Anonyme [1652], LETTRE RENDVË AV ROY EN PARTICVLIER, Pour luy representer les dangers ausquels les Princes exposent leurs Estats en poussant à bout la patience de leurs Peuples. Prouué par les Exemples tirez des Histoires Anciennes & Modernes, Estrangeres & Domestiques. , français, latinRéférence RIM : M0_2254. Cote locale : B_2_34.
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LETTRE RENDVE
au Roy en particulier.

SIRE,

Il ny a personne à qui les sujets se
doiuent plustost adresser qu’au Monarque
dans vn temps auquel on ne
voit plus regner que la fureur & le desespoir : Les Peuples
sont les enfans, les Roys en sont les peres ; à qui crieront-ils,
Sire, pendant que les loups rauagent & rodent de tous costez
pour rauir & deuorer vostre chere geniture ? On s’est
adressé à vostre Conseil, on a conjuré les entrailles de celle
qui vous a donné à nous : mais le premier n’épouse point vostre
plus iuste party, qui est de vous faire regner auec empire
& suauité ; Et Madame vostre Mere s’est laissée surprendre
aux souffles ou aux charmes de ceux qui vous enuironnent.
Apres auoir tant conjuré & tant remonstré en presence de
ceux qui inspirent & qui obsedent vostre sacrée Personne ;
Voyant que Vostre Majesté ne nous peut respondre que par
leur organe & leurs suggestions violentes, Nous auons iugé
& iugeons à propos de vous faire glisser vne Lettre secrette
pour parler à V. M. seul à seul, & luy faire toucher au doigt
les dangers, les inconueniens, les perils, funestes, euidens,
certains, ausquels les conseils Estrangers, & la douceur ou

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facilité naturelle que le respect donne aux Enfans pour les
Meres, vont exposer vostre Royaume, vostre Throsne, &
vostre Personne. Que V. M. Sire, se souuienne de la genereuse
resolution que prit Louis XIII. vostre Pere d’heureuse
memoire, d’esteindre la tyrannie dans le sang d’vn tyran
Estranger, qui appuyé d’vne Mere, & soustenu de ses
Partisans, vouloit disposer & abuser de son enfance, au preiudice
des Princes de son Sang, & de ses Peuples : Si cet
exemple d’hier ne vous touche pas ; lisez, Sire, dans ce petit
racourcy qu’vne Lettre vous peut estaler ce qui se passa
auant hier, dans le centre, dans le cœur, dans la circonference
de vostre Royaume, dans nos Frontieres, & chez nos
Voisins : les dangers & les ruines que les Princes trop coleres
ont attiré sur leurs Couronnes en voulant abbattre, fouler,
& victimer des Peuples supplians. Si V. M. auoit esté
informée des cruautez qui se sont exercées par toutes ses
Prouinces depuis le dernier Blocus de Paris, il ny a point de
Turc ny de Barbare qui n’eut horreur de penser à ce qu’ils
ont commis au cœur de ce Royaume : Mais ce n’est pas d’auiourd’huy
que l’on empesche d’aborder les Princes & les
Roys, pour leur faire entendre la verité, & leur faire connoistre
les desordres de leurs Estats : ce n’est pas d’auiourd’huy
que pour auoir entrée chez eux, il faut se seruir seulement
de paroles de soye. Chacun sçait, Sire, que vous estes
d’vn naturel extremément doux & misericordieux ; & voila
pour quoy aussi chacun se persuade assez qu’il faut de necessité
que l’on vous ait celé toutes ces barbaries. On nous
auoit asseuré de vostre foy, Sire, nous la tenions pour vn
gage tres-precienx de nostre future asseurance, & vn tesmoignage
certain que la paix que vous nous auiez donnée
n’estoit ny simulée, ny pour vn temps. Il ny a rien que des
Princes doiuent garder plus religieusement, que la foy
qu’ils ont donnée : Ils ne peuuent & ne doiuent iamais contreuenir
à leur parole, si ils ne se veulent voir bien tost abandonnez
de tous les hommes. Fides, dit Ciceron, est dictorum

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conuentorumque constantia & veritas, sic dicta quia fiat quod
dictum est. La foy consiste à tenir ce dont on est conuenu :
Si on y contreuient il ny a plus de foy : & c’est de là que n’aist
assez souuent la ruine, non seulement des particuliers & des
familles, mais aussi des villes entieres, & des plus florissans
Empires. Philippes de Macedoine, ayant pour quelque legere
occasion, entrepris de faire la guerre contre les Ætoliens ;
mais enfin ayant esté obligé d’en venir à vn accord,
parce qu’ils auoient appellé les Romains à leur secours,
garda si exactement la parole qu’il auoit donnée à l’ennemy,
que pour l’obseruer mieux de poinct en poinct, il se faisoit
lire tous les iours deux fois les articles de cette paix :
sçachant bien que nulla res vehementius Rempub. continet
quam sides, & que c’est elle, comme a fort bien dit depuis
Quinte-Curse, qua stabilit & aternum facit Imperium.

 

Ce Philippes estant mort, & Perseus son fils luy ayant
succedé à la Couronne, Onesimus, Gentil-homme Macedonien,
qui auoit esté l’vn des plus fidelles conseillers de
Philippes, remonstra par plusieurs fois au Roy Perseus,
qu’il deuoit à l’imitation de son pere, tenir tousiours dans
ses mains, & lire le plus souuent qu’il pourroit ce traitté,
pour le faire obseruer inuiolablement : Perseus d’abord se
mocqua des remonstrances d’Onesimus : mais comme il vit
qui luy repetoit si souuent vne mesme leçon, il le disgracia
& l’eut pour suspect : si bien que se bon Gentilhomme fut
contraint, pour sa plus grande seureté, de se retirer à Rome.
Qu’arriua-t’il, enfin ? Perseus ayant fait vn grand amas
de deniers, & s’estimant assez fort pour soustenir les Romains,
rompit peu à peu les articles de la paix l’vn apres l’autre ;
si bien qu’il obligea les Romains d’enuoyer contre luy
Paulus Æmilius à la teste d’vne Armée, qui en moins d’vn
mois se saisit de toute la Macedoine, & prit Perseus prisonnier
auec son fils qui furent menez en triomphe à Rome,
où apres cela ils mouturent miserablement dans vne prison.

Voila, Sire, ce qu’il a profité à Philippes de garder sa foy,

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il fut paisible dans son Royaume, chery de ses sujets, & honoré
des Estrangers : & au contraire ce qu’a gagné Perseus
pour auoir voulu contreuenir au traitté qu’il auoit fait. Or
il ne faut pas dire qu’il s’agist dans l’exemple que ie viens
d’apporter, de la foy donnée par vn Prince à vn autre Prince :
mais non pas de la foy donnée par vn Prince à ses sujets ;
Il me souuient d’auoir leu dans Philippes de Commines vn
beau mot sur ce sujet : que Dieu punit tousiours ceux qui ne
font point de conscience de violer leur foy, à qui que ce soit
qu’ils l’ayent donnée. Il n’importe si elle est donnée à des
sujets, ou non ; Il est permis à vn Prince de promettre, ou
non, d’accorder certains articles, ou de ne les pas accorder :
mais quand il en est vne fois volontairement conuenu, il est
obligé de les garder, & de tenir sa promesse aussi bien à ses
Sujets qu’à des Estrangers, particulierement lors qu’ils ne
leur ont promis que des choses iustes. Or que peut-on trouuer
de plus iuste, que les articles de paix que V. M. nous
deuroit accorder ? Y en a-t’il aucun qui soit contre l’honneur
de Dieu ou de vostre Personne, ou au preiudice du
Royaume & de l’Estat ? Qui vous peut obliger à y contreuenir ?
Quelle satisfaction n’auez vous pas eu des Parisiens,
quoy qu’on ne les pût accuser legitimement d’autre crime
que d’auoir cherché du pain, lors que l’on leur ostoit à toute
force ? en quoy, de grace, a paru qu’ils ayent esté rebelles ?
où est le sang qu’ils ont respandu ? en quoy vous ont-ils
desobey ? en quoy ont-ils manqué aux respects qu’ils
vous doiuent ? Si vn Ministre veut faire des leuées immenses,
est ce se rebeller que de s’opposer iuridiquement à ses
desseins ? Il falloit autrefois assembler les Estats generaux,
quand pour quelque grande necessité, il estoit besoin d’imposer
quelques subsides : de sorte qu’auparauant Charles
VII nous ne voyons point que l’on fist autrement aucune
leuée : Et auiourd’huy se sera rebellion à Messieurs du Parlement
de Paris, fidelles tuteurs de la minorité des Roys,
de s’opposer à celles que veut faire vn Ministre.

 

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De grace. Sire, ses Messieurs n’auroient-ils pas esté plustost
bien criminels & incapables de leurs Charges, & V. M.
n’auroit-elle pas eu raison de les accuser vn iour d’iniustice
& de lascheté, si ils s’estoient comportez autrement dans ce
rencontre ? Mais cependant, dira quelqu’vn de ceux qui ne
cherchent qu’à broüiller, & qui ne peschent iamais mieux
qu’en eauë trouble ; c’est vne honte que V. M. ait esté obligée
d’en venir à vn accord ; il faut qu’il aye le dessus, & que
les Parisiens se mordent les poulces d’auoir pris les Armes ;
Il y va de l’interest de vostre Couronne, de n’en pas demeurer
là ; il faut à quelque prix que ce soit abaisser l’orgueil
du peuple, & luy monstrer que c’est regimber contre
l’esperon, que de resister à la volonté du Prince. Ce sont
là, Sire, les discours que de mauuais François soufflent peut-estre
tous les iours à vos oreilles : Quand les Parisiens auroient
failly, ce que ie ne puis conceuoir, encore du moins
leur soûmission, leurs coniurations, leurs tres-humbles remonstrances
contre vn criminel declaré tel de vostre bouche
Royale, pourroit auoir flechy cette clemence naturelle
que vous auez heritée de grand Pere, & de Pere, & qui
a coustume de flechir les grands courages.

 


Corpora Magnanimo satis est prosirasse Leoni,
Pugna suum finem, cum iacet hostis, habet.

 

Sola Deos aquat clementia nobis,

Encor que le pays de Guyenne appartint à la Couronne
de France, si est ce que du temps de nostre Charlemagne Il
y auoit beaucoup d’émeuttes, par les pratiques de quelques
grands Seigneurs du pays, qui excitoient le peuple à la rebellion.
Eudon auoit commencé ce jeu sous Martel : Gaiffre
& Hunault ses enfans, & heritiers de son mécontentement,
l’auoient continué sous Pepin. Gaiffre estant mort,
Hunault luy succeda en mesme inimitié, laquelle Carloman
fomentoit pour s’en seruir contre son frere Charlemagne :
Et comme son ambition jalouse le poussoit à entreprendre
contre luy, aussi se seruoit il de l’auare ambition de
Hunault, sous l’appas du reuenu de Guyenne, le voyant en
humeur de s’en faire Duc, estimant auoir assez de creance
enuers les peuples pourueu qu’il fut fauorisé de l’vn des
Roys de France contre l’autre. Or la Guyenne estoit du
partage de Charlemagne ; Hunault iette donc les fondemens
de son dessein pour se soustraire entierement de la
Couronne de France, & faire guerre ouuerte à Charlemagne,

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en pratiquant les peuples de Guyenne, pour en estre
declaré Duc par leur consentement, selon le droict qu’il
disoit luy appartenir. Le support de Carloman y pouuoit
beaucoup, mais la prudence & la vigueur de Charlemagne
y pouuoit dauantage. Car estant aduerty des desseins de
Hunault, & des menées secrettes de son frere, il s’arma
auec telle diligence, qu’il surprit les Villes de Poictiers,
Xainte & Angoulesme, & par leur moyen tout le plat pays.
Hunault qui contoit sans Charlemagne, se trouuant méconté,
s’enfuit en Gascongne chez vn grand Seigneur du
pays, nommé Loup, lequel il estimoit estre, non seulement
tres-confident à son party, mais encor tres-fidel amy. Charlemagne
enuoye incontinent à Loup, pour le sommet de
luy remettre entre les mains Hunault, coupable de leze-Majesté,
cependant qu’il fait dresser vn fort au milieu du
pays. Loup obeït & liure Hunault, auquel Charlemagne
donna la vie, auec la liberté & la iouïssance de tous ses biens :
laissant aux grands vn memorable exemple comme ils se
doiuent comporter dans les émeuttes ciuiles, en preuoyant
le mal par prudence & diligence, & neantmoins ne desesperant
pas par la rigueur leurs sujets vaincus.

 

Mais qu’est-il besoin d’aller chercher des exemples si
loing ? nous en auons, Sire, de plus ressents & de plus conformes
aux affaires presentes. En l’an 1541. les Rochelois
s’estans mutinez contre quelques Officiers du Roy, pour le
fait de la Gabelle du sel, reconnurent apres quelque temps
leur faute, s’humilierent enuers François I. Prince d’heureuse
memoire, & luy demanderent pardon. Ce bon Prince
leur pardonna de tres-bon cœur, & leur fit vne remonstrance
digne d’estre escrite en lettres d’or, & grauée sur des
tables de Cedre. Que leur faute veritablement estoit bien
lourde, & meritoit bien punition : mais que neantmoins c’estoit
vne chose bien conuenable à vn Prince, de preferer la clemence
à la seuerité : que sçachant qu’ils estoient nez de tres-bons sujets,
dont la fidelité auoit esté experimentée plusieurs fois par ses

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predecesseurs, il aymoit bien mieux oublier cette faute nouuelle,
que non pas leurs merites passez, esperant qu’à l’aduenir ils seroient
d’autant plus enclins à luy obeïr, qu’ils l’auroient trouué
prompt à leur pardonner : Qu’il ne vouloit pas faire en leur endroit,
ce que l’Empereur auoit fait à ceux de Gand, les ayant
sousmu sous l’esclaue seruitude d’vne Citadele, & s’estant ensanglanté
les mains de leur sang ; qu’il auoit les siennes nettes,
graces à Dieu, du sang de son peuple : aussi que l’Empereur auoit
perdu l’amitié de ses sujets en rependant leur sang, & que luy il
esperoit que sa clemence les rendroit encor plus fidelles & plus
attachez que iamais à son seruice. Ie vous prie, adjousta-t’il
, enfin, d’oublier cette offence qui est aduenuë ; de ma part, il ne
m’en souuiendra iamais, & ie prie Dieu qu’il vous veille pardonner,
comme ie vous pardonne de bon cœur tout ce que vous
auez fait, sans en rien excepter. A cette parole, procedant
d’vn Roy tout magnifique, genereux & debonnaire, tout
le pauure peuple Rochelois pleurant de ioye, commença à
crier viue le Roy, & à prier Dieu, qu’il luy pleust leur conseruer
long-temps, en toute prosperité vn si bon Prince, si
doux & si misericordieux ; en suite par le commandement
de sa Majesté sonnerent toutes les cloches de la ville, tirerent toute
l’artillerie, & firent par tout feux de joye, en signe
de grande rejouïssance.

 

Ie pourrois icy rapporter vne infinité d’exemples semblables,
d’vn Sainct Louys, d’vn Philippes le Hardy, d’vn
Charles le Sage, d’vn Louys XII. & d’vn Henry le Grand,
Prince de tres-heureuse memoire (dont outre le sang, vous
tenez, Sire, les genereuses & veritablement royales inclinations)
Tous lesquels Princes ont assez fait paroistre, tant
enuers les Estrangers, qu’enuers leurs propres sujets, qu’il
n’y a rien au monde qui soit plus digne d’vn grand cœur, que
la douceur & la clemence ; & tout au contraire, rien de plus
indigne & de plus messeant, que l’appetit & la passion de la
vengeance.

Nos Politiques du temps ne sçauroient gouster ces exemples :

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parce que comme il ne respirent que les meurtres & le
sang, ils s’imaginent que c’est vn effet de poltronnerie d’estre
indulgent enuers des delinquans, & ne suggerent autre
chose aux oreilles des Princes, sinon que la grande bonté &
facilité les rend méprisables, & que c’est elle qui a rendu
Louys le debonnaire contemptible aux siens mesme. I’aduouë
qu’vn Prince doit estre tellement misericordieux, qu’il
punisse neantmoins les crimes : Ie sçais bien que le grand
Sainct Louys disoit que c’estoit vne espece de cruauté de ne
pas punir les coupables, quoy que les fautes publiques soient
plus apparantes & plus lourdes neãtmoins parce qu’elles ont
ordinairement de plus mauuaises suites, & que bien souuent
pensant esteindre vn petit feu, on le rend plus violant : c’est
la taison pourquoy vn Prince bien aduisé les pardonne, particulierement
pour vne premiere fois. Car venant à faire reflexion
que les Armes sont iournalieres, & qu’il n’y a rien à
craindre comme vne populace irritée, qui change quelque
fois son desespoir en vertu : il ayme beaucoup mieux, à la façon
d’vn bon Pilote, ceder sagement à la tempeste, que d’y
resister & s’y opposer inutilement. C’est ainsi que se sont
comportez les Princes les plus aduisez, pour calmer les esprits
de leurs peuples ; & nous voyons par tout dans les Histoires,
que ceux qui se fians par trop à leurs propres forces,
ont voulu punir & chastier rigoureusement leurs sujets, se
sont trouuez mal de leur procedé, & n’y ont rien gagné que
leur propre ruïne ; Car de croire qu’il soit aisé de venir à
bout d’vn peuple, parce qu’il n’est pas aguery, c’est se tromper :
Outre qu’il est impossible qu’il n’y en aye dans vne grande
multitude vn assez bon nombre qui sçache ce que c’est de
l’Art Militaire ; tout est à craindre de personnes qui sont
(pour ainsi dire) dans le desespoir, & qui ayment mieux
mourir de quelque façon que ce soit, que de tomber entre
les mains de leurs Princes, desquels ils attendent vn tres-mauuais
traittement, Desperata salute nullum acrius telum
mortalibus est. Qui ne sçait ce qui arriua vers l’année 557.

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sous le Roy Clotaire ? les Saxons, peuple qui ne pouuoit
souffrir vne domination estrangere, ne se soûmettoit qu’à
peine à la puissance des François, de là venoit qu’ils auoient
l’esprit fort porté à ce mutiner. Clotaire estant encor Roy
de Soissons, auoit dompté cette reuesche nation. Ses freres
estans morts, il demeura seul Roy de toute la France, qu’il
ne tint pas long-temps paisible, à cause d’vne reuolte des
Turingeois ; qui embarquerent facilement dans leur party
les Saxons ; comme estans leurs voisins. Ces deux peuples
ayans rallié le plus de Soldats qu’il leur fut possible, se donnerent
la hardiesse de liurer vne bataille à Clotaire, en laquelle
ayans esté mis en déroute, ils eurent recours aux prieres,
pour en impetrer le pardon de leur temerité. Mais quoy
qu’ils missent les armes bas, ils ne pûrent iamais flechir la
rigueur de ce Prince inexorable : ce qui fit que le peril & la
necessité leur donnans de l’audace, ils se mirent en defense,
plus déterminez que iamais par cette sanglante resolution
de se perdre. Apres donc auoir long-temps combattu auec
vn égal succez des armes, se sentans capables de resister
contre leur esperance, ils hausserent leurs courages, & les
François furent estimez vaincus, pour n’estre pas vainqueurs.
Là dessus les ennemis iettans vn grand cry, firent
vn puissant effort sur les nostres, que la crainte & le nombre
auoient desia mis en desordre, & les taillent en piece, puis
saccagerent leur camp : à peine Clotaire se pût-il sauuer à la
fuite, laissant par ce desastre inesperé, vn bel exemple à tous
les Roys, qu’ils ne doiuent iamais reduire à l’extremité ceux
qui reconnoissent librement leur puissance.

 

Mais, c’estoient gens aguerris, que ces Saxons, obiectetera
aussi-tost quelqu’vn de nos Politiques, ce n’est pas merueille
si ils ont fait vne action si memorable. Il n’en va pas de
mesme des Habitans d’vne ville, qui n’ont esté nourris que
dans le trafic & le commerce, & qui ne sont pas accoustumez
au son du tambour. Les Parisiens sont bons, diront-ils,
pour defendre leurs foyers : mais faites les sortir en campagne

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pagne vous les verrez plustost escrimer des pieds que des
mains, à l’instant mesmes qu’ils verront paroistre l’ennemy.
Cela est bon à dire à ceux qui ne sçauent pas auec combien
d’ardeur & de passion ils souhaiteroient de sortir, si l’on les
tenoit bloquez de tous costez, & Capitaines auroient plustost besoin
de brides pour les retenir, que non pas d’esperon pour
les faire marcher.

 

Mais, Sire, afin que les moins clairs-voyans iugent combien
il faut craindre mesme de gens qui semblent ou peu,
ou point du tout aguerris ; Et tout ensemble combien font
mal les Princes, qui ne se contentans pas des tres humbles
submissions de leurs Sujets, ont voulu les chastier exemplairement
pour quelques fautes publiques. Ie rapporteray
seulement vn exemple pris de l’Inuentaire de Serres, dans
le regne de Charles VI. Philippes de Bourgogne auoit fait
l’apointement des Gantois auec le Comte son beau pere,
mais cét accord ne fut pas de longue durée : car le Comte
extrémement estomaqué de la sedition de ce peuple, n’en
pouuoit perdre la souuenance, mais sous des pretextes recherchez,
afin qu’il ne leur donna sujet de plainte, comme
rompant les susdits accords, il en pinçoit l’vn, & ruïnoit
l’autre. Et mesme d’autant que ceux de Gang se tenoient
plus à couuert, en laissant prendre pied aux gens du Comte
dedans leur ville, il fit recherche par la ville de Bruges, où
il auoit tout pouuoir, de ceux qui auoient tenu pour les
Chapperons blancs, & en fit mourir vn grand nombre. Ce
chastiment remit le feu aux estouppes, voila les Gantois en
armes ; mais le Comte mieux armé les tailles en pieces entre
Courtray & Pourpiguë. Ypre se rend à luy, ou des qu’il
fut entré, il fit voler sept cens testes des principaux Citoyens,
& de là sans prendre haleine, il marche droit à la
ville de Gang & l’assiege : mais ses forces estoient si courtes
au prix de cette longue & large ville, qu’ayant fait ce qu’il
auoit pû, il ne leur pouuoit oster la liberté de quatre portes.

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Les Gantois pour ne se laisser enclore & porter à l’incommodité
d’vn siege, ayant vn incroyable auantage en la multitude
de leur peuple, se resoluent apres auoir donné ordre à
la garde de leur ville, d’en tirer vne bonne troupe pour rauager
le païs, & se jetter sur quelque place du Comte, afin
que par cette diuersion il fut contraint à leuer le siege.

 

De fait, sous la conduite de Iean de Launay l’vn de leurs
Tribuns, ils jettent en campagne six mil hommes d’élite,
prennent & brulent Teremõde & Gramont villes du Comte,
faisans vn mal infiny au plat pays. Le Comte quitte le
siege, s’achemine vers eux en intention de les combattre
dans la campagne, les attrape prés de la ville de Niuelle, les
charge, les rompt, les met en fuite, ils gagnent les portes de
Niuelle, & le Comte apres pesle-mesle. Vne partie conduite
par ce de Launoy, gagne le beffroy de la ville. Le Comte
les assieges, fait apporter force fagots & fascines à l’entour
de cette tour, & y met le feu. Tout se brusle parmy les cris
épouuentables de ces miserables. Le spectacle fut hideux,
& certes, indigne d’vn Seigneur courroucé enuers ses Sujets,
& neantmoins suiuy d’vn nouueau carnage de ce pauure
peuple qui se trouuant estourdy d’vne si grande défaite,
n’a plus ne pieds, ne mains, ou pour courir, ou pour defendre.

Tout est massacré, de sorte qu’à peine de six mille en
eschapperent trois cens. Mais les Gantois auront bien tost
leur retour : au bruit de cette nouuelle, les voila autant effrayez
comme le Comte esleué pour poursuiure la poincte
de sa victoire, voyant le chemin frayé pour acheuer le reste
selon son dessein. En ce desarroy les Gantois elisent vn autre
chef, Philippes d’Arteuelle, qui leur conseille de s’humilier
enuers leur Comte, & luy demander pardon. Ils s’y
resoluent, ayans pour principale conseillere la necessité. Ils
supplient donc leur Comte d’auoir pitié du sang de ses Sujets
qui soûmettoient leurs vies & leurs biens à sa misericorde
pour en faire à son plaisir, leur par donnant, ou leur permettans

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de se retirer ailleurs en abandonnant le pays de leur
naissance, ou pour vn bannissement perpetuel ou limité ;
seulement qu’il luy plût leur donner la vie. Le Comte se roidit
contr’eux d’vne telle colere, qu’ils ne pûrent tirer d’autre
parole de luy, sinon, que tout sorte de la ville, hommes
& femmes au dessus de quinze ans, pieds & testes nuës, la
hart au col, se soûmettans à sa misericorde, & que s’estans
mis en cét estat, il aduiseroit à ce qu’il auroit à faire. Le peuple
de Gand voyant l’ardeur du feu de ce courroux, & n’estimant
plus auoir moyen de l’esteindre, se resout parle conseil
de Philippes d’Arteuelle son chef, en vne si extréme
necessité de joüer à quitte ou à double, & n’esperer salut
qu’au desespoir ; des deux maux estant bien le moindre, de
mourir courageusement les armes au poing en defendant
la liberté de la Patrie, & se defendant contre l’iniuste violance
d’vn homme inexorable : qu’apres auoir veu violer
femmes & enfans, ou suruiure à son malheur, ou estre sans
defense tuez, assommez & massacrez comme des chiens, à la
mercy d’vn si cruel & inexorable ennemy L’éuenement, ou
plustost Dieu Protecteur des affligez, fauorisa cette courageuse
resolution. De fait, ils choisissent de toute leur multitude,
cinq mille hommes des plus resolus & mieux armez,
pour aller busquer fortune contre le Comte, & pouruoyent
du mieux qu’ils peuuent à la garde de la ville, auec exprés
consentement de tous, que si il aduenoit que ces cinq mille
fussent dé faits, pour n’attendre l’incertain éuenement d’vn
siege, & ne pas tomber entre les mains de leur irreconciliable
ennemy, qu’on mit le feu dans la ville, & qu’vn chacun
se sauua du mieux qu’il pût. Cette resolution prise, Philippes
d’Arteuelle part de Gand auec sa troupe desesperée,
& s’en va droit à Bruges, prend vne assiette auantageuse, se
retranche de charrettes bois & toutes sortes d’embarras, en
attendant la commodité, ou de se defendre auec auantage,
ou de saillir sur son ennemy. Le Comte enflé de son premier
succez, estimant qu’il n’y en auroit pas pour les laquais de

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ses Gentilshommes, les vint charger en leur retranchement,
pour les attirer au combat. Arteuelle, non pas comme vn
brasseur de biere, mais comme vn grand Capitaine, tourna
ses troupes auec tant de d’exterité, que l’armée du Comte
eut le Soleil aux yeux. Sur ce subit destour, se voyant à son
iour contre les gens du Comte, s’en va resoluëment à la charge,
eslançant ce gros escadron ramassé, & resout à la mort,
& le faisant fondre sur eux, comme vn grand amas d’eaux se
débonde tout à coup trouuant quelque ouuerture. Les premiers
rangs incommodez des rayons du Soleil qui leur
esbloüissoit les yeux, & ne pouuant porter vn tant insupportable
fardeau, font iour, & en retournant le dos mettent
tout le reste en desroute. Les Gantois dans cét auantage déchirent
tous ceux qu’ils rencontrent, comme loups affamez
apres vn troupeau de brebis dans le pare. Cette braue noblesse
fut chamaillée & tuée. Le Comte crie, prie, court,
mais en vain : le plus vaillant estoit celuy qui auoit vn meilleur
cheual ou meilleurs jambes pour s’enfuïr à vauderoute.
La retraitte estoit fort prés à Bruges, la foule s’y escoule
comme l’eau qui a son cours : le Comte y entre auec les autres,
ayant perdu sa peine à ramasser ses gens, & s’enferme
dans son Chasteau. Mais il y eut encore plus, les Gantois suiuant
la file, tuans & pour chassans les fuyarts, entre pesle-mesle
auec eux dans Bruges, & gagnent la porte. Alors Arteuelle
ayant promprement pourueu à la garde d’icelle, les
Gantois victorieux, s épendent par la ville, crians contre les
vaincus, ville gagnée ; & pour les bons citoyens, liberté ;
tuans tout ce qu’ils trouuoient fauoriser le Comte, cherchans
par-cy par-là les maisons de ses seruiteurs, & crians
qu’on espargna les bons citoyens. Le Comte à ce bruit, prevoyant
que son ennemy iroit droit à luy, sans marchander
quitte ses beaux habillemens, & prend le moindre vestement
d’vn sien valet, & ainsi sort de son chasteau pour chercher
retraitte. A peine estoit-il sorty, que voila son chasteau
enuironné, aisément pris, foüillé, pillé, pendant qu’il se

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sauue chez vne pauure femme, qui pour tout n’auoit en sa
pauure caze qu’vne petite salette, & au dessus vn plancher
auquel on montoit par vne eschelle coulisse. Le Comte
grimpe en cette chambrette ; la femme le cache dans la paille
du lict, où couchoient ses petits enfans, & estant descenduë,
oste son eschelle. Les Gantois ayans rodé par tout à la
queste du Comte, furetans aux moindres maisons l’vne
apres l’autre : arriuerent à celle-là où estoit le Comte, la
foüillent, montans au lieu où il estoit caché : en cét effroy,
qui eut pû lire au cœur de ce pauure Prince, n’eut-il pas leu
que sa conscience le tançoit de n’auoir pas traitté ses sujets
auec plus de douceur ? L’ayant échapé si belle, il se glisse
doucement de cette logette, & se tire hors de la ville tout
seul, à pied, se sauuant de buisson en buisson, de fossé en
fossé, craignant les passans ; comme voicy que s’estant caché
dans vn fossé, il reconnut vn sien domestique, qui le fit
monter sur son cheual en crouppe, & en cét arroy le sauua
à l’Isle.

 

Voila, Sire, ce qui est arriué à ce Comte de Flandres pour
auoir voulu punir ses sujets auec trop de rigueur ; voila comme
se sont comportez les Gantois : quoy que gens nourris
dans le commerce ; voila, enfin, comme les affaires sont venuës
à vne extremité, faute d’auoir preferé la misericorde à
la seuerité. Ce qui doit bien en seigner aux Princes de ne se
pas aisément engager dans ses sortes de guerres ciuiles, &
que s’y estans engagez par quelque necessité pressante, ils
doiuent chercher tous les moyens possibles pour s’en dégager,
& donner ou accepter tous les honnestes conditions
qui se peuuent presenter pour en sortir. Car comme nous
venons de voir, quelquesfois les Princes qui refusent des
conditions honnestes & raisonnables, pour l’esperance
qu’ils ont en leurs grandes forces, s’en trouuent mal puis
apres ; Et souuent on a veu de bien petites troupes faire teste
aux plus puissantes armées des plus grands Princes. Du
temps de la bataille de Poictiers, où le Roy Iean fut pris, le

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Prince de Galles, auant que combatre, luy fit offre de tendre
tout ce qu’il auoit conquis luy & ses gens, depuis son
depart de Bourdeaux, & de rendre aussi tout le pillage : mais
le Roy ne voulut pas accepter cét offre, mais vouloit que le
Prince & quatre des plus grands Seigneurs de son armée se
rendissent à luy à sa volonté. Le Prince qui estoit genereux,
aima mieux combatre que d’accepter cét accord honteux &
deshonnorable pour luy ; & combatit en effet si vaillamment,
que ses Anglois, quoy qu’en fort petit nombre, defirent
les grandes forces du Roy, & fut le Roy pris prisonnier
& plusieurs autres grands Princs & Seigneurs : pour lesquels
racheter, le Royaume fut si épuise de finance, qu’il falut
faire apres cela de la monnoye de cuir, qui n’auoit qu’vn petit
clou d’argent au milieu. Et de cette bataille arriuerent
en France infinies miseres, qui ne fussent pas arriuez si le
Roy eut esté si bien aduisé que de vouloir sortir de guerre
par doux & asseurez moyens, plustost que par le hasart d’vne
bataille. Les Histoires Romaines sont toutes pleines de
semblabl s’exemples ; car ce qui ruina les Carthaginois, le
Roy-[illisible], le Roy Mithridates, ce qui abatit l’orgueil de
Philippus Roy de Macedoine, du grand Roy Antiochus &
de tant d’autres, fut qu’ils ne sceurent iamais accepter les
bonnes & raisonnables conditions de paix qui leur estoient
offertes par les Romains, & aimerent mieux experimenter
ce que peut la force fondée en bon droit ; Ie dis notamment
fondée en bon droit : car vne petite force qui a le droict auec
elle, abat bien souuent vne grande force qui n’est pas fondée
en bon droict. La raison est éuidente, parce que celuy
qui se sent auoir iuste cause de faire guerre, & qui voit que
son aduersaire se confiant en ses forces, ne veut venir à aucune
composition raisonnable, redouble son courage & son
ardeur, & combat plus vaillamment que celuy qui est poussé
d’vn orgueil, plustost que d’vne generosité de cœur. Mais
la principale raison est, que Dieu, qui donne les victoires,
supporte tousiours le droict : & si quelquesfois il semble

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que le party le moins iuste l’emporte, il fait neantmoins que
l’issuë & la fin, selon laquelle il faut iuger, est pour l’équité
& la iustice.

 

Or si, comme il est aisé de iuger par ces exemples, vn Prince
doit tascher d’appaiser, par des conditions honnestes, les
guerres qu’il a contre les Estrangers ; auec combien plus de
raison doit-il faire tous ses efforts pour assoupir les seditions
& les mouuemens de ses peuples ? Car pour ce qui est
des guerres qu’il peut auoir des Estrangers, elles peuuent
aucunement seruir pour entretenir tousiours des gens agueris
pour le besoin, & principalement quand les sujets du
Prince sont naturellement enclins à la guerre, comme est la
nation Françoise ; de peur que ne les employans pas en ce ou
les porte leut inclination, ils ne prennent les armes contr’eux-mesmes
& contre leur patrie, comme dit fort sagement
l’Empereur Charles V. à François I. à leur entreueuë
au Chasteau d’Amboise. Mais les troubles & guerres ciuiles,
de quelque costé qu’on les tourne & considere, ne peuuent
iamais estre vtiles à vn Estat ; Et c’est pourquoy aussi vn
Prince bien aduisé, les fuïra sur toutes choses, & assoupira
tousiours le plustost qu’il luy sera possible ; premierement,
parce que c’est vne chose contre nature, de faire la guerre à
ceux de son pays, & de déchirer, pour ainsi dire, ses propres
entrailles. Ce qui a fait dire au grand Homere,

 


Ceux-là n’ont point d’amour, pour parens ny famille,
Qui aiment les malheurs d’vne guerre ciuile.

 

Et en second lieu, parce qu’il s’affoiblir plus, & luy & ses
sujets en vn an, par ces guerres intestines, qu’il ne peut s’affoiblir
en trente ans par des guerres estrangeres : & que celles-là
sont incomparablement plus dangereuses & plus pernicieuses
que celles-cy. Si la grandeur & la puissance des
Roys ne dependent que de l’opulence & des richesses de
leurs sujets ; de grace que peuuent-ils esperer les plongeans
dans vne guerre ciuile, sinon de deuenir, au bout du compte,
les Roys de pauures gueux : ou de ioüer mesme quelquesfois

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au Roy dépoüillé. Ie ne parleray pas icy de l’Angleterre,
cét exemple me fait trop d’horreur : Ie diray seulement
que tels Princes sont ordinairement semblables à se
Samson du liure des Iuges, qui pour se venger des Philistins
ses ennemis, s’enseuelit auec eux sous vne mesme ruïne.
Mais quand il n’y auroit point d’autre raison pour destourner
les Princes de ces guerres funestes, que parce qu’ils font
souffrir iniustement vne infinité de pauures innocens, pour
punir seulement quelque peu de coupables, ou qu’ils estiment ;
tels ; Ne seroit ce pas assez pour les retenir, & les faire
plustost pencher vers la clemence ? Il y a plaisir à voir sur
ce sujet la harangue memorable que les Deputez du Senat
Romain, firent à Martius Coriolanus, lors qu’il tenoit la
ville de Rome, assiegée par l’armée des Volsques, dont il
estoit le chef, outré qu’il estoit de douleur d’auoir esté iniustement
banny par les Romains. Nous n’ignorons pas, luy
dirent-ils. Seigneur Coriolanus que l’on ne vous a fait grãd
tort de vous auoir chassé & banny de vostre Patrie, pour laquelle
vous auez tant fait & tant de fois si vaillamment
combatu, que vous estes comme son second pere & fondateur.
Nous sçauons bien aussi que c’est à bon droict que vous
estes indigné & marry de l’inique iugement que l’on a rendu
contre vous, veu que naturellement celuy qui est injurié
est irrité contre celuy qui luy fait injure. Mais nous sommes
merueilleusement estonnez que vostre iugement ne discerne
point par raison ceux sur lesquels vous pourriez iustement
vous vanger, d’auec ceux qui ne vous ont point fait
de mal ny d’outrage ; mais reputez indifferemment pour ennemis
autant les coupables que les innocens. Nous qui
sommes vos amis, & des plus anciens des Patriciens, sommes
icy enuoyez par vostre patrie & la nostre, pour nous
plaindre au nom d’icelle de ce que vous violez les loix inuiolables
de nature, & pour vous prier de vous déporter de
cette guerre, & entendre à vne bonne paix, vous offrans de
vous accorder tout ce qui sera à vostre honneur & à vostre

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profit. Nous confessons qu’on vous a fait grand tort de vous
auoir chassé : mais qui l’a fait ? le peuple, direz-vous, qui a
donné sa voix en ma condemnation. Cela est vray, nous no
le nions pas, mais tout le peuple n’est pas d’vne voix, bien
que la pluralité aye esté contre vous. Ceux donc qui auoient
donné leur voix pour vostre absolution, meritent-ils que
vous leur fassiez la guerre comme à des ennemis ? & nous autres
Senateurs qui auons esté si desplaisans de vostre mal,
nous deuez vous reputer pour ennemis ? Mais les femmes
& les enfans que vous ont-ils fait ? faut il que tant d’innocens
tombent en peril & danger d’estre tuez, pillez & saccagez,
sans vous auoir fait tort, mais plustost vous ayans fauorisé ?
si nous vous demandons pourquoy vous voulez razer
& destruire les edifices bastis par nos Majeurs, où sont
leurs statuës & les images de leurs victoires & triomphes, &
pourquoy vous voulez abolir leur memoire : que respondrez
vous ? Pour parler franchement, vous ne sçauriez auoir
sujet d’agir de la sorte, si vous ne voulez dire que les amis &
ennemis, coupables & innocens, les morts & viuans doiuent
également souffrir la vengeance de l’injure qu’on vous
a faite ; chose qui est du tout indigne de vostre pensée. Vous
deuez considerer l’inconstance des affaires de ce monde, le
changement des esprits des hommes, & excuser l’accident
qui vous est arriué à nostre grand regret, & accepter vn retour
honnorable en vostre patrie qui vous desire pour continuer
à employer vostre vertu pour elle, comme vous auez
fait par le passé. Par ce moyen vous laisserez apres vne bonne
& saincte reputation de vostre vertu à la posterité : & si
vous faites autrement, vous laisserez apres vostre mort vne
memoire de vous comme d’vn ennemy, pilleur & saccageur
de vostre pauure patrie, où vous estes né, & où vous auez
esté nourry si tendrement & si honnorablement. Bien plus,
tant que vous viurez vous serez en horreur & execration à
tout le monde, voire mesme aux Volsques, qui maintenant
vous sont amis ; si bien que tout le monde fuïra vostre compagnie

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comme d’vn brigand ou d’vn voleur. Et partant
nous vous prions de tout nostre cœur, Seigneur Coriolanus,
de vouloir oublier l’injure que vous auez receuë iniustement,
& d’accepter & accorder vn heureux, salutaire &
honnorable retour en vostre patrie & en vostre maison, où
est vostre pauure mere, vostre chere femme, vos aimez &
chers en fans qui sechent de douleur & de tristesse de vostre
absence, & mesme depuis qu’on leur a fait sçauoir que vous
venez à main armée pour les mettre au tranchant de l’espée
auec les autres. Ce discours eut tant de force sur l’esprit de
Coriolanus ; joint à cela que Veturia sa mere, & sa femme
Volumnia le vindrent trouuer, portans ses petits enfans entre
leurs bras, & fondans tous en l’armes, qu’il fit paix aussi-tost
auec les Romains, & cessa de faire la guerre à sa patrie.

 

Si l’on ne sçauoit pas combien les guerres ciuiles apportent
de miseres : & si nostre France n’auoit pas elle-mesme
seruy de theatre, il n’y a pas long-temps, pour en representer
les cruautez ; Ie rapporteray icy cette sanglante guerre
ciuile de Marius & de Sylla, qui remplit toute l’Italie de
sang, & qui fit par tout vne horrible & espouuentable boucherie.
Comme ces deux monstres de cruauté furent tous
deux maistres de Rome & de l’Italie, l’vn apres l’autre, &
firent par consequent massacrer tous ceux qu’ils pouuoient
trouuer de contraire party ; c’est vne chose effroyable combien
il y eut de sang respandu. Le pere égorgeoit le fils, le
fils le pere ; Il n’y auoit aucune pieté qui pût arrester le cours
de ce desordre, tant on estoit acharné les vns contre les autres.
Mais la guerre ciuile qui fut suscitée quelque temps
apres par Pompée & Cesar, & ce continua par le Triumvirat
d’Octauius, Antonius & Lepidus, contre Cassius &
Brutus, fut bien plus sanglante. Cette guerre dura trente-deux
ans & se respandit presque par tout le monde qui lors
estoit en la sujetion du peuple Romain, & s’en ressentirent
les peuples du Leuant du Couchant, du Septentrion, &
du Midy : Il fut verifié que dans ces troubles là, depuis leur

-- 23 --

commencement iusques au Consulat de Cesar seulement,
moururent des citoyens de la seule ville de Rome, le nombre
de cent soixante & dix mille ; & est bien croyable qu’il
en mourut beaucoup plus depuis, & qu’il en mourut dix fois
autant des Prouinces sujettes à l’Empire Romain. Mais que
s’ensuit-il de toute cette barbarie, sinon le bouleuersement
de ce mesme Empire ? C’est le fruict qu’apportent infailliblement
les guerres ciuiles ; & c’est la raison aussi pour laquelle
tout bon Prince mettra tout son soin à les preuenir,
ou au moins à les estouffer dans leur naissance, à l’exemple
de ce bon & sage Roy Charles VII. Ce Prince estant encore
Dauphin, le Duc Iean de Bourgonne, homme fort
ambitieux & vindicatif, apres auoit fait tuer de guet à pend
Louys Duc d’Orleans, frere vnique du Roy Charles VI. &
apres auoir remply le Royaume d’armes ciuiles & estrangeres,
ne se contentant pas de tout cela, s’empara du Roy qui
estoit aliené de son sens par maladie, & de la Reyne, pour
faire la guerre au Dauphin : ces occasions semblerent suffisantes
à ceux qui gouuernoient le Dauphin, pour entreprendre
vn coup hasardeux, comme ils firent, & le firent
trouuer bon au Dauphin, qui lors estoit encore ieune Prince.
Il manda donc audit Duc qu’il vouloit faire paix auec
luy, & le pria de prendre lieu & iour ensemble pour s’entreuoir,
& traitter de cette paix. Le iour fut pris, & le lieu assigné
à Montereau-faut-Yonne, où ledit Duc se trouua
sous la confiance de la parole & promesse du Dauphin, qui
luy auoit donné foy & asseurance. Arriué qu’il fut faisant
la reuerence à Monsieur le Dauphin, il fut enueloppé & tué
sur le champ, & quelques Gentilshommes de ses gens par
mesme moyen Philippes fils & successeur de ce Duc Iean,
prit grandement à cœur ce meurtre commis en la personne
de son pere, & chercha tous les moyens qu’il pût pour s’en
venger, & par ce moyen continuerent encor long temps
les guerres ciuiles. Les Anglois cependant faisoient bien
leurs affaires en France, & conquirent la Normandie, Paris

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la pluspart de la Picardie, & marcherent iusques à Orleans,
qu’ils assiegerent. La dessus le Roy Charles VI. mourut ; si
bien que Monsieur le Dauphin son fils, qui fut nommé
Charles VII. venant à la Couronne, se trouua dépoüillé
de la meilleure partie de son Royaume ; Tellement qu’on
l’appelloit le Roy de Bourges, par raillerie. Ce sage Roy
considera bien que si les guerres ciuiles duroient, il estoit en
estat de tout perdre, vne piece apres l’autre ; c’est pourquoy
il mit tout son soin, pouuoir & diligence à faire paix & accord
auec le Duc de Bourgogne. Si bien qu’il enuoya vers
luy son Connestable, son Chancelier, & autres des principaux
de son Conseil pour luy dire qu’il desiroit d’auoir paix
auec luy, & qu’il reconnoissoit bien que par mauuais conseil
il auoit fait tuer son pere à Montereau, & que s’il eust esté
lors aussi aduisé qu’il estoit à present, qu’il n’eust iamais fait
faire vne telle action, ny permis de la faire ; mais qu’il estoit
ieune & mal conseillé. Que pour ce sujet il luy offroit d’en
faire telle amende & reparation qu’il s’en contenteroit, &
qu’il luy offroit de luy en demander pardon, non en personne,
mais par Ambassadeurs qui en auroient charge expresse,
& le prier qui luy pardonna cette faute au nom de nostre
Seigneur Iesus-Christ, & qu’entr’eux deux il y eut bonne
pais & amour, & qu’il confesseroit auoir mal fait, & d’auoir
vsé de mauuais conseil faisant tuer son pere. Et en outre luy
fit offre de plusieurs. Terres & Seigneuries qu’il luy donneroit,
comme de la Comté de Maconnois, Sainct Iangon,
la Comté d’Auxerre, Bar-sur-Seine, la Comté de Bologne
sur Mer, & autres Terres, & qu’il le quitteroit sa vie durant,
luy & ses sujets, du seruice personnel qu’il luy deuoit comme
vassal de France, & luy fit faire encor plusieurs autres
belles offres. Ce Duc Philippes voyant son Prince souuerain
s’humilier tant, fléchit enfin son courage, & entendit
à la paix, qui fut faite à Arras, là où se trouua vne assemblée
d’Ambassadeurs de tous les Princes Chrestiens, du Concile
de Basse & du Pape : Si bien qu’il y auoit plus de quarre

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mille cheuaux. Tous, ou la pluspart de ces Ambassadeurs
estoient venus pour le bien du Roy & de son Royaume, mais
il n’y en eut pas vn qui ne trouua ces offres du Roy bonnes
& raisonnables : comme aussi faisoient tous les Princes &
Seigneurs du Royaume, & tout le Conseil du Roy. Tellement
que les Ambassadeurs de sa Majesté, qui estoient le
Duc de Bourbon, le Comte de Richemont, Connestable
de France, Archeuesque de Reims Chancelier, le Seigneur
de la Fayette, Mareschal de France, & plusieurs autres
grands Seigneurs, en pleine assemblée, au nom du Roy leur
Maistre, demanderent pardon au Duc de Bourgogne de la
mort de son pere, confessans, comme nous auons desia dit,
que le Roy leur Maistre auoit commis cette mauuaise action
par ieunesse & mauuais conseil, & le prierent de quitter la
mauuaise volonté qu’il auoit legitimement conceuë contre
luy, & de vouloir viure à l’aduenir en paix & bonne amitié.
Voila comment le Roy Charles VII. appaisa les guerres ciuiles
de son Royaume, par son humilité & reconnoissance
de ses fautes ; Aussi de là en auant prospera-il de telle sorte,
qu’apres auoir mis fin aux guerres ciuiles, il vint puis apres
au dessus des guerres estrangeres contre les Anglois. Il ne
faut point douter que ce ne fust vne toute particuliere benediction
de Dieu, qui prend plaisir à esleuer les humbles,
& à ruïner & renuerser les orgueilleux & superbes. Et à la
verité ce n’est point vne chose messeante à vn grand Prince
de temperer sa Majesté par vne gracieuse humilité, douceur
& affabilité : au contraire, cette temperation, comme dit
fort bien Plutarque, est si harmonieuse & si excellente, qu’il
n’en est point de plus parfaite que celle-là. Si le Roy eust
eu de tels Conseillers qu’il en est auiourd’huy, quel conseil
luy eussent-ils donné sur cette affaire ? Ils luy eussent dit
sans doute, que de s’humilier ainsi enuers son vassal, de luy
demander pardon, de confesser d’auoir mal fait, de le quitter
luy & ses sujets du seruice personnel, ce sont choses indignes
d’vn Roy, & qu’vn Roy ne doit iamais faire paix qui

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ne soit a son honneur, & que tels articles estans à son deshonneur
& desauantage, il deuoit plustost endurer toutes
extremitez, que de faire aucune paix par la quelle il ne demeurast
le Maistre en tout & par tout, pour disposer des personnes
& des biens à son plaisir Si est-ce que tout le Conseil
du Roy Charles VII. tous les Princes du Sang, tous les
grands Seigneurs du Royaume, tous les Ambassadeurs des
Princes estrangers luy conseillerent de passer ces articles,
quoy qu’vn peu rudes & fascheux, pour le bien de la paix.
Est-il croyable que dans vn si grand nombre de grands personnages,
il n’y en eut aucun aussi sage & aussi clair-voyant
que les Conseillers & les Politiques de ce temps ? si est-ce
que c’estoient tous gens bien sages & bien experimentez
dans les affaires : il y en auoit plusieurs de grand sçauoir,
comme les Deleguez du Concile, de l’Vniuersité de Paris
& des Parlemens : & ceux d’auiourd’huy tout au contraire
ne sçauent que leur Machiauel.

 

Apres tout cela, Sire, nous sommes estonnez comme vostre
Conseil violent, vient resueiller vne guerre cruelle contre
des sujets respectueux, obeїssans, & qui n’ont iamais
monstré à leur, Monarques que de l’amour & du secours
dans les plus vrgentes necessitez de leur Estat ; On persuane
à V. M. pourtant que nous sommes des coupables, que
nous n’auons autre dessein que d’abatre vostre Throsne, &
secoüer le joug de l’obeїssance : celuy qui est l’Intendant de
vos Conseils, le Surintendant de vostre education, fait passer
vostre Parlement de Paris, dans le mesme predicament
que celuy de l’Angleterre, composé des parricides creatures
de Cromvvel ; Ie vois bien aussi qu’il nous fait passer
pour des independans & des souhaitteurs de Republiques.

Il est vray, Sire, que ses maluersations & ses brigandages
intolerables pourroient esmouuoir la patience la plus ferrée,
& pousser vne necessité irritée à des extremitez dangereuses ;
mais, Sire, il raisonne mal de nous vouloir accuser
d’vn crime, parce qu’il est coupable d’vn autre. Nous sçauons

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bien à qui attribuer l’origine de nos miseres. Ce n’est
point à V. M. que nous reconnoissons nous auoir esté donné
de Dieu, si V. M. qui a iusques icy esté dans l’innocence
de l’enfance, & qui ne monstre que de douces inclinations
pour le gouuernement de ses sujets. La juste haine que nous
auons conceuë contre luy, luy en a fait conceuoir vne injuste
contre nous, & il nous voudroit voir tous ruinez, dautant
que nous demandons seulement sa retraite, il pousse
tout à la desolation, aux incendies & au carnage, & abandonnant
les illustres conquestes de Louys XIII. & les vostres,
il tourne le fer de vos Soldats contre les sujets qui
vous y ont fourny de leur sang : Enfin, Sire, il vous veut
esleuer & nourrir parmy les troubles de vostre Estat, &
vous faire succer auec le laict vne auersion contre nous &
& contre vos Parlemens, comme contre des rebelles ; Est-ce
là, Sire, le moyen de vous faire prendre les sentimens
d’vn bon Prince, & vous pouuoir faire dire vn iour, comme
Philippes Roy de Macedoine, Malo diu benignus ac clemens
quam breui tempore Dominus appellart ; ou auec vn
Theopompus Roy de Sparte, que quelques Courtisans
mal aduisez blasmoient d’auoir estably des Ephores puissans,
qui sembloient beaucoup diminuer de son authorité,
minorem quidem creatis Ephoris ; sed diuturniorem potestatem
relinquo, sçachant fort bien que comme dit Senecque,
Violenta nemo tenuit imperta diu.
Et qu’au contraire, moderata durant. Est-ce là le moyen de
vous aprendre des maximes qui vous fassent dõner vn iour
le tiltre d’Amour du monde, comme à vn Empereur Othon,
ou bien de Pere du peuple, comme à vn Louys XII. O ?
qu’il est croyable que le grand Artaxerxes Roy des Perses,
auoit esté esleué tout d’vn autre façon, & que l’on ne luy
auoit pas enseigné que ce fut faire tort à son authorité que
d’y mettre aucuns bornes. Ce grand Prince disoitor nairement
Nolui abuit potentiœ magnitudine, sed clementia &
lenitate subiectos gubernare ; c’est à dire ie n’ay iamais voulu

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abuser de la grandeur de ma puissance ; ie n’ay pas cru que
ce me fust assez de vouloir vne chose pour la rendre juste,
mais ay traitté mes sujets auec le plus de douceur qu’il m’a
esté possible. C’est ainsi que parlent les bons Roys : ie veux
dire ceux qui ne permettent pas qu’on leur souffle perpetuellement
aux oreilles, qu’ils peuuent tout, & que c’est ne
pas sçauoir ce que vaut vn Sceptre, comme fit autrefois Neron,
que de ne pas faire tout ce que l’on veut, soit que cette
volonté soit iuste, soit quelle ne le soit pas, Crudelia,
pourtant, & superba imperia acerba magis quam diuturna esse
solent ; c’est vne belle leçon que Saluste fait aux Roys. Ie
m’asseure que des Princes semblables à des Artaxerxes, des
Theopompus & des Othons ; & pour ne point sortir de
chez nous, semblables à des S. Louys, des Louys XII &
des Henris IV. ne croiront point que ce fut resister à leur
authorité, si vn Parlement leur remontroit que leur volonté
ne seroit pas bien iuste en quelque chose ? les Roys doiuent
bien s’imaginer qu’ils sont hommes, & par consequent
sujets à faillir. He ! pourquoy, Sire, ont-ils des Parlemens,
sinon pour les conseiller ce qui est à faire, & les destourner
de ce qu’ils ne doiuent pas faire. Chacun sçait que les Loix
ciuiles mesmes, veulent qu’on n’obeїssent point au Prince,
quand il commande quelque meurtre injuste, sinon trente
iours apres le commandement fait : pourquoy cela ie vous
prie ? sinon afin que cependant les preuenus ou leurs amis,
ou plustost les Magistrats puissent remontrer au Prince les
raisons d’innocence de ces preuenus, & que pendant les
trente iours le Prince puisse rasseoir sa colere & entendre
raison. Et parce que la loy faite pour cela par les Empereurs
Gratian, Valerian, & Theodose, est bien remarquable :
i’ay trouué à propos de vous l’inserer icy. Si il arriue d’oresnauant,
disent-ils, que nous commandions quelque rigoureuse
vengeance, contre nostre coustume, sur quelques
preuenus, nous ne voulons point qu’ils souffrent la peine
sur le champ, ny que nostre mandement soit si tost executé,

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mais que l’execution soit sursise & differée par trente iours,
& que cependant le Magistrat les tienne en seure garde.
Donné à Verone le 15. des Calendes de Septembre, l’année
du Consulat d’Antonius & de Siagrius.

 

Vous voyez de là, Sire, non seulement qu’il est raisonnable,
mais que c’est mesme le deuoir des Magistrats d’aduertir
auec respect leurs Princes, quand ils commandent
quelque chose qui n’est pas bien iuste : & que les Roys ne
doiuent pas s’imaginer que ce soit choquer leur authorité,
que de leur faire quelques remonstrances, & de nobeïr pas
à l’aueugle à tout ce qu’ils commandent. Or que sera-ce
maintenant si des Ministres abusent de la minorité d’vn
Prince, pour faire des leuées intolerables ? qu’elles obligations
n’ont pas alors les Magistrats de leur faire des remonstrances,
& leur faire entendre la verité de cette belle maxime
de Tibere, que c’est le fait d’vn sage Berger de tondre
ses brebis, mais non pas de les escorcher. Ne seroient-ils
pas veritablement criminels de leze-Maiesté, si ils permettoient
ces execrations, & souffroient durant la foiblesse de
l’âge de leur Prince, qu’on pilla son Royaume & ses suiets ?
Mais si les Ministres bouchent les oreilles aux iustes plaintes
& remonstrances du Parlement ; Que doiuent faire en
ce cas là ces Messieurs, si ils veulent passer pour bons & fideles
suiets de leurs Princes ? ne doiuent-ils pas resister à la
tempeste, pour grande quelle soit, & perir plustost que de
consentir iamais à aucune lascheté ? Ie m’asseure, Sire, que
si maintenant que Dieu vous a mis en main les resnes du
gouuernement, vous venez à faire reflexion sur la conduite
de vostre Parlement de Paris, & les tres-humbles, & tant
de fois reïterée remonstrances de vos suiets ; tant s’en faut
que vous les accusiez de rebellion, qu’au contraire vous
les loüerez de genereuse resolution, & d’vne soûmission
toute entiere ; parce que vous reconnoistrez fort bien qu’ils
n’ont rien fait en cela, que ce que leur foy, leur conscience,
& le bien de l’Estat demandoit d’eux ; & qu’il faut qu’vn

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gouuernement pour estre heureux, soit plustost pour le
bien de celuy qui est conduit, que non pas de celuy qui
gouuerne, Vt tutela, sic procurato reipublicæ, ad vtilitatem
eorum qui commissi sunt, non ad eorum quibus commissa
est, gerenda est. C’est ce que fit bien entendre Louys le Gros
à son fils, auant que mourir ; il ne luy fit point d’autre leçon
que celle-là, sçachant bien que tandis qu’il seroit dans cette
pensée, il gouuerneroit sagement, & se feroit aimer &
cherir de ses suiets, ce qu’vn bon Prince doit rechercher
sur toutes choses,

 

 


Omne culmen ættigit,
Virtutis altæ qui timeri se timet,
Amore sidens : qui patrem se non herum
Studet vocari.

 

Nous ne vous en dirons pas dauantage, Sire, sinon que
nous supplions tres-humblement V. M. de vouloir auoir
esgard en qualité de pere à ses enfans qu’vn Estranger insolent
veut faire esgorger auec des barbaries impitoyables,
& de prendre garde que son authorité ne sera iamais bien
asseurée si sa conduite n’est temperée de douceurs & de
suauitez.

FIN.

SubSect précédent(e)


Anonyme [1652], LETTRE RENDVË AV ROY EN PARTICVLIER, Pour luy representer les dangers ausquels les Princes exposent leurs Estats en poussant à bout la patience de leurs Peuples. Prouué par les Exemples tirez des Histoires Anciennes & Modernes, Estrangeres & Domestiques. , français, latinRéférence RIM : M0_2254. Cote locale : B_2_34.