Anonyme [1649], LETTRE ESCRITE DE BOVRDEAVX, Contenant l’Inuentaire de tout ce qui s’est trouué dans le Chasteau Trompette apres sa prise, Auec l’ordre qui a esté gardé à la sortie de la Garnison dudit Chasteau. , françaisRéférence RIM : M0_2216. Cote locale : C_3_87.
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LETTRE
ESCRITE DE
BOVRDEAVX, Contenant l’Inuentaire de tout ce qui s’est
trouué dans le Chasteau Trompette apres
sa prise : Auec l’ordre qui a esté gardé a la
sortie de la garnison dudit Chasteau.

MONSIEVR, Ie vous ay desja fait le recit de
la prise du Chasteau Trompette, où ie vous ay
dit qu’il auoit esté rendu entre les mains de Mr de
Sauvebeuf. Et veritablement ie ne sçaurois m’empescher
de loüer la prudence du Gouuerneur de la place,
qui se voyant assailly sans aucune apparence de
pouuoir resister à l’attaque qu’on estoit prest de luy
donner, a mieux aymé ceder à la necessité, pour se
reseruer vne autre fois à rendre vn plus signalé seruice
à sa Majesté. A ceste heure ie vous veux raconter
en suite la reddition, & veux vous faire l’inuentaire
de ce qui a este trouué dans la place.

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Monsieur de Sauuebeuf estoit tombé malade
pendant le plus grand besoin que nous auions de
sa personne, & cela nous auoit fait desja desesperer
de nos entreprises ; mais apres qu’il eut recouuert sa
santé on se resolut de mettre à chef vne affaire de si
grande importance, & de ruïner tout à fait le plus
grand refuge de nos ennemis. La garnison auoit
resolu de se bien deffendre, & de perdre plustost la
vie que de ceder à nos attaques ; & ils eussent peu
veritablement nous endõmager, puis qu’ils auoient
esté choisis pour les meilleurs soldats que le Gouuerneur
auoit peu trouuer : mais aussi-tost que Mr
de Sauuebeuf commença de se bien porter, & qu’on
eut ietté son esperance sur luy, les Bourgeois de la
ville de Bourdeaux ne voulurent plus tenir le siege
en longueur, tant parce qu’il causoit beaucoup de
desordres parmy la campagne, qu’encore il les tenoit
en suspens de ce qui en pouuoit arriuer. Pour
ce sujet le Parlement prononça vn Arrest le 15. de
ce present mois d’Octobre que les boutiques seroient
fermées par toute la ville, & que les Bourgeois
demeureroient sous les armes durant trois
iours entiers. Le 16. on prepara ce qui estoit necessaire
à vne si belle entreprise, & le 17. on fut tousjours
sous les armes depuis midy iusques à cinq
heures du soir, dautant que l’on auoit fait entendre
aux Bourgeois que la mine seroit preste pendant

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ce temps-là, & que l’assaut se pourroit donner à
deux heures apres midy, mais la mine ne s’estant
pas trouuée en estat, on differa iusqu’au l’endemain
à midy precisemẽt. Le dix-huitiesme iour de
S. Luc, on se remit sur les armes, & Monsieur de
Sauue-bœuf qui s’estoit fait porter aux Chartreux,
son logement ordinaire, ayant fait tenir tous prests
ceux qui deuoient donner l’assaut, enuoya aux ennemis
vn tambour du Regiment du Parlement
mesme, afin de sommer la garnison. Apres la chamade,
vn des Officiers de la place se presenta sur
vn bastion, & fit entendre qu’il ne desiroit rien
que la paix, & que s’il y auoit seureté pour leurs
vies de la part du peuple, qu’ils estoient tres-contens
de se tendre, pourueu que les articles qui seroient
accordez de costé & d’autre, fussent inuiolablement
obseruez, & que la mine ne seroit point
employée. On donna les ostages d’vne part &
d’autre, & l’on conclua les articles.

 

Que la garnison sortiroit auecque les armes tambour
battant, &c auec le bagage, qui se trouueroit
leur appartenir, & que tout seroit visité auant que
de sortir de la place. Cõme ils estoiẽt prests de sortir,
il commença de tomber vne pluye si grosse,
& si importune qu’il estoit du tout impossible
qu’on peust demeurer parmy la campagne, ce qui
fut cause que par courtoisie, on les laissa pour ce

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iour là de dans le Chasteau le iour tout entier, &
la nuict suiuante. Ils furent toutefois retranchez,
& les nostres y estans entrez, on ne leur laissa qu’vn
petit appartement ; capable seulement de leur
donner le couuert, Ceux des nostres qui y entrerent
en ce temps, estoient la compagnie colonnelle
des Bourgeois, commandée par Monsieur d’Espagnis
Conseiller, encore qu’il fust incommodé
d’vne blesseure qu’il auoit receuë dans vne occasion,
precedente ; Vne compagnie du Regiment
du Parlement, vne compagnie du Regiment de
Sauuebeuf, tous les gardes du mesme Seigneur
de Sauuebeuf, & ceux de du Seroir les derniers
estant sans casaque.

 

Le dix neuuiesme du courant ceux de la garnison
sortirent au nombre de 128. de bonne deffence,
sans compter les femmes, enfans, ou soldats
blessez ou malades.

On a trouué dans la place, des fortifications capables
de les faire long-temps resister, vn bastion
bien flanqué, & cinq retranchemens contigus bordez
de canons & fauconneaux tous chargez &
prests de fondre sur nous. Il se trouua grande
quantité de munitions de guerre & de bouche, si
bien que ce n’a point esté manque de se voir en
estat de deffense, qui les a fait rendre si tost, mais
nous pouuons iuger plus probalement, que ç’a

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esté la seule peur qu’ils auoient pour leurs femmes
& pour leur enfans qui les a fait resoudre à ne se
deffendre pas dauantage. On y trouua de plus les
meubles, tant ceux du Gouuerneur que d’autres
particuliers, auec trente mille escus d’argent. Il y
auoit de plus quatre vingts barriques de farine,
vingt six quintaux de poudte, force mesche, &
quantité de boulets : quarante pieces de canon de
fonte, & trente de fer, beaucoup de fauconneaux,
& vn nombre tres grand d’autres armes.

 

Le mesme iour dix-neuuiesme il fut resolu par
le Parlement, que l’on feroit l’inuentaire de tout
ce qui estoit dans la place, & que toutes les fortifications
qui commandoient sur la ville seroient demolies,
à quoy le peuple ne s’est pas porté laschement,
abbatant luy mesme toutes celles qui se
trouuoient du costé de la ville, & qui la pouuoient
incommoder, sans toucher toutefois aux
dehors.

Hier vingt-tiesme du mois, l’armée Bourgeoise
fit reueuë au Daufin, auec resolution de partir
bien-tost pour aller attaquer Cadillac, & se monstrent
plus resolus que iamais à ne point faire d’accommodement
de la part de leur Gouuerneur, esperant
que la bonté de leurs Maiestez aura esgard
à leur bon droit, & qu’en fin ils leur donneront
vne bonne paix, pour laquelle ils ne demandent

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autre chose, sinon que ceux qui ont esté la causes
des troubles dedans la Prouince reçoiuent le chastiment
qu’il meritent, pour vne si grande trahison.

 

Vostre,

Escript à Bordeaux ce 23. Octobre 1649.

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