Anonyme [[s. d.]], RELATION DE CE QVI S’EST PASSÉ EN LA VILLE de Bordeaux les derniers iours du mois de Iuillet 1649. lors de la signification de l’Interdiction du Parlement. , françaisRéférence RIM : M0_3127. Cote locale : A_8_4.
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RELATION
DE CE QVI S’EST
PASSÉ EN LA VILLE
de Bordeaux les derniers iours du mois
de Iuillet 1649. lors de la signification
de l’Interdiction du Parlement.

Iouxte la Copie imprimée à Bordeaux.

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RELATION DE CE QVI S’EST PASSÉ
en la ville de Bordeaux les derniers iours de
Iuillet mil six cens quarante-neuf, lors de la
signification de l’interdiction du Parlement.

LE vingt-quatriesme Iuillet 1649, Monsieur
d’Espernon arriua à Bordeaux auec
Monsieur de Comminges Capitaine des
Gardes de la Reyne, enuoyé par leurs Majestez
pour les affaires d’entre le Parlement
& Monsieur d’Espergnon, auec le sieur d’Argenson
& auec deux Huissiers du Conseil, & tout ce qu’il
a pû ramasser d’hommes & de Noblesses, en ayant fait
filer depuis quatre iours grande quantité dans cette
ville. Il auoit desiré que les Bourgeois prissent abolition
de ce qui s’est passé, & y a eu cy-deuant grand
bruit de ce qu’on disoit, que quelque seize ou dix-sept
Marchands auoient signez de porte en porte vne
procuration pour la demander au Roy ; & que le sieur
Ardan Iurat estoit allé clandestinement en Cour pour
cela, aussi-tost que le Peuple le sceut, il y en eut grand
murmure, & le Parlement aduerty, desira sçauoir si en
aucune assemblée de la Maison de Ville on auoit resolu
demander cette abolition : Ayant mandé les Iurrats,

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ils desauoüerent, & dirent que leur Collegue
estoit allé en Cour pour des procez particuliers de
l’Hostel de Ville sans aucun ordre du corps des Bourgeois,
ny d’eux mesmes pour les affaires publiques,
beaucoup moins pour demander aucune abolition, &
requiert la Cour de leur donner Arrest, par lequel il
fust inhibé au peuple de parler d’abolition, parce que
cela pouuoit tender à sedition : les Bourgeois & Habitans
prennent à injure qu’il fallut demander abolition,
n’ayant rien fait que pour le seruice du Roy,
duquel ils aymeroient mieux mourir que s’en departir
jamais : cét Arrest leur fust donné, & depuis encor
la Cour en donna vn second, par lequel il est enjoint
de remettre l’abolition, si aucune il y en a, és
mains du Procureur General, lequel Arrest fust publié
au poinct que Monsieur d’Espernon entra dans
la ville, Il est pourtant vray, que Monsieur d’Espernon
a obtenu abolition pour tous les Bourgeois, à la
reserue de Messieurs du Parlement, & de quelque particuliers
qu’il hait de pere en fils, n’y ayant en tout
cette affaire que ses passions & vengeances particulieres
qui l’ayt fait agir.

 

Ce iour vingt-quatriesme Iuillet, les Iurats auoient
mandé enuiron six cens Bourgeois de se trouuer à sept
heures du matin à la Maison de Ville, pour oüir le
Gouuerneur qui vouloit presenter cette abolition, &
par son ordre ils firent courir des billets à l’ordinaire,
auec cette clause nouuelle à peine de priuation de

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Bourgeoisie sans esperance de restablissement, Monsieur
le Gouuuerneur partit ledit iour de bon matin de
chez luy, ayant au deuant du carrosse quatre-vingts
Gardes, & auant ses Gardes dix ou douze Gentilshommes
à pied auec leurs espées, & entre les Gardes
& le carrosse y auoit ses Pages à cheual, & apres
le carrosse y auoit enuiron cent Caualiers, le tout armé
fort aduantageusement, & en cet ordre il alla oüyr
Messe au Conuent des Carmes proche la Maison de
Ville, où estant arriué, il enuoya vn Gentil homme
pour sçauoir si les Bourgeois estoient assemblez, lequel
trouua qu’il n’y auoit que cinq Bourgeois seulement :
ce qu’estant rapporte au Duc d’Espernon, il
s’en aigrit extraordinairement : Il partit auec le mesme
ordre des Carmes, & s’en alla au quartier de sainct
Michel, qui est à l’extremité de la ville, pour estonner
le monde par cét appareil, & delà sans s’arrester
s’en reuint par la ruë de la Roussele deuant le Palais,
où il mit pied à terre à la Maison de la Bource des
Marchands, qui est au deuant le Palais, où estoit
Monsieur de Comminges, & les deux Huissiers du
Conseil.

 

De là, il s’en alla au Palais à pied, accompagné de sa
trouppe & de Mr de Comminges, les Huissiers du Conseil
marchants les premiers, ayant trauerse la grand’
Salle des Procureurs il aduança à celle de l’Audience,
qu’il trouua fermée, parce que la Cour estoit dans
les Chambres, & celle de la Tournelle alloit monter
à l’Audience.

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Cependant il auoit donné ordre au Chasteau Trompette,
que la garnison sortit, & fit marcher vn canon
deuant la porte du Palais, & d’autre part qu’on
fit barricader la principale aduenuë, ce qui fut fait par le
soin de Dumeste faux Bourgeois son affidé, & de S.
Quentin son Capitaine des Gardes.

Les Huissiers du Conseil heurterent à la porte,
& demanderent qu’on ouurit de la part du Roy ;
Monsieur d’Espernon s’aduança luy mesme, & y heurta
auec grande violence, commandant qu’on l’enfonçast,
cependant les Huissiers du Parlement allerent
rapporter à la grand Chambre que deux Huissiers
du Conseil heurtoient, & leur ayant esté commande
par la Cour d’ouurir, ils firent entrer les deux
Huissiers du Conseil, & Monsieur de Comminges auec
vn Exempt des Gardes, & voulant refermer la porte,
les Gardes de Monsieur d’Espernon s’auancerent, & la
firent laisser ouuerte, & le Duc d’Espernon & ses Gentils-hommes
entrerent, & passerent dans la salle de
l’Audiance, & allerent droit à la grand Chambre
auec tant de violences, que plusieurs de ses Gentils-hommes
suiuans & domestiques entrerent auec Monsieur
de Comminges, son Exempt, & les Huissiers du
Conseil jusques dans le milieu de la Chambre du Conseil,
la teste couuerte auec l’espée, les esperons & la bote
leuée, tenant la porte fermée pour empescher l’entrée
à Messieurs des Enquestes, & pendant que le Greffier
mandoit les Chambres, Messieurs de la grande

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Chambre eurent grande peine à reprimer cette violence,
la reprochant au sieur de Comminges, qui de sa part
fit tout ce qui pût pour l’arrester, & sur ce temps Messieurs
des En questes arriuerent, qui firent retirer ces Nobles,
qui se porterent à ce poinct d’insolence de les
tirer par leurs robbes, leur disans des injures, desgaignerent
leurs espées & leuerent la main en les voulans fraper :
Ce qui n’estonna pas ces : Messieurs ; qui dirent hautement
à Beau-Roche, entr’autres, qu’il estoit vn lasche,
qui n’ayant iamais mis l’espée en la main vouloit commencer
contre des robbes, & le menacerent auec ses
compagnons de la corde : Le bruit de cette action alla
bien tost par toute la ville, & fit entrer toute la Bourgeoisie
dans vne extréme indignation ; Cependant la
Cour assemblée, ordonna que le Duc d’Espernon &
toute sa suite se retireroient par prealable auant qu’on
escoutast Monsieur de Comminges, & les Huissiers du
Conseil ; Et ayant fait retirer de l’allée tous ces Porte-Espées,
fit fermer la porte du Tambour sur le Duc
d’Espernon qui estoit dans la salle de l’Audiance, vers
lequel Monsieur le Procureur General & Monsieur de
Comminges allerent par ordre de la Cour luy faire
sçauoir ses intentions, & ayant repliqué qu’il vouloit
prendre sa place dans le Parlement, on luy repartit qu’il
en auoit esté declaré indigne par Arrest ; Estant donc
demeuré dans la salle, les Huissiers de la Cour ayant
voulu fermer les portes, il leur dit de les laisser ouuertes,
ayant eu peur qu’on le retint, sur ce qu’on luy rapporta

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que le peuple crioit hautement qu’il le falloit arrester,
& l’Huissier luy ayant respondu que l’ordre estoit
de fermer les portes pendant que la Cour estoit assemblée,
il dit qu’il aimoit mieux aller dans la salle des Procureurs,
& sur ce temps luy ayant este rapporté qu’on
crioit par les rues, Aux armes ou égorge le Parlement ;
il commença à paslir, & dire aux siens de ne l’abandonner
pas. Il passa donc dans la salle des Procureurs
le chappeau à la main salüant vn chacun, & presque
personne ne luy rendit cét honneur : Là Monsieur le
Procureur General luy vint encore redire que la Cour
ne delibereroit point, & n’oiroit les Huissiers, qu’il ne
se fust retiré auec tous ses gens, & que la Iustice du
Roy ne fur en liberté ; il fit retirer lors la pluspart des
siens en bas, & ne retint en haut que six de ses
Gardes & le sieur d’Argenson. En suitte la Cour enuoya
des Commissaires pour reconnoistre l’estat du
dedans & du dehors du Palais, ce qui obligea Monsieur
d’Espernon de descendre au bas du grand degré
où lesdits Commissaires estant allez, ils s’enuisagerent
sans se saluër, & sur le rapport qu’ils firent à la Cour
Monsieur de Comminges se chargea de faire retirer
entierement Monsieur d’Espernon, qui cependant ce
promenoit sous porte du Palais auec chagrin & despit,
& l’eust encore plus grand quand ledit sieur de
Comminges luy vint dire qu’il falloit qu’il se retirast
chez luy, autrement qu’il ne pouuoit rien faire ; à quoy
il tesmoigna ne se pouuoir resoudre, disant que ce

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seroit obeïr à ses ennemis, & qu’il luy seroit trop honteux
d’estre venu pour s’en retourner sans rien faire :
Ce fut là que le peuple, qui estoit dans la place l’ayant
descouuert, commença à crier, Viue le Roy & le Parlement,
& on luy vint dire que les Bourgeois s’estoient
saisis de sa barricade, & auoit fait crier à S. Quentin,
Viue le Roy & le Parlement, & que de l’autre costé le
peuple, sans armes, auoit fait retirer sa garnison & le
canon qu’il attendoit, ce fut lors qu’il se crut perdu,
& parut si troublé qu’on eut peine à le remettre tout
tremblant sur son cheual, ayant voulu plus d’vne fois
aller chercher sa seureté parmy Messieurs du Parlement
& remonter en haut : mais comme Monsieur de Comminges
luy representa qu’il ne se feroit rien aux Chambres
assemblées s’il reuenoit, & que le peuple qui ne
paroissoit auec d’autres armes que la langue, seroit
content s’il le voyoit retirer, il se resolut à prendre ce
party, & dit qu’il gagneroit plustost son logis à cheual
qu’en carrosse, & satisfairoit mieux le peuple, auquel
il protestoit en passant qu’il ne vouloit que leur
bien & leur liberté, & les proteger comme leur pere,
& faisoit tenir aux siens qui estoient aussi estonnez
que luy, le mesme langage dans son chemin, les
femmes mesmes le huoient : ayant treuué vne chaisne
tenduë, il la fit baisser doucement, & se retira le chapeau
à la main. La Cour enuoya des Commissaires par
toutes les aduenuës du Palais, qui furent accueillis auec
des acclamations de benediction, & ayant appaisé toutes

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choses, ils retournerent rapporter que tout estoit libre,
& lors la Cour escouta la lecture de l’interdiction,
qui fut prononcée par les Huissiers du Conseil contre
tout le Parlement, auec injonction à tous Messieurs
de sortir de la ville dans quatre iours, ce qui n’auoit
garde de pouuoir estre fait, à moins que de faire sortir
auec eux tous nos Habitans, lesquels sans armes
firent paroistre leur zele pour le Parlement, & firent
füir toute cette trouppe armée de Monsieur d’Espernon,
se contentant de leur dire qu’on ne s’en print pas
au Parlement, & qu’ils se laisseroient plustost tous hacher
en pieces, que de souffrir qu’on fit la moindre violence
à ces Messieurs : Ce qui a si fort estonné Monsieur
d’Espernon, qu’il dit l’apresdisnée à ses amis qui
le visiterent, estant dans le lict, où on tient qu’il se fist
saigner, que ce jour l’auoit plus instruit de ses affaires
qu’il ne l’auoit esté encor ; que les flatteurs l’auoient
trompé : qu’il voyoit bien qu’il n’estoit pas
aymé, & qu’on le tenoit pour vn Tyran, en effet, on
la veu obligé à fuïr auec ses armes & canon à la prononciation
des ordres de la Cour, qui estoit sans armes,
& qui monstra dans cette action grand cœur
& grande majesté, ayant demeuré au Palais ce iour
vingt quatriesme iusques à cinq heures du soir, où ils
donnerent Arrest, par lequel Monsieur le Procureur
General fut receu opposant à cette Declaration, ordonné
que tres-humbles remonstrances seroient faites
à sa Majesté, & cependant que l’exercice de la Iustice seroit

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continué. Hier Dimanche Monsieur d’Espernon
faisoit d’vn costé de grands preparatifs pour mettre ses
gens en estat de faire violence pour empescher le Parlement
d’entrer les iours suiuans : Ce qui mettoit nos Habitans
en plus forte resolution & leur redoubloit le courage
de l’autre : On fit courir quelque proposition d’accommodement,
mais tout le monde commença à crier
qu’on les vouloit trahir, & Argensonner. Aujourd’huy
Lundy on a ioüé vne nouuelle fourbe, Monsieur d’Espernon
a voulu diuiser le Parlement & a fait signifier
vne Declaration qui excepte de l’Interdiction ceux
qu’il a voulu & qu’il a fait escrire dans le blanc qu’on
auoit laissé, mais si grossierement que la lettre en paroist
toute fraiche, que les noms sont escrits sans ordre
& d’vn charactere tout differend, & de la main d’vn
homme qui est en ville, nous sommes dans l’attente
de voir d’heure à autre vn grand carnage, auquel on
nous expose ce semble bien legerement ; Il pensa auoir
hier grand desordre sur l’aduis qu’on nous donna que
Monsieur d’Espernon se vouloit saisir du Palais, &
voyant venir de toutes parts ceux qu’il a mandez dans
la Prouince, où nous esperons toutes fois que son credit
se trouuera fort court, aussi bien que dans la ville, car
le bateau de la poste d’Agen ayant paru chargé de Noblesse
& de munitions qui gagnoit le Chasteau Trompette,
a esté contraint d’aborder à la porte du Palais,
où s’estant mis en deffence il y en a eu de tuez, & le reste
auec le bagage a esté pris, & ces Nobles, entr’autres les

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Marquis de Bridoire & Fumel conduits à la Conciergerie,
dont Monsieur d’Espernon a eu vne telle peur,
qu’il a aussi-tost fait sonner le boute-selle, ce qui faisoit
croire que c’estoit l’effet des menaces qu’il nous faisoit
hier de se vanger, pensant qu’il vint à la charge,
sans sçauoir au vray quel estoit son dessein : Ce qui a fait
que le peuple s’est si bien mis en estat, que Monsieur
d’Espernon auec toutes ses forces n’a osé l’enuisager :
Nous pouuons dire qu’il s’en est fuï auec honte, car
n’osant passer par la ville il a gagné la porte Dauphine,
proche de son logis, & a fait auec tous ses
gens le circuit de nos murailles pour aller regagner la
porte de S. Iulien, qui luy est fatale, & par laquelle il ne
peut entrer ny sortir : Les femmes & enfans se sont mis
sur les remparts, & pendãt tout ce tour, le combat a esté
grand sans effusion de sang : De son costé Monsieur
d’Espernon fulminoit des anathemes contre la ville,
la menaçant de fer & de feu, & d’aller ruiner les maisons
& les vignes dans toute la campagne ; Et de l’autre
costé les femmes & les enfans le chargerent d’injures
& d’execrations, jettans forces pierres sur son
carrosse.

 

Le Parlement apres la lecture de l’interdiction, receut
Monsieur le Procureur General opposant à cette
Declaration, & ordonna que tres-humbles remonstrances
seroient faites à sa Majesté, & cependant que
sous son bon plaisir l’exercice de la Iustice continuëra.

FIN.

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