Anonyme [1649], RELATION DE BORDEAVX, CONTENANT CE QVI S’EST passé depuis la sortie de nos Chaloupes entre l’Armée du Parlement & celle du Duc d’Espernon iusques au 23. Aoust. , françaisRéférence RIM : M0_3104. Cote locale : C_9_30.
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RELATION
DE BORDEAVX,
CONTENANT CE QVI S’EST
passé depuis la sortie de nos Chaloupes
entre l’Armée du Parlement
& celle du Duc d’Espernon
iusques au 23. Aoust.

Imprimée à Bordeaux.

M. DC. XLIX.

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Relation de Bordeaux, contenant ce qui s’est passé depuis
la sortie de nos Chaloupes entre l’Armée du Parlement
& celle du Duc d’Espernon iusques au 23. Aoust.

LA necessité, est quelque fois maistresse
des esprits, & leur fait faire des efforts au
delà de leur nature, & arme toute sorte
d’animaux à leur deffense, mais quand la raison
de l’homme est forcée à se seruir des armes du
desespoir, elle porte toutes choses à l’extreme,
& fait reuiure dedans les cœurs vne force nouuelle,
comme il paroist dans ce qui s’est passé
dans la ville de Bordeaux, laquelle ayant veu ses
falaises, & tous ses enuirons opprimez & rauagez
par les troupes commandees par le Duc
d’Espernon, lesquelles auroient exercé tous les
actes d’hostilité, qui se soient iamais commis
par les ennemis les plus barbares, & où la tirannie
regne le plus puissamment, ses maux, quoy
qu’extremes & capables d’estonnement, n’auoient
pas distrait du cœur de ses Habitans, le
respect, l’obeyssance & la submission qu’ils doiuent
à leur Roy, & ce celebre & auguste corps
du Parlement, ayant deputé aux pieds de sa
Maiesté, pour l’informer de nos persecutions,
& receuoir de sa part le remede à nos maux, par

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l’ordre de sa Iustice, & encores apres la negociation
de nostre Archeuesque, nous auions esperé,
que nous aurions quelque fin à nos mal-heurs,
mais au lieu d’vne paix tant desiree, &
aduantageuse au bien de la Prouince, comme
le dessein dudit sieur Duc d’Espernon estoit
pernicieux & violent, il auroit augmente les
efforts de sa premiere persecution, & ayant opprimé
la Iustice souueraine du Roy, iusques
dans son Sanctuaire, interdit le negoce, par
l’arrestement des batteaux qui arriuoient en
cette Ville, sur les riuieres de Garonne & Dordogne,
& qui nous portoient la subsistance, par
la retention des Courriers ordinaires, & par le
pillage general des maisons de la Campagne,
qui appartiennent aux habitans, & enleuement
de leurs bleds & de leurs personnes, nous nous
serions trouuez dans cette conioncture, contraints
de luy opposer nos armes & exposer nos
vies, à la iuste deffense de nos biens, qui nous
sont rauis, par vn ennemy si ouuert & manifeste.

 

Ayant esté en resolution au Conseil de Police,
que le Marquis de Lusignan, dont la valeur, &
l’affection au seruice du Roy & du public, ne se
pourroit assez loüer, commandant l’armée du
Parlement, pour le seruice du Roy, sortiroit

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auec les Galiottes, & autres Vaisseaux, capables
de porter en tout, cinq à six cens hommes,
pour aller du costé de Pailhet & Cadilhac, tascher
d’enleuer tous les batteaux, & prisonniers
qui se pourroient rencontrer sur sa marche. Ledit
Marquis partit le quinziesme du courant, sur les
sept à huict heures du soir, accompagné de cinq à
six cens hommes sur lesdits Vaisseaux, la Marée
ne l’ayant peu porter que iusques à l’Isle S. Georges,
il apprint que les ennemis s’auançoient au
Tourne, pour se rendre maistres de trois ou quatre
grands Galions, qui estoient en ce Port. A l’instant
ledit Marquis, commande le Cheuallier de
Thibaud, auec deux Galiottes, pour aller reconnoistre
le dessein des ennemis, ce qu’il fist, &
ayant trouué qu’ils s’estoient aduancez auec
deux Galiottes, pour se saisir de ces mesmes Galions,
il les attaqua courageusement, & apres cela
ledit Marquis s’aduança iusques au Tourne, à dessein
de pousser les ennemis, & les attaquer dans
leur retranchement de Pailhet, pour se rendre le
passage libre, iusques à Cadilhac, mais à mesme
temps que les ennemis eurent eu aduis de sa marche,
conceurent telle ialousie, qu’ils firent reculer
le Regiment de Guyenne, qui s’aduançoit
droit à Bautiran, pour se venir loger vis à vis du
Tourne, & à Portets, pour obseruer le dessein

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dudit Marquis de Lusignan, ce que voyant ledit
Marquis, & que les ennemis paroissoient à descouuert,
sur le bord de la riuiere, se resolut dés ce
moment de les aller attaquer, fait embarquer
ceux qui auoient mis pied à terre, donne l’auant-garde
aux sieurs de la Mothe ; Delas, Galibert &
Richon Capitaines, auec chacun vne Galiotte,
& ledit Marquis se mist à la teste, du restant, auec
ledit Thibaud, Ceridos, Vigier le ieune, Suaud,
Richon & la Mothe Sauuage, tous volontaires,
marche en cet estat droit aux ennemis, qui firent
au commencement ferme, sur le bord de la riuiere,
mais enfin le grand feu des Pierriers & mousquets,
les força de lascher le pied, & se retirer
dans la Garenne de Porthets, qu’ils auoient retranchée,
apres auoir laissé sur la place, quatre
vingt quatre hõmes morts, trois Officiers tuez,
& le sieur de Pilles, commandant, la main coupée
d’vne mousquetade, & plusieurs autres blessez,
sans auoir perdu de nostre costé, que quatre
Soldats & huict blessez Ledit Marquis, auec tous
les Officiers volontaires & Soldats, firent tout ce
qui se pouuoit en cette occasion, auec sage conduite,
courage & valeur. Apres cela ledit Marquis
fist moüiller l’Ancre, vis à vis de la Garenne
de Portets, en intention d’attaquer à la faueur
de la nuict, les ennemis dans icelle, & pour cet

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effect, ledit Marquis mist pied à terre, auec quelque
peu d’Infanterie, & à la faueur des Galiottes,
posa vn corps de garde, à vingt pas des sentinelles
des ennemis, pour les amuser, & les venir attaquer
par derriere le Chasteau, mais les ennemis, ne se
tenans pas asseurez, deslogerent & abandonerent
ce poste, enuiron la minuict, & l’aduis estant
venu que les ennemis s’acheminoient de l’autre
costé vers le Tourne, pour se saisir de ces Gallions
le Marquis despecha sur l’heure mesme, ledit
Cheualier de Thibaud, auec quatre-vingt Mousquetaires
par terre, luy suiuant auec le reste des
Galiottes, ledit Thibaud rencontra que les ennemis
arriuoient bien prés du Tourne, auec quarante
ou cinquante hommes, lesquels il repoussa
genereusement, & s’estant rendu maistre du tout,
détacha trente Mousquetaires, commandez par
vn Lieutenant, pour s’aller saisir de la maison du
sieur de Luxe, quoy qu’à la veuë de la garnison du
Chasteau de Langoiran, pour se preualoir de
quelque Artillerie, qu’il y auoit là dedans, ce qui
reüssit si heureusement, que ledit Lieutenant
ayãt surpris la maison, en rapporta auec des charrettes,
quatre fauconneaux de fonte verte, montez
sur des rouës, trois grands fauconneaux à
croc, vingt-cinq mousquets ou fusils, qui a esté le
tout conduit dans la Ville, auec trois grands Galions,

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& vne Chalouppe de Cadilhac, Prinse sur
les ennemis, comme aussi vn Caporal du Regiment
de Guyeune, blaissé, & vn Sergent, ont
esté conduits prisonniers,

 

Ledit Marquis dans le sejour qu’il fist au Tourne,
pour faire disner ses gens, permist qu’on allast
sur les ennemis, pour tascher de faire quelque butin,
& s’estant trouué, qu’il y auoit beaucoup
de choses appartenantes aux paysans, le fit tout
rendre en mesme temps, & s’en reuint, apres
auoir mis ordre à la seureté de l’sle S. Georges,
pour pouruoir au reste, de ce qui seroit necessaire,
pour s’opposer aux desseins des ennemis.

Nous esperons tous de la bonté Diuine, & de
la Iustice & clemence du Roy, & de la sage conduite
du Parlement que les effroiables menaces,
dont on vse enuers nous, demeurerõt sans effect,
& que les actes d’Hostilité, qui ont desolé la Prouince,
depuis six mois en ça, prendront bien tost
fin.

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Autre nouuelle du 23. Aoust 1649.

LA guerre de cette Prouince est desia bien
eschaufée, bien que les troupes du Parlement
ne soient pas encore toutes arriuées en cette
ville. Pour empescher la leuée de celles de Sauuebeuf
& de la Mote hautefort nostre Gouuerneur
a fait inutilement courir le bruit d’vn traité
d’acommodement, dont les esprits sont entierement
éloignez. On en reçeut vne semonce la
semaine passée par vne lettre du sieur de Cominges
escrite au President la Trene : Elle portoit
en substance, que ce President estoit bien informé
du pouuoir de Cominges, comme l’estoit
aussi le sieur de Mirat, celuy des Deputez
qui est icy de retour ; Qu’en vertu de ce pouuoir
il estoit prest de traitter dans la maison de Portez
(qui luy sembloit bien commode) auec deux
Conseillers, mesme de ceux qui n’ont pas esté rétablis
de l’interdiction generalle ; & pour fin à
cette lettre, venez (disoit-il) chercher la paix que
vous auez reiettée. Mais les termes de cette lettre
estimez par le Parlement peu respectueux,
non seulement parce que Cominges rafraichissoit
la memoire de l’interdiction, & leur reprochoit
d’auoir refusé la paix : mais encore parce
qu’il traite de Sieur vn de leur corps, & parle à
tous en ton de commandement : On ne douta

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pas de son mauuais dessein, que l’exemple d’Argenson
faisoit d’ailleurs assez soupçonner. Tandis
que le sieur Isosse court pour en informer
leurs Maiestez, Que l’on fait icy courir diuers
bruits ; Que quelques vns asseurent du Marquis
de la Douze qu’il arme en Limousin pour
le Duc d’Espernon, & que pour ne rien oublier
ce Duc a fait venir à Cadillac le Cheualier de
Taudicas gouuerneur de Coutras pour l’ẽuoyer
en suite en cette ville-icy (où il n’est pas encore
venu) y tanter quelque voye d’acommodemẽt,
tandis que d’autres asseurent de leur costé que le
Maire de Perigueux ayant permis à quelques
Gentil-hommes de battre la quaisse pour le Duc
d’Espernon, le peuple de cette ville-là s’est souleué,
a chassé le Maire, & ouuert son Puits menaçant
d’y ietter les ennemis du Parlement qui tõberont
en ses mains ; Tandis que le plus grand
nombre de nos habitans bien persuadé que le
Comte du Doignon mescontant de nostre Gouuerneur
pour quelques Canons qu’il auoit pretez,
& qu’on a refusé de luy rendre, & mescontent
du conseil pour l’information qu’on a faite
contre luy ; a refusé de donner à Montric le Garde-côte,
le secours de gens qu’il luy demandoit :
& que Montric est allé à Brest où quelque autre
part en Bretagne pour ce secours ; Tandis que

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malgré l’inquietude du peuple on seme diuers
bruits touchant l’aproche de Sauuebeuf dont
on croit important de couurir la marche. Et
tandis que de nos Politiques speculatifs quelques
vns le font passer par les terres de Benauges
pour les mener, les autres luy font d’abord prendre
le Chasteau-Trompete pour assieger Cadillac
soudain apres, & le plus grand nombre luy
fait auant le temps auec toutes les forces de cette
ville, & le secours des Princes de la Trimouille
de Tarante & de Laual (dont on ne doute plus
icy) combatre l’Armee du Duc d’Espernon : Le
Parlement donne serieusement ordre non seulement
à vn nouueau secours d’argent, pour lequel
tous les Corps de cette ville s’estans assemblez
dans son Hostel arreterent il y a trois iours de
passer vn Contact de trois cents mil liures auec
le Comte du Doignon, & vn autre de pareille
somme auec le President Gassion : ces sommes
leur ayant esté offertes par des Enuoyez exprez :
mais encore sur l’auis que le Duc d’Espernon auoit
dessein de passer la Dordoigne, & la cotoyãt
empescher la ionction des deux armées : Le Conseil
de police de cette ville (bien animé d’ailleurs
par le bon succez de ses armes à l’Isle S. George)
resolut il y a deux iours que le Marquis de Lusignan
conduiroit par eau onze cents hommes

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contre les barricades du Tourne. Ce qui a pour
eux esté si heureusement executé que quelques-vnes
des barricades ayant esté enfoncée auec
perte de plus de quatre vingt des defendans, la
Caualerie du Duc d’Espernon s’estant presentée
pour les soutenir vingt-deux pieces d’Artilerie
de sur les vaisseaux ayant à leur premiere d’echarge
tué dix-sept de ses Gengarmes, le reste
fust contraint de se retirer. La nouuelle en fut
hier icy apportée, & confirmée cette nuict en
mesme tems que la garnison du Chasteau-Trõpete
ayant mis le feu à quelques hutes du Quay
du Chapeau rouge nous donnoit vne alarme :
dont le conseil de Police ne s’est pas fort emeu,
non plus que de la decharge de ce Basteau qui
depuis quelques iours a fait à diuerses fois feu sur
nostre ville : bien que le mesme conseil aye rapelé
le Marquis de Lusignan, par l’esperence
qu’il a de la ionction prochaine de ses deux Armées.

 

FIN.

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