Anonyme [1652], L’A SÇAVOIR SI NOVS AVRONS LA PAIX, ET SI NOSTRE GVERRE CIVILLE s’acheuera bien-tost. , françaisRéférence RIM : M0_9. Cote locale : B_16_11.
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L’A SÇAVOIR
SI NOVS AVRONS
LA PAIX,
ET SI NOSTRE
GVERRE CIVILE
s’acheuera bien-tost.

NOS Passions pour la Paix sont
bien vehementes, puis qu’elles
contraignent les Personnes les
plus Eminentes de l’Estat, à la
pourchasser auec des abbaissemens
d’Esclaues, tandis qu’on
la refuse auec des cruautez meurtrieres, aux humbles
supplications de tous les Sujets, aux Remonstrances
du Clergé : Et ce que i’y trouue de pis,
à la Raison qui le cõmande, aux Interests qui nous
y conuient, & aux dangereux symptomes qui nous

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en pressent. Les Nochers en effet, qui après de perilleuses
nauigations, se trouuent encore battus de
l’orage à la veuë du port, n’ont point tant de suiet
de le desirer, que dans le trouble où nous sommes,
nous en auons de soûpirer après ce calme, afin qu’il
nous ayde à reparer vn peu les ruines & les naufrages
que nous auons faits durant cette saison, de seditions,
de carnage, & de pilleries sans exemple.
Il est vray qu’on ne se peut figurer de regne plus
cruel, plus sanglant, & plus inhumain, que celuy
que nous auons veu depuis quelques années : Mais
si ce regne a des horreurs incomparables ; & si la
posterité doit rougir pour nous, de l’indignité de
nos dernieres souffrances ; Ce que nous auons
souffert auparauant, lors que la guerre ne déchiroit
pas encor, pour ainsi dire, les entrailles du
Royaume, & que nous l’entretenions seulement
au dehors, estants obligez de contenter l’auarice
& l’ambition de ceux qui la souldoient, n’a pas
eu moins de rigueur & de cruauté. C’est pour cela
que n’ayants veu dans nos iours que des miseres &
des actes de Tyrannie intolerable : mais d’vne Tyrannie
qui se déchire & se détruit enfin elle-même
comme les Soldats de Cadmus : Et qu’ayant,
sçeu de nos peres qu’ils ont coulé dans vn autre
siecle quelques années parmy les delices & l’abondance,
& qu’vn temps si fauorable portoit le doux

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nom de Paix ; nous souhaittons le retour de ce
bien auec des vœux si pressants & si generaux, que
le Ciel ne semble receuoir nostre encens que pour
ce seul bien, & que tout ce qui nous le retarde nous
semble produit par l’Enfer, pour adiouster à nostre
malheur. Sans mentir, puis qu’vn contraire rend
témoignage de l’autre, quand nous n’aurions
point d’autres preuues des biens que la paix fait
naistre que par les maux que la Guerre cause, nous
la deurions croire tout à fait souhaitable, puis que
celle-cy qui nous tient comme accoustumées à sa
souffrance n’a rien que de funeste & d’affreux, &
ne nous fait voir que des monstres & des prodiges.
Ie n’ay point besoin d’éclaircir ce poinct aux lieux
où nous sommes, puisque le Peuple de Paris est
assez instruit par ses pertes & par les massacres &
les embrasemens qu’il a veus autour de ses murailles,
que la Guerre est le plus rigoureux & le
plus redoutable des fleaux du Ciel, en ce qu’il
traisne après soy necessairement les deux autres :
Et c’est ainsi qu’on ne peut douter que la Paix
pour estre infiniment desirable, ne soit toute plaine
de charmes & de douceurs ; & que comme la
Guerre fait marcher à sa suite les plus cruelles
d’entre les furies, celle-cy ne soit accompagnée
des graces & des amours, & de ce qu’il y a de
plus riant & de plus delicieux dans la nature, puis
qu’elle est le souuerain remede à ce mal qui nous

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fait souffrir tant de disgraces. Ie puis d’ailleurs
soustenir que comme la santé paroist le fondement
de tous les biens que nous depart la Nature,
la Paix est le veritable principe de tous ceux
que la Fortune se plaist de nous communiquer ;
& que comme les dons du corps & de l’esprit semblent
inutiles sans cette force interieure, qui resultant
du bon temperament de nos humeurs, & des
qualitez qui le composent, donne la grace au
teint, & le coloris au visage, & nous rend adroits
& dispos pour exercer toutes les fonctions de la
vie, les richesses, les charges, les benefices, &
les autres aduantages que possedent les personnes
plus qualifiées ne seruent de rien sans cette
Paix, qui naissant de la bien-veillance que les
parties qui composent l’Estat ou le corps politique
ont les vnes pour les autres, & d’vne parfaite
concordance & harmonie, répand vn eclat
merueilleux sur toute sa superficie qui est entr’elles,
qui donne de l’amour à tous ceux qui le considerẽt.
Il resulte de là que la paix ne compatit point auec la
haine que l’vne de ces parties porte à l’autre quand
elle en a receu quelque offence, & que la premiere
se voyant tousiours la plus forte, redouble
l’outrage pour repousser l’iniure qu’elle croit
receuoir de cette haine de l’autre, toute impuissante
qu’elle est. C’est pour dire qu’en vn Estat où
les suiets sont opprimez par le Prince, bien qu’il

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paroisse tranquile au dehors, il n’y peut iamais
auoir de calme qui soit digne du nom de Paix,
puis que cette tranquillité n’est veritablement
comparable qu’à ce silence contraint que des Maistres
rigoureux obtiennent à force de coups sur des
Esclaues outragez qui l’vlcere dans le cœur, sentent
d’autant plus de trouble dans l’ame que leurs
ressentiments captiuez y renferment toute leur
violence qui se change enfin en rage & fureur.

 

Ie ne doute point, cher Amy, que vous ne
sçachiez parfaitement qu’vne paix de cette nature
a plus de rigueur, qu’vne Guerre quelle qu’elle
soit, & que Tacite mesme est d’aduis, que
l’échange mesme en est avantageux, pour vn
peuple qui n’est pas tout à fait depourueu de generosité,
puisque c’est de luy que nous tenons ce
beau sentiment, malam pacem vel bello bene mutari.
Vous ne doutez pas aussi que nous n’ayons depuis
peu fait l’épreuue de l’vn & de l’autre. Le
feu Cardinal, d’heureuse memoire par sa conduite
tant loüée depuis, & qu’il regla sur celle de
Tybere, & de quelques autres Tyrans, fist durer
cette affreuse Paix, dont son successeur l’eminentissime
Iule Mazarin nous fist vne guerre ouuerte,
quand il trouua bon d’enleuer de nuict nostre
ieune Monarque de sa bonne Ville de Paris.
Le Parlement aussi feignant de leuer les armes
pour reduire la tyrannie, & dans les termes d’vne

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iuste puissance, & n’opposant que des prieres seruiles
à la rigueur de ses outrages, après qu’on veit
des escadrons formez de part & d’autre, rendit
la playe plus grande, & l’vlcere beaucoup plus
profonde. Tous les Traitez, les Intrigues, & les
efforts qu’on a faits depuis des deux costez, n’ont
fait qu augmenter le mal, & tandis que les vns
vsants d’vne fausse politique qui leur persuade
qu’il est permis au Souuerain de tout promettre
à ses Sujets pour les remettre sous son obeyssance
lors qu’ils se sont vne fois soûleuez, & de ne rien
tenir de ce qu’il a promis, ne se veulent point
relâcher de la rigueur qu’ils exerçoient sur eux
auparauant, & que les autres portent impatiemment
le ioug de cette affreuse seruitude, & tiennent
leurs sentiments balancez entre la reuolte &
l’obeyssance forcée, vne querelle émeuë entre les
principaux Chefs de la Maison Royale pour des
interests particuliers, a porté les choses dans l’extremité,
& réueillé tous les ressentimens des deux
partis. Le pretexte que Messieurs les Princes n’ont
manqué de prendre en témoignant qu’ils tendoient
à l’expulsion de Mazarin, l’ancien Ennemy
de la France, a ietté de leur costé la faueur
de la Ville de Paris, & de tous les Peuples. Et
si l’on a esté forcé de faire en public des prieres
pour la prosperité des armes du party contraire,
l’on en a fait en secret pour cettuy-cy, & l’on a

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tousiours craint la victoire de l’autre, comme vne
resource de malheurs, & vn renouuellement de
tyrannie : Mais enfin l’on a reconnu par diuers
témoignages qu’ont rendu de leurs intentions les
Chefs du party le plus fauorable, qu’ils n’auoient
gueres de meilleurs desseins que les autres, &
que s’ils auoient vn iour l’avantage, ce seroient,
comme dit Tacite, d’autres hommes, & non d’autres
mœurs. L’on a veu que tout ce qui les tenoit
en armes, n’etoit que le dépit de ne donner
pas à leur gré le bransle à l’Estat, de voir vn
Estranger disposer à leur préiudice des principales
charges, & des reuenus de tout l’Empire, sans
que l’interest du public, & du bien des Peuples,
se mêlast à leur passion, pour les oblige de prendre
nostre cause en main pour se rendre plus fauorables ;
C’est ce qui sans doute auroit detaché
tous les cœurs du desir de se sacrifier pour leur
seruice, si ceux du party de la Cour n’auoient
voulu nous traitter tousiours en esclaues ; & ne
s’estoient monstrez si fort insolents dans les moindres
avantages qu’ils obtenoient sur leurs ennemis,
qu’ils ne nous menaçoient de rien moins que
de sac, & des dernieres extremitez : D’où vient
que comme naturellement nostre inclinatiõ nous
porte à fauoriser tousiours le party des plus foibles,
& que nostre haine agit plus fortement
contre vne rigueur opiniastre & éprouuée que

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contre vn mal à venir, & qui ne nous est pas tout
à fait connu : Nous auons tousiours porté nos
vœux au bien des Princes, au preiudice des interests
de la Cour, dans la croyance que nous ne
nous pouuions éprouuer vn ioug plus rude que
celuy du Mazarin ; Et que ces ieunes Seigneurs
que leur courage éleue à des choses plus hautes
& des entreprises plus heroïques, ne s’amuseroient
pas à maltraitter les miserables comme ce coquin
d’étranger : Et s’ils auoient besoin d’argent, le chercheroient
genereusement dans les bourses des Partisans,
où ils le trouueroient en amas, & seroient
loüez de s’en saisir. Cependant il faut auoüer que
les vns & les autres ont perdu tant d’occasions de
mettre le party contraire à bas ; & nous ont fait
éprouuer tant de disgraces, qu’il nous est arriué plusieurs
fois de dire comme Domitian ennuyé du
recit des foudres présageans sa mort, qui tomboient
sans cesse sur la Ville de Rome, feriet iam
quem volet.

 

En effet, tantost les vns & tantost les autres,
venants iusques aux portes de Paris piller & faire
des courses, & détroussans de tous costez les passants,
ont monstré que leur principal dessein étoit
de faire la guerre au paysan, qu’ils ont reduit pour
la pluspart à l’Hospital ; mais les vns & les autres
se sont si fort lassez dans ces pilleries, & les Parisiens

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ont monstré si peu d’engagement enuers
l’vn ou l’autre party, qu’on voit bien qu’ayants
tousiours attendu de receuoir la loy du vainqueur,
& ne voyants ny vainqueur ny vaincu de l’vn ny
de l’autre costé, ils tendent à remettre les choses
au premier estat, auec vne ardeur d’autant plus
grande, qu’ils ne peuuent voir ce qu’ils pourroient
esperer dans la victoire mesme des Princes.

 

Ie sçay bien que la Cour qui flate son orgueil
des indignes soûmissions des Parisiens, ne veut
point de paix si elle n’en fait elle-même les conditions ;
qu’elle écoute tout à condition de n’accorder
rien, ou de ne tenir rien de ce qu’elle aura
promis, & qu’elle croit que son Prince est la Loy
viuante & animée qui iustifie tout ce qu’il luy
plaist : Mais si ie ne me trompe dans les iugements
que ie fais, fondé sur de puissantes coniectures,
vn plus puissant Ennemy que les Princes la combat ;
Et cét Ennemy qui commence à punir ses
iniustices passées par son aueuglement, & par ses
erreurs, n’est point autre que le Ciel, qui ne peut
plus souffrir qu’elle tienne les innocents dans l’oppression,
cependant qu’elle éleue les coupables
dans les honneurs & les plus grandes dignitez.

Il luy permet en effet d’auoir des faulses ioyes,
& de vaines esperances, comme de douces illusions
à sa vanité ; mais lors qu’elle se croit au poinct

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de saisir le bien qu’elle s’est promis, elle sent que
sa main qui la tient attachée à des filets inuisibles,
la retire soudain en arriere, & la replonge dans la
crainte & dans la terreur. Mais laissant à part ces
veritez qui semblent sentir la vision & le songe,
n’est il pas vray que c’est par la continuation de
ses iniustices qu’elle est tombée dans le labyrinthe
où elle est à present, & dont elle ne croit
pouuoir sortir qu’auec l’ayde du fil qu’elle demande
aux Parisiens pour l’en tirer ? Que fera-t’elle
autrement qui luy soit honorable & salutaire
à la fois, si voulant sauuer son authorité
qu’elle croit engagée en cette entreprise, elle ruine
son empire & ses Suiets ? Et si voulant sortir
d’vn danger elle tombe en vn beaucoup plus
grand, il faut qu’elle reconnoisse que ses desseins
ne sont combatus d’enhaut, que parce qu’ils sont
veritablement tyranniques, & que ses forces sont
inégalles à celles du Ciel & de la Terre vnies pour
la choquer, à moins qu’elle prenne des resolutions
plus iustes & plus equitables. Il faut
qu’elle se souuienne que par vne longue suite
d’outrages qu’elle nous a faits, elle a presque
desraciné l’amour que nous auions pour nostre
Roy, & qu’elle tasche à le rétablir par des
bien faits aussi nombreux & aussi grands. C’est
ce qui fait que les Chefs des Troupes Espagnoles

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sont aussi bien-venus parmy nous, que les siens
y sont hays & redoutez ; parce que nous ne voyons
point de remede, pour cruel qu’il soit, qu’il
ne nous paroisse agreable, quand il nous promet
quelque allegement à la rigueur du mal que nous
souffrons ; Et que nous sommes rauis de veoir
que ceux qui se sont lassez à nous mal-traiter
soient eux-mesmes dans le trouble & l’embaras.
C’est ainsi que nos maux estans en quelque façon
soulagez par la connoissance de ce qu’elle
souffre, nous osons esperer que ce double ressentiment
de sa souffrance & de la satisfaction
que nous en receuons, l’obligera d’entrer dans des
sentimens plus humains & plus raisonnables pour
nous rendre le calme, en le rendant à ses peuples qui
ne soûpirent qu’apres ce bien. Elle pensera que
l’oppression des innocents est la veritable cause
de la subuersion ou reuolution des Estats, & sentira
les pointes d’vne cuisante douleur, à voir son
Royaume en proye aux Espagnols, aux Allemands,
& aux Anglois ; sçachant que ce mal n’arriue
que par son obstination & sa faute ; en ce
qu’elle veut tousiours faire des exactions impunement,
& conseruer vn homme que la France
a suiet de hayr comme le perturbateur du repos
public, & l’ennemy de tous ses Peuples.

 

Il est certain en effet que les Princes qui ne

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font aucune declaration en nostre faueur, n’en
auroient pas rencontré tant qu’ils ont fait parmy
nous, si nous n’auions hay sur tout le gouuernement
de la Cour, dont le conseil n’estant composé
que d’Estrangers, de vagabonds, & de fugitifs,
ne peut tendre au soulagemént de nos Prouinces,
puis qu’il n’a point d’interest en nos miseres ;
qu’il regarde d’vn œil indifferent, ou qui
le charment d’autant plus que ceux qui le composent,
tirent leur gloire & leurs avantages de
nos disgraces & de nos pertes. Quoy donc ? sera-t’elle
tousiours vagabonde comme elle est, reduite
à prier qu’on la prie, & briguer dans Paris,
ou plustost faire achepter la voix de quelques
malheureux qui publient sa foiblesse & sa honte,
en craignant de former le cry de Viue le Roy, parce
qu’il leur est prescrit d’y adiouster, point de Princes,
comme si c’estoit desormais vn larcin de ietter
ce premier cry ; d’autant que qui dit hautement
Viue le Roy, semble dire secretement viue Mazarin,
& son conseil : ne faut-il pas croire plustost
qu’elle a bien-tost acheué sa penitencé, puis qu’il
y a plus de neuf mois qu’elle rode incertaine autour
de Paris, & que par consequent sa neufuaine
est passée, si ce n’est qu’elle la doiue continuer
autant de temps qu’elle en a mis à former nos
desordres & nos supplices. Mais en fin n’a-t’elle

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pas bien-tost fait le tour de la petite France, qui
est Paris : puis que S. Germain, Chilly, Corbeil,
Melun, S. Denys, Pontoise, Meulan, & Mante,
ont esté tour à tour honorez de sa presence ; Où
fera-t’elle encor ses stations auant que d’entrer à
Paris ? ou n’y reuiendra-t’elle point que la France
ne soit tout à fait ruinée ? N’a-t’elle pas assez causé
de ruines & souffert assez de fatigues : Et la maligne
honte qui l’empesche de ceder aux puissantes
menaces du Ciel, & à la colere de la Terre, ne
trouue-t’elle pas son excuse, son pretexte, & sa
dispence, dans les instantes prieres que luy font
nos principaux Bourgeois de reuenir en cette bõne
Ville, qui est son veritable séiour ? Non, non, il est
temps, ou iamais, qu’elle deuienne plus sage à
ses despens, puis qu’elle ne peut en abuser desormais
sans se confondre, & qu’il y va d’vn bien
qui n’est pas d’vn prix commun, puis qu’il y va
de la perte du Royaume, & de la Couronne ; qui
sans mentir a depuis peu de mois perdu beaucoup
de son brillant & de son éclat.

 

Messieurs les Princes d’ailleurs ont trop d’amour
pour la France, pour souffrir qu’elle deuienne
la proye ou la conqueste d’vn Estranger,
& trop de cœur pour en dépendre seruilement.
S’ils n’en veulent qu’au Mazarin, ils sçauent qu’il
ne court pas moins de risque en paix qu’en guerre ;

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Et s’ils desirent quelque chose de plus qu’ils
n’osent témoigner ouuertement, ils voyent clairement
que leur pretention est inutile de ce costé-là,
puis qu’ils n’ont point d’autres forces que celles
de l’Espagnol, qui n’a pour but que d’entretenir
la guerre en France, & non de les rendre
maistres de quelque Prouince du Royaume. En
effet, des Chefs si braues & si remuants ne luy
plairoient pas pour voisins, & ne luy donneroient
pas tant de prise sur eux, que celuy qui tient à
present le tymon. Ils voyent que les Prouinces
ne prennent point leur party, comme elles l’auoient
fait esperer d’abord : En quoy certes elles
font paroistre vne prudence non mediocre, puis
qu’elles ont connu depuis, que Messieurs les Princes
ne prennent point de part en leurs afflictions
pour les proteger. D’ailleurs, si ceux-là ne révent
point, qui disent aprés Mucian chez Tacite,
que les pistolles sont les nerfs, des guerres ciuilles :
Il y a peu d’apparence que le party de
Messieurs les Princes qui manquent en quelque
façon de cét appuy, puisse long-temps subsister,
outre qu’vn corps dans lequel plusieurs ames s’agitent,
se dissout facilement : comme vne nuée
dans laquelle il y a plusieurs foudres, qui font
qu’elle se rompt bien-tost ; lors qu’il viennent à
se choquer dans son sein mesme.

 

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Mais quels obstacles empeschent que cette Paix
ne s’acheue au gré de toute la France, puis qu’on
n’insiste nullement sur le soulagement des Peuples,
& la punition des Partisans, dont on n’a
seulement pas fait mention en cette derniere
guerre, & fort peu sur l’eloignement de Mazarin.
Certes des suiets fort legers en apparence,
ou plustost des bagatelles, comme vne exception
qu’on veut mettre dans l’Amnistie touchant Marcin
& le Comte du Daugnon, l’vn auquel on
impute la desertion de la Catalogne, & l’autre
qu’on accuse de concussions & de brigandages
sur les Suiets du Roy, & quelques autres illusions
de pareille étoffe, auec quelques formalitez qu’on
desire de part & d’autre, pour l’ostentation &
pour la mine seulement ; mais en verité, des considerations
importantes du costé de la Cour, qui
ont pour fondement la precaution de la Reyne
dans la crainte qu’elle soit empeschée en suite
d’entrer au Conseil, qu’on n’en change toutes
les personnes qui sont de sa faction, & qu’on
n’éloigne tout à fait Mazarin du Gouuernement.
Et tousiours cette honte de ceder & de paroistre
vaincuë, aprés auoir fait tant de bruit pour ne
l’estre pas : Mais toutes ces considerations sont
foibles en comparaison des biens qui peuuent
naistre de la Paix : Et c’est ce qui me fait esperer

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que cette Reyne qu’on voit souuent en priere
au pié des autels, y prendra quelque sentiment à
nostre avantage, & ne voudra plus souffrir que
l’interest de sa passion fasse obstacle au bien de
tout son Empire. Pour ce qui est de Messieurs
de Paris & Nosseigneurs du Parlement, on ne
peut voir des testes plus preparées à la seruitude.
On a beau rebuter en Cour leurs Deputez, ils y
volent tousiours auec ioye, & ne leur importe
s’ils s’exposent tous aux rigueurs de la tyrannie
Mazarine, pourueu qu’ils ayent leur Roy dans
leurs murailles. Miserables qui croyent que le
Roy vienne sans la Reyne, la Reyne sans le Mazarin,
& le Mazarin sans son esprit de vengeance,
de desordre, d’auarice, & de sedition. Mais
que dis ie, l’hyuer approche, & la riuiere qui leur
apportoit le bois de flote les autres années, a esté
tout cét Esté tousiours glacée malgré les chaleurs
depuis plusieurs mois, sans leur fournir aucune
commodité du costé d’enhaut, c’est ce qui cause vne
des vrgentes necessitez de faire la paix, à laquelle
nous deuons haster d’applaudir pour l’obliger à
nous venir veoir bien-tost, & l’enchaisner auec
des chaisnes de diamants, afin qu’elle soit ferme
& durable, si elle se resout à nous venir trouuer,
comme ie l’ose croire fondé sur toutes ces belles
apparences.

 

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Voila, Cher Amy, tout ce que ie puis te dire
sur vn suiet d’vne si grande importance, sans que
ie presume de mes foibles raisons, qu’elles ayent
le pouuoir de te persuader ce que i’ay mis en auant ;
& veritablement connoissant la vicissitude & l’instabilité
des choses humaines, comme ie fais, ie
ne me voudrois pas rendre la caution de ma promesse :
mais comme il faut tousiours incliner en
la bonne part, ie seray par tout loüé de cette pensée,
& ie te prie d’en fauoriser le presage, & d’interpreter
en ma faueur ces termes de ie ne sçay
quel endroit dans la Sainte Escriture : O quam speciosi
sunt pedes euangeliz antium pacem euangelizantium
bona. Mais en verité la guerre de la façon qu’on
la fait à present, ne semble-t’elle pas déja porter
vn visage de paix, pour nous faire esperer qu’elle
se changera bien-tost d’elle mesme en son contraire ?
en quoy nous sommes obligez de rendre
graces à la douceur & à la benignité du climat de
Paris qui tempere ainsi l’aigreur & l’horreur des
choses les plus ameres & plus terribles.

FIN.

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