Anonyme [1652 [?]], LETTRE DV BOVRGEOIS DES-INTERESSE. , françaisRéférence RIM : M0_2082. Cote locale : D_1_63.
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LETTRE
DV
BOVRGEOIS
DES-INTERESSE.

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LETTRE DV BOVRGEOIS
des-interessé.

MONSIEVR,

Ie souhaite que celle cy que ie vous escris à la
veuë du port, termine auec nos voyages, l’obligation
de vous en faire le recit, & que sa Majesté se
repose, pour donner loisir à ma plume de la pouuoir
suiure, autrement ie serois contraint de laisser
imparfaite l’image de sa vie, & reduit au desespoir
de ces Peintres, qui ne sçauroient trouuer en
vne posture arrestée, la beauté qu’ils destinent au
chef-d’œuure de leur pinceau ; Paris si le Ciel
exauce nos vœux, terminera la course du Roy,
& soulagera la foiblesse de l’Historien.

Le dernier Courrier vous porta la réponse que
le Roy fist aux Deputez, elle estoit si conforme
aux sentimens communs, que les moins credules
& les plus sages, la publierent incontinent pour
la conclusion de la paix, l’Armée mesme par son
oisiueté sembloit en commencer l’execution,

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nous attendions auec impatience, que Paris l’eust
confirmée, lors que nous aprismes que la violence
du Factieux auoit aneanty son projet, outragé
ses depositaires, & changé les voix d’acclamation
& de triomphe, en des cris de terreur, de guerre
& de massacre : que le Duc de Beaufort par vn attentat
à la liberté de la Ville & des gens de bien,
auoit assemble la canaille à la place Royalle & là
sans respecter la presence du Iuste, & du Heros
qui y preside, auoit harangué le Seditieux & l’assassin
& assigné leur solde sur le pillage du riche
Bourgeois, & du Magistrat ; que le Mardy ensuiuant,
sans l’ordre que vous apportastes à la conseruation
de vos maisons, & de la seureté publique,
le Palais du Iuge alloit estre occupé par
le criminel, les quartiers armés l’vn contre l’autre,
& le beau Paris déchiré par ses propres mains.

 

Le Roy qui sçait bien que cette Ville enferme
tout son Royaume, & qui la regarde comme la
Couronne de sa teste, se resolut de la tirer d’vn esclauage
si cruel ; part de Melun, mesprise l’incommodité
de la saison, & la chaleur du iour, par vne
plus ardẽte charité, couche à Chemin, où la Cour
ne se seruit que de ses chambres nuës, & de ses allées
couuertes, le Roy ayant eu autant de bonté,
pour conseruer la maison de Viole, que ce President
fugitif à de malice à le trahir : Le défile des
trouppes du Maréchal de Seneterre retarda la

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marche du lendemain, & obligea le Roy qui les
vouloit voir en Bataille, de souffrir toute la iournée
le Soleil & la poussiere, elles trainoient six
pieces de canon, & estoient composées de treize
escadrons, & trois bataillons, chaque soldat meritoit
de combatre, chaque Officier de commander
sous le braue Seneterre, l’ordre de la marche
fust merueilleux, & la bonté de sa Majesté le plus
beau Soleil qui l’eclaira, on fit le chemin deux fois
pour couurir la campagne, & donner vne sauuegarde
à la moisson ; les premiers soins de leurs
Majestez à S. Denis, apres auoir adoré sur le tombeau
de leurs Ancestres, se porterent à la nourriture
de Paris ; ce soin Paternel attendrit le cœur
de tout le monde, & donna mesme de l’indignation
à ceux qui ne sçauent pas que le tumulte de
Paris n’est excité que par vn tas de coquins, &
que le Bourgeois n’y contribuë qu’vne souffrance
inuolontaire : Il y a des yeux que la lumiere offense,
& des animaux qui changent l’aliment en
poison, on ne manqua point de decrier à Paris la
conduite de la Cour, qu’on enuoyoit du pain
pour auoir de la munition, & que la mort estoit
cachée dans cét entretien de la vie, on saisit vn
Boulanger au Cimetiere saint Iean pour auoir mis
de l’Arsenic dans son pain, cependant il n’en resta
point, soit que la faim méprise le peril, ou que le
laron purifie ce qui seroit veneneux à vn acheteur
legitime.

 

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Ce n’estoit pas assez de nourrir Paris, il falloit
le degager de sa seruitude, les Princes estoient ses
Maistres & ses Tyrans ; on ne pouuoit luy rendre
la liberté que par la deffaite de leur party : à cét effet
vne partie de l’armée passa sur le pont de bateaux
qu’on auoit fait sur la riuiere qui la separoit de
celle des Princes ; mais ceux cy se voyans beaucoup
inferieurs en nombre, abandonnerent leur
poste de S. Clou, à dessein de se retirer à Paris, ou
de se ietter dans Charenton ; peu s’en fallut que
ces deux retraittes ne leurs manquassent entierement,
la porte de l’vn fut refusée par les Parisiens ;
& les troupes du Roy leurs couperent le chemin
de l’autre au dessous de Vincennes : dans ce desespoir,
ils se seruirent des barricades du Fauxbourg,
& s’y retrancherent, le combat y fut opiniatré &
sanglant ; Les Princes reconnurent alors qu’ils s’estoient
trompez dans leur calcul, que tous ces
crieurs de guerre-la font fort mal, & que la fidelité
des Bourgeois ne s’esbranle pas facilement : Le
Duc de Beaufort qui voyoit la deffaite entiere de
leur armée si Paris n’aydoit leur retraite ou leur
combat, paroist dans les ruës l’espée en main, sans
chapeau (à son ordinaire) quand il veut se battre
vaillamment ; il prie, il anime, il reproche, le Prince
perit, le Mazarin triomphe ; les femmes luy respondent
par l’effroy & le silence, les hommes le
regardent & tournent le dos ; le peu de secours

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qu’il recueillit ne leur laissa plus d’autre salut que
dans la fuitte ; ie dois cette gloire à la fidelité du
Bourgeois, qu’il disputa long-temps le passage aux
troupes des Princes, qu’il abandonna plustost ses
portes qu’il ne les ouurit, que cette nouueauté luy
tira les larmes des yeux, de voir les drapeaux rouges
ombrager ses ruës, & l’Espagnol se refugier
dans Paris en presence du Roy chassé hors des murailles
de sa ville, & qui au milieu d’vne puissante
armée & d’vn honteux exil, luy fournit encore son
pain, ménage sa recolte, luy renouuelle chaque
iour des tendresses de pere, & (le diray-ie) des
complaisances de seruiteur.

 

Le pauure Bourgeois éprouua dés le lendemain
qu’vn serpent rechauffé ne paye son hoste que de
venin : Car ayant deputé de chaque Quartier à
l’Assemblée de Ville, pour pouruoir à sa seureté,
les soldats des Princes escortez de seditieux les inuestirent
dans l’Hostel, demandent le preuost des
Marchands, & les autres seruiteurs du Roy sous le
nom de Mazarins, menassent du feu & bruslent en
mesme temps, ces innocentes victimes éuiterent
le sacrifice par vne genereuse resistance, & vne
Vnion forcée à la volonté de leurs bourreaux ; l’Eglise
de S. Iean la plus proche de l’embrasement
fist ses efforts pour appaiser la colere du Ciel & la
rage de la terre, elle exposa le Sacrement adorable
sur les degrez de l’Hostel de Ville, ces furieux

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flechirent le genoüil ; leur respect dura autant
que la presence de ce Dieu caché : ils se releuerent
aussi tost auec le fer & le flambeau : La procession
fist aussi peu d’effet dans les ruës où elle passa,
& quoy que le prestre criast auec vn ton lugubre,
que la Religion alloit s’enseuelir sous la
cendre de l’Autel ; on se contenta de verser des
larmes sur l’embrasement : Ce spectacle emportoit
mon zele, ie brulois d’enuie d’esteindre le
feu auec mon sang : Ah disois ie, Beaufort appelle,
& on le suit, Iesus-Christ paroist, & on l’abandonne ;
Iuste Dieu, ne nous iugez pas par
nos offenses, sauuez nous par vostre bonté :
mon cher amy, que nous promet cette violence
du gouuernement des Princes qu’vne extreme tyrannie ?
Ces moderateurs reprochent sans cesse
l’emprisonnement d’vn Conseiller, & ils commandent
le massacre d’vne Assemblée de gens de bien ;
apres cela ne diront-ils pas que la ville s’est declarée,
que son honneur l’engage à maintenir ses entreprises ?
comme si l’on estoit obligé à vn voleur de
luy tenir la parole qu’il auroit arrachée auec l’espée
& le poignard, si le Roy se fust presenté à nos portes
quand ces incendiaires brusloient celles de nostre
Hostel, ils n’auroient pas eu si bon marché de
la facilité du Bourgeois, nous eussions receu nostre
Prince à bras ouuerts, nous l’eussions porté sur nos
espaules & en triomphe ; les pains de proposition

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que nous eussions offerts à nostre Pontife eussent
esté les pierres démolies des Palais de Luxẽbourg
& de Condé : il n’est pas de nos actions comme de
nos iours, celuy d’hier ne reuiendra plus dans la nature,
& demain nous pouuons faire ce qu’aujourd’huy
nous auons manqué ; aussi bien le Roy est la
richesse de Paris, & la paix le bien general de la
France, le plus salutaire conseil est celuy qui nous
ramene tous les deux ; suiuons donc le chemin qui
nous y conduit & plustost & plus seurement ; les
Princes ne nous donnerons pas le Roy, personne
ne donne ce qu’il n’a pas ; la paix est aussi peu dans
leur pouuoir ; car où elle se fera par le traitté ou
par la victoire, des deux costez elle est plus dans
la disposition des Parisiens que des Princes, car ils
peuuent plus & demandent moins ; les Princes ne
subsistent que par nostre appuy, & si nous eussions
voulu Mercredy, les Condé & Beaufort ne seroient
plus que des noms de braues malheureux :
nous n’auons point de bienfaicteurs à recompenser
de bastons de Mareschaux & de gouuernement
de Prouinces, Paris ne demande que la
paix, la presence de son Roy, & la diminution de
ses imposts, qui n’est qu’vn petit reuenu annuel,
& qui en vingt ans ne fera pas la somme que le seul
Prince de Condé demande d’abord pour le dédommager
des frais de la guerre : nous n’auons
point d’Espagne à satisfaire, Paris n’a point soüillé

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sa pureté d’vne si salle alliance ; ce n’est pas son
vaisseau qui nous a porté ces restes de Mores & de
Sarrazins, elle nous deuroit seulement le passage
de ses troupes, si en cela nous luy auions rendu
vn seruice volontaire : Et puis, que ceux qui ont
commẽcé la guerre l’entretiennent, le Prince de
Condé ne nous a interessé dans sa querelle que
dans sa derniere necessité, il ne songeoit à Paris
que comme en vne ville qui s’estoit réjoüye de sa
prison, quand Bordeaux suffisoit à sa defense, nous
ne luy auons point d’obligation, l’azile ne doit
rien à celuy qui s’y refugie ; par bien seance nous
luy dirons, faites vostre paix ; par deuoir & par iuterest
nous l’abandonnerons : outre que ie ne vois
pas vn succés certain, si nous nous declarons pour
luy.

 

Premierement, il faudra l’aider d’hommes &
d’argent : quel aduantage esperons nous de l’vn &
l’autre ? les loyers & les rentes ne sont point payées,
le commerce est interrompu, le reuenu de la campagne
est ou en debtes de Fermier, ou entre les
mains du soldat : chaque iour nostre affliction renouuellera
sur le lict ou sur le tombeau de nos parens,
de nos voisins & de nos amis.

Secondement, les esprits sont fort diuisez, la
reünion ne s’en peut faire qu’auec vn desordre
espouuantable & quel regret de voir poursuiure
auec toute sorte de violence, tel qui ne sera pas

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du sentiment commun : & qui d’ailleurs est nostre
amy, comme il arriue tous les iours dans les entretiens
familiers.

 

Troisiemement, à dire le vray, l’armée des
Princes est fort petite : celle du Roy est de seize
mille hommes effectifs, sans les troupes de Guienne,
de Bourgogne & de Berry qui le viendront
ioindre au premier ordre : la nouuelle milice que
nous leuerons est de nulle expedition, & presque
esteinte deuant l’âge & l’experience, ou nous éloignerons
la guerre de Paris, ou nous la ferons à ses
portes, ce dernier nous rend la proye de deux armées,
& ne nous laisse de nos maisons de campagne
que la terre nuë, & les mazures, & nous supporterons
seuls le fardeau de la guerre, qui demande
vne despense Royalle, & qui a épuisé deux
riches Princes, secourus de l’argent d’Espagne ; si
nous detournons la nuée sur les autres peuples de
la France, il depend d’eux de la receuoir ou coniurer,
& vous m’auouërez que hors la banliëu nous-sommes
tres mêchants soldats, Les Prouinces
ont appris de la paix de 1649. que Paris ne se remuë
que pour luy mesme, & cette derniere reuolution
leurs enseignera que son mouuement est
violent, & que reprenant son repos naturel, toute
la colere du Roy se dechargera sur la foiblesse
abandonnée ; au commencement de la guerre, il
y auroit eu plus d’apparence de l’engagement des

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Prouinces ; mais à present elles sont ou attachées
au Roy par le malheur du Prince, ou par vne inclination
fidele, ou resoluës à neutralité qui iusque
à cette heure les a maintenuës paisibles Spectateurs
du mouuement de leurs voisins : Si ie
voyois vne insigne aduantage reüssir de la declaration
de la Ville, en faueur des Princes, ie ne serois
pas le dernier à la persuader, ie me couurirois
de fer le premier, s’il nous r’amenoit le siecle dor ;
mais quand ie considere que l’eloignement du
Cardinal est la fin qu’il nous proposent, & que
chacun d’eux nous destine vn Ministre plus cruel,
ie conclus que le changement de maladie n’est
pas la santé du malade, qu’vn nouueau bourreau
ne finit ny ne modere les supplice, que ces noms
de Mazarini, de Gondy, & de Chauigny, sonnent
egallement, qu’il vaut mieux receuoir l’vn de la
main du Roy, par vne declaration paisible, que
fouler aux pieds le respect du Prince, la gloire
de la nation, la seureté des familles pour éleuer les
ministres des Princes sur nos testes, au peril de la
vie, des biens, & de l’Estat.

 

FIN.

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