Anonyme [1652], L’ANTIDOTE AV VENIN DES LIBELLES DV ROYALISTE, A AGATHON, ET DE LA VERITÉ NVE. , français, latinRéférence RIM : M0_88. Cote locale : B_17_23.
Section précédent(e)

L’ANTIDOTE
AV VENIN
DES
LIBELLES DV ROYALISTE,
A AGATHON,
ET DE
LA VERITÉ NVE.

A PARIS.

M. DC. LII.

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L’ANTIDOTE AV VENIN
des Libelles du Royaliste à Agathon,
& de la Verité Nuë.

SI c’est estre seruiteur de Dieu, que de sacrifier aux Idoles,
& qu’ils soient des Diuinitez legitimes, il faut confesser
que l’escrit du Royaliste à Agathon nous doit
estre bien precieux, y trouuans des enseignemens capables
de nous retirer de l’erreur auquel nous sommes plongez,
& auons vescu depuis quelques années ; Et si au contraire
ces Deïtez sont fausses, & le culte different qui se doit
rendre au Createur & à la creature, ne doit-on pas aduoüer
qu’il est pernicieux & digne du feu, faisant vne confusion du
Createur & de la creature, du Roy & du Mazarin, & voulant
nous persuader que nous sommes tenus des mesmes respects
enuers cet infame Sicilien, qu’enuers nostre Souuerain, parce
qu’il en vsurpe l’authorité, & qu’il luy est loisible d’en
abuser dans toutes les rencontres qu’il pense vtiles & necessaires
à l’establissement de sa fortune, & de sa grandeur. Auec
cette distinction veritable & sans contredit, tous les argumens
& sophistique ries de ce malheureux Libelle se refuteront
auec plus de facilité qu’elles n’ont esté aduancées.

Il est sans doute que dans toutes les republiques bien policées,
lors qu’il y a deux Partis qui en deschirent la structure
& l’économie, qui les faisoit auparauant subsister dans le
repos & dans la trãquillité, que chaque Citoyen y doit considerer
sa fortune, & suiure l’vn ou l’autre, selon les mouuemens
de sa raison & de sa conscience, autrement ce seroit
estre inutile à sa Patrie, & en voir l’embrasement sans y vouloir
apporter vne goutte d’eau pour l’esteindre. C’est le crime
de Paris, & de la plus grande part des Villes du Royaume,
qui ont hesité iusques icy de se declarer, & causé par ce

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moyen dans leur indifference tous les maux qui se sont exercez
de tous costez, desquels vous seriez complices, mes chers
Concitoyens, & vous accuserois si ie n’auois connu vostre
zele, & la perfidie de vos Chefs qui s’y sont opposez, & ont
trahy la pureté de vos intentions & leur Patrie tout ensemble,
qu’ils ont esté contraints de quitter, lors qu’ils se sont
veu sur le poinct d’estre sacrifiez à vostre iuste colere, & d’expier
leur trahison par leur propre vie.

 

Cela presupposé, sans exaggerer tout le tissu de vostre
Prelude, agencé auec tant d’artifice, reste de voir en l’occasion
presente des troubles & agitations de cet Estat, où reside
la Iustice des deux Partis qui les ont fait naistre, & le caractere
des veritables seruiteurs du Roy. Si dans les Mazarins,
à la teste desquels vous mettez la Reine, & en tirez la
force de quelques vns de vos argumens ; ou en ceux qui en
veulent la perte & l’esloignement, comme les pestes & les
fleaux de nostre Republique ; peut-on dire que ce soit du costé
du Mazarin, & c’est le sujet de la querelle, & la source de
toutes nos diuisions, & l’ennemy iuré, veu, & reconnu du
Roy, de l’Estat & du public, ce qui n’est point chimerique,
& sans fondement, & appuyé sur le simple bruit d’vne populace,
& de la renommée, comme le suppose nostre Autheur ;
mais sur des veritez inuincibles, que la seule passion fait méconnoistre
à ces pretendus Royalistes, que le Mazarin tient
enchaisnez autant & plus par les esperances des graces & des
faueurs qui sont en son pouuoir, que par la sincerité de ses
promesses, estant vn abysme qui consomme tout, & ne laisse
eschapper que ce qu’il ne peut retenir.

Et ainsi ne soit, Monsieur le Royaliste, que sont deuenus
nos finãces, où est l’employ des soixante millions & plus de
comptans couchez dans les comptes de l’Espargne de chaque
année, (qui est vne inuention des Ministres, pour voler
impunément, & cacher leurs brigandages) & du surplus des
leuées de deniers qui montent bien à pareille somme, le Soldat
n’ayant point eu d’autre solde durant son administration
que la licence du pillage en tous les lieux où il a passé ; les
rentes & gages des Offiers ayans esté retenus pour la plus

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grande partie, & le reste peu ou point acquité ? Et-ce vne
supposition de dire qu’il a fait prendre Armantiere, Landrecies,
& autres places au son des instrumens, & durant la representation
des Comedies & des Pantalonades Italiennes,
ausquelles il a consommé plus d’vn milion de liures ? Est-ce
vne illusion de dire, qu’on à degarny Courtray de toutes ses
troupes, à la veuë de l’ennemy, sans necessité quelconque,
qui s’en est emparé deux heures apres ? Est-ce vne chimere
de dire, qu’il a trahy le Roy dans la derniere reuolte de Naples,
dont les Habitan luy tendoient les bras, & vouloient
reconnoistre leur ancien & legitime Seigneur ? Est-ce vne
inuention faite à plaisir de dire, qu’en 1647. le Card. Mazarin
a rompu & empesché la Paix faite & accordée à Munster
entre les Princes de l’Europe, au tres-grand aduantage de
cette Couronne, d’où se sont ensuiuis tant de ruines & de desolations,
tant de sacrileges & d’autres impietez énormes,
tant de barbaries, & la mort de plus de trois cens mil ames,
soit par le fer, soit par la faim, & enfin la perte generale de
toutes nos conquestes, & peut-estre la catastrophe de cet
Estat ? Ie ne mettray point en auant la vente de Grauelines,
de laquelle on sçait que le Cardinal a fait tirer toute la Garnison,
& vendre toutes les munitions de guerre & de bouche,
quinze iours auparauant le siege d’icelle, dont le prix a esté
partagé entre luy & le Comte de Grancey, qui en auoit retiré
quelque temps auparauant tous ces meubles, or & argent,
pource que vous diriez, Mr le Royaliste que cela est
posterieur aux Declarations & Arrests interuenus à l’encontre
de luy ? Ie ne parlera y pas non plus des horribles propositions
qu’il a fait faire à l’Archiduc & au Duc de Lorraine, de
leur abandonner tout ce que nous auons prins sur eux par la
force & la iustice de nos armes, à la charge de luy donner
toutes leurs troupes pour se maintenir, & se gorger de nostre
sang, dont il a vne soif, qui ne se peut iamais estancher : car
tu es gagé pour produire le mensonge, & le couurir des soupplesses
de ta plume venale, & ne laisseras pas de dire dans
l’endurcissemẽt de ta malice, & la crainte de perdre tes pensions,
qu’il est innocent au milieu de ces crimes atroces & innombrables :

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Ce seroit dans ton esprit vne accusation aussi
friuole que les precedentes, qui ont donné lieu à sa condamnation,
que tu blâme si temerairement d’injustice, & n’y a
point de crime en luy que tu ne iustifie, si tu estois son Iuge,
pour en couurir Monsieur le Prince, & tout ce qu’il y a de
gens de bien. Mais il sera facile de faire voir que ta malice &
la corruption te sille les yeux, que tu prens l’ombre pour le
corps, & l’idole à laquelle tu consacres pour la Diuinité.

 

Le premier argument duquel tu te sers pour iuger de la
difference des deux Partis est, qu’il y a deux choses, dis-tu, à
considerer dans le Roy, que la populace & l’ignorant ne sçauent
pas discerner, sa personne & sa qualité ? Que mespriser
l’vn, & reuerer l’autre, se dire sujet, & fouler aux pieds ses
ordres & ses commandemens, ce n’est pas estre exempt de
crime, ny porter les veritables marques d’vn seruiteur du
Roy, qui doit estre obey en toutes choses, comme font les
Mazarins, sans considerer s’il est majeur ou mineur, s’il est
grand ou petit, n’estant pas moins Roy au berceau, que dans
vn âge plus aduancé, moins souuerain le premier iour de sa
naissance, qu’vn vieux Conquerant, n’y ayant aucune intermission
dans son regne & dans sa puissance, qui ont ces sentimens
de verité, & font bien connoistre que le Prince est
dans vne lasche rebellion.

Chacun demeure d’accord que la Majesté des Roys est
toute entiere dans le berceau, qu’elle naist auec eux, & que
le progrez des années n’adjouste rien à sa plenitude, & que
leur souueraineté est tousiours égale : Mais chacun sçait aussi
que l’abus s’y glisse le plus souuent, & que comme la souueraineté
se r’enferme dans les bornes de la iustice, l’obeissance
n’est plus deuë lors qu’elle les surpasse, & n’y a point de distinction
des temps à faire, aufer impietatem à vultu regis & firmabitur
iustitia ibionses eiu. De façon, que soit sous vn Regent,
soit sous vn Lieutenant general, soit sous vn Administrateur
de l’Estat, qui sont synonymes, il n’y a personne qui puisse, ny
qui doiue refuser l’obeissance quand le commandement est
juste, non plus que quand ces occasions cessantes il est emané
de la bouche d’vn Roy majeur âgé de soixante ans, pource

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que c’est la Iustice qui le fait regner, & imprime l’amour
& le respect dans l’ame des sujets, qui s’en départent fort aysément
s’ils ne ressentent que de l’oppression & de la violence :
les Roys estans aux Peuples ce que les Pasteurs sont enuers
leurs troupeaux, preposez pour leur conseruation, &
non pour leur destruction, Rectorem te posuere, noli extolli, esto
in illis quasi vnus ex illis, curam illorum habe : C’est pourquoy
Homere appelloit Agamemnon le Pasteur des Peuples. Et
ainsi examinant les commandemens du Roy selon cette maxime
pleine de verité, sans esplucher d’où ils dériuent, que la
Reyne & le Cardinal en sont les autheurs : Ie te demanderois
volontiers où est la rebellion de Mr le Prince, & generalement
de tous les Peuples qui suiuent ces sentimens ; Est-ce
vn acte de iustice de vouloir retenir le Cardinal dans le Ministere,
quand il ne seroit pas le plus inhabile qui ayt iamais
esté, qu’il auroit toutes les lumieres, & possederoit toute la
sagesse des plus grands Politiques des siecles passez & de l’aduenir ?
La plainte de tous les sujets ne doit-elle pas preualoir,
& seroit-il raisonnable que l’opinion particuliere d’vn seul, &
sa presomption l’emportast sur tout le monde de son Royaume ?
Quand il n’y auroit pas de loy qui interdist le gouuernement
des Estats aux Estrangers, la honte seule qui en rejaillit
sur la Nation, qui ne pourroit trouuer vn homme pour le
gouuerner, ne suffiroit-elle pas pour obliger le Prince à retascher
quelque chose de son opinion, sa souueraineté ny sa
puissance n’en receuant non plus d’alteration que celle de
Dieu, quand il accorde quelque chose aux prieres de ses
creatures : & ne dira-on pas qu’il est impuissant, & n’est pas
souuerain, parce qu’il ne peut faire d’injustice, & que sa bonté
se rend flexible à nos vœux Ne suffiroit-elle pas pour authoriser
les clameurs de tout vn Peuple, auquel il est impossible
de souffrir plus longuement ce joug, autant infame que
pesent, de se voir regir par vn Estranger, non seulement incapable,
mais le plus impie & le plus tyran de tous les hommes.
Cùm im[2 lettres ill.] sumpserint principatum gemet populus.

 

Prouerb.
cap. 25.

Eccl. 32.

Pron. [2 lettres ill.].

Si les Roys ne peuuent donc exiger de leurs peuples qu’vne
obeissance des choses iustes, & non contre les loix de Dieu

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& de l’Estat, quand il seroit vray que le Roy agiroit par vne
suffisance de luy mesme, & non par des organes empruntez,
Dictes nous, Monsieur le Royaliste à la mode, où est le crime
de Monsieur le Prince, qui n’a les armes à la main que pour la
manutention d’icelles, qui ne combat que pour empescher
qu’elles ne soient violées, & que nous ne deuenions la proye
& la victime du Mazarin & de ses adherens, & l’opprobre de
toutes les Nations, qui n’admettent iamais d’Estrangers au
gouuernement de leurs Republiques, qui estoit la pratique
des Hebreux, & vn vsage si constant parmy nous, que toutes
les Villes excluent des charges publiques ceux qui n’y
sont pas nés, & n’y ont pas prins leur origine. C’est ce que le
Roy dans l’ingenuité de sa nature, & lors qu’il estoit hors des
liens du Mazarin, a si bien reconnu, que suiuant les vestiges
du feu Roy son pere, & la disposition de nos loix, il reïtere sa
Declaration contre les Estrangers, & veut que le Mazarin
soit pour iamais exclus du ministere & gouuernement de son
Estat. Si bien en effet qu’elle sert de fondement à la Declaration
contre Mr le Prince, qu’on dit n’auoir autre raison de
son sousleuement & de sa rebellion, qu’vne vaine apprehension
du retour du Card. Mazarin, qui n’est qu’vn pretexte
pour en couurir l’attentat, & consequemment sert à sa iustification,
puisque ce pretexte a tousiours esté, & s’est conuerty
enfin en vne verité sensible, par les desolations & les ruines
que son retour & sa personne ont causées qua si par tous les
endroits du Royaume, & specialement aux enuirons de Paris,
où sa rage & sa fureur s’est pleinement exercée, le considerant
comme le seul obstacle à son restablissement, & la fin
de toutes ses entreprises, estant certain que la teste abbatuë,
le reste sans beaucoup de peine succomberoit aysément sous
l’effort de sa tyrannie, dans laquelle ses emissaires traistres au
Roy & à leur Patrie, tiennent leur fortune tellement enclauée,
qu’encores que le Roy soit obligé de cõformer ses actiõs
& ses volontez à la Iustice, & au bien de ses Peuples, & de son
Estat, que cela ne se puisse sans vn entier bouleuersement des
loix, & l’aneantissement de tous les gens de bien, mesme
que la cheute ou la decadence de l’Estat en soit presques inseparable,

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si est-ce qu’ils font tout ceder à leurs passions & à
leurs interests, & que la mort du Mancini par vn iuste iugement
de Dieu, qui leur deuroit seruir d’vne belle leçon, ne
peut diuertir leurs impietez, ny toucher en aucune façon la
dureté de leurs consciences, Rara fides vbi iam melior fortuna
ruit.

 

Ne sçait-on pas, dit nostre faux Royaliste, pour vn autre
argument, que la desobeïssance des peuples vient de ce
langage seditieux qui leur est appris par les Prince qui sortent
de leur deuoir, que le Roy ne commande pas, que c’est
le Mazarin qui obsede son esprit, & abuse de son authorité
dans les persecutions qu’il fait aux Princes qu’il éloigne, aux
Parlemens qu’il exile, & aux peuples qu’il foule d’vne infinité
de subsides & de taxes pour s’enrichir de leur pauureté,
& cent autres discours semblables aussi vieux que les reuoltes :
que le peuple ressemble la mer, immobile de sa nature,
& orageuse par accident, excité maintenant par les vents de
l’ambition de Mr le Prince, qui a formé la diuision que nous
voyons auiourd’huy dans l’Estat : Que tout cela s’est verifié
dans l’exemple de Mr le Duc d’Orleans, durant lequel, à
l’égard du Cardinal de Richelieu, on disoit les mesmes choses,
osté la qualité d’Estranger, & auquel toutefois le defunct
Roy prefera la protection de son Ministre, pendant
quoy l’on a veu tousiours l’obeïssance des peuples, que le
Roy n’a pas moins de droit de pretendre ny de conseruer,
bien qu’il n’aye que 14. ans, puisque la loy le veut, confirmée
par l’vsage qu’en ont fait ses predecesseurs, par consentement
des Estats qui l’ont receuë, des Parlemens qui
l’ont verifiée, & des peuples qui se sont armez pour sa defense,
contre ceux qui la faisoient seruir de pretexte à leur
ambition.

Encores que ce langage que vous dites estre aussi ancien
que les reuoltes ayt esté tenu presque dans tous les siecles
contre les Ministres, pensez vous persuader pour cela que
ce soit vn langage seditieux ; mais bien plustost celuy des
Tyrans & des meschans, qui ne veulent point de barrieres
à leur ambition, ny oüir de plaintes de leur gouuernement.

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En est-il moins veritable parce que vous le taxez ? Et vn
petit nombre d’adulateurs & de parasites, que l’interest &
la passion fait parler de la sorte, preuaudra-il sur des milions
infinis d’autres qui derestes auec raison les dereglemens de
leur conduite ? Le Marquis d’Ancre, compatriote de vostre
Bien-faicteur, & ses Apologistes (ainsi que nous l’apprend
le Mercure François) vsoient de ces mesmes discours, & la
fin tragique de sa vie a hautement iustifié l’iniquité de ses
déportemens, & la verité des doleances du peuple qu’ils
condamnoient auec vous de sedition. Le Cardinal de Richelieu,
ce monstre de tyrannie, d’auarice, & d’ambition,
l’exemple duquel tu cites plus criminel mille fois que cet
infortuné, quoy qu’il ayt échapé la Iustice des hommes, n’a
pû euiter la main vengeresse de Dieu, ayant veu son corps
tout couuert de playes & d’vlceres, & son ame en sortir par
autant d’endroits apres six ou sept années de souffrances.
Vous voulez faire passer le peuple pour vne dupe, ou pour
vne enclume sur laquelle il sera permis aux Tyrans de frapper
impunément, & de forger tout ce que bon leur semblera
pour contenter leur auarice, & leur ambition, & leur
silence durant son administration pour vne marque de son
obeïssance, plustost que de la tyrannie de ce Cardinal, exercée
contre tous les gens de bien, qui a retenu leurs voix, &
lié leurs langues & leurs bras au plus profond de leurs maux,
sunt molles in calamitate mortalium animi : Il a tesmoigné son
imbecillité, & non pas son deuoir, & que celuy qui brauoit
autresfois toutes les Nations, estoit né doresnauant pour la
seruitude. Reprenez vostre ancienne vigueur, mes chers
Concitoyens, & ne vous laissez pas surprendre aux artifices
de cét agreable imposteur, qui tasche de faire couler doucement
ce venin dans vos veines, que les resistances qu’on a
fait dans tous les temps contre les mauuais Ministres, sont
autant de reuoltes ; les plaintes, & les querelles contre leurs
tyrannies, autant de rebellions. C’est le voile duquel ils se
couurent tous, & veulent que tout ce qui le perce & le déchire,
soit vn traict decoché contre la personne du Monarque,
qui le plus souuent, comme le nostre, ignore ce qui se

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passe, & est la cause innocente des troubles de son Estat, lesquels
ils font naistre à dessein, pour se rendre plus redoutables
à leurs ennemis, & plus considerables à leurs Souuerains.

 

Tac. lib. 4.
Anna.

Ils n’ont autre chose à mettre en auant, que l’authorité
Royale, comme si elle n’estoit point sujette à la Iustice, & ne
se deuoit connoistre que par les oppressions, & à dire que les
Princes qui ne la peuuent supporter, enseignent aux Peuples,
comme à des perroquets en cage, leur desobeïssance
Or dites, Mr le Royaliste, est-ce Mr le Prince en 1648. qui a
suscité les Barricades, pour s’opposer à la tyrannie du Card.
Mazarin, qui voulust en vn iour emprisonner la moitié du
Parlement, & se seruit de la solemnité d’vn iour auquel on
rendoit graces à Dieu, de cette grande & signalée victoire
remportée à Lens par Mr le Prince, qui mettoit toute la
Flandre en nostre sujettion, si par vn dessein contraire, la
Reine trop bonne sœur, & jalouse de la grandeur de sa maison
auec le Cardinal Mazarin sujet de son frere, poussé d’vn
mesme desir, n’en eust voulu arrester le cours & les aduantages,
trouué & preparé cét escueil pour y faire briser la gloire
de Mr le Prince au milieu de ses triomphes, la ternir &
l’enseuelir par vne funeste tragedie dans le sang des plus illustres
Senateurs, & des plus gens de bien du Royaume, & se
signaler par quelque grand forfait, Tempus damnationi delectum
quo Tiridates accipiendo Armeniæ regno aduentabat, vt ad
externa tumerioris intestinum scelus obscuraretur, & vt magnitudinem
imperatoria quasi regio facinore ostentaret. A-t’il mis les armes
entre les mains des Parisiens en 1649. pour se defendre
de la rage de ce Cardinal, que le Tellier, ce meschant & malheureux
Politique, luy auoit promis & asseuré deuoir estre
reduits par la faim en trois iours de marché, & forcez de soufrir
les loix de sa tyrannie ? Est-ce luy qui depuis la Paix fourée
de Ruel, iusques au mois de Iuillet 1651. leur a suggeré
l’auersion espouuantable qu’ils ont encores contre ce Tyran
& tous ses Emissaires, & demandé leur punition ? Est-ce qu’ils
n’ont point d’yeux pour voir la deprauation de ces beaux Ministres,
& qu’ils sont insẽsibles à leurs maux pour n’en pas jetter

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le moindre souspir, ou priuez de iugement pour n’en pas
connoistre la cause & l’origine ? C’est donc vne manifeste
calomnie d’en accuser Mr le Prince, qui a iuste sujet de joindre
ses plaintes auec vn Peuple affligé, qui reclame son ayde
& sa protection, assez instruit & assez excité par ses propres
douleurs & ses miseres, sans auoir besoin de causes estrangeres
pour l’émouuoir & les luy apprendre, Domni habuit vnde
disceret.

 

Tac. lib. 35.
Ann.

Terent

Ie sçay bien, dit nostre Royaliste, que la vengeance est la
satisfaction de l’injure, mais que Mr le Prince deuoit considerer
la disgrace de ses chaisnes par le malheur de sa sujettion
& ses ennemis par leur azile, d’où ils ne peuuent estre tirez
qu’en esbranlant le Thrône ; & ne pas demãder vn Gouuernement
pour le faire sousleuer, caballer, ny faire des largesses
afin de suborner la fidelité des Grands, & desbaucher
l’obeïssance des peuples ; faire l’humble & l’hypocrite pour
gagner l’artisan afin de seconder la reuolte qu’il premeditoit,
se retirer de la Cour, au lieu de s’en approcher, enfin
sousleuer deux Prouinces, & attirer de toutes parts les ennemis
de cét Estat, pour faire croire que son party est iuste, à
moins que d’estre frappé d’vn mesme aueuglement que le
Parlement, qui croit plustost le tesmoignage d’vn complice
pour absoudre vn criminel, que celuy du Mazarin, qui n’enseigne
que le respect, attaque l’Espagnol dans le cœur du
Royaume & sur la frontiere, & adore la Majesté en elle mesme
independante des années.

A quel propos dire que Mr le Prince ne peut venger l’iniure
qui luy a esté faite sans renuerser le Thrône, eu égard
à sa sujettion, & à l’azyle de ses ennemis, & faire tant d’exagerations
petulantes sur sa conduite durant tout le temps
qui a suiuy sa prison ; sinon, Mr le Royaliste, pour donner
l’essor à vostre passion enuenimée, & tascher de trouuer des
taches dans le Soleil. Car sa dependance ne luy est pas desagreable,
& ne luy donne point de peine : Mr le Prince n’a
point d’autres ennemis que ceux de l’Estat, ny eu d’autre
pensée que la manutention d’iceluy ; toutes ses actions passées
en fournissent vne preuue claire & suffisante, qu’il seroit

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superflu de reciter, estans connuës de toute la terre.
Aussi s’est-on bien donné de garde seulement de les effleurer ;
& au lieu de cela on a composé vne declamation, &
vne inuectiue contre toutes ses actions particulieres, quoy
qu’inutile au sujet que traite nostre Royaliste, iusques-là
mesme que d’vne simple indecence, comme luy-mesme la
qualifie dans vn habit de deüil, imaginaire pourtant, il en
fait vn monstre d’iniquité aussi hideux que s’il auoit deterré
sa mere pour la fouler aux pieds, & en ietter les cendres aux
vents, & veut que toutes ses demonstrations Chrestiennes
soient autant de sacrileges, qu’il a fait pour gagner le Bourgeois
& l’Artisan, & en fin que tous ses gestes & ses démarches
sont des mépris, ou des cabales contre son Souuerain.

 

Si c’est brauer le Roy de marcher dans les ruës, & caballer
contre luy de ne pas s’humilier deuant l’Idole de Mazarin,
& de l’auoir exposé en contumelie, & en horreur à tout
le monde par la consideration, de ses vices & de ses infamies,
& de n’auoir par attendu l’éuenement d’vn second attentat
qu’il auoit entrepris contre sa personne, & preuenu
par sa preuoyance en se retirant de la Cour le dernier coup
de sa ruine, & peut-estre de sa vie, comme chacun le sçait,
Monsieur le Prince confesse qu’il est grand criminel, & que
sa querelle est tres-iniuste : Et cependant c’est en quoy se
renferme, Mr le Royaliste, toute vostre accusation, iusques
au iour de la sortie de Mr le Prince de Paris, auquel on ne
peut enuier qu’il se soit retiré. Et c’est vostre douleur & le
crime de Mr le Prince, de ce qu’il n’est pas vne seconde fois
tombé dans le piege preparé deuant, & lors de la Majorité,
duquel vous pensiez faire vn semblable iour que celuy du Te
Deum de la Bataille de Lens, & que vous ne pouuez luy dire
qu’il considere la disgrace de ses chaisnes par le malheur de sa
sujettion. C’est ce qui-vous a fait malicieusement alterer &
corrõpre le sens de la Lettre que Mr le Prince escriuit au Roy
dans sa retraite, & publier audacieusement qu’il n’est sorty
que pour faire sousleuer deux Prouinces, comme si chercher
des azyles contre l’outre cuidance du Mazarin, & de
ses Emissaires, qui vouloient sa perte à quelque prix que ce
fust, c’estoit vn sousleuement & vne rebellion, nostre

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Royaliste confondant, comme nous auons dit, la personne
du Roy & du Cardinal si veritablement, qu’en vn endroit
de son Panegyrique il aduouë que c’est vne querelle de la
Reyne & de son Fauory, & qu’il fallust enfin que Mr le Prince,
pour n’estre pas criminel, fust imprudent ou serf du
Mazarin.

 

Mais quoy, ayant trouué son salut dans sa fuite & dans
sa retraite, ayant échapé les liens ou la mort, & ne voulant
pas consentir le retour & la subsistence du card. Mazarin, il
est coupable, il faut le poursuiure, & luy faire sentir que les
Roys ont les mains longues, & qu’il ne doit pas refuser l’encens
à l’Idole non plus qu’à la Duinité. Et en mesme temps
l’on prepare des chaisnes, & sans luy bailler le moindre repos,
on enuoye des troupes de toutes parts, en telle sorte qu’on le
force de quitter le Berry, où il croyoit estre en asseurance, &
de passer dans la Guyenne, où il est à l’instant suiuy & obligé
malgré luy de recourir aux armes pour conseruer sa vie & sa
liberté, & celle de toute la France. Y a-il rien de plus iuste &
de plus legitime que la defense, la loy ciuile nous le permet,
& la nature nous le commande. Par où chacun iugera bien
facilement que Mr le Prince n’a pas eu besoin du retour du
Card. Mazarin pour iustifier ses armes, comme le veut persuader
l’infame Royaliste, afin d’en tirer des consequences
captieuses & ridicules pour son bien faicteur, qui ne meritent
pas de response. La Declaration faite contre Mr le Prince au
mois de Decembre, 1651. estant plustost vn acte de violence,
emané des ruses & des soupplesses de ce fourbe, qui luy ont
mal reüssi, & sont retournées sur sa teste, qu’vn acte de iustice,
ne seruant que d’vne plus ample iustification à Mr le Prince,
dans les paroles de laquelle elle se rencontre si hautemẽt,
qu’il ne faut pas d’autre preuue pour decider la question à
l’aduantage de Mr le Prince, & à la confusion du Sicilien &
de son Apologiste, qu leur propre ouurage, ayant dit, elle
arme sur vn faux pretexte, qui deslors & encore à present se
trouue veritable.

Et comment, dit nostre Royaliste, pourroit-on douter de
l’injustice du party de Mr le Prince, ayant fait entrer les ennemis
de cét Estat en diuers endroits du Royaume, & receu

-- 15 --

leur argent, à moins que d’estre aueugle comme le Parlement,
ou complice comme Mr d’Orleans ; Et au contraire,
de la iustice de celuy du Mazarin, qui enseigne aux Peuples
le respect, attaque leur rebellion, & combat l’Espagne en
tous lieux.

 

Ce raisonnement est aussi foible & outrageux, qu’il est
presomptueux & ridicule. Car ces ennemis que tu fais combattre
au Mazarin, dont les troupes de Mr le Prince sont
composées, ne sont pas les ennemis de l’Estat, mais les siens,
nos yeux en sont les témoins, ils ont combattu les Turenne
& les Senneterre, les S. Maigrin & les Mancini, & tous ses
autres supposts, qui sont des traistres à leur Patrie, & les vrays
ennemis de l’Estat. Leurs a on liuré quelque place, & leurs a
on veu faire vn seul acte d’hostilité que contr’eux ? Nous auõs
veu couler le sang de leurs playes pour la defense de Paris, &
de tous les gens de bien, que ce scelerat auoit resolu le mesme
iour, auec l’intelligence & la trahison du Gouuerneur, du
Preuost des Marchands, & d’autres traistres en grand nombre,
de sacrifier à sa cruauté. Le Cardinal ramasse des troupes
de toutes sortes de païs, & de langues, gens de sac & de
corde pour saccager tout l’Estat, comme nous l’auons veu le
mettre dans le precipice, polluer nos Tempes, & y exercer
plus d’impietez que ne pourroient faire les demons, se mettre
sur le thrône, & opprimer tous ceux qui s’y opposeront ;
c’est vn grand & digne seruiteur du Roy : Mr le Prince cherche
du secours pour sa defense & de tous les gens de bien,
pour reprimer ce Lycentrope, & le faire perir dans sa malice,
pour conjurer ses tempestes, sauuer la Couronne & les
Loix de l’Estat ? Et il est rebelle & seditieux. A quel extremité
en sommes nous reduits, vitia dum prosunt, peccat qui rectè facit.
Où se rapporte vostre aueuglement, Mr le Royaliste, qui
en accusez le reste du monde.

C’est vn fort mauuais argument pour contester la iustice
du party de Mr le Prince, de dire qu’il emprunte du secours
d’hommes & d’argent des Espagnols, ny de quelque autre
nation que ce pust estre, d’autant qu’il n’a rien de vicieux
en soy, & le doit-on referer à la cause, qui ne peut produire
vn effet different d’elle mesme : tellement que la cause estãt

-- 16 --

iuste, le secours l’est aussi, tous les moyens qui seruent pour
paruenir à vne bonne fin estans de la mesme nature. Autrement
vous seriez obligé, Mr le Royaliste, de condamner
vous mesme toute la conduite du defunct Roy, tres-iuste,
horsmis en la tolerance des inhumanitez de son Ministre, &
des surcharges de son peuple, qui a appellé des Nations
Heretiques pour combattre auec luy, & les a engagées dans
sa querelle contre les Catholiques ; & mesme celle de vostre
bien-faicteur, qui presentement traite & negocie auec le
Roy d’Espagne & le Duc de Lorraine, & offre de leur restituer
tout ce que nous auons pris sur eux, qui couste tant de
millions, la sueur & le sang de tant de monde, à la charge
de luy donner leurs troupes, deschirer les entrailles de cet
Estat, & verser le sang de tous les gens de bien qui s’opposent
à sa fureur, & au restablissement de sa tyrannie.

 

C’est ainsi que Mr d’Orleans a consideré ce secours, & que
le Parlement l’a approuué, qui est trop clair-voyant pour
ne sçauoir pas faire le discernement du bien & du mal, &
qui n’est aueugle qu’à cause qu’il ne suit pas les mouuemens
honteux de ta passion si desraisonnable, qu’elle nous presente
pour exemplaire le plus perfide, & le plus scelerat de
tous les hommes, la sentine & le cloaque de toutes les ordures
& de tous les vices qui se peuuent imaginer, & pour
Maistre d’Eschole celuy qui ne sçait autre mestier que les
brelans, la déloyauté, le mensonge & la lasciueté, qui n’a
pour but, & pour visée que sa fortune, au détriment de tout
l’Estat, qu’il est prest de vendre pour la maintenir, la quelle
il idolatre iusques à ce point, qu’il en fait le soustien de la
Couronne, bien qu’il soit vray qu’il en ayt osté toutes les
pierres precieuses, qu’il la soüille & la rompe piece à piece
de iour en iour par ses folies & ses extrauagances, Diuersa
fama Demetrio cynicam sectam professo, quòd manifestum reum
ambitiosius quàm honestius defendisset.

Tac. lib. 4.
[1 ligne ill.]

Et comment seroit-il bon Maistre du respect & de l’obeïssance
deuë au Roy, qu’il a le premier contreuenu à ses
volontez, qui est la source de tous les maux qui affligent cet
Estat, & qu’il en viole les loix fondamentales, qui ne permettẽt
pas, non plus que les autres Republiques du mõde, qu’vn

-- 17 --

Estranger aye aucune part au gouuernement. Nous en a tous
l’exemple dans le regne d’Israël, & la preuue dans vn ce [1 mot ill.]
Autheur, qui rapporte que dans l’eslection des Roys & des
Magistrats, trois choses estoient desirées, absolument necessaires
pour y paruenir : le sexe, parce que les femmes en estoiẽt
rejettées : Le lieu de la naissance, parce que les estrangers en
estoient incapables, & formellement exclus selon le 17. du
Deuteronome, Non poteris dare super te virum alienigenam, & qui
non sit frater tuus, neque in regno tantum, sed & in omni potestate
Israelitica : Et ailleurs, E medio fratrum tuorum pones super te regem,
sic etiam omnes prafecturæ quas tu ordinas non sunto nisi à
meditullio fratrum. Et en troisiéme lieu l’origine, qui doit estre
honneste & ingenuë, & non pas basse & seruile, comme est celle
du Mazarin, qui n’a point de qualité par consequent propre
& admissible au gouuernement de cét Estat, qui en souffre
aussi d’horribles conuulsions.

 

Il est mutile, dit nostre imposteur, d’employer la Declaration
du Roy contre le Cardinal & les autres estrangers ; puis
qu’elle a esté reuoquée, & qu’il a donné des ordres pour son
retour ; s’il a pû le bannir, il l’a pû r’appeller, sa puissance est
egale, & pour lier & pour delier, que l’on doit d’autant plus
considerer dans la derniere circonstance, que le bannissement
a esté forcé, & le rappel libre ; & qui plus est, que les causes de
l’accusation contre le Mazarin sont friuoles, n’ayant pour
fondement que l’infidelité, la fourbe & le parjure, qui sont
des effets de sa prudence, laquelle confondroit ses Iuges s’ils
voyoient son visage, & fait qu’ils craignent de l’entendre,
parce que son innocence les obligeroit de le iustifier, & que
puis apres il pourroit se venger de leur iniquité d’ailleurs si
palpable, que sa condamnation est sans forme ny figure de
procés, sur vn simple bruit du Peuple, & sur la renommée, qui
est la langue du mensonge, & le témoignage des ignorans.

Ce malheureux a tellement accoustumé de se ioüer de la
parole & de l’authorité du Roy, que sur le theatre le plus eminent
du monde il l’a fait passer icy, (n’ayant pas vn grain de
raison pour la defense de son maistre) pour vne chanson du
Pont Neuf, & pour vne amusette d’enfãt ou d’idiots. Ce menteur
à gages veut que la Declaration contre le Cardinal ayt

-- 18 --

esté extorquée. Et cependant la Verification en a esté faite en
sa presence & de son commandement, lors qu’il estoit enuironné
de toute sa Cour, & accompagné de trois ou quatre mil
hommes de guerre, dans vn iour que luy mesme dit auparauant
auoir donné la peur & la chasse à Mr le prince. Où peuuent
estre apres cela les signes de la violence faite au Roy ?
N’est-ce pas vne inuention faite à plaisir, pour donner couleur
aux propositions temeraires que vous aduancez, de dire que
ce n’a esté que pour éluder les brigues qui se faisoient pour
esloigner le temps de sa majorité, veu qu’il est certain que la
Reine seule y auoit interest, afin de croistre les années de sa
Regence. Decipere hoc non iudicare est. Il adjouste à la honte qu’il
fait au Roy dans vn des iours les plus solemnels de sa vie, l’impieté,
faisant passer les vices les plus atroces pour des vertus,
sur des témoignages aussi peu conuenables, à sa these, que nostre
Religion à l’Alcoran. Tels outrages faits à Dieu, & à la verité
pour defendre vn scelerat, & colorer ses forfaits, meriteroient
la roüe. Il n’y a point de temps ny d’occasion auquel on
puisse violer sa foy & sa parole. Cela n’appartient qu’aux gens
faits comme vous & vostre Cardinal, qui n’a pas la moindre
teinture de pieté ny de religion, qui a vne repugnance aussi
naturelle au bien que le demon, & n’agit par autre principe
que celuy de la fraude & de l’imposture, qui est vne dangereuse
leçon pour des Princes, lequel y prestant l’oreille, verifie ce
qui est dans les Prouerbes du Sage, que, Princeps qui libenter
audit verba mendacij, omnes ministros habet impios.

 

Il ne seroit pas besoin d’adjouster autre chose pour confondre
vostre malice Mr le calomniateur & pretendu Royaliste,
ayant si clairemẽt verifié tous vos mensonges ; mais pour vous
supplanter & decrediter sans ressource, il est necessaire d’en
attaquer vn dans son fort, que vostre arrogance & vostre presomption
vous ont fait produire auec vne effronterie sans pareille,
qui frappe le sens & la raison, ayant dit que ses Iuges refusent
de le voir & de l’entendre dans sa iustification apres l’auoir
condamné sans forme quelconque de iustice, qu’ils ont
si fortement reclamée lors de l’emprisonnement d’vn prince
suspect, & de leurs collegues.

Premierement, la seule qualité d’estranger rend sa iustification

-- 19 --

impossible, & consequemment la reuocation qu’il suppose
auoir esté faite de la Declaration dressée cõtre luy. Car de droict
il est exclus du ministere, & la Declaration du Roy n’estant qu’vne
enonciation de ce droict, qu’il n’est pas en sa puissance de
changer ny alterer, estant vne loy fondamentale de la Monarchie,
& non pas du Monarque, qui peut bien reuoquer celles
qui sont faites par la necessité des temps, comme les daces & les
impositions, ausquelles neantmoins on ne touche pas, quoy que
la conscience y oblige, par l’extréme auarice, & le mauuais conseil
de ceux qui enuironnent les Roys, lesquels à l’exemple de
Roboam, sont tousiours plus prests de sur charger leurs Peuples,
que de les soulager, il s’ensuit que la reuocation est fausse, &
n’a iamais esté ; & quand elle seroit, qu’elle ne seroit pas considerable,
& ne pourroit operer la iustification de vostre Idole,
d’autant qu’elle seroit contraire aux loix fondamentales de l’Estat,
qui sont immuables. Et ainsi tu es bien maudit de Dieu, de
dire qu’on n’ose voir son visage, de peur de condescendre à sa
iustification, & de glisser ton pernicieux venin de la sorte dans
les esprits des simples & des timides, afin d’entretenir les troubles
& les desordres dont tes yeux sont témoins, & ta conscience
coupable, Nolite sperare in iniquitate, nolite peccare in spe. Au
lieu que mesprisant l’interest qui nous attache indissolublemẽt
à la tyrannie iusques à present, & faisant de serieuses reflexions
sur ces veritez solites pour vostre salut, & le bien de vostre Patrie,
vous ne prouoqueriez pas la colere du Roy par des mensonges,
& des complaisances criminelles contre ses plus fideles
seruiteurs, & conspireriez auec eux à la manutention des loix &
de la Iustice, où consiste le repos & la felicité des Republiques,
& dont au contraire l’inobseruance attire le trouble, & engendre
la subuersion. D’où vient que Solon interrogé de la maniere
de les bien regir & gouuerner, respondit, Si les Princes & les
Magistrats se conduisent selon les loix qui y sont establies : Et
Aristote affirme, qu’il est plus expedient que les Estats soient
gouuernez par de bonnes loix, que par de bons Roys, pour ce
que les loix ne perdent point leur rectitude, ne meurent, ny ne
changent iamais, & les Roys sont sujets à toutes ces alterations,
& mesmes aux loix, n’estans instituez que pour en estre les gardiens
& les depositaires : Cela est disertement expliqué dans le

-- 20 --

Deuteronome, où Dieu ne leur promet la durée de leur empire,
qu’autant de temps qu’ils seront rigides obseruateurs des
loix & de la Iustice : Postquam sederit in solio regni sui, describet sibi
Deuteronomium legis huius in volumine accipiens exemplar à Sacerdotibus,
& habebit secum legetque illud emnibus diebus vitæ suæ, vt discat
timere Dominum Deum suum, & custodire verba & cercmonias
quæ in lege præcepta sunt.

 

[1 ligne ill.]
de aduent[1 lettre ill.]
Domini.

Cap. 27.

Par où vous voyez, Mr le Royaliste, que vostre doctrine est
erronée, & les maximes fausses, sur lesquelles vous la fondez,
mettant les Roys au dessus des loix, si vous ne voulez démentir
l’Escriture saincte auec l’authorité de ces grands Politiques, &
combien il est dangereux d’y donner attainte, & de suiure vos
aduis & vos conseils, ou plustost ceux de la Reine, & de ce Pantalon
desguisé, qui ne luy inspirent que la flamme & le sang, &
taschent sous son nom auguste de venger leurs passions, bien
qu’elles menacent la decadence, & entraisnent du moins la desolation
de l’Estat, de s’introduire à cét effet, & se fortifier en
des places que l’vn ny l’autre ne peuuent occuper que par l’infraction
des loix, qui sont, comme nous auons monstré, les appuis
& les colomnes des Monarchies, sous les appas & les amorces
de la desbauche & de la dissolution, sous le titre & flatterie
d’vn pouuoir independant & absolu, qui n’appartient qu’à Dieu
seul, duquel pour se flatter de l’impunité de toutes choses, ils
reconnoissent à peine la superiorité, & trouuent des ames si deprauées,
qui non du mesme esprit de ce sage de Perse à Cambises,
l’interrogeant s’il pouuoit legitimement espouser sa sœur,
soufflent continuellement ce poison aux oreilles du Roy, qu’encores
qu’ils n’y ayt point de loix qui permettent aux estrangers
de manier le timon de cét Estat, il y en a toutesfois vne plus ancienne
& plus forte, qui leur accorde de faire tout ce que bon
leur semblera, pour auoir lieu de maintenir toutes les injustices
& les execrations qu’ils cõmettent sous le nom du Roy, auquel
on ne descouure iamais les veritez Euangeliques, qui luy enseignent
la suauité, & le centre de son deuoir en leur endroict
Rectorem te posuerunt, noli cxiolli, esto in illis quasi v[2 lettres ill.]s ex ipsis, curam
illorum habe. Il est donc de l’office du Roy d’entendre les gemissemens
de son Peuple & d’y remedier, de se laisser toucher
& persuader aux remonstrances des Princes & de ses Parlemens,

-- 21 --

souuentesfois reïterées pour ce sujet, & de resister aux emportemens
de la Reine & du Mazarin, ausquels dans ces considerations
tres-energiques & tres-impertinẽtes vous ne pouuez donner,
comme vous faites, non seulement les premieres places,
mais la moindre participation dans ses Conseils, sans renuerser
les loix, & condamner en mesme temps son iugement & sa Iustice,
qui parurent grandement au defunct Roy lors de sa Declaration
contre le marquis d’Ancre & tous autres Estrangers, conformement
aux loix de l’Estat, suiuant lesquels il esloigna la defuncte
Reine sa mere de ses Conseils, de laquelle vous cotez l’éxemple,
qui ne tourne qu’à vostre confusion, soit en ce poinct
d’exclusion, soit en l’allegation du changement de Fauory qu’elle
souffroit, d’où vous faites naistre sa disgrace, pour en tirer vostre
consequence pernicieuse, & iustifier la Reine en la protection
du Mazarin, qui est fausse, & est au contraire vn iuste sujet
de l’abandonner, la plus grande partie de ses infortunes estant
dériuez de la protection in juste qu’elle auoit departie à cét insolent
Fauory, qu’elle mesme long temps auparauant son exil
auoit donné au feu Roy, qui la paya depuis de perfidie & d’ingratitude,
digne recompense de ceux qui aduancent & protegent
les meschans, que la Reine doit attendre d’vn pareil Fauory,
si vous considerez bien, Mr le Royaliste, le tableau de sa
fortune.

 

Eccles. 52

Si vostre aueuglement & vostre passion, Mr le Royaliste,
ont si hautement paru pour le Mazarin dans les choses passées,
il n’éclate pas moins dans les suiuantes, non disant que la constance
du Parlement pour les loix de l’Estat, est vne opiniastreté
déguisée, que leurs sentimens sont pernicieux au bien & repos
d’iceluy, & que les semences de la guerre ne peuuent estre
estouffées que par la suppression de leur Arrest contre luy : que
c’est bien mal reconnoistre ses seruices & les differences entre
luy & Mr le Prince, de le faire passer dans l’estime d’vn scelerat,
& la Reyne d’vne parjure, apres auoir fait vn amas de gens
de guerre à ses dépens pour le seruice du Roy, & estre venu
hazarder sa vie pour le restablissement de son authorité : Et
donner au contraire toutes sortes d’aplaudissemens à Mr le
Prince, au milieu de ses rebellions & de ses intelligences auec
nos ennemis.

-- 22 --

O temps ! ô mœurs ! sous quel climat viuons nous ! sous quel
siecle respirons-nous ! naguieres la perfidie estoit vn effet de
prudence, maintenant la vertu est vn signe de reprobation, le
Parlement est constant dans ses resolutions, il est opiniastre, il
veut maintenir les Loix & executer ses Arrests contre les impies
& les Tyrans, il enerue l’authorité du Souuerain & fomente
la guerre, il declame contre les vices du Cardinal, ne les
dissimule pas, resiste à ses violences, il est criminel, & desobeïssant :
Voila, Mr le Malfaicteur, la force de vos argumens, tissus
& composez d’impostures & d’impietez, qu’il ne sera pas difficile
partant de combattre, se destruisans d’eux mesmes dans
leur seule proposition. Car dites nous, s’il vous plaist, Est ce
opiniastreté ou courage de defendre les loix de l’Estat, i’en laisse
faire le iugement aux moins esclairez : Tant s’en faut, que de
ne l’auoir pas fait plustost & empesché dés le commencement,
il est aucunement coupable des maux qui en sont arriuez, qui
surpassent tout ce qu’on en peut dire, & seroit vne insigne preuarication
s’il ne perseueroit, qui les rendroit indignes de leurs
charges : Ils ont de pernicieux sentimens, parce qu’ils ne sont
pas corrompus, & ne sont pas susceptibles de lascheté comme
vous : Ils veulent la guerre, parce qu’ils ne veulent pas estre ses
esclaues, & succomber sous sa tyrannie. Et le Mazarin veut
la paix, parce qu’il depeuple nos Prouinces, & que l’on s’efforce
sans autres armes que celles des plaintes & des larmes de retenir
le coup des cruautez & des vengeances de ce Lion rugissant.
Est-ce le Parlement qui l’a conuié d’entrer à main armée
comme il a fait, & l’a sollicité de deschirer les entrailles de cet
Estat, piller nos Eglises, fouler les hosties aux pieds, & commettre
des impietez diaboliques. Voila les graces & les faueurs
pour lesquelles tu exiges de nous des reconnoissances ; Tu veux
comme à certaines Deïtez anciennes que nous luy donnions de
l’encens, pour euiter encore de plus grands maux dont il nous
menace par ta bouche, qui n’a pas pris garde qu’en estalans ses
seruices pretendus elle le couure de brigãdages horribles, dont
nous voyons des échantillons en son Hostel garny des meubles
de la Couronne, en tirant de son Espargne la dépense de la leuée
des gens de guerre auec lesquels il a applani les chemins
de son retour, qui est comme celuy des mauuais esprits, qui

-- 23 --

ne nous visitant iamais que pour nous faire du desordre & de
la peine, dont nous faisons vne funeste & cruelle experience, &
le Roy semblablement qui y rencontre plustost la diminution
de son authorité que le restablissement d’icelle, s’aneantissant
autant que la fortune du Mazarin augmente, qu’il a pour [1 mot ill.]
de cimenter de nostre sang, dans les vengeances qu’il medite il
y a si long-temps auec la Reyne, sans aucun respect de Dieu,
ny des sermens souuent reïterez deuant sa Majesté supreme,
dont le mépris doit attirer nostre hayne implacable, & fortifier
nos défiances en son endroit, & de nous vnir au contraire auec
Mr le Prince, qui par quelque voye que ce puisse estre a iuste
raison de combattre le parjure & l’infidelité sous laquelle on le
veut accabler auec tous les peuples, qui ne sont criminels qu’à
cause qu’ils sont genereux, & qu’ils se sont declarez ennemis
du plus scelerat de la terre, vitia dum prosunt, peccat qui recté facit.

 

Enfin, Mr le Royaliste, vous concluez auec beaucoup de ruze
& de subtilité, qu’il n’y a point de paix telle qu’elle puisse estre,
qui ne soit meilleure que la guerre entre des Citoyens, que le
mal est pire que le remede, que nous traiterons de bonne foy
sans crainte de seruitude ; & ne faut pour nous guerir veritablement,
que nous laisser tromper en apparence, & nous imaginer
que ce qui s’est passé depuis 1649. iusques à present soit le sujet
d’vne longue nuict, c’est à dire reuoir le Mazarin sur le Thrône,
& nous dans l’esclauage le plus dur & le plus rude qui ayt iamais
esté. Car quelque addresse & subtilité qu’il y ayt en vostre discours
pour nous representer les charmes de la paix, & les horreurs
de la guerre, sçachez que nous tenons vos opinions pour
heretiques en cette matiere, qu’il n’y peut auoir de paix auec les
meschans, que nous le connoissons aussi bien sans foy deuant
que depuis 1649. que sa sincerité n’a pas esté plus grande eu vn
temps qu’en vn autre, que nous ne voulons point la paix de sa
main, timen Danaos & dona ferentes, ny l’acheter au prix de nostre
honneur, de nostre liberté, de nos vies, & de nos consciences,
qu’il n’y a que son absence, & de ses adherans, qui puisse calmer
nos inquietudes, & dissiper les nuages qui nous empeschent de
reuoit nostre Soleil : la clairté duquel reuenant sur nostre horison,
& illuminant nos yeux, les peuples qui n’ont iamais esté
desobeïssans qu’au Mazarin, continueront leurs respects & sous

-- 24 --

missions accustumées, les Princes dans le Conseil releueront
l’authorité Royale, & la France reünie de ses diuisions, & repurgée
de cette malheureuse & fatale secte des Mazarins, ioüira
de la bonace, & n’aura plus rien à craindre au dedans ny au
dehors : elle n’entendra plus ces inuectiues & declamations
detestables contre ses principaux Magistrats, qui seruent plutost
à signaler vostre passion que vostre suffisance.

 

L’Autheur de la Verité toute Nuë, partial comme vous du
Mazarin, a bien moins de chaleur, & beaucoup plus d’adresse à
frapper ses coups ; il s’insinuë auec tant de soupplesse, & cache
d’abord si bien les replis de son ame, qu’il semble auoir les intentions
droites, & de ne trauailler que pour l’vtilité de sa Patrie ;
il fait montre d’vne grande sincerité, & grande indifference,
pour preuue de laquelle il attaque les vices & les defauts
generalement d’vn chacun, afin de leuer tous les soupçons, &
d’effacer toutes les conjectures qu’on pourroit prendre contre
luy. Il fait dériuer de nos pechez la premiere source de nos malheurs ;
il s’attache en suitte à la mauuaise administration du
Cardinal de Richelieu, par le mauuais choix des personnes qui
les ont maniées. Il passe de là au temps de la Regence, & du
gouuernement du Card. Mazarin, qu’il ne fait qu’effleurer, &
ne touche que du bout du doigt, tant il a peur de luy faire la
moindre égratignure, & s’imagine mesme de iustifier la Reyne,
quand il dit, Qu’on ne la peut accuser sans injustice d’auoir eu
dessein d’amasser des tresors, puis que chacun sçait qu’elle doit
beaucoup, & n’a pû seulement acheuer le bastiment du Val de
Grace qu’elle auoit entrepris. Comme si la profusion incroyable
qu’elle en a fait iusques à soixante milions par chacun an,
sous le titre de cõptans, tirez de la sueur & du sang des pauures,
au profit de cét execrable Fauory, qui les a transportez hors du
Royaume, n’estoit pas mil fois plus criminelle que l’amas qu’elle
en auroit pû faire, que nous pourions esperer vn iour de voir
respandre dans les mesmes mains d’où il estoit sorty. Il rejette
de mesme toutes les exactions & les violences de ce Ministre insolent
sur la personne de Particelle, afin que proposant vn meschant
homme, il fasse tomber toute la haine & toute l’enuie sur
luy, comme si ses successeurs auoient esté plus gens de bien, &
que l’on n’eust point de connoissance de leurs maluersations effroyables,

-- 25 --

& particulierement du dernier, qui pour entrer en la
Surit tendance, a baillé quatre cens mil liures à ce Ministre, luy
en a fait toucher dix huict cens pendant six mois de son exil, &
joint la trahison à cette infamie. Et quãd il est question de parler
de Mr le Prince, de Mr le Cardinal de Retz, & du Parlement,
il depite, il injurie, il outrage les vns & les autres, il inuente de
nouuelles contumelies, & tasche de les deshonnorer par toutes
les voyes que sa passion luy peut suggerer, & nous r’amene le
Mazarin en triomphe, sous les apparences du bien bien, d’où
peut iuger si nostre Gymnosophiste est indifferent ; & a des
pensées conformes au bien public, Totius intustitiæ nulla capitalior
est quam eorum, qui tùm cùm maxime fallunt id agunt vt viri boni esse
videaniur.

 

Cic. 1. [1 mot ill.]

Il commence par le Parlement, qu’il attaque en differens endroits
par diuerses reprises, que nous refuterons en chaque lieu,
& premierement il l’accuse de lascheté de n’auoir pas préuenu
ces desordres, & de n’y auoir esté poussez que par leur interest,
lors que d’Emery voulust arrester leurs gages, qui les éueilla de
leur lethargie, & fit donner l’Arrest d’vnion & le reste.

Vostre égarement, Mr le Gymnosophiste, est bien plus grand
que de ceux ausquels vous l’imputez, vsant de si peu de moderation
dans vostre recit, de mensonge & de contradiction tout
ensemble : Car vous voulez qu’ils ayent esté lasches d’auoir
dissimulé ces desordres pendant quatre ans, & incontinẽt apres
vous voulez qu’ils n’ayent pas droit de le faire, & quand ils l’ont
fait qu’ils se soient de partis du respect deu à leur Souuerain, &
que ceux qui n’estoient pas de ce sentiment, en ayent tesmoigné
sur leur visage autant de douleur que les autres faisoiẽt de gloire
du nom infame de Frondeurs, qui sera en horreur à la posterité.
Vous voulez, & ne voulez pas, ils sont lasches de n’auoir
pas entrepris, & audacieux de l’auoir fait, n’ayant pas eu droict
de le faire ; où est vostre iugement ? Et moy ie vous responds,
qu’ils ont manqué de vigilance, que leur deuoir l’auoit deu exciter
long-temps auparauant, qu’ils ont ce droict de leur institution
aussi ancienne que la Royauté, dont quantité de nos Historiens
font foy : mesme les anciens Gaulois, selon cét vsage,
auoient leurs Druïdes, quid decidoient en certains lieux & certains
temps de toutes leurs affaires. De sorte qu’en peut dire,

-- 26 --

Mr le Gymnosophiste, que vous estes malicieux ou ignorant de
nostre Histoire & de nos mœurs, & que par l’vne ou l’autre de
ces raisons, ou toutes deux ensemble, vous auez pris sujet de
calomnier les Frondeurs, & d’en faire vn espouuentail, encores
qu’il doiue estre plus venerable à la posterité, que vous ne taschez
de le rendre hideux, nous ayans soustraits de la tyrannie,
& racheté nostre liberté, de laquelle ils ont jetté les fondemens,
& deuons tous bastir dessus, si nous auons du courage, & ne
sommes pas gens nez à la seruitude, comme ces infames Confreres,
gens de prests, pensionnaires & fauteurs de maltoste, desquels
Mr le Premier President de Pontoise est le chef & l’arc boutant,
qui trahissent leur honneur & leur conscience, le public
& leur Compagnie. Ce sont là ces gens de bien, qui gemissent
non de la defection supposée de leurs Confreres, mais de
l’esloignement du tyran de Sicile, parce qu’il est celuy de leurs
pensions & des Maltostiers, qui ont tant de fois repeté à la Reyne,
(cette Ville rebelle Madame) parce qu’elle n’en veut pas
souffrir le restablissement. Ah ! qu’il est aduantageux & preferable
d’estre le patriarche de la Fronde, plustost que du Parlement
bastard de Pontoise & de la maltoste ? & la posterité aura autant
de sujet de reuerer l’vn, que blasmer l’autre.

 

Vous errez encore au fait de l’Histoire de 1648. quand vous
dites, que le Parlement ne s’est éueillé qu’au bruit de ses gages
arrestez par d’Emery, & donné pour cela l’Arrest d’Vnion, parce
que si vous voulez dire la verité ou vous ressouuenir, ce n’est
pas le Parlement qui a prouoqué les autres Compagnies, ce
sont elles interessées par leurs gages qui l’ont prouoqué, & reclamé
sa iustice & son pouuoir. Et tant s’en faut que si vous voulez
consulter Mr le Premier President de Pontoise, alors Premier
President de ce Parlement, il vous dira que pour empescher
cét Arrest, il se seruit de cét argument contr’eux, qu’ils
estoient sans interest dans l’Vnion requise par les autres Compagnies,
d’autant que leurs gages n’estoient que de quatre cens
liu. & la Polette estoit de quatre cens vingt-cinq liu. dont parce
moyen le Roy les deschargeoit & faisoient profit de vingt-cinq
liu. D’où s’ensuit que c’est l’interest public, & non pas leur particulier
qui les a émeus comme la suitte l’a fait connoistre, &
qu’il n’y a point de fidelité en toute vostre narration, Qui [1 lettre ill.]ititur

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mendaciis, hic pascit ventos.

 

Vous n’estes pas plus fidele ny plus veritable enuers le Cardinal
de Retzs, le faisant complice des mouuemens que l’obseruation
de la tyrannie du Mazarin fit esleuer en ce temps-là par
ses grandes proscriptions qui produisirent enfin les [1 mot ill.]
Car ses plus grands ennemis vous attesteront qu’il s’est fortement
employé enuers la Reyne pour adoucir son esprit & la
desabuser, qu’il l’a prié souuentefois de ne pas laisser prendre
racine à ce mal naissant, & que ces petites bluettes de feu faute
d’y remedier, estoient capables de causer vn grand embrasemẽt,
& que renouuellant ses mesmes aduis le premier iour des Barricades,
vn des principaux Bouffons de la Cour luy fit insulte, &
le qualifia du nom de Tribun du Peuple, qu’il ne voudroit pas
refuser, cõme estant plein d’honneur, & luy appartient par deux
considerations, l’vne procedant de la charité du prochain qu’il
a éminemment, & possede autant que Pasteur du monde ; l’autre
de la haine qu’il porte, & qu’il a tousiours fait paroistre contre
les violences & les tyrannies du ministere, & l’interest qu’il a
dans la conseruation de cette Ville, dont la ruine seroit la sienne.

Vous allez de branche en branche, Apres le Parlement & le
Cardinal de Retz, vous entreprenez Mr le Prince, qui est vostre
principal dessein. Vous faites vn Paranymplic magnifique de
ses belles actions, & leur donnez quasi toute la splendeur & l’eclat
qu’elles semblent meriter, & dites que iusques alors il n’auoit
rien fait d’indigne de la grandeur de sa naissance, mais que
par vn changement estrange il est tombé depuis sa prison dans
vn abysme de tenebres ; de façon qu’au lieu de ioüir de ceux
belle reputation, & de ne penser qu’à reconnoistre par de nouueaux
feruices l’extreme obligation qu’il auoit au Roy de luy
auoir donné le Gouuernement de Guyenne, qui vaut trois fois
celuy de Bourgogne, on le vid se retirer de la Cour, aller en
Berry, passer en Guyenne, allumer la guerre de tous costez, se
saisir de l’argent du Roy, surprendre ses places, & s’oublier iusques
à tel point que de fléchir le genoüil deuant l’Espagne, rechercher
son assistence pour faire la guerre à son Maistre & à
son bien-faicteur, & pour comble de transport implorer le demon
à son secours en implorant celuy de Cromvel, sans que la
crainte de Dieu, ny le reproche de l’ingratitude & de la rebellion

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l’aye pû destourner du dessein qu’il auoit formé de se rendre
Maistre d’vne partie du Royaume, prenant pour pretexte le
retour du Cardinal, comme s’il ne se deuoit pas contenter de
se retirer en son Gouuernement ou dans l’vne de ses places, pour
de la representer au Roy le tort qu’il se faisoit en rappellant le
Mazarin, plustost que de mettre le feu dans le Royaume, & appeller
les Estangers à sa ruine.

 

Comme il est impossible de parler des actions de Mr le Prince
sans vne estime singuliere iusques au iour de sa prison, a la reserue
du siege de paris, & de la protection qu’il a départie au plus
ingrat & plus indigne de tous les hommes, & que vous ne pouuez
les passer sous le silence sans faire connoistre de la passion,
vous les auez infiniment eleuées, mais ce n’a esté que pour rendre
les autres qui ne vous plaisoient pas, plus difformes, & plus
odieuses par vne exaggeration aussi peu veritable que passionnée,
imitant son cher Royaliste, qui a deuancé toutes ses pensées,
& ont deub partant estre refutées par vne seule piece, de
crainte d’vne repetition ennuyeuse. Il n’y a icy que deux circonstancees
de plus, dont l’vne est fausse & l’autre ridicule.

La premiere est, que le Gouuernement de Bordeaux vaut
trois fois celuy de Bourgogne, lequel au lieu d’attirer la reconnoissance
de Mr le Prince auoit seruy de siege & de preparatifs
à sa rebellion. En quoy, Mr le Gymnosophiste, vous vous estes
fort méconté, parce qu’au contraire celuy de Bourgogne vaut
trois fois en reuenu celuy de Bordeaux. Et ainsi c’est vn simple
échange plus preiudiciable qu’aduantageux, qu’il n’a accepté
que pour faire cesser les mauuaises intelligences d’vn Gouuerneur
ambitieux & petulant auec les habitans de la Prouince,
lassez de ses debordemens publics & de ses violences, y remettre
le calme, & rendre ce seruice à l’Estat, qui n’est pas des
moins considerables, dans le danger qu’il y auoit de sa perte
euidente parmy l’iniustice & son desespoir.

La seconde est d’auoir cherché le secours de Cromvel, qui est
faux, & n’est pas blasmable quand il seroit vray, non plus que
celuy des Turcs ou d’autres barbares, par les raisons qui en ont
esté déduites, & d’auoir armé & formé le dessein de se rendre
maistre d’vne partie de l’Estat, sous pretexte du retour du Cardinal,
qu’à l’exemple de l’Esprit de Paix, vous dites qu’il falloit

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empescher par negociations & remonstrances, plustost que d’allumer
la guerre.

 

Y eust il iamais vne imbecillité semblable à la vostre, & ne
croyez vous pas prendre les hommes à la pipée, quand vous dites ;
Que pour empescher le retour du Cardinal, ou conclure sa
sortie, il falloit s’abandonner aux remonstrances & negociatiõs,
& sa personne à la misericorde de ses ennemis ; Y a-il quelque
ombre de iustice dans le Conseil du Roy depuis plusieurs années ?
y a-il quelque ombre de foy, ny de pieté ? l’injustice & la
cruauté, la fourbe & le parjure y regnent absolument : Mr le
Prince en a fait, au milieu de ses trophées, de ses seruices & de
ses conquestes, qui contrarient bien vostre imposture touchant
ses entreprises sur l’Estat, vne tres-rude experience, il en est sçauant
par ses propres maux, & ceux de toute la France. Et cependant
vous voulez qu’il ayt recours, & qu’il se fie aux negociations,
qu’il attende le succés des remonstrances, comme si ce
n’estoit pas frapper l’air, & les oreilles des sourds. Il a esté traité
en grand criminel au mesme temps qu’il mettoit la Reyne & son
Ministre sous ses lauriers à l’abry de l’orage qui grondoit iustement
sur leurs testes de tous costez, & vous voulez quand il se
declare contre l’ennemy commun, qu’il cede à la confiance, Si
in viridi hæc fiunt, in arido quot fiet ? C’est, croyez moy, vne proposition
si fade & si absurde, qu’elle choque toutes les regles de
la Prudence & de la Politique, & ne peut persuader que les innocens
ou les interessez.

Le Roy par vn tres-sage Conseil, dites vous, voyant la retraite
de Mr le Prince de sa Cour, va en Berry, s’asseure de Bourges,
s’aduance, & ses approches ne furent pas capables d’arrester
son audace, mais qu’il reconnut eu peu de temps la difference
qu’il y auoit de combatre pour le seruice du Roy sans rien craindre,
ou de sentir sa conscience bourelée, & d’auoir continuellement
deuant les yeux l’image d’vne prison si le sort des armes
luy estoit contraire.

Prenez garde que vous venez de dire deux lignes auparauant
que Mr le Prince deuoit se contenter de se retirer dans son Gouuernement,
ou l’vne de ses places, pour faire entendre au Roy ce
qu’il desire, & en mesme temps qu’il ne se deuoir pas esloigner,
& que le Roy par vn tres-sage Conseil resout le voyage de Berry.

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Dites plustost par vn pernicieux Conseil : Car vous accordez
vous mesme qu’il auoit droit de se retirer ; s’il l’auoit, pourquoy
le poursuiure ; & si on le poursuit, pourquoy ne se mettra-il pas
en estat de se defendre. Il est permis de repousser la violence, elle
est toute claire puis qu’on le poursuit, & que iusques alors par
vostre adueu il auoit tant merité, & n’auoit rien fait d’indigne
de sa naissance ; Il n’auoit pas les troupes d’Espagne, qui est la
seule màtiere de crime que vous trouuez en luy, il ne les a recherchées
ny receuës que depuis qu’on a assemblé tout ce qu’il
y auoit en France de troupes contre luy sous la conduite du
Comte de Harcour, qui a paru grand Capitaine, lors qu’il a eu
trois fois autant de troupes que Mr le Prince, sur lequel il n’a
iamais eu d’aduantage neantmoins tant son courage & sa prudence
est égalle par tout dans le petit & dans le grand nombre,
comme il a fait paroistre à la bataille de S. Anthoine, où il a
combatu & vaincu auec quatre mil homme contre douze, parce
que sa cause est iuste, & qu’il defend les Loix & la Patrie.

 

Ce que vous mettez en auant du retour du Cardinal solicité
par Mr le Prince, lors qu’il se vid à des extremitez perilleuses,
est vn vray Roman & vn vray Paradoxe, qui témoigne bien l’imbecillite
de vostre raisonnement, & de l’excés de vostre passion,
de faire Mr le Prince autheur de ce retour, qu’on sçait n’auoir
esté concerté que pour son oppression, comme l’on esperoit fans
ressource ; c’est vn estrange aueuglement de luy imputer les vices
de ses ennemis faute de matiere, & ne sçauoir plus que dire
contre luy, qui ne serue à sa iustification.

Si Mr le Prince d’vn costé rappelle le Cardinal, on veut, tant
le mensonge est hardy, que Mr le Duc d’Orleans de l’autre n’aye
pas empesché son passage l’ayant pû, comme si mil ou douze
cens hommes qui obeїssoient à ses ordres, eussent esté capables
de s’opposer à huit mil hommes que le Cardinal amenoit.

Examinons maintenant la recharge qu’il fait sur le Parlement,
que l’on accuse d’entreprendre sur l’authorité du Roy, & que
l’on couure d’opprobres, parce qu’il a surcis l’effet de la Declaration
contre Mr le Prince, verifiée contre luy, qui le declaroit
criminel de leze Majesté, & luy a donné seance sur les Fleurs de
Lys, à quoy il n’y eust que le President Bailleul qui ayt osé resister,
qui en receu vne grande huée, qui montre bien de quelles

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gens cette Compagnie est remplie, degenerant si fort de la
gloire de ses predecesseurs, plus propres au Bal & à la Comedie
qu’à leur profession, violans les loix qu’ils sont obligez de
maintenir.

 

Le Parlement a verifié la Declaration contre Mr le Prince,
cela est veritable : Donc c’est vne entreprise sur l’authorité du
Roy d’en auoir surcis l’execution. Cela est faux, & voicy la
raison qui fait qu’on ne luy a pû denier sa place sur les Fleurs
de Lys. La Declaration ne le fait criminel qu’a cause qu’il a les
armes à la main sur vn faux pretexte du Mazarin. Or est il que
dés lors & auparauant, son retour estoit preparé, le Premier
President de Ponthoise & Garde des Seaux luy ayant se este
vne commission dés le mois de Nouembre : Et par consequent
ce n’estoit point vn pretexte, mais vne verité que le temps a découuert
malgré toute la finesse de ce funeste Conseil, qui a exigé
cette sur seance de leur Iustice, que les seuls pensionnaires du
Mazarin ont empesché tant qu’ils ont pû, leur honneur & leur
conscience estant attachée à cette corruption, bien plus blasmable
que le luxe des habits dequoy vous faites vne rigoureuse
censure & description, ne trouuant pas de moyen de là faire
contre leurs mœurs & leur integrité, qui n’a point fléchi sous
les menaces & les tyrannies, les graces & les faueurs du Cardinal
Mazarin, comme ces infames du Parlement de Ponthoise,
qui sont allez porter leurs sacrifices à cette Idole.

Si d’ailleurs le Parlement par des scripules & des lenteurs
ennuieuses a causé de grandes defaillances au Public & à l’Estat,
ie ne les accuse pas : Si Mr le Cardinal de Rets a trauersé son
repos & son vtilité par des intrigues malheureuses, & peruerty
les bonnes intentions de Mr le Duc d’Orleans, dont ie ne vois ny
preuue, ny apparence, il tombera le premier dans le piege qu’il
aura voulu dresser aux autres. Si Mr le Prince veut conseruer le
Mazarin & toute sa sequele pour ses interests particuliers, &
qu’il entretienne des negociations pour ce sujet, qui ne peuuent
tomber dans mon esprit, ayant couru des dangers si grands & si
apparens, & n’ayant point de guarentie suffisante pour le mettre
à couuert, il en encourera sans doute les inconueniens, & payera
bien-tost les peines des desordres que cette perfidie a causé &
cause tous les iours, de laquelle Dieu nous vengera, Mais il ne

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raut pas pour cela ou faire, ou conseiller vne lascheté, il ne faut
pas frayer le chemin de la tyrannie, qui sera bien plus rude, &
de plus de durée que tous le maux que nous endurons, qui s’éfaceront
en vn moment, il faut réueiller nos courages, & les
animer à la defense de nos loix, de nos vies, & de nos libertez,
Tu ne cede malis, sed contra audentior ito : Il se faut faire des boucliers
de sa propre vertu, & affronter les perils qui sont moins
grands qu’on ne nous les figure. Nous en auons les moyens en
nos mains, que dieu fortifiera autant que nostre cause est juste,
Fortes fortuna adiuuat. Tous nos passages sont tantost ost bouchez,
& fait-on venir des troupes de tous costez pour acheuer le reste,
préuenez ces malheurs, & rompez tous ces obstacles, nos
ennemis sont en petit nombre, la victoire en est facile ; toute
leur confiance est dans nos diuisions & nostre lethargie, il est
aysé de bannir l’vn & l’autre si nous le voulons ; & si vous voulez
que ie vous explique mes derniers sentimens, il faut leuer
du monde, qui sera fourny & entretenu par chaque Compagnie
selon sa force, iusques à ce que l’on aye fait d’autres fonds,
dont la rencontre & le recouurement est facile & plein de iustice,
les deserteurs de leur Patrie d’vn costé qui sont tous abondans
en richesses, desquels vous vendrez les meubles s’il s’en
trouue, & les abbatis de leurs maisons, afin de laisser cette marque
d’ignominie à la posterité de leur defection ; Et les Partisans
de l’autre, & tous ceux qui sont engraissez du sang & de la
sueur des Peuples, comme sont les Tubeufs, qui a augmenté
son patrimoine consistant en sept ou huict mil francs pour tout
partage, de quatre cens mil liures de rente ; des Lamberts, Bretonuilliers,
des Combalets & Richelieu, qui en possede chacun
autant, & d’vne infinité d’autres qu’on indiquera en temps
& lieu : Et ainsi vous ferez la guerre aux despens de ceux qui
vous la causent, vous abbatrez vos ennemis à vos pieds par leur
propre poids, & iouïrez d’vne felicité durable & fans seconde.

 

FIN.

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Anonyme [1652], L’ANTIDOTE AV VENIN DES LIBELLES DV ROYALISTE, A AGATHON, ET DE LA VERITÉ NVE. , français, latinRéférence RIM : M0_88. Cote locale : B_17_23.