detention de
Monsieur le Prince, puisque par des voyes violentes, impetueuses,
& plaines de calomnies, il vouloit oster l’honneur
& la vie à des personnes d’vne condition si releuée, &
d’vn merite si recogneu ?

 

On allegue contre Monsieur le Prince sa sceance dans le
Parlement, & la chaleur auec la quelle il demandoit iustice
contre des seditieux. Il est certain que la clemence est la
vertu des grands Princes ; que ceux qui temperent par la
douceur le pouuoir absolu qu’ils ont en main sont plus en
seureté parmi leurs subiets dont ils sont aymez, qu’au milieu
des armées qui les enuironnent ; qu’ils sont plus fidellement
gardez par l’amour des peuples, que par les sentinelles
qui veillent à la porte de leurs Palais ; que la terreur & la
crainte sont de foibles liens de la Souueraineté ; que lors
qu’ils sont vne fois brisez. Ceux qui cessent de craindre
commencent de haïr ; que les hommes estans naturellement
sujets à faillir, il n’y a point de loy qui soit assez forte
pour les retenir ; qu’vne rigueur continuelle pert à la fin
son credit & son authorité ; & que par ie ne sçay quelle opiniastreté
attachée au vice, on commet plus souuent les crimes
qui sont le plus souuẽt punis. Il est certain que les bons
Roys estendent quelque fois les bornes de leur clemence
iusques au delà de celles de leur Iustice, & que toutes les autres
vertus n’ont iamais de honte de ceder à la misericorde.
Mais Monsieur le Princequi se ressouuenoit du funeste iour
des barricades, & de l’extremité fascheuse en laquelle le Roy
se trouua reduit, apprehendant auecque raison que ces derniers
mouuements n’eussent des suittes aussi dangereuses
que les premiers, & sçachant bien aussi que la Majesté de
l’Empire est la conseruatrice des Estats & des Rois : il creut
qu’il n’estoit plus à propos de laisser languir l’authorité

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Royalle entre les mais d’vn Ministre imbecille, & que se
trouuant obligé de donner de la crainte, ou d’en receuoir
des factieux, la seuerité en cette rencontre retiendroit pour
l’aduenir beaucoup plus seurement les subiets du Roy dans
l’obeïssance qu’vne foiblesse honteuse, desguisée du nom
d’vne fausse clemẽce, il creut qu’vn Prince du sang pouuoit
se declarer hautement l’ennemy d’vne sedition, qui vouloit
esbranler le Throsne qu’il auoit tant de fois enrichi de ses
trophées, & r’affermi par ses victoires. Mais son ame pourtant
ne ressentit que ces esmotions que le sage ne blasme
point, il se mit en colere ; mais il ne pecha point contre
les Loix de la Iustice, il eut recours à celle du Parlement, il
y sousmit tous ses ressentiments particuliers, il offrit mesme
de se retirer deuant qu’on eut presenté des causes de recusation
contre luy, & l’on ne peut dire qu’il ait voulu retenir
les vns par sa presence, & intimider les autres par ses
menaces sans offencer en mesme temps la vigueur, & l’incorruptibilité
de cette auguste Compagnie. Il eut bien
voulu n’auoir point ordre du Roy d’assister aux deliberations
qui se faisoient sur les informations qu’on auoit faites
contre Monsieur de Beaufort & Monsieur le Coadiuteur ;
mais ces Messieurs n’y peuuent trouuer à redire, puisque
lors que Madame la Princesse a presenté sa Requeste au
Parlement pour demander sa protection contre les violences
du Cardinal Mazarin, qui vouloit au preiudice de la
Declaration du 22. Octobre, violer en sa personne l’article
de la seureté publique, on les a veus sur les fleurs de lys en
qualité de Iuges, quoy qu’ils soient à present les ennemis
de la maison de Condé & les bons amis du Mazarin. Madame
la Princesse croira volontiers que suiuant Monsieur le
Duc d’Orleans il n’entroit point dans le Parlement auec
l’esprit de vengeance, pourueu qu’ils ayent la mesme opinion
de Monsieur le Prince son fils, & nous deuons tous
croire que le Parlement de Paris n’est animé que par l’esprit
de Iustice ; que c’est vn Corps que les ressorts de la caballe

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ne font point mouuoir, & qu’il ne reçoit iamais aucunes
impressions de la bonne ou de la mauuaise fortune de
ceux dont il est le Iuge.

 

Ce donneur de bons Aduis a beau mettre en vsage la plus
artificieuse figure de l’eloquence pour donner aux peuples
de l’horreur, des pensées de Monsieur le Prince ; il a beau
le faire parler comme vn furieux, & comme vn monstre
endemy de l’Estat, afin d’insinuer par cette adresse malicieuse,
que les desordres où nous sommes tombez depuis
son emprisonnement ne sont que les suites des pernicieux
desseins qu’il auoit proiettez contre la France ; on ne croira
iamais qu’vn Prince qui s’est opposé tant de fois aux
grands efforts que les ennemis ont fait pour apporter la
guerre dans le cœur du Royaume, & qui pour asseurer nostre
repos n’a point espargné le sien, ny son sang en tant de
fameuses rencontres : tantost en Flandres, tantost au delà
des Pirenées, & tantost au delà du Rhein, ait iamais fait
des projets si preiudiciables à sa reputation, & si funestes à
l’Estat, dont il a maintenu la gloire par tant d’expeditions
militaires, si esclatantes & si illustres. Au contraire les
moins esclairez voyent bien à present que l’imprudence du
Ministre, & ses conseils violents ont allumé le feu qui va
consommer toutes nos Prouinces, & que rien ne peut desarmer
les partis qui se forment de tous costez contre les
violences & les persecutions du Cardinal Mazarin, que la
liberté de Messieurs les Princes iniustement detenus dans
vne captiuité si honteuse à nostre nation, & si fatalle à la
tranquillité du Royaume.

Cet escriuain, pretend rendre Monsieur le Prince
odieux à Paris par le souuenir de la iournée de Charenton,
en laquelle il voulut, dit-il, attirer au combat les Gouuerneurs
& les citoyens de cette grande ville, pour apres
leur desroute dans ses entrailles le fer & le feu potté
par des barbares, fait assez paroistre qu’il a beaucoup de
malice, mais fort peu de iugement. Pour exciter la haine

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des peuples contre Monsieur le Prince, il offence Monsieur
le Duc d’Orleans, à qui l’honneur est deu d’vne action
si glorieuse puis qu’il y estoit en personne, & que Monsieur
le Prince n’y commandoit que comme son Lieutenant General.
Il reproche en mesme temps aux Generaux de l’armée
Parisienne de n’auoir peu conseruer à la porte de leur
Ville vn poste si aduantageux à leur party, & de n’auoir
osé auec vingt mille hommes de troupes reglées, & quatre
cens mille Bourgeois s’aduancer cent pas hors du Faubourg
pour combattre sept mille hommes commandez par son
Altesse Royalle.

 

Pour rendre la liberté de Messieurs les Princes formidable
aux Parisiens, il leur dit, que son Altesse se ressouuiendra
des feux de ioye que l’on fit le iour de sa detention, qu’il
en aura du ressentiment, sur tout contre les Frondeurs,
qui apres son emprisonnement ont asseuré la Reyne de
leurs obeïssances. Ce seroit vne chose estrange si Monsieur
le Prince n’estoit sensible qu’aux injures, & s’il n’auoit de
la memoire que pour le mal qu’on luy fait : Cependant la
lettre qui fut enuoyée au Parlement, l’accusoit de demander
auec trop de chaleur des recompenses pour ses amis,
des graces pour ceux qui s’attachoient à son seruice, & des
employs pour tous ceux qui se declaroient pour ses interests ;
en ce temps-là il estoit trop reconnoissant, maintenant
il est trop vindicatif. Quelque peinture pourtant que
nostre calomniateur fasse des inclinations de Monsieur le
Prince, il n’y aura personne qui ne croye qu’il se ressouuiendra
bien plustost du seruice que luy rendront ceux qui
procureront sa liberté, que de l’emportement de trois ou
quatre coquins corrompus par le Cardinal. Il sçait bien que
les principaux Bourgeois blasment hautement l’iniustice
qu’on luy fait, & qu’ils murmurent contre l’insolence de
l’estranger, qui persecute sa maison. Il sçait bien que les discours
& les libelles de ses emissaires & de ses escriuains à gages
ne persuaderont iamais au peuple que leurs miseres presentes

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ayent vne autre cause que le Mazarin : que cet
Italien ait de l’amour pour eux, & qu’il ait perdu le souuenir
de toutes les demonstrations de haine qu’ils firent paroistre
lors qu’il enleua le Roy. Il sçait bien qu’ils ne croiront
iamais qu’apres auoir traité ce grand Ministre de faquin,
de tabarin, de macquereau, & comme vn homme de
suburbanis Gomorrhæ, apres auoir fait resonner le pont neuf
de mille chansons iniurieuses, apres auoir traisné dans le
ruisseau son phantosme, apres auoir composé contre luy vn
si grand nombre d’escrits, que le seul inuentaire peut faire
deux volumes entiers, ce lasche Scicilien ne cherche tous
les moyens de s’en venger. La proscription des Comtes de
Matha & de Fonterailles ne doit-elle pas les faire songer à
leur seureté ; & si Monsieur de Beaufort & Monsieur le
Coadiuteur ne sont aueuglez par cette inconstante faueur
qui les enuironne, ne doiuent ils pas craindre que cette persecution
violente ne soit de temps en temps suiuie de quelques
bannissements de leurs meilleurs amis, & des plus attachez
à leurs interests puisque le mesme pretexte peut estre
employé en toute saison contre tous les subiets du Roy, &
qu’ils n’aurõt pas plus de raison de s’opposer aux ordres que
le Cardinal leur fera donner de la part de sa Majesté, qu’ils
en auoient d’empescher le premier attentat que l’on a fait à
la seureté publique en la personne de deux Gentils-hõmes
qui n’ont point fait d’autres crimes que de s’estre liez d’amitié
auec eux, & d’auoir perseueré dans les premiers sentiments
d’aduersion qu’ils ont tesmoigné contre ce Ministre.
Il n’estoit pas necessaire que cet Italien, pour nous
persuader le peu d’inclination qu’il a pour le sexe feminin
esloigna de la Cour trois Dames de qualité : mais il a creu
que pour faire paroistre qu’il est bien raffermi dans son ancienne
tyrannie, il falloit qu’il exerceast des violences contre
l’vn & l’autre sexe, & comme sa principale intẽtion n’est
que de descrediter Monsieur de Beaufort afin de le perdre
plus facilement ; il a voulu commettre en cette rencontre la

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reputation de ce Prince, en luy faisant consentir à l’esloignement
de Madame de Fiesque, dont le mary a souffert
pour luy trois ans d’exil ; il a voulu l’obliger d’abandonner
les interests de la Noblesse, afin que la Noblesse eust sujet
de l’abandonner en d’autres occasions, & faire connoistre
par cét ertifice que Monsieur de Beaufort prefere desormais
l’amitié du Mazarin à celle du Corps le plus considerable
qui soit en France, aux interests de tous les Gentilshommes
du Royaume, & à l’execution de l’article le plus
important de la Declaration du 22. Octobre.

 

L’autheur des bons Aduis, apres auoir impudemment
calomnié les actions & les pensées de Monsieur le Prince,
tourne ses armes contre Madame de Longueville, & tous
ceux qui l’ont suiuie pour éuiter les violences du Cardinal
Mazarin. Tout le monde sçait ce que cette Princesse fit incontinent
apres l’emprisonnement de Messieurs ses freres
& de Monsieur mon mary, afin d’obtenir de sa Maiesté permission
de demeurer dans vne de ses maisons. On sçait bien
que la Reyne estoit assez disposée à luy accorder cette grace
si le Cardinal ne l’auoit empeschée, mais il creut que sa vengeance
ne seroit pas assouuie s’il ne faisoit ressentir à cette
Princesse malheureuse, les cruautez d’vne captiuité aussi
barbare, que celle dans laquelle il retient iniustement
Messieurs les Prince, ou s’il ne l’obligeoit par vn exil volontaire
d’aller porter dans les Prouinces estrangeres les
marques de la desolation de la maison de Condé, & de l’iusolence
de son ennemy.

C’est la derniere calamité d’vne Princesse du Sang, d’auoir
esté reduite à chercher sa seureté chez les ennemis
de l’Estat, il est certain, mais sa retraitte n’est pas sans exemple,
& le traitté qu’elle a fait auec eux est tracé sur le mesme
plan de tant d’autres, que les premiers Princes du Royaume
ont fait autrefois pour s’opposer aux violence des Ministres
qui abusoient de l’autorité Royale. Quand elle s’est
desrobée à la persecution du Cardinal Mazarin, elle a pris

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la mesme route que prit autrefois Monsieur le Duc d’Orleans
lors qu’il alloit chercher vn azile contre la tyrannie
du Cardinal de Richelieu. Le seiour que son Altesse Royale
a fait en Flandres dans le temps mesme qu’il estoit l’heritier
presomptif de la Couronne, la guerre de Languedoc,
la negotiation du Comte de Fonterailles enuoyé en Espagne
par son Altesse Royalle & par la Reyne Mere du Roy,
à present Regente, font assez connoistre que les Princes
sont quelquefois forcez d’auoir recours à la protection des
estrangers, & de prendre les armes contre les entreprises
d’vn premier Ministre insolent & ambitieux. Le Parlement
de Paris qui peut se vanter d’auoir affermi le Sceptre dans
la maison de Bourbon, escouta l’année passée, les Chambres
assemblées, le sieur Arnolphini qui venoit luy offrir le secours
d’Espagne contre le Cardinal Mazarin. Madame de
Chevreuse apres auoir negocié auec tous les Potentats ennemis
de cette Couronne, a si bien iustifié sa conduite,
qu’elle soustient à present le plus grand poids du ministere.

 

Et puis que les Gouuernements & les principales charges
de la Cour sont les recompenses de ceux qui durant la
guerre de Paris ont traité auec Monsieur l’Archiduc, &
l’ont fait entrer en France, ne deuons-nous pas croire que
le Ministre reconnoist que toutes les negotiations que l’on
fait auec les estrangers ne sont pas criminelles. Ces Messieurs
qui se font nommer chef de Fronde ont trop de prudence
pour condamner le traité de Madame de Longueville,
puis qu’il ne contient que les mesmes conditions de
celuy qu’ils auoient fait auec Monsieur l’Archiduc, l’expulsion
du Cardinal Mazarin & la paix generalle. Voila ce que
demande cette Princesse, voila quelles sont ses pensees ;
les troupes que Monsieur le Mareschal de Turennes commande
en font vne solemnelle declaration, & protestent
de mettre bas les armes aussi tost que le Cardinal Mazarin
sera chassé hors du Royaume. C’est en cette conioncture
que la France va s’esclaircir des veritables intentions de

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Monsieur de Beaufort & de Monsieur le Coadiuteur ; C’est
dans cette occasion que l’on verra si le salut de l’Estat est
l’objet de toutes leurs actions, & s’ils en prefereront la conseruation
à celle du Cardinal. Car enfin, lors que le Mareschal
de Turennes, ennemi de la violence de cet estranger,
le viendra demander aux portes de Paris, lors qu’il publiera
que c’est contre luy seul qu’il a pris les armes, Monsieur
le Coadiuteur changera-t’il le texte de son Euangile ?
Monsieur de Beaufort qui a tant de fois crié au peuple point
de Mazarin, point de Mazarin, ira-t’il combattre pour sa
deffence ? Ces Messieurs penseront-ils nous persuader que
le parti qui veut destruire cet impertinent Ministre n’est pas
iuste, parce qu’ils n’en sont plus les chefs ? Croyent-ils qu’en
descriant parmy les peuples les desseins de Madame de
Longueville, & publiant qu’elle n’a mis des armées sur pied
que pour deliurer Monsieur le Prince, dont ils veulent
rendre la sortie redoutable aux Parisiens, les plus sages ne
s’apperçoiuent pas qu’ils veulent par ce moyen conseruer le
Ministre auec lequel ils sont à present reconciliez, faire par
l’adresse ce que l’on a desia fait par la force, & pour l’inimitié
particuliere qu’ils ont pour Monsieur le Prince, engager
dans leurs interests les peuples qui n’en ont point d’autres
que de chasser le Mazarin, qui est leur seul & veritable ennemy,
& contre qui seulement ils ont fait la guerre ; Maintenir
le Cardinal Mazarin par les armes ou par la negotiation,
sont deux choses qui doiuent estre esgallement odieuses
à Paris ; l’authorité Royale & l’obeïssance que l’on doit
à la Reyne, alleguées en cette rencontre, ne doiuent pas
mieux iustifier ces Messieurs auprés des peuples, qu’elles
ont iustifié Monsieur le Prince. Et quand ils nous diront
que c’est vn ennemy plus dangereux que le Mazarin, peut-estre
trouuerons-nous cette raison valable pour eux & pour
le petit nombre de ceux qui ont iugé à propos de profiter
d’vn party qu’ils n’auoient formé, disoient-ils, que pour le
bien public : mais elle fera voir que dans l’accommodement

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qu’ils ont fait auec le Ministre, ils n’ont consideré que leurs
seuls interests : & le moindre François qui aura quelque
lumiere de raison ne croira iamais que le Mazarin soit plus
honneste homme depuis leur reconciliation, que lors qu’ils
disoient que c’estoit vn infame & vn faquin, & qu’ils faisoient
des serments horribles de ne le voir iamais ; au
contraire on le trouuera plus imprudent & plus mal habille
encore qu’il n’estoit, d’auoir si bien recompensé ceux qui
se sont declarez ses ennemis auec plus de chaleur, & qui ont
employé plus d’efforts pour le perdre ; si ce n’est que ce
fourbe ait eu la pensée de les descrediter par ses gratifications
pour les faire apres tomber dans le mesme malheur
où son amitié a conduit Monsieur le Prince. En effet ne
voyons-nous pas que tandis qu’il embrasse Monsieur de
Beaufort, & qu’il luy donne l’Admirauté afin de le faire
consentir au mariage de sa niepce auec Monsieur de Mercœur,
il luy suscite sous main des querelles, il medite des
assassinats sous le nom de quelques ennemis particuliers, &
l’oblige à demeurer renfermé dans les murs de Paris, dans
vne saison où l’on deuroit le voir à la teste d’vne armée
marcher contre les ennemis de l’Estat, & accroistre l’estime
& la bien-veillance que les peuples ont pour luy, en signallant
sa valeur par des exploits dignes d’vn Prince de sa naissance.
Les emissaires du C. M. diront sans doute que M. de
Beaufort, sans se mettre au hazard de deuenir criminel
comme M. le Prince en gagnant des batailles & prenant
des Villes, peut iouïr paisiblement de la reputation qu’il a
acquise dans Paris, tandis que nostre grand Ministre a pris
le soin de repousser les armées ennemies, & qu’il va commander
celle du Roy en qualité de Generalissime. S’il est
ainsi, tremblez Espagnols, le Capitaine Mazarin va triompher
de vostre orgueil, peuples r’asseurez-vous & preparez des arcs
triomphaux au Generalissime Iules, & des chaisnes pour les captifs
qui doiuent suiure le Char de ce Conquerant. Les chastrés &
les courtisannes de ce digne Prelat paroistront encore vne

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fois sur le theatre du petit Bourbon & dans le cabinet de la
Reyne, & Paris ne sera plus qu’vn sejour de plaisirs & de
voluptez. Il va nous faire perdre le souuenir de nos souffrances
par les diuertissements qu’il nous prepare apres ses
belles actions. Les bouffons de son païs viendront encore
vne fois nous réjouïr : Car ce grand homme parmy l’embarras
de tant d’affaires dont il est accablé, ne laisse pas d’escrire
tous les huit iours à Scaramuccia, afin de l’obliger à retourner
en France. Le grand Duc de Toscane est tesmoin
de la diligence & des soins qu’il prend pour entretenir l’amitié
de ce fameux Comedien, qui fait voir assez souuent
dans la Cour de ce Prince les depesches que le Cardinal
Mazarin son bon amy luy escrit sur ce sujet, & sur les
moyens dont il se sert pour se maintenir parmi tant de tempestes
dont sa fortune est agitée.

 

L’escriuain du Cardinal Mazarin reproche à Monsieur
le Prince, & à tous ceux qui demandent iustice pour luy,
d’estre cause que ce grand Ministre ne peut veiller auec
tant de soins qu’il feroit à l’education du Roy, & de la resistance
que les ennemis apportent à la conclusion de la paix.
Si nostre ieune Monarque n’auoit receu en naissant les semences
de toutes les vertus de ses ancestres ; si ce Prince
que Dieu a accordé aux larmes de la meilleure de toutes les
Meres, & de la plus vertueuse de toutes les Reynes, n’estoit
naturelle ment porté à regler toutes ses actions sur les
exemples des Roys ses predecesseurs, nous deurions aprehender
que sa minorité conduite par vn Surintendant tel
que le Cardinal Mazarin, ne fut suiuie d’vne maiorité
formidable à l’Estat. En effet, quelles instructions peut
donner au petit fils de saint Louys, le fils de Pietro Mazarini,
mettra-t’il deuant les yeux de sa Majesté la pureté des
mœurs qui l’ont fait connoistre à Rome dans sa jeunesse ?
mais tout le monde sçait l’horreur que le souuenir en donne
encore à present à ceux qui ont quelque sentiment de
Religion ? inspireroit-il au Roy Tres-Chrestien du respect

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pour le saint siege, & pour le Souuerain Pontife qui le
remplit si dignement ? Mais on sçait que sa vanité l’ayant
porté de faire donner le chapeau de Cardinal à frere Miquel
tres esceruelé Iacobin, il a menacé de faire entrer les
armées de sa Majesté dans le Domaine de saint Pierre,
pour le rauager si son ambition n’estoit satisfaite ; & l’on sçait
qu’apres auoir autrefois assisté à l’assassinat du nepueu du
Pape, il conserue encore à present vne haine trop furieuse
contre sa Sainteté pour insinuer dans l’esprit de sa Majesté
les sentiments que le fils aisné de l’Eglise est obligé d’auoir
pour celuy qui en est le Chef ; apprendroit-il au Roy l’art
de le faire aymer & obeïr par ses subiets, honnorer par ses
voisins, respecter par ses alliez, & redouter par ses ennemis ?
son imbeeillité & sa malice font voir au grand malheur de
la France, que ce n’est pas d’vn tel precepteur que sa Majesté
peut receuoir des leçons si belles & si necessaires, puisque
la foiblesse de son ministere a laissé tomber l’authorité
Royale dans vn precipice si profond, qu’il faudra peut estre
autant de siecles pour l’en retirer qu’il en auoit falu pour l’establir,
puis qu’il a jetté le desordre & la diuision dans la
maison Royale, pillé l’Estat, & reduit les subiets du Roy à
la derniere necessité, puisque sa fureur leur a mis les armes à
la main, & qu’il nourrit sa Majesté dans vne haine pour les
peuples, & particulierement pour celuy de Paris, pour les
Princes de son sang, pour la noblesse, & pour tous les Parlemens
du Royaume, puisque la tolerance que nous auons
pour sa conduite, nous a rendus l’objet de la risée de nos
voisins, separez d’auec non Alliez, & donne la hardiesse à
nos ennemis de venir paroistre iusques à nos portes, & de
s’y faire accompagner de la mesme terreur, auec laquelle
autrefois nous allions espouuanter leurs Estats, & desoler
leurs Prouinces. A dire les choses sans passion le Cardinal
Mazarin n’a pas assés de pieté & de sçauoir pour deffendre la
verité de la Religion Chrestienne, & les droits de l’Eglise
Romaine ; il ce de cet honneur aux Baronius, aux Bellarmins,

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& aux Spada, & tant d’illustres Cardinaux qui ont
honnoré leur sacré College. Pour bien gouuerner vn Estat
il n’a pas la suffisance des Cardinaux Ximenez, d’Amboise,
& de Richelieu, mais en recompense il sçait fort bien parfumer
des esuantails, faire des sauonettes & des pastilles,
pour corriger les deffauts de ses mauuaises hodeurs, composer
des pastes & des eaux luxurieuses telles que celles
qu’il donnoit à garder à son fidelle depositaire Mondini, &
qui ayant esté trouuées à l’inuentaite de cet honneste Ecclesiastique,
causerent vn estrange scandale à tous ceux qui
eurent la curiosité d’en gouster, il a fait de tres-vtiles Commentaires
sur les jeux du picquet du hoc, & de trente &
quarante, il sçait l’art de bien escamotter vn dé & de piper
adroittement vne carte, enfin si les Roys ne deuoient Regner
que chez la Blondeau, ou dans quelque autre Academie,
il seroit le premier homme du monde, & le digne Surintendant
de leur education, & nous souffrons que celle de
nostre Roy soit entre les mains d’vn homme si ignorant & si
infame, d’vn Ministre si ridicule & si corrõpu ; qu’il ne peut
ouurir la bouche qu’il n’en sorte vne sottise capable de faire
mourir de rire tous ceux qui l’escoutent, ou vne exhalaison
capable d’infecter tous ceux qui l’approchent.

 

Cependant c’est vn fort galant homme, il auroit fait la
paix si Monsieur le Prince ne l’en auoit empesche.

Quand la France auroit assez d’ingratitude pour oublier
toutes les celebres actions de la vie de Monsieur le Prince ;
quand la malice de ses enuieux auroit assez de credit pour
effacer de nos Annalles les beaux iours de ses victoires &
de ses conquestes, les epitaphes & les tombeaux de ces
grands Capitaines qui seruoient la maison d’Austriche &
ses alliez, dont la valeur a succombé sous les inimitables
efforts de celle de ce jeune Heros, tant de murs desmolis,
tant de Villes prises seroient des titres assez autentiques
pour persuader à nos nepueux, que les armes que le Roy a
employé pour reduire nos ennemis à consentir à vne bonne

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paix, ne pouuoient iamais estre en des meilleures mains,
ny ses armées conduites par vn chef qui peust appuyer plus
vigoureusement les iustes pretentions de la Couronne : En
effet les Plenipotentiaires d’Espagne apprehendant en
l’année 1647. que Monsieur le Prince, qui comme vn torrent
impetueux renuersoit tous les obstacles qui s’opposoient
à sa valeur, ne reduisit le Roy leur Maistre par des
nouueaux progrez en des necessitez irreparables, se rendirent
si faciles à conclure la negociation commencée depuis
vn si long espace de temps, qu’apres auoir signé les 48.
principaux articles du Traité, ils alloient acheuer le reste si
Monsieur Seruient qui a tousiours affecté de paroistre dans
Munster plustost l’homme du Cardinal Mazarin, que l’Ambassadeur
du Roy, n’eut trauersé malicieusement la conclusion
d’vn ouurage si auguste & si necessaire pour le repos
de toute la Chrestienté. Comme il estoit le confident du
Ministre aux sentimens duquel il conformoit tous les siens,
il fit naistre de nouuelles difficultez afin de donner loisir au
Cardinal Mazarin d’inuenter de nouuelles fourbes. Les
Plenipotentiaires de Messieurs les Estats qui auoient esté
choisis pour amiables compositeurs de ses nouueaux differents,
proposerent des expedients si raisonnables qu’ils furent
approuuez par Monsieur le Duc de Longueville &
par Monsieur d’Auaux, le sieur Seruient s’y opposa auec
vne opiniastreté furieuse, il auoit fait des grandes protestations
de ne iamais consentir à la restitution de Nancy que
les fortifications n’en eussent esté desmolies, les Espagnols
auoient tousiours vigoureusement deffendu les interests du
Duc de Lorraine leur allié ; enfin pressez par les conquestes
de Monsieur le Prince & les desordres de leurs Estats, &
ne iugeant plus raisonnable que les bastions d’vne ville empeschassent
le repos de toute la Chrestienté, ils estoient
prests d’en consentir la demolition lors que l’Agent de son
Altesse de Lorraine fit voir vne lettre que Madame la Duchesse
d’Orleans sa sœur luy escriuoit, par laquelle elle luy

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promettoit de la part du Roy la restitution, non seulement
de sa ville Capitale en l’estat qu’elle estoit, mais de tout
son Duché, pourueu qu’il se destachast des interests d’Espagne,
& qu’il voulust venir auec ses troupes fortifier nostre
party, & continuer la guerre pour les interests de la
France. Il instruisit ensuite l’assemblée des negociations
secrettes, par lesquelles le Cardinal Mazarin auoit voulu
tenter la fidelité de son Maistre, & descouurit aux yeux de
tout le monde la mauuaise foy de ce Ministre & de tous ses
emissaires. M. le Duc de Longueville & M. d’Auaux firent
paroistre sur leur visage les sentimens qu’ils auoient de
ce procedé, dont ils n’auoienteu aucune connoissance. Le
sieur Seruiẽt qui l’auoit conseillé ne pust s’empescher d’en
rougir, les mediateurs blasmerent hautement cette duplicité
honteuse. Messieurs les Estats nos Alliez qui auoient
iusques-là marché d’vn pas égal auec nous, acheuerent leur
Traitté, & les Deputez de tous les Potentats de la Chrestienté
qui estoient à Munster, publierent par tout que le
Mazarin & Seruient estoient les deux ennemis de la paix,
& les seules causes de la continuation de la guerre ; c’est
vne chose si constante, que le sieur Seruient ne peut soustenir
le contraire, j’en appellerois à tesmoin Monsieur de
Longueville & M. d’Auaux, si tous deux ne luy estoient
suspects ; le premier parce qu’il en a fait vn criminel d’Estat,
& le second parce qu’il l’a fait iniurieusement rapeller
de l’assemblée de Munster, de peur qu’il n’aduançast par ses
soins la conclusion d’vn Traitté qu’il auoit ordre de trauerser
par toutes sortes d’artifices ? En voudroit-il croire M.
Chisy Nonce de sa Sainteté, non sans doute ; car il en receut
vn affront trop sensible en pleine Assemblée, lors que
taschant de rejetter le blasme de quelques manquemens
sur ce vertueux & sage Prelat, il luy dist en luy approchant
la main fort prés du visage : Non éviro Signor Seruient, non é
vero voi non haueté mil la verità in bocca. S’en r’apportera-il
à Monsieur Contarini Ambassadeur de la Republique de

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Venise ? Non ; car ce grand homme l’appella publiquement
monstrum horrendum ex mendatiis & imposturis compactum,
vn monstre horrible composé de mensonges & d’impostures.
Veut-il en croire Messieurs les Estats ? Encore moins,
il en fut trop indignement traitté, lors que perdant le
respect pour son éloquence manuscrite, ils luy dirent en
face à la Haye que sans la consideration du Roy qu’il auoit
l’honneur de seruir, il feroit brusler ses escrits insolents
par la main d’vn bourreau, & lors qu’il leur voulut persuader
de continuer la guerre en les assurant sur sa parole, &
sur son honneur que nous ne la terminerions iamais qu’ils
ne fussent pleinement satisfaits ; ils luy respondirent, que
la parole & l’honneur d’vn homme comme luy, estoient de
beaux garents pour engager leur Republique, & se seruant
d’vn prouerbe de leur païs, luy dirent qu’vn Seruient desauoüé,
seroit comme vn poux tombé dans la cendre. Et puis durant
cette negociation si judicieuse dans laquelle il fit des extrauagances
si grãdes, que Madame la Princesse d’Orange luy
fit direque sans le respect du Caractere qu’il auoit, elle le feroit
jetter par les fenestres. Messieurs Cnut & PaW, deux
des Ambassadeurs de Messieurs les Estats, découurirent
quelque petite diuersion qu’il auoit fait à la banque d’Amsterdam
(quelque iour ce passage sera plus clairement expliqué
aussi bien que le reste de sa conduite.) Voudroit-il bien
en croire les Deputez de toutes les Villes Anseatyques ?
Non, car il n’a plus de confiance en ces Messieurs-là, apres
auoir esté obligé de leur faire vne reparation publique pour
vne lettre iniurieuse qu’il auoit escrite contre eux. Enfin à
qui s’en raportera-t’il ce Plenipotentiaire si bien intentionné ?
à son cher maistre le Cardinal Mazarin, dont il a si
bien secondé les intentions à Munster, & depuis dans Paris
en le fortifiant de ses conseils violents, lors qu’il a voulu
attenter sur la liberté de Monsieur le Prince, en composant
cette belle lettre qui fut enuoyée au Parlement pour
en colorer la detention, en se declarant ennemy de la maison
de Condé. En sollicitant publiquement contre Madame

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la Princesse, lors qu’elle a voulu presenter sa Requeste
pour auoir la seureté de sa personne, bref en se prostituant
absolument au Ministre qu’il a plus consideré que les interests
du Roy, qui luy auoit fait l’honneur de l’employer
dans vne negociation si importante à la reputation de sa
Majesté, & à la tranquilité de son Royaume ; Sans doute
que le Cardinal Mazarin respondra de la conduite de son
Ambassadeur, & sur vne telle caution tout le monde dira
que ce n’est pas sans raison que ce prudent Ministre, qui distribuë
auec tant de justice des graces aux bons seruiteurs
du Roy, a fait descendre de dessus les espaules de l’Abbé de
la Riuiere le Saint Esprit, pour le placer sur celles de Monsieur
Seruient, afin de recompenser les grands seruices
qu’il a rendus, & les salutaires conseils qu’il a donnez. Il
l’auroit mesme gratifié du Gouuernement de Saumur, qu’il
demandoit pour place de seureté apres la liberté de Monsieur
le Prince, si cette pretention n’eut esté trouuée trop
ridicule ; Enfin si Monsieur Mazarin & Monsieur Seruient
en sont creus ils ont voulu faire la Paix, mais Monsieur
le Prince a rendu leurs trauaux inutils. Ne l’accuseront-ils
point encor d’estre l’autheur de la guerre Ciuile qu’il a voulu
terminer ? D’estre cause des troubles de Guyenne qu’il
auoit appaisez, si le Cardinal Mazarin esperant de gagner vn
mary pour l’vne de ses petites Donzelles n’eut voulu complaire
à la passion d’vn Gouuerneur ? Si dans le commencement
des desordres de cette Prouince, on eut commandé
de la part du Roy à Monsieur d’Espernon de venir à la
Cour rendre compte de ses actions, & au Parlement de
Bourdeaux d’y enuoyer des Deputez pour y entendre leurs
remonstrances on eut épargné le sang de tant de bons
François, & la Guyenne ne seroit point à present en danger
d’estre desolée par vne guerre que le Ministre y a malicieusement
fomentée : Mais il faut bien qu’il ait des
moyens qui nous sont incogneus pour terminer tous ces
desordres, puis qu’il a dit aux Deputez du Parlement de
Bourdeaux qui sont à Paris, qu’il en viendroit aussi facilement

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à bout, qu’il met sa Calotte. Ie m’estonne qu’il ne leur
ait dit que pour faire mettre bas les armes à tous ceux à qui
le desespoir & sa mauuaise conduite les ont fait prendre,
il enuoyeroit sa Relique de Cazal, ce Chapeau qu’il garde
si precieusement, & qui (lors que le Parlement faisoit vendre
ses meubles à l’encan) estoit exposé auec les chausses
qu’il portoit durant qu’il estoit postillon. Doux & gracieux
comme il est, pour chastier les Bourdelois de la resistance
qu’ils ont fait au Duc d’Espernon, & du peu de complaisance
qu’ils ont eu pour le beau-pere pretendu de la noble
Princesse Martinossi, il ne fera pas démanteler leur Ville,
& raser leurs maisons, il ne leur ostera pas leurs anciens
priuileges, il ne fera pas comme autres fois dépendre leurs
cloches, mais il fera destacher tous les glants de leurs colets,
& pour luy rendre tous ses beaux mots dans le Paradis
de la Cour où il a si grand credit, où il est le Saint le plus
consideré il ne sera iamais leur intercesseur.

 

Est-il possible que tous les François cognoissent la foiblesse,
l’impertinence, & l’ignorance de ce Ministre, &
que tous les François le souffrent. La Reyne-Mere, Tutrice,
& Regente ne sera-elle iamais touchée des calamitez
des peuples, pour complaire aux violences que le Cardinal
Mazarin exerce injustement contre Messieurs les Princes ?
Exposera elle l’Estat du Roy son fils à la fureur des guerres
Estrangeres & Ciuiles ? Hazardera-elle encore vne fois la
fortune de la France pour celle d’vn Estranger qui est le
scandale de la Maison Royale & de tout le Royaume ? Monsieur
le Duc d’Orleans qui sçait la maladie de l’Estat, qui
voit les maux dont il est menacé, ne se seruira-il iamais de
l’authorité que luy donne la charge de Lieutenant General
de la Couronne, pour chastier ce Ministre qui seduit
la bonté de la Reyne, qui abuse insolemment de l’autorité
du Roy, & qui dispose des Gouuernemens, des Charges,
des Benefices, & de toutes les Finances du Royaume, sans
en communiquer à son Altesse Royale ? N’aprehende-il
pas que sa Majesté ne luy en fasse vn iour des iustes reproches,

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& qu’elle ne luy demande compte des conquestes
que Monsieur le Prince auoit fait lors qu’il estoit en liberté,
des pertes que nous auons souffertes depuis son injuste
emprisonnement, des exactions barbares que le Cardinal
a fait par toutes les Prouinces, & de tous les desordres qu’il
a causé dans l’Estat ? Ne fera-il iamais de reflexion sur le
notable prejudice qu’il fait à sa Maison, en souffrant la
violence que le Cardinal fait à celle de Condé : puis qu’il
laisse aux Ministres qui viendront apres celuy-cy, l’exemple
d’vne insolence qu’ils pourront exercer contre ses enfans,
qui n’auront que le mesme rang & la mesme qualité
que possede aujourd’huy Monsieur le Prince, dont les ancestres
ont esté freres & fils de Roys, & porté la mesme
Couronne que nous voyons sur la teste de nostre jeune Monarque ?
Le Parlement de Paris qui a donné de si celebres
Arrests contre le Cardinal Mazarin, qui a fait prendre les
armes aux Bourgeois de la Ville capitale du Royaume,
pour se deffendre contre la tyrannie Sicilienne, qui a fait
achepter aux subjets du Roy, au prix de tant de sang & de
tant de millions vne Declaration si solemnelle, & si necessaire
pour temperer la puissance des premiers Ministres :
laissera-il violer l’article de la seureté publique en la personne
d’vn premier Prince du Sang, d’vn Chef du Conseil
du Roy, d’vn Conseiller necessaire de la Regence ? Ceux
de cette Compagnie qui ont tesmoigné tant de zele pour
la Iustice, pour la manutention des Loix, & pour le bien
public, tant d’auersion pour le gouuernement & la conduite
du Cardinal Mazarin, ne craignent-ils point qu’on
en die en cette rencontre, que leur vertu n’est point à l’espreuue
des Charges, des Emplois, des Benefices, & des
esperances qu’on leur donne ? Pensent-ils agir pour leurs
interests, lors qu’ils renferment toute la grace de la Declaration
dans leurs personnes ? Et croyent-ils à l’aduenir
engager dans leurs deffenses, les Princes, les grands Seigneurs,
& tous les autres particuliers du Royaume, qui se
voyent exclus d’vn priuilege qu’ils ont acquis au peril de

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leurs fortunes & de leurs vies, à des Iuges qui croyent ne
leur en deuoir faire aucune part. Mais quand mesme l’article
de la seureté ne regarderoit que les Officiers du
Royaume, Messieurs les Princes du Sang ne sont-ils pas
Conseillers nais du Parlement, Monsieur le Prince de
Conty en qualité d’Abbé de saint Denis, n’y a-t’il pas les
mesmes droits, seances & prerogatiues que l’Archeuesque
de Paris ? Sera-il possible que dans vne occasion de cette
importance, tous les Parlements du Royaume qui ont verifié
la Declaration du vingt deuxiéme Octobre, ne s’vnissent
point ensemble pour en demander l’execution, &
faire rendre Messieurs les Princes à leurs Iuges naturels, &
par ce moyen esteindre le feu de la guerre ciuile que cette
injustice a allumée par toute la France ?

 

Les Estrangers qui sont au seruice de la Couronne, ne
doiuent ils pas se joindre, afin de demander l’obseruation
de la mesme Loy, qui a esté violée en la personne de
Monsieur le Mareschal de Rantzau, & de Monsieur de
Marchin ? La Noblesse qui voit tous les jours faire des infractions
horribles à cette Declaration, par les Intendans
que le Ministre enuoye dans les Prouinces, qui voyent à
ses yeux faire des cruautez abominables, par les troupes du
Roy, à qui le Cardinal donne toute sorte de licence au lieu
de payement, n’est-elle pas obligée de s’assembler en cette
rencontre, afin de faire de tres-humbles Remonstrances
à sa Majesté sur les desordres du Gouuernement ? Le
Clergé qui est presentement assemblé ne s’opposera-il pas
vigoureusement à l’impudente symonie du Cardinal Mazarin,
qui fait vn commerce public des biens de l’Eglise, &
qui les distribuë à des infames reconnûs pour tels, afin d’auoir
part à leurs friponneries ? Ne manquera-il point à son
deuoir s’il ne fait de viues instances au Roy, afin de faire
rendre la Iustice à des Princes du Sang iniustement persecutez,
à vn Prince du Sang qui est leur Corps, & s’il ne
fait entendre à la Reyne qu’elle sera responsable deuant
Dieu de l’effusion du sang de ses subjets, & des violences

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que son Ministre leur fait souffrir ? Le peuple qui n’a pas
fait la guerre au Cardinal Mazarin pour establir la fortune
de trois ou quatre particuliers, ny pour faire donner l Admirauté
à la maison de Vendosme, ny pour esleuer sur l’oppression
des legitimes Princes de la Maison Royale, ceux
qui n’ont pas l’honneur de l’estre. Le peuple, dis-je, qui
dans les dernieres reconciliations qui se sont faites à la
Cour, n’a point entendu parler de ses interests, ny qu’on
prit soin de faire diminuer les imposts, & les tailles, dont
il est au contraire surchargé, au preiudice de ce qui luy
auoit esté accordé. Laissera-il perdre l’occasion qui se presente
de donner à tout le Royaume le repos, qu’il a iusques
à present si inutilement recherché, il ne faut que
chasser le Mazarin, & deliurer Messieurs les Princes, &
l’orage qui est gros de calamitez, de meurtres & d’incendies,
au lieu de fondre sur nos testes sera promptement
dissipé. Les troubles dont tant de Prouinces sont agitées
seront incontinent appaisez, & la tranquillité restablie
dans toute l’Europe par vne bonne & solide paix. Le Christianisme,
le deuoir de la naissance, & l’amour du bien public
obligent Monsieur de Beaufort & Monsieur le Coadjuteur
de leur costé de trauailler à vn si grand Ouurage. La
prudence veut qu’ils profitent du malheur de Monsieur le
Prince, puisque n’ayant iamais rendu tant de seruices à l’Estat,
ny tant obligé le Cardinal Mazarin qu’il auoit fait, la
reconciliation ne les met point à couuert des injustices &
de l’ingratitude du Ministre : Enfin si le Clergé conserue
de la charité pour tant de peuples Chrestiens, dont la guerre
a fait tant de miserables ; s’il reste encore à la Noblesse du
zele pour la gloire de l’Estat ; si les peuples ont de l’amour
pour leur Roy & pour leur patrie, pour soulager des malheureux,
pour conseruer la splendeur de la Couronne, &
pour donner le repos à la France, les vns & les autres ont les
remedes en main, L’expulsion du Cardinal Mazarin, & la liberté
de Messieurs les Princes.

 

FIN.

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Anonyme [1650], RESPONSE AV LIBELLE INTITVLÉ BONS ADVIS, SVR PLVSIEVRS MAVVAIS ADVIS. , françaisRéférence RIM : M0_3377. Cote locale : B_14_41.