Anonyme [1650 [?]], RELATION DE CE QVI S’EST PASSÉ A L’ARRIVEE DE MADAME LA PRINCESSE DE CONDÉ & de Monsieur le Duc d’Enguien son fils EN LA VILLE DE BORDEAVX. Auec l’Arrest de Messieurs du Parlement de ladite ville sur ce sujet. , françaisRéférence RIM : M0_3111. Cote locale : A_9_20.
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RELATION
DE CE QVI S’EST PASSÉ
A L’ARRIVEE
DE MADAME LA PRINCESSE DE CONDÉ
& de Monsieur le Duc
d’Enguien son fils
EN LA VILLE DE BORDEAVX.

Auec l’Arrest de Messieurs du Parlement de ladite ville
sur ce sujet.

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RELATION DE CE QVI
s’est passé à l’arriuée de Madame la Princesse
de Condé & de Monsieur le Duc d’Enguien
son fils, en la ville de Bordeaux.

LE Lundy 30. du mois de May 1650. Madame la Princesse
de Condé & Mr le Duc d’Enguien arriuerent à Castres
accompagnez des Ducs de Bouillon & de la Rochefoucault,
du Marquis de Sauuebœuf & de plus de mil Gentilshommes
des plus considerables du Limousin, Perigord, Gascongne, &
autres lieux.

Le mesme iour 30. May il fut porté chez le sieur Daffis President
au Parlement de Bordeaux sur les six heures de releuee
(par vn homme incognü, aposté par le sieur de la Vie Aduocat
general audit Parlement & vn des deputez dudit Parlemẽt
en Cour enuoyé à Bordeaux par le Cardinal Mazarin pour y
porter ses ordres) deux lettres de cachet dattees du 18. May,
l’vne adressante au dit Parlement, & l’autre aux Iurats de ladite
ville de Bordeaux, toutes deux de pareille teneur, par
lesquelles ledit Cardinal, sous le nom du Roy, leur donnoit
aduis, que ladite Dame Princesse & ledit Duc d'Enguien
son fils deuoient se rendre à Bordeaux, qu’il leur commandoit
(en cas qu’ils ne fussent pas encore arriuez) de leur fermer les
portes, & en cas qu’ils le fussent, de se saisir & asseurer de
leurs personnes.

Ledit sieur Dassis ayant receu lesdites lettres, fit aduertir
quelques vns des Conseillers du Parlement de se rendre chez
luy, qui iugerent qu’il estoit trop tard pour assembler les Chãbres,
de sorte qu’ils remirent au lendemain, & tous les Officiers
du Parlement furent aduertis de se rendre à six heures
du matin au Palais. Cependant les Iurats ayans esté mandez
chez ledit sieur President Daffis, & ayant ouuert la lettre qui
leur estoit addressee, eurent ordre de faire fermer les portes
de la ville, ce qui mit cette nuict toute la ville en allarme.

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Le Mardy 31. May les Iurats retindrent les clefs des portes
de la ville sans le ; faire ouurir, & se rendirent au Palais pour
sçauoir ce que le Parlement leur voudroit ordonner, ce qui
causa vne grande esmotion, & tout à l’instant la place & la
grande salle du Palais se trouuerent remplies de peuple qui
crioit qu’il ne vouloit point estre renferme dans la ville, & que
si on n’ouuroit promptement les portes qu’il les iroit rompre.
Ce grand bruit & cette sedition qui se formoit obligerent le
Parlement d’ordonner aux Iurats d’aller en diligence appaiser
ce desordre & faire ouurir les portes. Dez aussi tost que les
Iurats parurent dans les ruës le peuple les obligea par diuerses
vns des plus eschaussez furent rompte les serrures des portes
appellees du Caillau & du Chapeau-rouge au mespris de l’authorité
des Magistrats.

Le Parlement pour calmer ce tumulte, & tesmoigner aux
habitans qu’il n’y auoit rien d’extraordinaire, estima tres
prudemment, qu’au lieu d’assembler les Chambres, il faloit
ouurir l’Audience, ce qui fut fait ; & outre informé contre
ceux qui auoient rompu les serrures des portes de la ville.

Le mesme iour sur les cinq heures du soir ladite Princesse de
Conde auec le Duc d’Enguien son fils, venans de Lormont
arriuerent sur le port à Bordeaux accompagnez du Marquis de
Sauuebœuf & de quelques Gentilshommes de sa maison : tout
le peuple de cette grande ville accourut en foule sur le port
pour tesmoigner à cette Princesse la recognoissance de la
paix que le Prince de Condé son mary a procuree aux habitans
de ladite ville contre les oppressions insupportables du
Duc d’Espernon. Ladite Princesse sortant du batteau se
mit dans vn carosse qui l’attendoit sur le quay, auec le Duc
d’Enguien, les Marquis de Sauuebœuf & de Lusignan, & les
Damoiselles de sa suitte, & fut conduitte dans le logis du sieur
de Lalanne qui luy auoit esté preparé. Par tout où la Princesse
passoit les ruës se trouuoient pleines de peuple qui crioit
incessamment, Viue le Roy & Messieurs les Princes.

Sur les huict heures du soir du mesme iour le sieur d’Aluimar
officier de la maison du Mareschal du Plessis, enuoyé à Bordeaux

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par le Cardinal Mazarin arriua venant de [1 mot ill.] Comme
il sortoit du batteau vn habitant de la ville qui le recognut
le fut saisir par le colet, & luy dist, Espion que venez-vous
faire icy, ie vous fais prisonnier de la part de Madame la Princesse,
& à l’instant fut mené à son Altesse. Cette Princesse
la larme à l’œil, voyant d’Aluimar en sa presence, luy reprocha
qu’ayant receu beaucoup de bien du Prince de Conde son
mary, il estoit estrange de voir qu’il fust à ce point ingrat que
pour plaire au Mazarin ennemy & persecuteur de sa maison,
il fust venu à Bordeaux pour l’empescher d’y trouuer retraitte.
D’Aluimar luy ayant respondu qu’il auoit esté obligé d’obeïr
aux commandemens du Roy, par l’ordre duquel il auoit fait
ce voyage, supplia son Altesse de le vouloir excuser, & de le
garantir de l’indignation & colere des habitans qui l’auoient
menacé par les ruës de l’assommer : cette Princesse [22 l. illisibles]

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est sur la riuiere, appellé aux Chartreux.

 

Le Mercredy premier de Iuin dez les six heures du matin
ladite Princesse auec le Duc d’Enguien s’estant renduë au
Palais, s’alla mettre dans la salle de l’Audience, où estant &
tenant le Duc d’Enguien son fils par la main, le visage baigné
de larmes, elle prioit tous Messieurs les Iuges, comme ils passoient,
de luy rendre iustice sur la requeste qu’elle auoit mise
entre les mains d’vn de Messieurs du Parlement, & les supplioit
de luy vouloir donner & à Monsieur d’Enguien seureté
& asseurance de leurs personnes, qu'elle n’auoit peu trouuer
en aucun endroit du Royaume. Le petit Duc d’Enguien les
conjuroit puis que son papa estoit prisonnier de luy seruir de
pere.

Dans ce mesme instant d’Aluimar estoit au Palais, & estant
entré dans la grand’Chambre, mit sur le bureau vne lettre de
cachet qui estoit dattee du 26. May, par laquelle le Cardinal
Mazarin sous le nom du Roy, commandoit au Parlement,
d’empescher que ladite Princesse n’entrast dans Bourdeaux,
& en cas qu’elle y fust arriuee, de l’arrester & de se saisir de sa
personne, & de celle du Duc d’Enguien. Il rendit vne pareille
lettre aux Iurats.

Les Chambres s’estant assemblees enuiron sur les dix heures,
incontinent apres la Princesse tenant le Duc d’Enguien par
la main entra dans la Chambre, & d’abord redoublant ses larmes,
& les sanglots interrompant ses paroles, se ietta à genoux,
& en cette posture demanda à la Cour seureté & asseurance
pour sa personne & celle de son fils. Il n’y eut personne
dans cet auguste Senat qui peust retenir ses larmes,
que la compassion de voir cette grande Princesse & son fils en
c’est estat tiroit auec abondance de leurs yeux : vn chacun accourut
pour la releuer, & en suitte elle fut price de se retirer
dans la salle de l’Audience où quelqu’vn des siens auoit pris
soin de luy faire apporter deux chaises.

Auant que d’opiner sur la lettre portée par d’Aluimar & sur
la requeste presentee par ladite Princesse, il fut deliberé que
on feroit sçauoir à son Altesse que la Cour desiroit qu’elle fist
retirer & sortir hors de Bordeaux tous ceux qui l’y auoient

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accompagnée à la reserue de ceux de sa maison, de crainte qu’il
ne se formast quelque party dans la ville preiudiciable au seruice
du Roy & au repos de ladite ville. Pour cet effet deux Conseillers
de ladite Cour furent deputez vers ladite Dame Princesse,
qui leur donna sa parole auec grande franchise, & promist qu’au
cas qu’elle demeurast à Bordeaux qu’elle n’y feroit aucun party
ny complot, & qu’elle n’auoit aucune correspondance n'y intelligence,
& tesmoigna ne demander qu’vne retraitte & asseurance
de sa vie & de celle du Duc d’Enguien ; qu’elle n’eust point
party de Mouron sans les aduis asseurez qu’elle auoit receus que
le Comte de Sainct Agnan se vouloit faisir de leurs personnes,
& que le iour de deuant qu’elle en sortist ledit Comte de Sainct
Aignan estoit allé recognoistre la place auec six vingts cheuaux,
qu’elle l’auoit veu de ses senestres, & que la nuict en suitte elle
s’estoit sauuée.

 

Cette response rapportée à la Compagnie, apres que les gens
du Roy eurent donné leurs conclusions, les voix recueillies par
deux fois, il fut donné Arrest portant, QVE LE ROY seroit informé
de l’estat present & des partis qui se sont formez à l’occasion
de la detention des Princes & de l’espulsion du sieur Duc d’Espernon,
& sa Majesté tres-humblement suppliée de vouloir arrester
les desordres naissans pour cet effet, de donner vn autre
Gouuerneur à la Guyenne, & de renuoyer lesdits Seigneurs
Princes deuant leurs Iuges naturels, suiuant les Ordonnances
& Declarations, que l’original de la Requeste presentée par ladite
Dame Princesse sera enuoyé au Roy, & cependant que sous
le bon plaisir de sa Majesté ladite Dame Princesse auec le
Seigneur Duc d’Enguien son fils & ceux de sa maison, demeureront
dans la presente ville en toute seurete & asseurance, lesquels
à ces fins la Cour a mis sous la protestion & sauuegarde du
Roy & de sa Iustice.

C’eust esté vne lascheté sans exemple & reprochable à perpetuité
au Parlement & à la ville de Bourdeaux, d’auoir liuré entre
les mains du Mazarin ou du Duc d’Espernon Madame la Princesse
& Monsieur le Duc d’Enguien : Cela seroit honteux à la
France & dommageable à l’Estat, si cette Princesse ne trouuant

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pas de seureté & d’azile dans vne ville de ce Royaume, elle eust
esté contrainte de [1 lettre ill.] chercher chez les estrangers, où elle estoit
resolue de se retirer. Toute la Guyenne, qui gemist sous la tyrannie
& persecution du Duc d’Espernon, se seroit desia sousleuee
& auroit chasse cet ennemy irreconsiliable de la Prouince, si
le Parlement par sa prudence n’arrestoit ses transports & ne moderoit
ses iustes ressentiments par l’esperance qu’il luy fait conceuoir
que la Royne enfin vaincue par les larmes & les souspirs
de tout ce peuple affligé, se portera à luy octroyer la grace qu’il
luy demande, par les supplications qu’il fait a sa Maiesté depuis
si long temps, & qu’elle leur sera cette iustice d’esloigner pour
iamais ce meschant Gouuerneur & sa posterité de cette desolée
prouince.

 

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