Anonyme [1651], DISCOVRS DES-INTERESSÉ, SVR CE QVI S’EST PASSE de plus considerable depuis la liberté de Messieurs les Princes iusqu’à present. , françaisRéférence RIM : M1_99. Cote locale : B_6_35.
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DISCOVRS DES-INTERRESSÉ,
Sur ce qui s’est passé de plus considerable, depuis la liberté
de Messiers les Princes, iusqu’à present.

L’ignorance du Cardinal Mazarin, & l’injuste detention de
Messieurs les Princes ayant excité des troubles dans tout le
Royaume, tout le monde auoit creu que la liberté de ces prisonniers,
dont l’innocence estoit aussi grande que leur naissance est illustre,
suyuie de l’éloignement du Ministre, feroit cesser la confusion,
restabliroit les choses dans l’ordre & rendoit à l’Estat le repos
& la tranquilité que les mauuais conseils de ce mal habile Estranger
troubloient depuis tant d’années.

En effet à peine les portes du Havre leur furent ouuertes, que
les peuples quitterent les armes qu’ils auoient prises pour leurs interests
contre la tyrannie du Cardinal, changerent leurs plaintes
en des cris de ioye, & donnerent des témoignages publics de cette
naturelle inclination qu’ils ont pour les Princes de la Maison
Royale.

Ces acclamations populaires dont l’air retentissoit à leur arriuée
cette foule innombrable de Citoyens, qui sortant hors des
portes de Paris, fit vn vaste desert de la capitale du Royaume, pour
aller peupler les plaines de Sainct Denys, tant elle auoit d’impatience
de reuoir ces bien-aymez captifs, pour la liberté desquels
elle auoit si long-temps soûpiré. Ces pleurs de tendresse qui couloient
des yeux des meilleurs François, firent auouër à M. le Prince,
que l’heureuse iournée de son retour, dans laquelle à la veuë
de toute le France, son innocence triomphoit de l’iniustice de son
ennemy, n’estoit pas moins esclatante ny glorieuse pour luy, que
ces belles & fameuses iournées de Rocroy, de Fribourg, de Norslinguen,
& de Lens, dans lesquelles sa valeur auoit triomphé des
plus puissans efforts des ennemis de cét Estat. Cette grande vnion
qui paroissoit entre M. le Duc d’Orleans & Messieurs les Princes,
fortifiée de la reünion de ceux que les artifices du Cardinal Mazarin
auoit diuisez par des interests differens, au preiudice du bien
public, les desirs que les vns & les autres témoignoient de vouloir

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restablir la confiance que la mauuaise foy du Ministre auoit ruinée,
bref ces importantes propositions que l’on faisoit pour le
soulagement du Royaume, nous auoient donné la mesme consolation
que reçoiuent ceux, qui battus par vne longue & furieuse
tempeste, arriuent enfin à demy brisez dans le port où ils s’efforçoient
d’entrer y auoit long temps, mais d’où les vagues impetueuses,
les auoient mille & mille fois rejettez.

 

Cependant, par ie ne sçay quelle fatalité, le Demon de la discorde
repant encore à present par tout des semences de diuision :
le peuple qui de soy mesme est vne mer immobile, recommence
d’estre agité par de nouuelles deffiances, & si la main toute puissante
de Dieu, qui a soustenu dans les derniers troubles de la fortune
chancellante de cét Estat, ne reiette loing de nous les calamitez
qui nous menacent, il est à craindre que nous ne retombions
dans des mal-heurs dautant plus irreparables, que les necessitez
publiques que l’on croit sans remede, ont coustume de porter les
peuples dans vn desespoir fatal à leur repos, mais aussi fatal à la
grandeur de ceux qui les commandent.

Il n’y a point de bons François qui ne soit obligé de faire de serieuses
reflections sur la condition presente, dans laquelle nous
trouuons, & qui ne doiue employer toutes ses forces pour destruire
les malicieux & detestables projets des ennemis du repos
public. C’est le motif de ce discours, par lequel i’entreprens sans
aucune partialité, de faire connoistre à tous les gens de bien, à
tous ceux qui ne sont point préoccupez d’aucune passion, ny engagez
dans des interests particuliers, enfin à tout le peuple que
l’on veut seduire, qu’elles sont les veritables causes des maux
qu’il doit apprehender, & quels sont les veritables moyens par
lesquels il doit renuerser les iniustes desseins de ceux qui meditent
d’él[illisible]uer leur ambition sur le de bris de la fortune des particuliers.

Apres le bannissement du Cardinal Mazarin, le Parlement qui
s’estoit engagé insensiblement à demander au Roy vne Declaration,
par laquelle S. M. excluroit à l’aduenir de ses Conseils tous
les Cardinaux, soit Estranger, soit François, ayant trouué de la resistance
à la Cour, pria S. A. R. qui auoit assisté à cette deliberation,
& qui l’auoit appuyée par ses suffrages, de vouloir interposer
son authorité, & ioindre ses prieres aux remonstrances qui furent
arrestées, afin d’obtenir cette Declaration que l’on iugeoit necessaire
pour le bien de l’Estat.

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M. le Duc d’Orleans respondit, que personne n’auroit iamais
plus de chaleur que luy pour faire executer les arrestez de la compagnie,
que veritablement il auoit esté de cét aduis, mais que Mrs.
du Clerge luy ayant remonstré par vne deputation qui luy auoient
faite, que l’on vouloit exclure des Conseils du Roy, ceux qui
auoient l’honneur de composer le premier corps du Royaume, il
sembloit qu’ils eussent dessein de former vne opposition, dont les
suittes seroient sans doute fascheuses. Qu’il prioit la Compagnie de
considerer que les Party sans du Cardinal Mazarin, fomenteroient
autant qu’il leur seroit possible, les diuisions qui estoient sur le
poinct de naistre, afin d’auoir quelque specieux pretexte de dire,
que le Ministre que l’on auoit chassé, n’estoit point la pierre du
scandale public. Qu’il croyoit qu’il estoit bien plus à propos de
continuer ce que l’on auoit si bien commencé, en esloignant du
Conseil du Roy, les creatures & les emissaires du Cardinal, qui n’agissoient
que par son esprit, & qui empeschoient la parfaicte reünion
de la Maison Royale, il nomma en suitte Messieurs Seruient,
le Tellier, & Lyonne, & dit que tandis qu’ils entreroient dans les
Conseils du Roy, il n’y auoit pas d’apparence que la confiance qui
doit estre entre la Reyne, S. A. & Messieurs les Princes, peust estre
restablie : qu’ils auoient employé toute sorte d’artifices, pour le diuiser
d’auec M. le Prince, mais que leurs efforts auoient esté inutiles,
qu’il falloit remedier à ces maux là, & n’en attirer point d’autres.
M. le Prince qui estoit present à la deliberation, ayant fait vne
mesme Declaration. M. le premier President dit, que l’on vouloit
donner le change à la Compagnie ; que ceux que S. A. R. venoit
de nommer, n’estoient point des gens, dont l’esloignement deust
estre mis en deliberation dans l’Assemblee des Chambres, que S.
A R. n’auoit qu’à parler à la Reyne, & que sans doute S M. feroit
tout ce qu’elle iugeroit à propos & pour sa satisfaction, & pour le
bien du seruice du Roy. Mais qu’il s’agissoit de l’execution d’vn arresté
de la Compagnie, & qu’il estoit iuste que le Roy accordast
vne Declaration si necessaire, & que S. A. Royale deuoit y employer
tout son credit.

Les ennemis de M. le Coadjuteur, & les amis du Cardinal Mazarin
persuadez, qu’il n’auoit poussé ce premier Ministre, que pour
entrer dans sa place, & se reuestir de sa dignité, luy imputerent toutes
les difficultez que M. le Duc d’Orleans opposoit à la demande

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de la Declaration & croyant auoir trouué vne occasion fauorable
de se vanger, persisterent à demander l’execution de l’arresté auec
autant de fermeté, qu’ils auoient autrefois defendu le cuite du
Cardinalat, les ennemis du Mazarin le ioignirent à leur party, &
creurent qu’ayant abbattu l’idole, il falloit pour la satisfaction & la
seureté publique renuerser l’idolatrie, les indifferens, & ceux qui
n’agissent que par les formes du Palais, se laisserent facilement entraisner
au torrent, persuadé de cette maxime, que la Compagnie
perdroit quelque chose de sa reputation, si elle ne persistoit dans
ses premieres resolutions.

 

En mesme temps, Monsieur Seruient qui creut que Monsieur le
Coadjuteur auoit contribué quelque chose à la Declaration, que
Monsieur le Duc d’Orleans auoit fait contre luy, forma vn intrigue,
dont les suittes sont les veritables causes des troubles presens,
& des bruits qui allarment tous les gens de bien, il fait entendre à
la Reyne que M. le Duc d’Orleans, s’est declaré son ennemy, parce
qu’il est seruiteur de Sa Majesté, & dans les interests de Monsieur
le Cardinal Mazarin, que si Sa Majesté veut l’honorer de sa
protection, il croit auoir trouué vne conioncture fauorable, pour
ruiner les Frondeurs dans le Parlement, les diuiser d’auec Messieurs
les Princes, & mettre les choses en tel estat, que les vns ou
les autres, pour soustenir leur party, consentiront au retour de
Monsieur le Cardinal.

Il est certain que Monsieur Seruient, par vne longue experience,
s’est acquis vne tres grande intelligence dans les affaires ; Et ce n’est
pas sans raison, qu’vn de ses bons amis a dit autrefois de luy ; que
c’estoit le borgne le plus esclairé du Royaume : mais il est certain
aussi que son ambition ne cedde point à sa suffisance, & que cette
violente passion qui le domine, luy fait souuent conceuoir des desseins
qui sont au dessus de ses forces. Il s’imagina que la fortune
bien loing de le vouloir détruire, luy presentoit vne occasion de
s’ériger en premier Ministre, & qu’elle ne luy auoit refusé la sur-Intendance
qu’il auoit tant souhaittée, que pour l’esleuer dãs vn degré
plus sublime, il fait entendre à la Reyne, qu’elle ne doit point
refuser vne Declaration, par laque le Sa Majesté persuadera qu’elle
ferme la porte à Monsieur le Cardinal, & luy oste les esperances
du retour, que cette Declaration ne peut en aucune façon preiudicier
aux bonnes intentions qu’elle a pour luy, puisque le Roy

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dans sa Majorité la pourra reuoquer & destruire par vn autre toute
contraire, que par ce moyen elle gagnera le Parlement, & le
tourner a contre Monsieur le Coadjuteur, que Monsieur de Chasteau
neuf, ne refuse de seeller cette Declaration, que de peur de
se donner l’exclusion du Cardinalat, auquel il aspiroit que c’est luy
qui a persuadé à Monsieur le Cardinal de se retirer, & qui a fortifié
pour ses interests particuliers, les cabales qu’on auoit faites contre
son Eminence, que Sa Maiesté peut en mesme temps, satisfaire
aux demandes du Parlement & au iuste ressentiment, qu’elle doit
auoir contre ceux qui ont trauaillé la ruine de son Ministre ; il persuade
en fin à la reyne, d’accorder la Declaration, & de faire
les changemens que l’on vit dans le Conseil la sepmaine Saincte.

 

L’integrité de monsieur de Chasteau-neuf, sa capacité si necessaire
pour le restablissement de l’authaurité Royale dans des
temps si difficiles, ce des-interressement qu’il a tousiours fait paroistre
dans le maniement des plus grandes affaires, n’impriment
point assez de respect dans l’ame de monsieur Seruient, pour ce
sage & vertueux Ministre. Les considerations de sa fortune & de
ses dignitez, dont il est redeuable à monsieur de Chasteau-neuf,
qui d’vn maistre des requestes logé fort estroitement en chambre
garnie, en auoit fait vn premier President de Bordeaux,
vn Secretaire d’Estat, & vn Ambassadeur en Sauoye. Les reproches
que le public luy fera de son ingratitude, ne sont pas
des raisons assez puissantes pour l’empescher de suiure les mouuemens
de sa passion, & d’acheuer le dessein qu’il a fait de mettre
l’Estat en confusion : il faut faire oster les sçeaux à monsieur
de Chasteau-neuf, en mesme temps les donner à monsieur
le premier President, rappeler monsieur le Chancelier, &
monsieur de Chauigny, & ietter par ce moyen dans l’esprit de
Monsieur le Duc d’Orleans, des soupçons & des deffiances de la
sincerité de monsieur le Prince, dont on voit les amis restablis
dans le Conseil, sur les ruines de ceux de son Altesse Royale.

Si Monsieur le Prince auoit eu quelque secrette connoissance
de ces changemens, s’il auoit eu quelque part dans la negociation
qu’en fit monsieur Seruient, sans doute il seroit blasmable d’auoir
manqué aux grandes obligations qu’il a à son Altesse Royale, &
ses plus zelées seruiteurs auroient meilleure grace de plaindre sa
conduite que de l’excuser.

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Il faut demeurer d’accord que toutes les apparences sont contre
monsieur le Prince, & que ceux qui ne iugent des choses de ce
monde, que parce qu’ils en voyent, ont quelque sujet de soupçonner
& sa reconnoissance & sa generosité.

Les grands seruices que monsieur le premier President a rendus
à l’Estat, cette fermeté d’ame auec laquelle il a soustenu la dignité
de sa charge & reparé tant de fois le defaut du Ministere, ces
genereuses oppositions qu’il a si souuent formées, & à la violence
du Ministre, & aux ressentimens precipitez de ceux, qui pour secoüer
le ioug de la tyrannie, se fussent, peut-estre, laisses trop emporter
à leur passion, ce temperament par lequel il a si prudemment
moderé les mouuemens de la Cour, & ceux de sa compagnie,
enfin ces qualitez sublimes, par lesquelles il efface l’esclat de
ceux qui auoient occupé deuant luy la place qu’il remplit, auec
tant d’honneur & de gloire, sont dignes de toutes les recompenses
dont vn Roy puisse reconnoistre, & la suffisance, & la fidelité
d’vn bon sujet.

Il n’estoit pas iuste que la vertu de monsieur de Chauigny demeurast
plus long-temps oisiue dans la solitude, & que semblable
à ces Diamans qui sont renfermés dans l’obscurité, il ne reflechit
ses lumieres que sur luy mesme, il estoit iuste que cette vaste connoissance
qu’il a de nos affaires, & de celles des Estrangers, vint au
secours de l’authorité Royale, affoiblie par les necessitez publiques,
& par les mauuais conseils de celuy à qui son merite auoit
donné de la ialousie.

Il estoit raisonnable que pour fortifier le Conseil du Roy, on
rappellat monsieur le Chancelier, qu’vne foiblesse & lasche complaisance
du Cardinal Mazarin auoit iniustement esloigné Mais
il est mal-aysé de croire que monsieur Seruient, qui negocioit
toutes ces mutations sans la participation de monsieur le Duc
d’Orleans, & qui preuoyoit bien qu’elles luy attireroient auec iustice
son indignation, n’en eut au moins communiqué quelque
chose à monsieur le Prince, aux interests duquel elles paroissoient
si auentageuses, afin de trouuer quelque appuy contre la colere
de son Altesse Royalle.

Cependant si l’on veut considerer de plus prés toutes les circonstances
& les suittes de ces changemens inopinés, il ne sera
peut-estre pas difficile de iustifier Monsieur le Prince, & de faire

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voir que c’estoit moins pour son interest & pour le bien de
l’Estat ou pour faire iustice à la vertu de ceux que l’on rappelloit,
qu’ils furent conseillez, que pour diuiser Monsieur
le Duc d’Orleans d’auec Messieurs les Princes, & profiter de
leur desvnion à l’aduantage de l’ennemy commun du
Royaume & de ses creatures que l’on voit encore à present
agir au preiudice du bien public.

 

Si Monsieur le Prince eut fait vn traité particulier auec
la Cour, si la promotion de Monsieur le premier President
à la dignité de Garde des Sceaux, eut esté vn article de
cette capitulation secrette, peut on croire qu’il fust demeuré
si constamment attaché aux volontez de Monsieur
le Duc d’Orleans qui s’y opposoit auec tant de vigueur ?
& qu’il eut voulu consentir, que le Chef du premier Parlement
du Royaume, dont il faisoit profession d’estre amy,
& duquel il auoit receu tant de tesmoignages d’amitié durant
sa prison, receut vn outrage si sensible, auroit-il peu
souffrir qu’il eut fait vn si mauuais personnage dans vne
Comedie dont il auroit esté l’autheur ? Certes il n’y a point
d’apparence de le croire : mais au contraire on iugera facilement
que M. Seruient qui auoit bien preueu les obstacles
que Monsieur le Duc d’Orleans apporteroit à cette
promotion & ceux que le Parlement y pourroit former à
cause de l’incompatibilité des deux charges, auoit fait faire
cette demande comme vtile pour auancer la diuision
qu’il vouloit semer, & auantageuse pour ses interest. Il s’estoit
figuré que monsieur le premier President estant obligé
de se defaire des Sceaux, il pourroit luy procurer quelque
sorte de satisfaction, en traitant pour Monsieur de
Champlastreux de la charge de Monsieur le Tellier qu’il
pretendoit faire esloigner, parce qu’il n’a pas autrefois
voulu à sa premiere demande luy rendre auec humilité vne
Charge qu’il a bien cherement acheptée de luy-mesme ;
il croyoit en mesme temps qu’il auoit trouué l’occasion de
se faire reuestir de celle de Garde des Sceaux dont il auoit
fait dépoüiller son bien-faicteur, & pour la quelle les complaisances
qu’il auoit euës à Munster pour le Cardinal, luy

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auoient fait conceuoir des pretentions non moins chimeriques
qu’ambitieuses.

 

L’accommodement qui ce fit en ce temps là, & le peu de
confiance que la Cour a pris depuis aux amis de Monsieur le
Prince qu’on a rappellez dans les affaires, auoit effacé tous
les soubçons qu’on auoit eus du procedé de son Altesse, lors
que mosieur Seruient continuant ses artifices, persuade à la
Reyne de deffendre à monsieur le Prince de Conty de poursuiure
la recherche de Mademoiselle de Chevreuse iusques à
ce que sa Ma esté fut satisfaite de la conduite de madame la
Duchesse sa mere, il esperoit par cét artifice de ietter monsieur
le Prince de Conty dans des extremitez facheuses de
des-obeïr à la Reyne dont il eut fait valoir le mecontentement
au des-aduantage de Messieurs les Princes, ou de des-obliger
Madame de Chevreuse, de laquelle il pretendoit en
suitte se seruir pour diuiser son Altesse Royale d’auec Messieurs
les Princes, & luy persuader d’entrer dans les interests
contraires à ceux de la maison de Condé, Monsieur le Prince
de Conty n’ayant pas creu qu’il y eut des considerations
assez puissantes pour le dispenser de rendre l’obeïssance & le
respect que les Princes du Sang doiuent particulierement en
pareilles rencontres à l’authorité royale, on a veu naistre
depuis ce temps-là les froideurs dont les creatures & les
emissaires du Cardinal Mazarin se seruent encore à present
pour semer des diuisions & des defiances entre Monsieur le
Duc d’Orleans, & Messieurs les Princes & les Frondeurs, &
pour faire croire aux peuples que les vns & les autres trauaillent
secrettement par des negociations separées au retour
du perturbateur du repos public.

Le Cardinal Mazarin est la veritable cause de nos calamitez,
c’est l’ennemy de l’Estat, personne n’en peut douter,
nous sommes obligez d’auoir du respect & de l’amour pour
tous ceux qui l’ont chassé : quiconque est assez mauuais François
pour conseiller au Roy le retour de ce ministre, est nostre
ennemy, il doit attendre de nous tous les ressentimens
d’indignation & de haine, dont les cœurs des veritables
François sont capables. Mais les bruits malicieux que l’on

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fait courir sur ce sujet, ne doiuent point nous surprendre : &
iusques à ce que nous soyons éclaircis, nous deuons suspendre
& uostre haine & mostre indignation : & puisque on iuge
ordinairement des intentions des hommes par leurs interests,
examinons auec soing & sans passion si les allarmes
que l’on nous donne ; ont quelque iuste fondement : & si l’on
a sujet d’apprehender que ceux qui doiuent estre nos protecteurs,
ne deuiennent les restaurateurs de l’iniuste violence
du Ministre que l’on a bany.

 

Monsieur le Duc d’Orleans a tousiours fait parroistre tant
de respect pour sa Majesté, tant de passion pour son seruice,
tant de zele pour la grandeur de l’Estat, qu’il n’y a point
d’homme d’honneur qui ne soit persuadé de la sincerité de
ses intentions, & qui ne condamne comme criminels tous
ceux dont la malice ose former des soubçons iniurieux à sa
conduite : la generosité auec laquelle exposant sa personne
à la teste des armées du Roy, il a repoussé les ennemis, ces
illustres conquestes, par lesquelles il a augmenté le domaine
de la Couronne, les soins qu’il a pris pour appaiser les mouuemens
que la malice & les artifices du Cardinal Mazarin
auoit excitez dans le Royaume, la bonté auec laquelle il a
ramené dans l’obeïssance du Roy, ceux que le desespoir &
la persecution du Ministre en auoit fait sortir, font assez connoistre
que son Altesse Royale depuis le commencement de
la Regence iusques icy, n’a rien oublié de ce qu’elle a creu du
deuoir de premier Prince de l’Estat, du Lieutenant General
de la Couronne, afin de donner le repos à la France, faire
regner l’amour du Roy dans le cœur de ses sujets, & redouter
à ses ennemis la puissance de ses armes. La declaration
que S. A. R. fit de ne se trouuer plus dans les conseils du
Roy tandis que le C. M. y assisteroit, le desir qu’elle tesmoigna
de la liberté de Messieurs les Princes, les instances
qu’elle en fit à la Reyne, & pour l’éloignement du mal-heureux
Ministre dont l’extrauagante politique a porté la France
sur le panchant de sa ruine, sont des tesmoignages euidents
de l’affection extraordinaire que S. A. R. a pour la conseruation
de l’Estat, & des soins qu’elle prend pour remedier aux

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miseres presentes, & preuenir les maux dont nous sommes
menacez. Les actions d’vn si grand Prince, si interessé par
sa naissance & par sa dignité de Lieutenant General de la
Couronne à la manutention de l’authorité Royale ; n’ont pas
besoin d’apologie pour estre iustifiées : Et toutefois le C. M.
& ses esclaues en tombant pousserent dans leur cheute des
cris insolents & manquant de credit ils manquerent de respect,
s’efforçant de ietter dans l’esprit des peuples de mauuaises
impressions des desseins de son A. R. Ils tascherent de
persuader que c’estoit moins le bien public qu’il faisoit agir
que quelques interests particuliers, qui l’obligeoient de demander
la liberté de Messieurs les Princes & l’esloignement
du Ministre, puis qu’elle auoit autrefois consenty à l’emprisonnement
des vns, & maintenu l’autre contre ceux mesmes
qu’elle vouloit proteger. Mais ces malicieuses interpretations
ayant esté inutiles, & n’ayant pû diminuer le prix des
actions de S. A. R. d’ans l’esprit des peuples, & dans celuy
de Messieurs les Princes, on a tasché depuis le changement
qui s’est fait dans le Conseil, de fomenter des defiances contre
les vns, & de persuader en mesme temps aux autres que
S. A. R. negocioit secrettement auec le C. Mazarin. On a
voulu faire croire à monsieur le Duc d’Orleans que le changement
des Ministres ne s’estoit point fait sans le consentement
de Monsieur le Prince, qu’il ny auoit point consenty
sans quelque engagement particulier, que si son Altesse
Royale n’en preuenoit les effets, il pourroit luy en arriuer
quelque notable preiudice : & l’on a en suitte semé parmy
le peuple des bruits que son Altesse Royale auoit traité
separement auec la Cour, que madame de Chevreuse
auoit eu des conferences secrettes auec la Reyne, & que
monsieur le Coadjuteur n’estant point satisfait de la conduitte
de messieurs les Princes, apres quelques negociations &
entreueües secrettes, auoit persuadé à son Altesse Royale
de consentir au retour du Cardinal, & que des à present on
luy accordast vne place de seureté ; que moyennant ce consentement
la Reyne esloigneroit du Conseil ceux qui déplaisent
à son Altesse Royale, & que l’on croid estre dans les interests

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de monsieur le Prince. Mais ces discours par lesquels
on veut diviser monsieur le Duc d’Orleans d’auec monsieur
le Prince, & luy faire perdre l’amitié des peuples, feront
aussi peu d’impression que les premiers. On ne croira iamais
que son Altesse Royale ait si tost oublié le naturel du Cardinal
Mazarin, & de quelle ingratitude il reconnoist ses bien-facteurs
& ses ennemis reconciliez ; on ne croira iamais que
son Altesse Royale veüille par de secrettes negociations &
pour ses interests particuliers corrompre le fruit des obligations
que messieurs les Princes luy ont de leur liberté, & celles
que toute la France luy a de l’expulsion du plus indigne
Ministre qui ait iamais assisté dans le Conseil de nos Roys.
Enfin on ne pourra aisément se persuader que M. le Duc
d’Orleans apres auoir dit publiquement les chambres assemblées,
qu’il croiroit estre traistre au Roy, à l’Estat, & au Parlement,
s’il consentoit iamais au retour du Cardinal Mazarin,
voulut par quelque action contraire à vne declaration si
solemnelle ternir l’eclat des plus belles actions de sa vie.

 

Il sera bien mal-aisé de persuader que Monsieur le Coadjuteur,
qui n’a iamais eu que le bien public deuant les yeux,
& qui pour faire trefue auec le Ministre qui en estoit l’ennemy,
a si genereusement refusé des Abbayes, des sommes
immenses & le Chappeau de Cardinal, fut si imprudent que
de trauailler au restablissement du perturbateur du repos public,
& dans vn temps qu’il auroit des armes plus puissantes
pour maintenir ses violences & son injustice : on ne croira iamais
qu’apres estre heureusement sorty d’vne si furieuse tempeste,
il voulut encore s’y exposer, & pour des interests particuliers
mettre en danger la fortune de l’Estat, pour laquelle
il a si long temps & si genereusement combattu.

Mais croira-t’on plus facilement que monsieur le Prince
ait traitté auec le Mazarin. Nous n’ignorons pas ce que l’on
a publié par tout que Bartet a este envoyé par madame la
Princesse palatin au C. Mazarin que depuis son retour cette
Princesse a veu fort souuent la Reyne en particulier, que sa
majesté l’a traittée fort fauorablement, qu’elle fait des negociations
secrettes pour messieurs les Princes que monsieur le
Prince void chez monsieur Arnault à des heures induës
Monsieur Seruien, & que pourueu qu’on luy accorde ce qu’il

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desire, il est prest de se separer des interests de S. A. R. & de
consentir à tout ce que la Cour luy demandera sur le suiet du
Cardinal.

 

Les hautes & esclattantes Vertus ont leurs incommoditez
aussi bien que les autres choses de la terre : la malice & l’enuie
ne laissent iamais Heros dans l’oisiueté, bien que Hercule
eust estouffé des serpens dans son berceau, sa valeur trouua
des lions & des Hydres pour s’exercer, & parmy les mesmes
Nations qu’il auoit desliurées de tant de monstres, il se
trouua des enuieux de sa vertu.

Ie n’entreprens point icy de faire le Panegirique de Monsieur
le Prince, ie diray seulement qu’il n’y a personne qui
n’auoüe que dans vn sujet si vaste & si ample, il seroit bien
plus aisé de commencer que de finir, & qu’il faudroit bien
plustost chercher de la moderation que de l’abondance. Sa
naissance, & les grands seruices qu’il a rendus à l’Estat en
tant d’expeditions militaires si celebres & si fameuses, le
sang qu’il a respandu en tant de batailles dans lesquelles il a
fait triompher les armes du Roy, nous doiuent imprimer du
respect, de l’amour, & de la veneration pour S. A. Et nous
ne deuõs pas regler nos affectiõs au preiudice de quelques
particuliers, ny nous laisser surprẽdre par les artificieux intrigues
de ceux qui veulent faire seruir nos passions à leur ambition.
S’il traitte pour le retour du Cardinal Mazarin, il
merite d’estre blasmé par tous ceux ausquels il est redeuable
de sa liberté. Il est iuste qu’en cette occasiõ les peuples separẽt
leur amitié d’auec leur estime, & que toute la France se repente
de ce qu’elle a fait en sa faueur. Mais il est iniuste de
condamner vn Prince de cette qualité sur des soubçons mal-fondés,
& sur des bruits semez ou par ses ennemis ou par ses
enuieux. Les soins que quelques vns prennent de décrier sa
conduitte, & d’interpreter desauantageusement toutes les actions,
nous doiuent faire demeurer dans vne circonspection
plus exacte : & nous ne deuons pas croire legerement qu’vn
Prince qui vient de receuoir des seruices si considerables de
l’amitié des peuples, veüille s’en attirer la haine, en contribuant
au retour d’vn homme dont le retablissement seroit
honteux à sa reputation, fatal au repos du Royaume, &
funeste sans doute à celuy de toute sa maison. De quel artifice

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ne se sert-on point pour le rendre odieux à la Cour, & le
noircir dans le peuple : s’il va se diuertir à Chantilly, ses
voyages sont des misteres d’Estat : les visites qu’on luy rend,
sont des Cabales pour former des partis dans le Royaume :
s’il reuient à Paris c’est pour faire des demandes iniustes, s’il
refuse de faire vn eschange de son gouuernement auec celuy
de Monsieur Despernon, c’est qu’il a des desseins contraires
au seruice du Roy, & qu’il est bien aise d’entretenir les troubles
de la Guyenne afin d’en profiter, s’il consent à cette eschange
dans lequel il perd quarante cinq mil liures de rente,
c’est qu’il veut s’establir dans vne Prouince qui a pris les armes
en sa faueur : si durant la maladie de S. A. R. Il ne va
point au Palais Royal, c’est qu’il a peur qu’on n’entreprenne
encore quelque violence contre luy : & si durant ce temps-la
il parle d’aller au Conseil, il a dessein de profiter de l’absence
de Monsieur le Duc d’Orleans peut faire quelques traittés
particuliers : si l’on fait dans le Parlement quelques propositions
contre le Commerce que l’on entretient auec le Cardinal,
c’est luy qui pour déplaire à la Reine, va reueiller les
Enquestes : si les Bartes & les Brachets portent des paquets
au Cardinal, c’est luy qui les enuoye enfin selon que ses ennemis
ont beson pour leurs interests de la faueur de la Cour
ou de celle du peuple, Monsieur le Prince est tantost Mazarin
& tantost frondeur.

 

Le salut de l’Estat nous oblige de faire tous nos efforts
pour empescher le retour de cét indigne ministre que l’on a
banny, & la prudence veut que nous demeslions auec beaucoup
d’exactitude & de iustice, les interests de ceux à qui l’on
impute toutes les Cabales qui se font pour son restablissement,
& les intrigues des autres qui employent toute
sorte de ruse & d’artifice pour le faire remonter dans la
mesme place d’où son ignorance & la iuste indignation
des Peuples l’ont precipité. Il est certain qu’il y des personnes
à la Cour qui souhaitent veritablement le retour
du Cardinal Mazarin : ceux qui ont quelque
reconnoissance des biens-faits qu’ils ont reçeus de
luy, & qui desesperent de se pouuoir maintenir sans
sa protection, & qui croyent qu’ils seront accables sous

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les ruines de sa fortune sont de ce nombre : il y en a d’autres
qui iugeant bien que tous les peuples opposeront à ce pernicieux
dessein des obstacles qu’il est impossible de surmonter,
ne laissent pas de flatter de vaines esperances l’esprit de
la Reyne afin d’auoir part dans sa confiance, & de s’acquerit
du credit dans ses Conseils ils se vantent d’estre les maistres
dans le Parlement, & mettant à prix les suffrages, ils
asseurent que quelques sommes répandues feront changer de
face aux affaires, comme si la fidelité d’vne Compagnie si
celebre n’estoit point à l’espreuue de ces tentations interessees,
leurs pratiques ne sont point cachées à ceux qui ont quelque
connoissance des choses qui se passent dans le monde, &
s’ils persistent à seduire par de semblables discours l’esprit de
sa Maiesté, & à faire des outrages si sensibles à l’honneur du
parlement, le bien public nous forcera de dire leurs noms &
de decouurir les moyens dont ils se sont seruis depuis trois
ans pour establir leur fortune aux depens de celle de l’Estat.

 

Certes la condition de la Reyne est à plaindre, il est bien
malaisé que sa Maiesté estant enuironnée d’vn nombre infiny
de laches flateurs qui l’obsedent perpetuellement, puisse
s’empescher d’estre trompée, si ceux qui ont l’honneur d’approcher
d’elle, auoient le cœur veritablement François,
bien loing de luy persuader qu’il y va de sa generosité de
tendre la main au Cardinal pour le retirer de l’abisme dans
lequel il est tombé, ils luy feroient connoistre l’impossibilité
d’vn dessein si contraire au seruice du Roy. Et quand
mesme ce Ministre n’auroit point esté conuaincu de crime
d’ignorance & d’incapacité & declaré le perturbateur du repos
public, ils persuaderoient à sa Maiesté de dire a ce malheureux
estranger ce que le Roy Achis dit autrefois à Dauid :
vous n’auez rien fait qui m’ait faché, mais puis que vous deplaisés
au Princes & à tout le Royaume, retirés vous, perdés
l’esperance du retour & allez en paix.

Mais quoy l’esprit du Cardinal Mazarin qui meut tout
le Conseil, inspire bien d’autres sentimens, il faut dire à
la Reyne qu’il n’y a point d’obstacles qui puissent resister
à la maiorité du Roy, & parce que le Parlement
temoigne de la constance à maintenir ses deliberations &

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de l’amour pour le soulagement des peuples qui l’ont seconde lors
qu’il a proscript cét estranger qui les tyrannisoit, il faut faire des
cabales contre ces protecteurs de la Iustice, il faut exciter des seditions
dans l’armée & dans le temps qu’elle doit aller s’opposer aux
forces ennemies, la faire sousleuer contre les Arrests que l’on vient
de donner pour remedier aux desordres, & promettre aux gens de
guerre l’impunité de leurs crimes pourueu qu’ils se declarent en faueur
du Mazarin contre ceux qui l’ont condamné.

 

Il n’y a point de bons François qui ne soit obligé de s’interesser
à la gloire du Parlement de Paris, puisque par la vigueur de ses
conseils, par la fermeté de ses deliberation, & par son in corruptible
fidelité au seruice de nos Roys, pendant le cours de tant de siecles,
parmy de si dangereuses agitations cét Auguste Senat à
maintenu si glorieusement l’eclat & la grandeur de cette monarchie,
que iusqu’à present elle a donné de l’enuie à tous ses voisins,
de la terreur à tous ses ennemis, & de l’admiration à tous les peuples
de la terre c’est cette celebre Compagnie qui conserue auec
tant de soins & d’integrité le sacré depost de l’authorité que nos
Roys luy ont confiée ; & qui n’abusant iamais du legitime pouuoir
dont elle est reuestuë, reprime par la force des loix fondamentales
de l’Estat l’insolence de ceux, qui pour donner du credit à leurs crimes,
les arment du nom du Roy C’est elle qui s’oppose auecques
generosité à l’iniuste violence de ceux qui prenant la qualité de premiers
Ministres d’Estat, taschent d’vsurper vne domination tyrannique
afin de renuerser le temple de la Iustice, & accabler sous les
mesmes ruines la liberté des peuples ausquels il ne reste qu’vn peu
de voix pour se plaindre des iniquitez du gouuernement. Aussi
toutes les fois que ces fauoris ambitieux se laissant emporter à leurs
passions déreglées, ont voulu conter autant d’esclaues de leur insolente
fortune, que les Roys nos souuerains ont de suiets soumis à
leur authorité legitime, ils ont tousiours commencé par l’oppression
du premier Parlement du Royaume. Et les proscriptions, les
emprisonnements & les morts precipitées de ceux de la compagnie
qui auoient assez de cœur pour empescher qu’on n’imposast aux
peuples le ioug d’vne seruitude honteuse, ont esté les premiers trophées
que les Ministres ont fait dresser à leur ambitions.

Il ne faut pas s’estonner si le Cardinal Mazarin sur qui la main de
la Iustice du Parlement s’est appesantie, tasche de se vanger de ses

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[1 mot ill.], mais il faut s’estonner que ceux qui ne doiuent employer
leurs armes que pour la gloire de l’Estat, veüillent seruir de Ministres
de la passion de celuy qui l’a ruiné par sa mauuaise conduitte.
Est-il possible que tant de gens d’honneur & de qualité qui se trouuent
à la teste des trouppes en signant vne vnion, n’ayant point fait
de reflexion sur les suittes qu’elle peut auoir, & qu’ils n’ayent point
consideré qu’ils se rendent complices, des incendies, des meurtres,
des brigandages & de tous les crimes qu’ont commis tant d’infames
qui des-honorent leur profession ? est-il possible qu’ils n’ayent
point fait de reflexion sur le dessein que le Cardinal a fait de se seruir
de leur reuolte pour se mettre à la teste d’vn party qui ne peut estre
que contraire au bien de l’Estat, au seruice du Roy, & funeste à la
gloire de nostre nation.

 

L’Histoire nous apprend qu’vn certain Protadius Romain de nation
ayant esté fait Maire du Palais par le Roy Theodoric à la recommandation
de la Reyne Brunechilde : cét insolent Estranger
non point pour satisfaire à son insatiable auarice & à son ambition
desreglée, que pour complaire à la passion de la Reyne qui l’auroit
eleue de la poussiere iusques à la plus haute dignité du Royaume, &
qui desiroit se vanger de Theodebert, porta l’esprit du Roy son
maistre à declarer la guerre à ce Prince. Les bons François que cette
guerre ciuille auoit partagés, & qui ne voyoient point sans douleur
la à saison Royale diuisee, & le frere armé contre le frere, firent
tous leurs efforts afin de les reconcilier ; mais ayant remarqué que
Protadius estoit le seul obstacle de cette reunion, ils resolurent de
le faire seruir de victime expiatoire de tous les desordres de l’Estat.
Theodoric en ayant esté aduerty, voulut empescher vn si loüable
dessein : mais ayant esté retenu lors qu’il vouloit aller sauuer par sa
presence cét Estranger que la iuste vengeance des François demandoit
pour sa satisfaction, il commanda à Vncelenus qui estoit prés
de luy, d’aller deffendre de sa part à ceux qui deuoient executer vne
si belle entreprise, de passer outre sur peine de son indignation : ce
fidel seruiteur qui sçauoit bien que l’esprit du Roy estoit preoccupé,
creut qu’il luy rendroit vn seruice bien plus considerable s’il auãçoit
l’execution d’vn si legitime dessein, en effet estant entré dans la
Chambre du Roy, ou Protadius jouoit auec vn Medecin, il dit à
ceux qui l’accompagnoient, le Roy mon maistre commande que
l’on tuë Protadius. Le commandement ayant esté executé auec ioye

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par ceux qui l’accompagnoient, les deux Princes furent en mesme
temps reconciliez, & les deux armées qui estoient prestes de combattre,
remplirent l’air d’acclamations & de loüanges pour ceux
qui auoient donné vn conseil si necessaire pour restablir l’amitié &
la confiance entre des Princes que la malice d’vn Estranger auoit
diuisez.

 

Est-il possible que parmy tant de braues François qui ont tant de
fois exposé leurs vies pour la gloire de l’Estat, parmy tant de gens
de cœur qui sçauent quel est l’obstacle qui s’oppose à la parfaite reunion
des Princes de la Maison Royale, & qui est prest de ietter le
Royaume dans vne horrible confusion, il ne se trouue point vn genereux
Vncelenus Et les siecles passez auront-ils cét auantage sur
le nostre, d’auoir produit des hommes qui eussent plus d’amour que
nous & pour la concorde de la Maison Royale & pour le repos de la
patrie.

Ceux qui sont responsables à l’Estat de l’education du Roy, ne
sont-ils point obligez de dire à sa Majesté que l’vnion des Princes
du Sang est le plus ferme appuy de l’authorité Royalle, qu’elle doit
fermer les conseils aux mauuais conseils de ceux qui pour leur interest
particulier luy persuadent de rappeller le Cardinal Mazarin que
l’on a chassé durant sa minorité, que ce doit estre le premier pas de
sa Maiorité, & qu’il doit accabler sous le faix de son authorité absolue
tous ceux qui s’opposeront à cette resolution. Que sa Majesté
considere qu’en l’Estat oû l’on void auiourd’huy la France, il est
impossible de luy rendre le lustre qu’elle a perdu, & la releuer de sa
cheute que par des conseils plus salutaires & plus humains, que les
affaires ont chãgé de face quant le Ministere a change de fortune,
que les Parlement ne sont plus en estat de souffrir, que les Ministres
leur dictent les Arrests qu’ils doiuent prononcer, que la seureté publique
& particuliere les oblige de maintenir ceux qu’ils ont si iustement
prononces contre le Cardinal Mazarin, que l’vnion de toutes
les Compagnies Souueraines sera soutenuë par celle des peuples,
que rappeller leur Ennemy c’est rallumer le flambeau des diuisions
& des troubles, c’est vouloir que la France se deschire par
ses propres mains, qu’il se forme des partis redoutables dans le
Royaume, & que l’on voye des armées Ennemies composées d’vn
mesme peuple. Sa Majesté doit sçauoir que les Roys qui ont quelques
fois trouué des resistances blasmables, n’ont pas tousiours eu

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[1 mot ill.] d’esperer vne glorieuse vangeance, que cette passion est aussi
incertaine que les autres que la fortune y fait paroistre ses caprices,
& que pour estre grand en puissance, on ne deuient pas tousiours
formidable par des succez heureux, qu’elle songe que les conseils
violents sont les premiers armes qui donnent atteinte à l’authorité
des jeunes Roys, que puisque l’on ne peut changer les choses passées,
il faut apporter vn meilleur ordre aux choses presentes, &
faire de serieuses reflexions sur ce qui peut à l’aduenir donner des
succez plus glorieux à l’autorité Royale, que les maux doiuent rendre
les hommes sages, & que l’on en doit pour le moins tirer ce fruit
de n’y pas retomber vne seconde fois : que si quelques vns ont failly,
s’ils ont despleu à sa Maiesté, ce n’est point le temps de les rechercher,
que ce n’est point accommoder les choses que de faire de
nouueaux malcontents en voulant auec trop de seuerité punir des
coupables, que c’est à la clemence & non à la rigueur de pacifier les
Estats, que les guerres ciuiles ont troublés, Enfin que sa Majesté
sçache que l’amour des Peuples qui la doit accompagner au Trosne
le iour de sa Majorité, n’en doit point estre chassé par la iuste apprehension
du retour de leur Ennemy, & que pour regner heureusement,
elle doit commander à ses peuples comme vn bon pere à ses
enfans, bien loing de se faire craindre par des sujets desesperez ;
voila quels sentimens doit auoir le Roy : tous les peuples sont obligez
de faire des vœux afin que le Ciel luy donne de si iustes & de si
salutaires inspirations, & que comme il est à present le plus accomply
de tous ceux qui viuent, il soit le plus aymé & le plus heureux
Prince de tous ceux qui ont iamais regné. Au surplus puis qu’il est si
difficile parmy tant d’intrigues de descouurir la verité des negociations
qui se sont dans le cabinet pour le retour du Cardinal Mazarin,
sans offencer personne par des soubçons iniustes, demeurons
fixes dans ce point, que quiconque y trauaille, est digne de la haine
publique, & que l’on ne peut separer le nom de bon & veritable
François d’auec la qualité d’ennemy du Mazarin.

 

La sortie de Monsieur le Prince hors de Paris pour se mettre à
couuert des entreprises que l’on auoit faites sur sa personne, & la declaration
que Monsieur le Prince de Conty a faite dans le Parlement
contre les chefs de ces violentes conspirations, nous descouurent
assez que l’esprit du Cardinal Mazarin agit encore dans le cabinet,
& que les soubçons que nous auons de son retour, ne sont

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pas sans fondement. Dans cette conjoncture importante nous allons
reconnoistre ceux qui sont marquez au coin de ce Ministre.
Les bien intentionnez pour le bien public n’ont iamais eu vne occasion
plus fauorable pour abolir toute cette secte ennemie de nostre
repos, & nous n’auons iamais eu tant de sujet d’esperer cette
consolation, qui seule nous peut faire perdre le souuenir de nos miseres
passées. Monsieur le Prince declare qu’il ne veut plus se trouuer
dans le Conseil du Roy, tandis que les creatures & les emissaires du
Mazarin y assisteront, qu’il ne peut y trouuer sa seureté particuliere
ny celle du public, qu’on la pressé de consentir au retour du Cardinal,
que l’ayant refusé on a voulu s’assurer de sa personne, que
par cette entreprise on vouloit preparer les voyes de ce malheureux
estranger, qu’il ne peut prendre aucune confiance aux paroles qui
luy viendront de la Cour tandis qu’il verra dans le ministere ceux
qui ont trauaillé à son iniuste detention, que le voyage de Monsieur
de Mercœur, la negociation de Sedan & ce qui s’est passé à Brisac,
que mille aduis differens qu’il a reçeus, l’ont obligé de se retirer,
afin d’estre en estat de se deffendre & le public aussi (à qui il est si
sensiblement redeuable de sa liberté) contre les tyranniques desseins
du Cardinal Mazarin.

 

Monsieur le Duc d’Orleans, qui a sauué l’Estat par le banissement
de ce ministre, ne peut sans quelque diminution de sa reputation
maintenir en cette rencontre ces creatures du Mazarin, qu’il
auoit déja proposé d’éloigner il y a trois mois, il a trop tesmoigné
d’auersion pour le Mazarinisme, pour ne luy pas donner le dernier
coup, & ne releuer pas les les esperances de tous les gens de bien
par l’abbaissement des suppots de l’ennemy public. M. le Coadiuteur
a trop de soin de sa gloire & de celle de l’Estat, pour n’aider
point par ses prudens & genereux aduis ceux qui ont pris vne resolution
si iuste & si salutaire, le Parlement perdroit l’amitié des peuples,
s’il ne continuoit en cette occasion à luy donner des marques,
de sa Iustice & de sa protection, & quand sa Majesté sçaura que ces
Ministres ont dit depuis peu, qu’elle ne pouuoit s’empescher de
faite retourner le Cardinal aprés luy auoir promis, & auoir signé au
contract de mariage de la Mauzini auec monsieur de Mercœur, qui
se fit quatre iours deuant son depart de madame de Nauailles, où
l’Euesque de Lauots fit toutes les ceremonies, que Monsieur de

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Mercœur auoit pris congé du Roy, que l’on auoit voulu donner
quatre cent mille francs de Sedan à Monsieur Fabert, il est à croire
qu’elle se des abusera heureusement pour nous de ceux qui apres
auoir imprudemment reuelé ses secrets, enuoyent sous son nom des
escrits au Parlement pleins de faits si contraires, afin de se mettre à
couuert de l’orage qui les menace aux despens de la bonne foy de sa
Majesté ; enfin il s’agit aujourd’huy d’abolir ou de sauuer les restes
du Mazarin, reseruons nos loüanges pour ceux qui les meriteront
& blasmons sans crainte ceux qui pour quelque interest particulier
manqueront au public dans la conseruation duquel nous trouuerons
tousiours la nostre.

 

FIN.

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Anonyme [1651], DISCOVRS DES-INTERESSÉ, SVR CE QVI S’EST PASSE de plus considerable depuis la liberté de Messieurs les Princes iusqu’à present. , françaisRéférence RIM : M1_99. Cote locale : B_6_35.