Anonyme [1649], RELATION DE LA PAIX DE LA VILLE DE BORDEAVX, & de la Prouince de Guyenne, Faite par l’entremise de Monseigneur l’Archeuesque de Bordeaux, le 4. Iuin 1649. , françaisRéférence RIM : M0_3137. Cote locale : A_8_47.
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RELATION DE LA PAIX DE LA VILLE
de Bordeaux, & de la Prouince de Guyenne, faite
par l’entremise de Monseigneur l’Archeuesque de
Bordeaux le 4. Juin 1649.

MONSEIGNEVR l’Archeusque de
Bordeaux estoit à Celles quand il apprit
les guerres en la Prouince de
Guyenne, les frequentes lettres qu’il
receuoit n’estoient que prieres qu on
luy faisoit de se rendre à Bordeaux, pour esteindre
le feu de la diuisiõ qui s’y allumoit de plus en plus.

Mais pour vn mal-heur inéuitable, il trouua
Monsieur de Bethune son pere malade à l’extremité ;
ce qui l’obligea de sejourner à Celles, pour
luy rendre ses seruices en cét estat, & peu de iours
apres, Dieu en ayant rendu les derniers deuoirs.
Il partit aussi tost pour Bordeaux, & y arriua le
sixiesme May.

Il y trouua d’abord de grands respects pour luy
de tous les Corps, & des demonstrations d’vne
confiance extraordinaire, chacun le coniuroit de
trauailler à la Paix, & de son costé la forte passion
qu’il auoit de procurer par son entremise, luy portoit
assez, comme il a paru par la suitte de ce qui
s’est passé.

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Apres auoir employé quelque iours à estudier
l’estat des affaires, & l’inclination d’vn chacun
pour descendre plus heureusement au bien de la
Paix si importante pour le seruice de leurs Majestez,
il se transporta le 17. May au Chasteau du Ha ;
à la priere du Parlement qui luy fut faite par vn
President, vn Conseiller de la Grande Chambre,
& vn des Aduocats Generaux de la part du Corps,
pour cét effet sa presence arresta vne grande sedition
qui s’estoit faite contre Monsieur d’Argençon,
& premier President par la populace, qui
vouloit absolument la demolition reduit de Libourne,
l’affaire fut si prudemment conduitte par
les Remonstrances au Peuple de Monseigneur
l’Archeuesque, que cette sedition fut dissipée, &
les Peuples se reffererent dans leurs maisons, apres
que mondit Seigneur Archeuesque leur eut fait
entendre que Monsieur d’A[1 lettre ill.]genson auoit donné
vne ordonnance pour demollir les ouurages faits
au reduit de Libourne, depuis la signature des
Articles le 4. May.

Cette ordonnance n’ayant pas eu l’effet que le
Peuple attendoit, il se forma vne seconde sedition
contre le Parlement, qui fut contraint de s’assembler
& de donner Arrest, par lequel il seroit permis
aux trouppes de Bordeaux de sortir sous les
armes, pour aller demolir les fortifications de Libourne,
faite depuis le 4. May, ce fut pour lors que

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Monseigneur l’Archeuesque redoubla ses soins
pour le bien de la Paix, & pour empescher cette
sortie, ayant tousiours ressussité par les conseils à
cét armement, pour lequel destourner, il disoit
à tout le monde, qu’ils deuoient aduiser meurement
à ce qu’ils entreprenoient, & que peut-estre
seroit-ce la premiere & la derniere action qu’ils
feroient, en quoy il ne s’est pas trompé : car chacun
sçeut qu’apres cinq ou six heures de siege, l’Armée
Bordeloise y fut deffaite, on peut dire que la ville
de Bordeaux se vit à deux doigts de sa perte, quand
Monseigneur l’Archeuesque touché de la proximité
de ce mal-heur des prieres des plus moderés
d’entre les Corps, & du seruice qu’il s’agissoit de
rendre à leurs Majestez, prit resolution de continuer
plus que iamais, ses soins & ses affections
pour le bien de l’Estat & de la Prouince, ce qui
l’obligea d’enuoyer vn des siens vers Monsieur
d’Espernon, pour sçauoir où il le pourroit voir sur
les moyens de la Paix.

 

Et luy ayant esté rappoté qu’il ne pouuoit
donner le lieu, ayant resolu de s’approcher incessamment
de la Ville de Bordeaux, auec les troupes
qu’il commandoit, quoy qu’il tesmoignast
beaucoup d’affection à receuoir Monseigneur
l’Archeuesque. Commença cette response à Monsieur
le premier President, qu’il auoit tousiours remarqué
porté au bien de la Paix, & fort affectionné

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aux seruices de leurs Maiestez. Il le pria
d’en communiquer à l’Assemblée de la Chambre
du Conseil, composée nouuellement de 20. ou
25. personnes choisies du Parlement & de tous les
Corps de la Ville, pour esuiter les longueurs en
matieres de deliberatiõs, l’affaire estant proposée,
la conclusion fut que l’on prieroit Monseigneur
l’Archeuesque d’aller vers Monsieur d’Espernon,
accompagné de deux Aduocats, & de dix Deputez
des principaux Bourgeois.

 

Et de faict, à l’issuë du Conseil Monsieur le
premier President accompagné de deux Conseillers
de la Grande Chambre Deputez de l’Assemblée,
furent trouuer Monseigneur l’Archeuesque,
pour le prier de se rendre mediateur de cette Paix,
& d’aller trouuer Mõsieur d’Espernon où il seroit.

Il partit donc pour cét effet le premier Iuin, accompagné
des Deputez cy-dessus mentionnez,
& rencontra Monsieur d’Espernon au bourg de
Castre à 4. lieuës de Bordeaux, auec lequel il passa
le reste du iour, & le lẽdemain deuxiesme iusque à
midy à conferer sur les moyens de la Paix, les Deputez
furent bien receus, estans presentez par
Monseigneur l’Archeuesque.

Mais sur les difficultez qui s’y rencontrerent
de part & d’autre, sur les propositions de la Conference,
Monseigneur l’Archeuesque iugea à propos
de s’esclaircir plus amplement, pour l’asseurance

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des paroles qui s’y deuoient donner & receuoir.

 

Le lendemain 3. iour de la Feste Dieu, Monseigneur
l’Archeuesque officia Pontificalement à la
Messe, & porta le Sainct Sacrement à la Procession
qui ne finit qu’à vne heure apres midy, pendant
que le Conseil & tous les Corps de la Ville estoiẽt
assemblez, pour aduiser aux moyens de la seureté
des paroles sur ce que le iour precedent, Monseigneur
l’Archeuesque arriuant de Castre, fut chez
Monsieur le premier President, pour luy donner
connoissance de ce qui s’y estoit passé, & pour le
prier de contribuer de son costé à l’aduancement
d’vn bien si vtille estant desiré.

Sur les deux heures apres midy on commença
à voir l’effet des assemblées de tous les Corps, tenuës
audit iour : car à ladite heure on vit paroistre
les deputez de chaque Corps à l’Archeuesché
pour remercier Monseigneur l’Archeuesque de
l’ouurage par luy commencée, & pour le prier de
continuer de se rendre caution pour eux & pour
toute la ville enuers Monsieur Despernon, il luy
donnerent toutes les asseurances qu’il pouuoit
desirer en cette occasion, pour garder inuiolablement
toute ce que promettoit le Parlement, & le
mesme par Monsieur le premier President & trois
Conseillers de la grande Chambre, deputez de la
Compagnie.

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Le 4. Monseigneur l’Archeuesque enuoya vers
Monsieur Despernon, pour sçauoir où il se
rendroit pour vne seconde Conference, & luy
ayant esté rapporté qu’il estoit à Longuan à deux
lieux de Bordeaux. Il le fut trouuer accompagné
de Monsieur le premier President, auec l’agreement
de sa Compagnie de trois Iurats, & plus de
cent personnes des plus honorables de là, donc il
y en auoit de deputez de chaque Corps, excepté
du Parlemẽt ; la paix fut arrestée sur la parolle que
donna Monseigneur l’Archeuesque pour le Parlement
& la ville ; qu’on cesseroit la garde des portes,
qu’on romperoit les baricades, qu’on rendroit le
Chasteau du Ha, que la maison de ville seroit renduë
au Iurats & qu’ils seroient rétablis dans leurs
Charges, qu’on romperoit le Cõseil de Guerre, &
qu’on demeureroit pour iamais dans l’obeyssance
de leurs Maiestez, moyennant quoy Monsieur
d’Espernon donna sa parolle, qu’il esloigneroit ses
troupes, & qu’il tesmoigneroit dans toutes occasions
ses affections pour la Ville de Bordeaux, &
pour toute la Prouince, desirant qu’il s’y fist vn oubly
general & mutuel de tout ce qui s’estoit passé,
en tesmoin dequoy, il dit qu’il voudroit aller coucher
le lendemain à Bordeaux ; de toutes lesquelles
conditions il estoit tombé d’accord auec celuy
que Monseigneur l’Archeuesque luy auoit enuoyé
pour luy faire ces propositions.

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Le 5. dés le grand matin Monseigneur l’Archeuesque
fut aduerty par diuerses personnes qu’il y
auoit par les plusieurs mal
à la Paix, & qu’ils vouloient troubler le zele qui
l’animoit à vn si grand ouurage pour la gloire de
Dieu, le seruice de leurs Majestez & le bien de la
Prouince, le fit partir à pied, en rochet & camail
precedé de sa croix Episcopale, pour aller à l’assemblée
des bourgeois apres auoir conuoqué tous
les Arrests de la ville à l’Archeuesché, & leur auoir
ordonné d’exorter leurs peuples à l’obeïssance
deuës à leurs Majestez, & à demeurer dans la paix
qu’il leur auoit procurée.

Estant à l’assemblée des bourgeois, il fut prié
du Parlement d’aller au Palais où ayant pris sa place
il parla vne heure durant : cette Compagnie
estoit composée de 30. Presidens & Conseillers,
si efficassement sur les matieres dont estoit question,
qu’il rompit les obstacles qui se pouuoient
rencontrer pour empescher vne si bonne & si vtile
action, ces sentimens furent suiuis pour la confirmation
de la Paix, pour la cassation du Conseil
de guerre, restablissement des Iurats, restitution
du Chasteau de Ha & des Nauires.

Pour la demolition des barricades, cessation des
Gardes & autres choses, par les arrests donnez en
sa presence & mesme il luy fut donné deux Conseillers
pour l’accompagner dans l’exortation de
la Paix.

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Sortant du Palais sur le midy, il donna connoissance
aux peuples de la paix qu’il auoit faite &
qu’elle auoit esté acceptée & confirmée dans le
Parlement, qu’il auoit ordonné de la faire publier
par toute la ville, qu’il s’estoit rendu caution pour
eux & qu’il leur respondoit de la seureté des conditions
de la paix au peril de sa vie, exortant tout
le monde à l’obeïssance de leurs Maiestez, ils en
disent autant aux places du marché, à la maison
de Ville & autres lieux des plus grandes affluances
du peuple, ce qui les asseura tellement que lors
retãtissoit par tout de Viue le Roy, il y en eust mesme
plusieurs qui tieterent des larmes de ioye luy entendant
pronõcer qu’il estoit leur caution & qu’il
mouroit auec eux pour la conseruaton de la Paix,

Il n’y eust qu’à la porte de sainct Iulien où vne
certaine troupe de païsans, la pluspart plains de
vin animés sous-mains par quelques flateurs qui
apporterent de la resistance à luy obeïr : car au
lieu de faire estat de ses remonstrances il luy presenterent
le mousquet en iouë & luy firent courir
risque de sa vie, ce qu’ayant apperceu il iugea à
propos de s’en retourner à l’Archeuesché pour trauailler
& mettre ordre aux autres affaires, auquel
lieu sçachant que desia on auoit rendu le Chasteau
du ha, cesse la garde par tout ailleurs, & rendu la
maison de Ville aux Iurats.

Et bien que cette resistance ne dureroit pas, &

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iugeant que Monsieur d’Espernon pourroit venir
à Bordeaux en asseurance ; ainsi qu’il auoit esté arresté
le iour precedent, il enuoya vers luy pour
l’asseurer qu’il pourroit venir lors qu’il voudroit.

 

Cependant il est ordonné de faire publier
la Paix par tout les Cantons de la Ville, faire rompre
les barricades, & retirer ces Paysans & troupes
à la porte de S. Iulien, ce qui reüssit de telle sorte
qu’ils poserent les armes, & quitterent leurs postes
sans aucune violence ny effusion de sang, de
sorte que cette porte fut ouuerte, & le passage libre
presque à mesme temps que les autres, sur les
cinq heures du soir Monseigneur l’Archeuesque
encore de l’Archeuesché à pied vers la porte
Dyrs, sur ce que luy auoit fait entendre que celuy
qu’il auoit enuoyé vers Monsieur d’Espernon
estant de retour, & estant entré dans la Ville auec
sept ou huict Officiers de Monsieur d’Espernon,
furent repoussés par quelque reste de seditieux,
qui l’obligerent de sortir hors les portes auec lesdits
Officiers : mais ce trouble fut aussi tost calme
par la presence de Monseigneur l’Archeuesque,
qui fit publier l’Arrest de Confirmation de la Paix,
& abbattre les barricades restées sur les remparts.

Deux heures apres, Monsieur d’Espernon arriua,
accompagné de quelques Gentils hommes, &
ses gardes qui faisoient enuiron 250. cheuaux, &
fut loger en la maison du Puy-Paulin, où Monseigneur

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l’Archeuesque l’enuoya voir par vn dessie[1 lettre ill.],
& le lendemain il le visita en personne, Monsieur
d’Espernon luy donna aussi vne visite le mesme
iour à l’Archeuesché.

 

Le 8. Monsieur d’Espernon fut à la Maison de
Ville, où il donna de nouuelles protestations aux
Iurats de prendre soin de la Ville & de la Prouince,
& de témoigner ses affections pour Bordeaux.

Le 9. il partit de la ville pour faire esloigner
plus promptement ses troupes.

Ainsi la Prouince a esté pacifiée par les soins &
prudente conduite de Monseigneur l’Archeuesque,
qui n’a rien obmis de tout ce qu’il a creu
pouuoir contribuer à l’accomplissement de cét
ouurage si important pour le seruice de leurs Maiestez,
ce qui luy a gagné les cœurs & les affections
de tous les Corps & des peuples de la ville
de Bordeaux, & de la Prouince, comme il y en a
desia des preuues par les remerciemens qui luy
sont faits tous les iours de tout le monde tant en
general qu’en particulier.

FIN.

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Anonyme [1649], RELATION DE LA PAIX DE LA VILLE DE BORDEAVX, & de la Prouince de Guyenne, Faite par l’entremise de Monseigneur l’Archeuesque de Bordeaux, le 4. Iuin 1649. , françaisRéférence RIM : M0_3137. Cote locale : A_8_47.