Anonyme [1649], L’HEVREVSE ARIVEE DV ROY. EN SA BONNE VILLE DE PARIS. , françaisRéférence RIM : M0_1628. Cote locale : C_5_51.
Section précédent(e)

L’HEVREVSE
ARIVEE
DV ROY.
EN SA BONNE VILLE
DE PARIS.

A PARIS
Chez NICOLAS GASSE, au mont sainct Hilaire,
prés la Cour d’Albret.

M. DC. XLIX.

-- 2 --

-- 3 --

L’HEVREVSE ARIVEE
du Roy, dans sa bonne ville
de Paris.

LE grand sainct Augustin
l’honneur de son siecle,
& l’vn des plus sçauans
Peres de l’Eglise, souhaittoit
autrefois auec
vn desir extreme de voir
vn Empereur de Rome retournant victorieux
de ses ennemis, tout couuert de
poussiere & de playes entrer dans la ville sur
vn Char de Triomphe tiré par quatre Lyons
& traisnant apres soy beaucoup de Captifs
& d’Esclaues, qui faisoient la gloire de ses
conquestes, & l’honneur de ses victoires.
Le peuple tout rauy de tãt de belles actions
qui tesmoignoient son courage & sa prudence
dans les combats, le receuoit auec
des acclamations, des ioyes, des transports,
des magnificences qui ne sont pas croiables,

-- 4 --

& se flattant dans la gloire de son Empereur
ne sçauoit comment luy tesmoigner les ressentimens
qu’il auoit de tant de prosperités
dont il iouyssoit. Ce peuple se rendoit tellement
idolastre des bons succez de son
Prince, qu’il preferoit son bonheur à toutes
les faueurs, qu’il plaisoit aux Dieux de luy
departir, & comme ça tousiours esté la coustume
de toutes les nations de la terre de faire
par quelque témoignage public, esclater
leur contentement & leur ioye, lors
qu’il est arriué quelque bel auantage à leur
Prince oú a leur pays, ils cherchoient toutes
sortes d’artifices pour faire paroistre
qu’ils n’auoient rien de plus cher au monde
que son honneur & que son Triõphe. Tous
les Estats de Rome se preparoient à le receuoir,
n’oubliant rien de ce qu’ils pensoient
necessaire pour paroistre aux yeux d’vn si
celebre vainqueur. La Pourpre ny l’Or n’y
estoient pas oubliez, les arcs de Triomphe
& toutes sortes de Ieux y paroissoient dans
leur plus haut point ; les Gladiateurs y faisoient
voir leurs courages, qui s’augmentoit
dauantage par le ressouuenir de la force &
de la vertu de leur Maistre ; Aussitost que leur
Empereur estoit entré dans la Ville, on le
couduisoit au Temple où l’on faisoit vn Panegirique
de ses plus triomphantes actions,

-- 5 --

les insignes victoires les grandes entreprises
de ce Monarque triomphant, & de
ce dompteur des Nations. Arriué qu’il
estoit au Temple pour y remercier les Dieux
de ce que par la faueur de leur assistance il
auoit subiugé les ennemis de l Estat & de la
Religion, on ne remarquoit que victimes
preparees pour estre offertes en sacrifices à
ce que les Dieux conseruassent l’Empereur
& le fissent iouyr d vne longue & heureuse
vie les ceremonies estant acheuées, & l’Empereur
ayant fin y sa priere il estoit conduit
en son Palais Royal, où l’imperatrice venoit
au deuant luy faire la reuerence à genoux,
& auec des complimens dignes de sa
personne, & de la Maiesté qu’elle saluoit,
luy tesmoignoit la ioye qu’elle auoit de son
heureux retour, deslors ce n’estoient par
toute la ville que festins, que banquets, que
feux d’artifice, que Comedies que danses,
que courses de cheuaux, & mille autres passetemps
qui diuertissoient agreablement
tous les Citoyens aux despens de la Republique.
Or ces entrées de triomphe se faisoient
quelques fois auec tant d’excez de
profusion de magnificence, & on y despensoit
des sommes si excessiues de deniers que
l’Estat en demeuroit long temps incommodé,

-- 6 --

les finances espuisées, les peuples appauuris,
& le domaine endebté. Plutarque raporte
qu’Attilius estant retourné victorieux
de l’Asie, & de la Bithinie, que la Ville de
Romeluy fit faire vn Triomphe si magnifique
& si pompeux que la Republique en fut
necessiteuse, & dans vne occasion qui luy
suruint de faire la guerre, elle fut contrainte
d’emprunter de l’argent chez ses voisins.
Toutes ces raisons ne pouuoient pas empescher
les peuples de tesmoigner à leurs Princes
les ressentimens qu’ils auoient de son
bon heur, ils aymoient mieux estre pauures
que mesconnessans, mourir de faim que
manquer à leur deuoir, & celebrer son Triomphe
que d’amasser des Tresors : la gloire
de leur Empereur leur estois plus chere
que leur propre vie : ils faisoient moins d’estime
de leurs personnes, que de son honneur,
& croyoient fermement que leur felicité,
leur fortune, leur satisfaction consistoit
à esleuer leur Prince, & faire connoistre
son merite. Ces loüables sentimens, &
ces sousmissions respectueuses estoient des
preuues infaillibles, & des tesmoignages
asseurez de l’affection qu’ils luy portoient,
comme de la passion extreme qu’ils auoient
d’honorer vne Couronne qui gaignoit leurs

-- 7 --

cœurs, & rauissoit leurs amours autant de
sois qu’elle rendoit de combats & remportoit
de victoires. Si les Anciens ont esté dans
cette pensée que de dresser des triomphes à
leurs Monarques lors qu’ils sont reuenus victorieux
de leurs ennemis. Les François en
ont fait aussi de mesme, & les Annales de
France remarquent que iamais Prince n’a
rendu de sanglantes batailles, qu’a mesme
temps les peuples ne luy ayent rendu des
honneurs, & preparé de magnifiques entrées
par toutes les Villes ou sa Maiesté victorieuses
deuoit passer. Ainsi apres que
les Parisiens eurent chassé les Anglois de Patis
qu’ils auoient tenu en esclauage & en seruitude
l’espace de seize ans entiers. Charles
VII aduerty de ces heureux succez reuint
de Montpellier à petites iournées, afin de
donner loisir aux Citoyens de Paris de luy
dresser son entrée laquelle fut faicte auec
des magnificences incroyables, & des tesmoignages
extraordinaires d’vne veritable
affection. L’on ne peut exprimer auec quel
soing, quelle industrie, quelle diligence,
les Magistrats de la ville de Bordeaux firent
les preparatifs pour receuoir Louys XIII
qui alloit en ce païs les honorer de sa presence.

-- 8 --

Ce n’estoient que pompes que magnificences
& par Mer & par Terre. Ce n’estoient
que Theatres, Archades, Berceaux,
Statues, Trophées, Pyramides, & mille autres
beautez capables de rauir les yeux des
assistans. Lorsque sa Maiesté retourna victorieuse
de la Rochelle & d’vn peuple trop
opiniastre à deffendre les erreurs de sa nouuelle
Religion, auec quels sentimens de
ioye fut il reçeu dedans Paris, le Ciel paru
plus serain qu’a l’accoustumée ce iour là, le
Soleil plus esclattant les Astres plus lumineux,
la saison plus aduancée. De sorte que
les Cieux, & la Terre, les Hommes, & les
Anges celebrerent egallement vne victoire
si signalee parce que tous deux y auoient
interest & la rendirent recommandable, la
Terre par ses liberalitez, ses largesses ses
magnificences. Les Cieux par leurs miracles.
Mais, Sire, toutes ces Triomphes ne
sont rien en comparaison de celui que vous
faites auiourd’huy dans vostre Ville de Paris,
& ie puis dire auec verité, comme sans
flatterie, que les victoires de ces grands Monarques
vos Predecesseurs ne sont que les
figures ou les febles Images des vostres. Ie
sçay, Grand Prince, que le Soleil à aussitost
esclairé vos conquestes que vostre naissance,

-- 9 --

que vostre berceau à esté vn Chart de
triomphe, aussi bien qu’vn champ de bataille ;
que la Couronne de vostre enfance
n’a esté enrichie que de victoires plustost
que de diamans, ou de pierres pretieuses :
& que vos mains ont cueilly des palmes &
des Lauriers, dans vn aage ou les autres
Roys n’ont que dns feblesses, & ne respandent
que des larmes. Que les Monarques
estrangers apprehendent auec raison la force
& la Iustice da vos armes, & que l’Empire
des Ottomans doit finir sous vostre
Regne, & n’estre plus au monde. Mais
ie sçay aussi qu’à l’imitation & à l’Exemple
de celuy que vous adorez, & dont
vous estes la plus parfaicte Image, que
vos triomphes doiuent estre des triomphes
d’amour ; vos entrées, des entrées
de paix, vos conquestes vne victoire de
nos cœurs, vostre Couronne vne Couronne
d’Oliue, vostre Sceptre vn Sceptre
de douceur, & vostre Diademe, vn Diademe
de bien veillance, iamais Prince au
iour de son Triomphe ne fit vne entrée
plus glorieuse que le Fils de Dieu dans
Hierusalem : les enfans à la mammelle par
vn miracle estonnant en publierent les
grandeurs, & les autres d’vn aage plus aduancé

-- 10 --

en remarquerent les particularitez
auec estonnement. Et neantmoins il n’y
entra qu’auec des apparences d’humilité,
qu’auec des marques de bassesse, & des
appannages d’infirmité ; pour monstrer
que l’on doit gaigner les hommes auec
donceur, qu’il les faut captiuer auec des
chaisnes de complaisance, & que la Maiesté
qui se fait trop craindre, n’est pas
tousiours la plus aymée, l’Escriture Saincte
remarque que le Sauueur descendit selon
la chair de quatorze Roys, & neantmoins
dans sa genealogie il n’est fait mention
que de Dauid seulement duquel il se
nomme petit Fils ; & de tous les autres il
n’est comparé qu’à Salomon le pacifique,
pour faire voir que l’Empire des Roys doit
estre vn Empire de dilection, & qu’vn
Prince n’est iamais ny plus glorieux, ny plus
absolu, ny plus parfaict imitateur de Dieu,
que quand il reigne sur les volontez de ses
suiets. Plutarque l’vn des plus sçauans
hummes de son siecle remarque que la
pluspart des Empereurs ambitionnoient
plustost des noms capables de les faire
craindre, que non pas de les faire aymer.
Les vns s’appelloient la terreur de l Vniuers,
& le fleau des mortels, les autres les

-- 11 --

foudres de la guerre, & les enfans du tonnere
les vns prenoient la qualité de Lions
& les autres celle d’Aigle ou de Vautours
deuorans. Les vns enfin se nommoient
Conquerans victorieux, triomphateurs ;
les autres des Dieux, des Iupiters, & des
Mars. Mais pas vn de ces anciens Monarques
ne desiroit le tiltre de bon, & de
misericordieux, qui est neantmoins la qualité
qui appartient à Dieu, qualité qui
peut rendre les Roys semblables à luy,
les faire participans de ses diuines perfections,
& de ses adorables grandeurs.
Grand Roy vous descendez d’vn Pere qui
portoit le nom de Iuste, comme vous portez
celuy d’vn Sainct, vos vertus font assez
connoistre que vous voulez ioindre ces
deux rares qualitez ensemble, & que vous
auez dessein de vous rendre recommandable
& en pieté & en douceur, Ouy,
Sire l’on iuge bien que vous mesprisez
ces tiltres pompeux qui estonnent les peuples,
& que la clemence sera tousiours le
fondement de vos Royalles vertus. Ainsi
Prince incomparable, vous regnerez puissamment
sur nos cœurs, & les glorieuses victoires
que vous remporterez dessus nous,
seront des victoires mille fois plus auantageuses,

-- 12 --

plus esclatantes, & plus celebres
que les victoires des Alexandres, des Cesars,
des pompées, qui ont subiugué l’Empire
du monde, & porté leurs armes victorieuses
par tout ou le Soleil, porte ses
rayons & ses feux. Mais comme il s’est
trouué des princes dont l’humeur estoit assez
delicatte pour se persuader que toutes
les villes ne meritoient pas l’honneur de
leur dresser des triomphes, & de leur faire
des entrées, de mesme qu’Alexandre
auoit fait deffendre à tous les mauuais peintres
de tirer son pourtraict, ou comme cet
autre Roy qui ne vouloit mourir qu’auec
vn poignard d’Or massif, ou bien comme
ces deux autres dont l’vn ne vouloit espouser
que des diuinitez ; & l’autre n’estre
serui que par des Roys esclaues. Ie
m’imagine, Sire, que vostre Maiesté ne
peut entrer dans quelque ville que ce soit
de vostre Royaume ou elle soit mieux receüe
que dans sa ville de Paris, ou elle
soit plus cherie plus respectée, plus crainte,
plus adorée Et cettes, Grand Prince,
combien pensez vous que vostre absence
à causé de regrets, de tristesses, de chagrins
dans les esprits de tous vos bons Citoyens,
nos visages sont les tesmoins de

-- 13 --

nostre douleur extreme, nos langues à tous
momens en expriment l’excez, & nos yeux
par leurs larmes continuelles en distillent
l’amertume. Mais comme l’air balayé des
vents n’est iamais plus serain, & plus net
qu’apres que le Soleil en a dissipé les nuages
& les broüillards qui le rendoient obscur,
& en empeschoient la beauté, de mesme
qu’apres les tristes langueurs d’vne affliction
extreme le Ciel venant à flatter nos esperances
par quelque bonheur inopiné, nous
cause des ioyes extraordinaires & des satisfactions
incroyables De mesme, Sire,
nous sommes asseurez que vostre retour à
Paris, dissipera nos craintes nos apprehensions,
nos souspirs & nos melancholies.
Iamais peuple ne fut plus heureux, que s’estimera
celuy de Paris en voyant son Prince
victorieux & triomphant, mais victorieux
de luy mesme aussi bien que de ses
sujets : victorieux par amour comme ses sujets
seront vaincus par obeyssance, & par
sousmission. Que si autrefois le Soleil s’arresta
au millieu de sa course pour considerer
les victoires de ce grand Capitaine Iosué,
& que les autres Astres firent la mesme
pause ; croyez, Sire, que les mesmes
Astres n’auront pas moins de ciuilité pour

-- 14 --

vous, & qu’au iour heureux de vostre entrée
à Paris ils repandront des lumiercs plus
esclatantes qu’a l’ordinaire pour contempler
auec plus d’admiration la gloire de vostre
triomphe. Et certes ils ont desia tesmoigné
de la ioye puisque dés le moment que
vostre Maiesté nous a donné la paix, le
Ciel à paru plus beau, & la saison plus agreable
quelle n’auoit fait depuis six mois. Entrez
donc, Grand Prince, & venez triompher
chez vous, toute l’estenduë de la terre
n’est pas capable de vous preparer vn
triomphe qui soit digne de vostre Royalle
personne. Venés l’Astre de nos iours, la
lumiere de nos yeux, la source de nostre
bon heur, le comble de nos felicitez. Nous
vous auons preparé dedans nos cœurs vn
triomphe plus superbe que celuy de Vespasian,
plus magnifique que celuy de Constantin,
plus resplandissant que le Chariot
du Prophete Elie, plus animé que le firmament,
& plus riche que le Throsne de Salomon.
La ! Grand Prince, vous serés plus
asseuré qu’au milieu de mille bataillons,
plus glorieux que dans vostre
Louure, plus aymé qu’en quelque lieu que
vous puissiez aller. Vous trouuerez graué
dedans nos cœurs vn triomphe ou d’vn costé

-- 15 --

seront escrittes ces paroles. LOVIS est
le bon-heur de nostre siecle. Seculi felicitas.
Et de l’autre œterna foedera pacis. Voulant
dire que tant que vous regnerez sur vos sujets
par affection & par amour que nous serons
tousiours heureux. Et que nous possederons
vne parfaicte tranquillité, & vne
paix de longue durée.

 

-- 16 --

Section précédent(e)


Anonyme [1649], L’HEVREVSE ARIVEE DV ROY. EN SA BONNE VILLE DE PARIS. , françaisRéférence RIM : M0_1628. Cote locale : C_5_51.