Anonyme [1651], DISCOVRS DE MONSIEVR LE PRINCE DE CONDÉ A MESSIEVRS DV Parlement de Bourdeaux, touchant son arriuée en ladite ville. , françaisRéférence RIM : M0_1116. Cote locale : B_6_30.
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DISCOVRS
DE MONSIEVR
LE PRINCE
DE CONDÉ
A MESSIEVRS DV
Parlement de Bourdeaux, touchant
son arriuée en ladite ville.

A PARIS,

M. DC. LI.

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L’IMPRIMEVR AV LECTEVR.

Monsieur le Prince de Condé ayant laissé
Monsieur le Prince de Conty son frere dans
le Chasteau de Mouron, en partit le 17. de ce
mois pour Bourdeaux, où il arriua quelques
jours apres. Et ayant appris que quelques-vns
apprehendoient sa venuë, cõme deuant estre
vn nouueau sujet de troubles en cette Prouince-là,
il fit le discours suiuant au Parlement
de ladite ville.

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DISCOVRS DE MONSIEVR
le Prince de Condé à Messieurs du
Parlement de Bordeaux, touchant
son arriuée en ladite Ville.

MESSIEVRS,

Puis que mes ennemis ont tellement pris
à tâche de rendre toutes mes actions odieuses, qu’ils
ont déja publié comme vn grand crime la retraitte
que i’ay faite de Paris en mon Chasteau de Mourron ;
il est aysé de prejuger que mon arriuée en cette Ville
leur fournira de nouueaux sujets de me calomnier, &
qu’ils s’efforceront de faire passer pour vn attentat le
refuge que i’y viens chercher contre leur violence ;
C’est, Messieurs, la raison qui m’oblige d’informer aujourd’huy
vostre compagniée, du procedé que i’ay
tenu depuis que ie me suis veu dans la necessité, ou de
seruir encore vne fois de victime à la passion de ceux
dont ie portois les fers en mesme temps que vous en
ressentiés les outrages, ou de pouruoir par la retraitte
à la seureté de ma personne. Afin d’effacer la mauuaise
impression que la medisance pourroit auoir deja
donnée de ma retraitte, & de vous laisser la liberté
de juger de la sincerité de mes intentions.

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Pour ne point vous parler icy de ma premiere sortie
de Paris, dont ie vous fis sçauoir les motifs par la
Lettre que ie vous écriuis de ma maison de S. Maur ;
Ie vous diray, Messieurs, qu’aussi tost que l’on eut
feint en Cour de me donner quelque satisfaction, &
de leuer les ombrages que i’auois par l’éloignement
des Sieurs le Tellier, Seruient & de Lionne, ie ne
manquay de me rendre à Paris, où ayant esté tres-bien
informé des mauuais desseins qui se tramoient
contre moy, que lesdits Sieurs le Tellier, Seruient
& de Lionne, n’auoient esté éloignés du Conseil qu’en
apparence, & que ceux que l’on auoit substituez en
leur place m’estoient pour le moins aussi suspects pour
les liaisons estroites qu’ils auoient auec le Cardinal
Mazarin, ie ne pus que ie n’en témoignasse mon
ressentiment à son altesse Royale & au Parlement,
à la persuasion desquels toutefois, ie ne l’aissay pas de
me donner l’honneur d’aller rendre mes respects à
leurs Majestez ; mais desquels ie fus receus auec tant
de froideurs, que du depuis, ainsi que l’a publique
ment témoigné sadite Altesse Royale, i’eus tout sujet,
quoy qu’à mon grand regret, de me dispenser de ce
deuoir.

Et en effet, Messieurs, l’écrit remply d’impostures
& de diffamations de ma personne, qui par vn procedé
sans exemple fut leu dans le Palais Royal,
en presence de Messieurs du Parlement & du Corps
de la ville de Paris, fut vne preuue trop puissante
pour me faire croire que ceux qui l’auoient dicté

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trop d’authorité sur l’esprit de la Reyne & dans le
Conseil, & trop d’animosité contre moy, pour
m’oster l’enuie de m’exposer à leur mercy.

 

Depuis ce temps-là, tout le monde sçait auec
quelles instances ie demanday de iustifier des calomnies
que m’imposoit cét écrit ; que les Autheurs
en fusent nommez, & que reparation m’en fut
faite : Mais bien loin de satisfaire à de si iustes demandes,
& d’accorder à vn Prince de ma Naissance,
ce qu’on ne pouuoit refuser sans injustice au dernier
des hommes ; on m’obligea par des remises continuelles,
ou de demeurer à Paris dans le danger
dont sont menassez ceux que l’on declare auoir des
intelligences secrettes auec les ennemis de l’Estat,
ou de pouruoir à ma seureté par ma sortie de cette
Ville.

Suiuant ce dernier expedient, ie me tendis à
Trie, où ie fus visiter le Duc de Longueville mon
beau-frere, & où i’appris deux iours apres mon arriuée,
qu’aux instantes Remonstrances du Parlemẽt
on auoit enfin accordé vne Declaration de mon
innocence : Mais, Messieurs, considerez ie vous-prie,
auec quel artifice estoit tissuë la trame que me vouloient
tendre mes ennemis, & comme ils voulurent
abuser de la parole Royale, & de ce qu’il y a de
plus auguste & de plus saint, afin de se maintenir
& me mieux surprendre.

Ils firent publier cette Declaration seulement la
veille de la Majorité du Roy, afin d’oster par ce

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moyen à son Atesse Royale & à moy, le temps de
faire aucun changement dans le Conseil, & d’en
exclure ceux qui par leurs dangereuses maximes
taschent d’obseder continuellement l’esprit de leurs
Majestez, ce qu’ils preuoyoient infailliblement deuoir
estre fait, si trois semaines auparauant on eut
leué les justes deffiances que i’auois d’entrer dans le
Conseil, en faisant publier cette Declaration que
i’auois tant demandée.

 

Il faut que i’auouë, Messieurs, que cette Declaration
m’estoit en apparence extrémement auantageuse,
mais en effet ce n’estoit qu’vn leurre, afin de
me faire tomber auec moins de soupçon dans le
piege que l’on m’auoit dressé ; car cõme ils s’imaginoient
que par là les pretextes que ie prenois de ne
point voir sa Majesté, seroient entierement leuez, ie
serois obligé de m’exposer à leur ressentiment, ou
bien d’oster par ma retraitte les difficultez que ma
presence apportoit à l’establissement qu’ils meditoient.

Et en effet ayant esté tres-bien informé de leurs
mauuaises intentions, joint que ladite Declaration
n’auoit pas esté leuë deuant le Roy, ainsi que le
Parlement l’auoit desiré ; Ie me resolus de ne rien
hazarder, & me contentay d’écrire vne Lettre à
Sa Majesté, que ie luy fis rendre par le Prince
de Conty mon frere, par laquelle ie luy témoignois
le vif ressentiment que i’auois d’estre forcé de m’éloigner
de sa personne pendant l’action celebre de

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fa Majorité, de laquelle i’estois certain que mes ennemis
se vouloient preualoir contre ma personne.

 

I’écriuis en mesme temps à son Altesse Royale,
& luy fis voir la passion que i’auois, que toutes
choses se terminassent par vn accommodement ; &
à cét effet, le suppliay d’obtenir de la Reine quelques
iours de surseance pour ce qui concernoit le licenciement
des Troupes qui estoient sous mon nom,
& pour l’establissement qu’elle desiroit faire de nouueaux
ministres ; Mais sadite Altesse Royale m’ayant
fait sçauoir qu’on luy auoit absolument refusé les
trois iours qu’elle auoit demandez, qu’il y auoit
ordre exprés expedié pour licencier ou charger lesdites
Troupes ; que Monsieur le Chancelier auoit esté
outrageusement chassé, que l’on auoit disposé des
Sceaux & creé vn premier Ministre ; mesme sadite
Altesse ayant eu la bonté de me mander, qu’aprés
cette conduite elle ne me pouuoit promettre aucune
seureté, ie resolus de m’éloigner d’vn lieu où
ie voyois tout conspirer contre ma liberté, & de
borner les seruices que ie dois au Roy & à l’Estat,
dans l’employ de ma Charge de Lieutenant de sa
Majesté en cette Prouince.

Voila, Messieurs, quels ont esté mes deportemens
parmy tant de difficiles conjonctures, où vostre
Compagnie remarquera, s’il luy plaist, que tandis
que mes ennemis abusoient du nom & de l’authorité
du Roy pour attenter à ma personne, sous pretexte

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de la plus haute & la plus injurieuse de toutes
les calomnies ; I’ay toûjours fait voir vne retenuë,
qui pour vn Prince de mon Rang & de ma Naissance
va bien prés de l’excez ; Et enfin que s’il y a quelque
chose à reprendre en ma conduite, c’est de n’auoir
pas egalé mon zelle pour le seruice du Roy &
de l’Estat, aux profonds respects que i’ay toûjours
eus pour sa Majesté.

 

FIN.

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