Anonyme [1649], L’ASNE DV PROCVREVR Ressuscité. EN VERS BVRLESQVES. , françaisRéférence RIM : M0_84. Cote locale : C_2_13.
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L’ASNE
DV PROCVREVR
Ressuscité.

 


Platon parloit bien à son aise
De sa rare Palingenaise,
Lors qu’il disoit qu’vn corps puant
Pouuoit reuiure bien souuent,
A pres vne certaine espace
Du temps qui iamais ne se lasse,
Dans sa carriere & dans son cours
Pour nous faire voir tous les iours
Quelques prodigieux miracles
Ou plustost des grands spectacles,
Auiourd’huy mesme dans Paris
La Palingenese est en prix,
Chacun le sçait, chacun l’admire
Et ie desire la descrire,
Sçachez donc que durant le bruit

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On l’on n’auoit pas du pain cuit,
Souuent a faute de farine
Et que quelque fois la cuisine,
Des gens du Palais auoit peu,
De la viande pour mettre au feu,
Vn Procureur de qui pour gorge
N’auoit pas mesme du pain d’orge,
Pour se rassasier vn iour
Fit mourir l’Asne de la Tour,
Apres de sa main tres barbare
Il luy leua sa peau tres rare,
Dont il fit faire vn grand manchon
Pour nostre petite nichon,
En apres auec vn grand glaiue
Sa barbarie il paracheue,
Mettant ce pauure Asne en cartiers
Ne pouuant le manger entiers,
Il mit la teste en la marmitte
Ses roignons dans la lichefritte,
Le reste apres il fit rostir
Afin de ne vous point mentir,
Des gros boyaux fit vne corde
Que sur le violon on accorde,
Ainsi ce braue procureur
Dans sa rage & sa fureur,
Fit passer cette faim extreme

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Qui rendoit sa face si blesme,
Mais les Meusniers ayant apris
Qu’vn procureur dedans Paris,
Auoit fait mourir vn pauure Asne,
Bien qu’il eut vn manteau de panne
Prindrent la resolution
De faire vne execution,
Contre ce procureur bijarre
Qui s’estoit monstré trop barbare,
La pitié leur saisit le cœur
Ils laisserent ce Procureur,
Sans luy porter aucun dommage
Bien que pour sa trop grande rage,
Il eust merité de mourir
Il ne laissa pas de courir,
Pendant certe guerre Ciuille
Parmy les ruës de la ville,
A dessein de saisir par corps
Les Asnes qui seroient dehors,
Sa femme mourroit de tristesse
Qui ne la prit pour vne Anesse,
Ou qu’il ne tua ses garçons
Les prenant pour des Anissons,
Iamais on n’a veu barbarie
Qui peut esgaller sa furie,
Si bien que les pauures Meusniers

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De peur que sans aucuns deniers,
Ce Procureur prit leurs montures
Dans des cauernes bien obscures
Cachoient leurs Asnes sur le soir
Afin qu’il ne les peut auoir,
Les Clers qui gardoient son estude
Estoient dans vne inquietude
Qu’il ne mangeast mesmes les sacs
De leur parties en tous cas,
Cest enragé mordoit sa leure
Alors qu’il voyoit vne cheure,
Croyant qu’il fut cest animal
A qui son cœur vouloit du mal,
De mesme en faisoit d’vne mulle
Faché de ne la voir pas seule,
D’vne Iument & d’vn Mulet
Il eust voulu que le valet,
Qui conduisoit ces pauures bestes
Eust esté prisonnier des Gestes,
Des Turcs ou bien des Poulonois,
On le voyoit souuentesfois
Par vne action tres atroce
Courir apres quelque Carosse,
Pensant que les cheuaux de prix
Feussent les Asnes de Paris,
Sa haine estoit tellement grande

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Que quand ils voyent vne bande
Des hommes qui ne disoient mots
Il les prenoit pour des Bardots,
La faim auec son auarice
Luy faisoient auoir ce caprice,
Il estoit fou lors qu’en ce temps
Falloit a beaux deniers contens,
Achepter de gros pain d’auoine
Dont on n’en auoit pas qu’à peine,
Le souuenir des temps passez
Et le deffaut de ses procez,
Tenoient son ame en la torture
Ie vous proteste & ie vous iure,
Si ce temps se fust maintenu
Il fust vn Asne deuenu,
Seulement par grandes merueilles
Il n’auroit pas eu les oreilles
Si grandes qu’vn Asne parfaict
Bien qu’il l’eust esté contrefaict
On ne parloit en compagnie
Que de sa barbare manie,
Et l’on sçait mesme qu’il a pris
Vn pauure homme habillé de gris,
Pour cette beste d’Arcadie
La cause de sa maladie,
Qui le mettoit en desespoir

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Estoit le desplaisir de voir,
Que la chicane estoit perduë.
Que la guerre l’auoit tonduë
Ou plustost l’auoit mise à bas
Par ses querelles & debats
Ou bien ieugeoit que la chicane
Fust metamorphosee en Asne,
Mais depuis que Paris à veu
Que le Ciel a receu son vœu,
Et depuis que la guerre est morte
Il s’est manié d’autre sorte,
Il a perdu tous ses ennuys
Qui luy faisoient passer les nuicts,
Dans la douleur & la tristesse
Maintenant rien plus ne le blaisse,
Il est content dans son esprit
Puisque tous les iours il escrit,
Et fait de belles procedures
Il se plaist dans les grands murmures,
Que causent ses pauures plaideurs
Il se mocque de leurs ardeurs,
Et de leurs folles entreprises
Qui leur fait vendre leurs chemises
Alors qu’ils ont faute d’argent
Pour le payer & le Sergent,

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Le pain molet est sur sa table
Et le pain chalan agreable,
Plusieurs mets sy treuuent aussi
Il vit maintenant sans soucy,
Et le plaisir de la chicane
A faict qu’il a chié cest Asne,
Qui auparauant auoit mangé
Lequel le rendoit enragé
Cest Asne par grandes merueilles
A repris ses longues oreilles,
Sa peau ses bouyaux & sa chair
En vn mot on le voit marcher,
Porter du blé, de la farine
Par vn prodige tres insigne,
Le Meusnier dict en verité
Que son Asne est ressuscité,
Et qu’il commence de reuiure
Vn iour que ce Procureur yure,
Chia sa chair auec ses os
Apres luy donna sur son dos,
Cest Asne d’abbord prit la course
Comme faict vn coupeur de bource,
Il s’en alla droit au Moulin
Le Meusnier le receut enfin,
Il luy fit dire sa fortune

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Car cest Asne estoit affligé
D’auoir esté mort & mangé,
A pres le Meusnier par office
La restably dans son seruice,
Il luy promit que sans chagrin
Il porteroit ses petits grains,
Quand cest Asne va par la ville
Il marche d’vn pas fort habille,
Et chacun luy dit à son tour
Bien vous soit l’Asne de la Tour,
Le grand fardeau qui l’incommode
De remercier à la mode,
Luy permet par tout de bramer
Pour signe qu’il veut bien aymer,
Ceux qui ne veulent qu’en leur
ventre
Encore mal heureux il entre,
On ne le sçauroit consoler
A l’instant qu’il entend parler,
D’vn Procureur grand mangeur
d’Asne
Cest animal bien que prophane
Ayme tant la simple douceur
Que ie crois que son rauisseur,
Est digne qu’auec la marotte

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La troupe des Asnes le frotte,
Bel Asne l’espoir d’vn Meusnier
I’ay le dessein de t’enseigner
De bien exercer ton office
Vis sans chagrins & sans malice,
Ne hantes point ce Procureur
Qui te veut rauir ta fureur
Qui fera que dans l’Asnerie
Ta belle humeur sera flestrie.

 

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