Anonyme [1652], LES VERITABLES MAXIMES DV GOVVERNEMENT DE LA FRANCE, IVSTIFIÉES PAR L’ORDRE des temps, depuis l’establissement de la Monarchie iusques à present : Seruant de Response au pretendu Arrest de cassation du Conseil du 18. Ianvier 1652. DEDIÉ A SON ALTESSE ROYALE , français, latinRéférence RIM : M0_3969. Cote locale : E_1_86.
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LES VERITABLES MAXIMES
du Gouuernement de la France, Iustifiées par l’ordre
des temps, depuis l’establissement de la Monarchie
iusques à present : Seruant de Response au pretendu
Arrest de cassation du Conseil du 18. Ianuier 1652.

IL y a long temps que i’attendois cette occasion, pour détromper le
public, & luy faire voir ce que c’est que le Conseil d’Estat, & ce qu’il
peut, quel est le droict & l’authorité du Parlement, & quelles sont enfin
les loix fondamentales du Royaume.

On s’estonnera sans doute, apres auoir leu ce discours, que des
gens qui n’ont aucune iurisdiction contentieuse, ny mesme aucun caractere
public, pretendent neantmoins depuis quelques années estre
les seuls moderateurs de la France, pouuoir estouffer toutes les puissances
legitimes, & fermer la bouche, quand ils veulent au Parlement,
dont l’authorité est aussi ancienne que la Monarchie.

Pour bien expliquer cette matiere, que ie puis dire estre la plus vtile
qui ait esté traictée dans les presens mouuemens de l’Estat ; il faut
voir de quelle façon nous auons vescu dans la Premiere, Seconde &
Troisiéme race de nos Rois.

Tous nos Historiens demeurent d’accord, que dans la premiere
Race tous les Francs s’assembloient tous les ans. Il n’y auoit personne
qui se pust dispenser de se trouuer à l’Assemblée, qu’auec vne excuse legitime.
Le Roy y estoit tousiours esleué dans vn Tribunal. C’estoit
là que se faisoient les Loix, qu’on traictoit de la Paix, de la Guerre, des
Alliances, & de toutes les grandes Affaires du Royaume. Tout se decidoit
par la liberté des suffrages. Tout le monde auoit part à la deliberation,
parce que nostre Monarchie auoit esté fondée sur la liberté : Il
n’y a iamais eu de gouuernement plus naturel.

Dans la seconde Race, la France s’estant accreüe par les conquestes
de Charlemagne & de ses Enfans, il fut impossible d’assembler comme
auparauant toute la Monarchie. Tout fut reduit à l’Assemblée des
principaux du Royaume, qu’on faisoit aussi tous les ans, tantost dans
vn lieu, tantost dans vn autre ; il n’y en auoit point de certain.

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Cette forme de gouuernement a encore continué dans la troisiéme
race pendant trois cens ans. Rien ne s’y est passé non plus qu’auec cette
authorité publique. Il n’y auoit point d’autre Tribunal pour les affaires
de l’Estat & la police generale du Royaume. C’est pour cela que
nos Historiens ont appellé ces Assemblées, Iudicium Francorum.

Fredegarius in
Chronico cap. 37. 38.
39. & 40. Annales
Metenses ad annum
755. Carta Monasteris
Gellonensis. A ctis
Villari Idibus Octob.
in arno quo Carolus
Dux Lothorengiæ,
ob leu tatem suam
IVDICIO
FRANCORVM
fuit exheredatus, &
Hugo, qui dicitur
Capet, SECVNDVM
LEGEM
sublimatus.

Du temps de Philippes Auguste, ces sortes d’Assemblées par le iugement
desquelles tout estoit resolu, changerent de nom & non pas
d’authorité, on commença à les appeler Parlement.

Ce Parlement fut long-temps Ambulatoire.

Il fut fait sedentaire pendant le regne de Philippes le Bel.

Louys Hutin luy donna son Palais. Et dans le mesme temps les Affaires
publiques ne se presentant pas tous les iours, il commença à cognoistre
par Appel des causes importantes & de grand poids qui ne regardoient
que les particuliers.

Le Parlement ne perdit pas pour cela la connoissance des affaires
publiques. Il n’auoit garde de renoncer a vn droict si auantageux ; il representoit
tousiours cette Assemblée generale des Francs. Pour estre
sedentaire il conserua tousiours sa dignité & son pouuoir.

Et defait, nous voyons que le Parlement a tousiours esté vn abregé
des trois Estats. Nous y voyons encore auiourd’huy l’Eglise représentée
par vn nombre de Conseillers Clercs ; Nous y voyons la Noblesse
dans la personne des Princes du sang, & des Ducs & Pairs de
France, qui sont les premiers de la Couronne. Enfin le corps entier,
qui est vn corps mixte, y represente tous les Ordres du Royaume.
Le Roy y a son lict de Iustice, à l’exemple de cet Auguste Tribunal,
sur lequel il estoit tousiours esleué dans l’Assemblée generale des
François au commencement de la Monarchie, ou dans l’Assemblée
des Grands de l’Estat en la seconde Race, & plus de trois cens ans dans
la troisiéme.

On y traicte encore à present les mesmes matieres. Les Estrangers
ne croyent point la paix conclüe auec nous, qu’apres que le Traicté y
a esté verifié. Le Roy y enuoye aussi tousiours les motifs, qu’il pretend
auoir de faire la guerre. C’est vne Loy fondamentale, que rien ne peut
estre imposé sur les subjets du Roy, & qu’on ne peut faire aucun Officier
en France, donner aucun tiltre nouueau, que par le consentement
du Parlement, qui represente le consentement general du peuple.

On sçait aussi que le Parlement connoist du Domaine, du droict de
Regale, des Duchez & Pairries, & de tous les droicts Eminens de la
Couronne.

Il n’y a que le Parlement qui puisse aussi faire le procez aux grands

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Officiers de l’Estat, aux Ducs & Pairs, & aux Princes du sang.

 

Ce fut le Parlement, qui sous le Roy Philippes de Valois condamna
Robert Comte d’Artois. Iean d’Alençon sous Charles VII.
Le Connestable de S. Paul & Iacques d’Armagnac Duc de Nemours
ausquels on coupa la teste sous Louys XI. Charles de Bourbon Connestable
de France sous François I. y fut aussi condamné. Sous François
II. il cassa l’Arrest de condemnation rendu contre le Prince de
Condé, par ce qu’il auoit esté fait par des Commissaires. Sous Charles
IX, il condamna l’Admiral de Colligny. Sous Henry IV. on y
fit le procez au Duc de Biron. Et sous Louys XIII. dans le temps
mesme que le Cardinal de Richelieu son fauory auoit donné atteinte
à toutes les loix de l’Estat, on ne laissa pas de s’addresser au
Parlement, pour faire condamner la memoire du Comte de Soissons,
le Cardinal de Richelieu sçachant bien, que c’estoit le seul Tribunal
pour les grandes affaires du Royaume.

Mais l’authorité du Parlement a tousiours esté estimée si Auguste
que les Princes estrangers l’ont mesme fait souuent Arbitre de leurs
differends.

L’Empereur Frederic II. se soubmit à son iugement, pour les pretentions
qu’il auoit contre le Pape Innocent IV. pour le Royaume
de Sicile.

Le Duc de Lorraine & Guy de Chastillon se rapporterent au Parlement
pour regler la separation de leurs terres & de leurs Seigneuries.

Le Dauphin de Viennois & le Comte de Sauoye en firent autant
pour l’hommage du Marquisat de Saluces.

Et ce qu’il y a de plus remarquable, c’est qu’en 1403 les Rois de
Castille & de Portugal enuoyerent Omologuer leur traicté de paix au
Parlement les Chambres assemblées.

Enfin c’est le Parlement qui fait les Regens. C’est luy qui maintint
la Loy Salique en la personne de Philippes de Valois contre Edoüard
Roy d’Angleterre. Ce fut le Parlement qui conserua aussi la mesme
loy sous Henry IV. & qui par son authorité rendit le calme à toute
la Monarchie.

POVR CE QVI EST DV CONSEIL qu’on appelle auiourd’huy le Conseil
d’Estat, qui fait tant de bruit, & qui pretẽd pouuoir estouffer toutes
les puissances du Royaume, il n’est pas difficile de descouurir son origine
& son pouuoir.

I’ay obserué cy-dessus, qu’auparauant que le Parlement se fit sedentaire,
ce qui n’arriua qu’enuiron l’année mil trois cens quatre ou cinq
le Roy se trouuoit tousiours aux deliberations, & aux resolutions

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qu’on y prenoit. Mais apres cela le Parlement n’estant pas tousiours
proche du Roy ; le Roy commença pour lors à se seruir de l’auis de
quelques personnes notables qu’il choisissoit luy mesme, non pas
pour rien resoudre, car c’estoient des particuliers, qui ne faisoient
point de corps, & qui n’en ont iamais fait dans l’ordre de nostre gouuernement ;
mais il auisoit auec eux ce qu’il croyoit deuoir estre proposé
au Parlement pour le bien de son Estat. C’est de là seulement que
les Declarations & les Edicts ont pris leur origine, n’y en ayant point
de plus Anciens que le regne de Philippes le Bel, parce que le Roy n’estant
pas tousiours à la teste de son Parlement, il y enuoyoit sa volonté
dans des Lettres patentes pour y estre examinées auec liberté de suffrages :
Et iamais ces Declarations ne passoient pour estre la veritable
volonté du Roy qu’apres que le Parlement les auoit verifiées.

 

Et de fait, pour monstrer que les Rois ont tousiours reconnu la necessité
de cette police, comme estant deriuée de l’Assemblée generale
des Francs ; C’est que nous lisons dans l’Histoire que Charles V.
surnommé le Sage, ne declara iamais la guerre, & ne fit aucune affaire
importante que par l’aduis du Parlement.

Louys XI. quoy que plus jaloux de l’authorité que pas vn de ses
predecesseurs, remercia le Parlement de ce qu’il auoit refusé les Edicts
qu’il luy auoit enuoyez pour verifier, à cause qu’ils alloyent contre le
bien & le repos de ses peuples, & adiousta qu’il ne le forceroit iamais
à faire rien contre sa conscience. Il exhorta aussi son fils en mourant
de ne rien entreprendre sans l’aduis de ses Pairs & de son Parlement, il
voulut mesme que la Remonstrance qu’il luy fit y fût registrée.

François I. tesmoigna à l’Empereur Charles-Quint, que tout
ce qu’il luy pouuoit promettre de son chef pour sa liberté seroit inutile,
qu’il falloit necessairement par les Loix de son Royaume le consentement
de son Parlement, qui estoit le veritable depositaire de son
authorité, & qui representoit tous les peuples.

Henry III. reuoqua tous les Edicts qu’il auoit fait verifier contre
l’aduis du Parlement. Il aduoüa que c’estoit contre l’ordre de l’Estat,
& que s’il n’eust point violé cette Loy fondamentale, son regne
n’eust pas esté malheureux.

Dans les Anciens Registres nous voyons que quand le Parlement
refusoit les Edicts, il prononçoit tousiours en ces termes. LA COVR
A ORDONNÉ QV’ELLE N’OBTEMPERERA POINT.

Et dans les derniers temps, au milieu mesme des desordres publics,
& de la violence de ceux qui se sont qualifiez du nom de Ministres ;
combien de fois le Parlement a-t’il prononcé qu’il ne pouuoit ny ne deuoit

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entrer dans la verification de l’Edict.

 

Apres cela ie ne croy pas qu’il y ait personne qui puisse s’imaginer
que le Parlement soit soubmis à la iurisdiction du Conseil. Ie ne pense
pas qu’on se puisse persuader que des gens, qui ne font aucun corps
dans l’Estat, & qui se sont formez eux mesmes par là corruption de
nostre siecle, ayent le pouuoir de casser les Arrests du Parlement. Le
Conseil n’a aucun caractere public. Le Roy n’a commencé à donner
des Lettres aux Conseillers d’Estat que depuis quelques années, ils
n’auoient auparauant qu’vn simple Breuet. Ils n’ont aucune Iurisdiction
contentieuse. Toutes nos Ordonnances le portent. L’Ordonnance
de Blois y est formelle en l’article quatre vingt onze. La declaration
du mois d’Octobre 1648. le porte aussi expressément. Tellement
que c’est vne entreprise manifeste du Conseil de casser des Arrests,
il n’a point ce droict là du tout.

Quelqu’vn dira peut estre que le Roy estant present à la deliberation,
& cela se faisant dans le Conseil d’Enhaut, qu’il n’y a point d’authorité
au dessus de la sienne.

Premierement, ce conseil d’Enhaut est vn mot nouueau, que les
derniers Ministres ont inuenté pour appuyer leur Tyrannie. Il n’y a pas
dix ans qu’il estoit dans l’idée, c’est vne inuention de la derniere Regence,
on ne sçauoit auparauant que c’estoit que le conseil d’Enhaut.
Les Estrangers ont corrompu la façon de parler de nos Peres, aussi
bien que leurs mœurs & leur discipline.

Mais soit que le Roy soit present en son Conseil, soit qu’il n’y soit
pas present ; neantmoins il est certain que le Roy n’y assiste pas pour
y destruire les Loix de son Royaume. Au contraire sa Souueraineté
consiste particulierement à les maintenir : C’est son serment, c’est le
contract qu’il fait auec ses peuples. Tout ce qui se traicte dans son
Conseil secret ne peut donc pas détruire l’ordre estably de tout temps
dans le Royaume.

Le Conseil a ses matieres, le Parlement a les siennes.

Dans le Conseil on y peut bien traiter des recompenses, des honneurs,
des dignitez. On y peut encore deliberer (quand la guerre a
esté concluë) de donner bataille, ou de ne la pas donner, d’assieger
vne Ville plutost qu’vne autre, parce qu’il seroit inconuenient de faire
tout cela dans le publiec : on ne blesse point pour lors les loix & la
police de l’Estat.

Mais dés le moment qu’il s’agist de quelque chose, où le peuple a
interest ; ce n’est pas dans le Conseil qu’elle doit estre resoluë : Le Roy
ne peut contracter auec son peuple, que dans son Parlement, n’y destruire

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rien de ce qu’il a fait, que dans le mesme lieu : c’est vne matiere
contentieuse. C’est là que tout se doit examiner auec liberté de suffrages.
Le Roy y a son lict de Iustice, comme il auoit son Tribunal
esleué dans l’Assemblée generale des Francs. Le Parlement represente
cette Assemblée, c’est la mesme Authorité. Aussi ne trouue-t’on
point de lettres de son Institution, parce qu’estant la representation
de la Monarchie toute entiere, qui s’assembloit tous les ans In
campo Martio dans la premiere Race, ou de l’assemblée des Grands du
Royaume dans la seconde, & fort auant dans la troisiesme ; le Parlement
se trouue aussi ancien que la Couronne, il est nay auec l’Estat.

 

Et ie ne pense pas faire tort à la souueraineté du Roy de defendre
les Loix fondamentales du Royaume : chaque Estat a sa police. Mais
ce qu’il y a de remarquable dans nostre gouuernement, c’est qu’il est
tout naturel. C’est à dire que toutes les choses s’y sont tousiours faites
par le consentement du Souuerain auec ses subjects, & des subjects
auec le Souuerain : ç’a tousiours esté vne correspondance reciproque.
La Souueraineté de nos Rois est de faire Iustice, de faire toute sorte de
bien. Ils sont les veritables. Images de la Diuinité, qui ne peut iamais
faire de mal. Leur Souueraineté est absoluë, lors qu’il s’agist de l’execution
de la Loy, & non pas pour la destruire.

Si c’est donc vne verité constante, comme ie l’ay cy-dessus iustifié,
que toutes les grandes affaires du Royaume se sont tousiours traictées
dans le Parlement, si c’est le lieu seul où le Roy fait les Loix & contracte
auec son peuple, il est certain que par vn Arrest du Conseil on
na pas peu destruire ce qu’il auoit promis contre le Cardinal Mazarin.
Il auoit donné plusieurs fois sa parole Royale, qu’il ne pourroit estre
restably pour quelque cause, pretexte & occasion que ce fust : la Declaration
enuoyée & verifiée au Parlement le portoit aussi formellement,
c’estoit vn contract solemnel, & qui estoit le fondement d’vn nombre
infini d’Arrests. Cette declaration n’estoit point vne Loy nouuelle,
c’est vne Loy ancienne dans le Royaume, & la premiere de tous les
Estats, de ne laisser iamais le gouuernement entre les mains des Estrangers,
& principalement de ceux qui ont pris leur naissance & leur origine
dans vne terre ennemie. L’Edict de Loudun y est precis, & l’Arrest
rendu contre le Mareschal d’Ancre, donné à la requeste du Procureur
general du Roy,

Pour destruire donc cette police naturelle & ciuile, qui se trouuoit
encore confirmée par la Declaration verifiée contre le Cardinal Mazarin,
& par tant de paroles Royales, il falloit que le Roy vint au Parlement,
qu’il apportast luy-mesme, ou qu’il enuoyast vne Declaration

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contraire, laquelle fut verifiée auec liberté de suffrages. C’est à dire
que le Roy fist voir à son Parlement, & à toute la France, que la Loy
qui deffend aux Estrangers l’entrée dans le Ministere & dans les Charges
publiques, est vne Loy iniuste, qu’vn Estranger, & bien souuent vn
Ennemy de l’Estat est preferable à vn Regnicole, à vn naturel Frãçois,
aux Princes de son Sang, à tous ses Parlemens, à tous ses Officiers, à
tous les Ordres du Royaume, & à tous les peuples qui s’en plaignent,
& qui luy ont tant de fois demandé iustice contre luy.

 

Il falloit que le Roy eust fait voir dans son Parlement, que le Cardinal
Mazarin n’a point rompu la paix generale, que ce n’est point luy
qui a exercé la piraterie sur la Mer, qu’il n’a point esté d’intelligence
auec les ennemis pour laisser perdre Courtray, & le Royaume de Naples
qui nous tendoit les bras. Qu’il n’est pas vray aussi qu’il ait traitté
la pluspart des grands du Royaume de Cromuels & de Fairfax. Qu’il
ait voulu faire passer dans son esprit le Parlement de Paris, pour le Parlement
d’Angleterre. Que c’est auec raison qu’il fit emprisonner Mr le
Duc de Beaufort dés le cõmencement de son Ministere. Qu’il n’a point
fait aussi empoisonner Mr le President Barillon, qu’il a peu retenir le Mareschal
de la Mothe trois ans entiers en prison & luy faire faire son procez
par des Commissaires tirés mesme d’vn Parlement, dont il n’estoit
point iusticiable, faire aussi arrester Monsieur de Broussel & Monsieur
le President de Blanc Mesnil au milieu des prieres publiques, enuoyer
chez plusieurs autres Officiers du Parlement pour les faire enleuer
auec la mesme violence, à cause qu’ils auoient deffendu la cause du
peuple : qu’il auoit aussi-bien fait de faire emprisonner le Mareschal de
Rantzau pour le dépoüiller de son gouuernement, & le donner à vne
de ses creatures : que sans Declaration verifiée & en vertu de simples
Arrests du Conseil, & contre toutes les formes du Royaume, il auoit
peu faire des taxes sur des particuliers, retrancher les gages, les rentes
& faire toutes sortes de leuées sur les Marchandises, & que trois
cens millions de liures imposées en deux années de Regence, dans
lesquelles on n’auoit presque payé personne, auoient neantmoins esté
vtilement employés. C’estoit donc par cette iustification que le Cardinal
deuoit preparer son entrée, c’estoit au Parlement qu’il deuoit
s’addresser, c’est le lict de Iustice du Roy, Iudicium Francorum, il n’a point
d’autre Tribunal. C’est dans ce lieu mesme ou le Roy l’a condamné
par vne Declaration solemnelle. Le Conseil ne pouuoit rien faire pour
luy, tout le monde demeure d’accord qu’il n’a point de iurisdiction
consentieuse, l’ordonnance de Blois article 81. y est formelle, le Conseil
n’a droit de condamner n’y d’absoudre.

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Et pas vn bon François ne doit trouuer ces verités estranges ny
dangereuses. Car encore que nous soyons dans vne Monarchie,
neantmoins il y a difference entre la personne du Roy & la Royauté.

La personne du Roy est le corps de la Royauté, elle est tousiours
saincte & sacrée. C’est pour cela qu’elle est accompagnée d’vn nombre
d’Officiers, de Gardes, de Noblesse, & qu’on a inuenté des habits
pompeux dont le Roy est reuestu aux grandes ceremonies, pour inspirer
le respect & la veneration dans l’esprit des peuples.

Mais l’ame de la Royauté est toute autre chose. C’est la Loy, c’est
la Iustice, ce sont les ordres publics, c’est l’ordre du Gouuernement,
c’est l’Ancienne Coustume, que nos Modernes ont mal appellée la
Loy Salique, qui n’admet que les masles au gouuernement, & qui
en a tousiours exclus toutes les femmes. I’ay prouué cet ordre inuiolable
dans la premiere race en l’Assemblée de tous les Francs. Dans
la seconde & plus de trois cens ans dans la troisiesme, en l’Assemblée
des Grands du Royaume. Et dans le Parlement sedentaire, i’ay fait
voir que toutes les affaires publiques y auoient aussi tousiours esté
traictées, & que depuis quelques années, & dans le mesme temps que
les nouueaux Ministres ont voulu contester cette authorité, ils l’ont
eux mesme reconnuë, ayant enuoyé plusieurs Edicts au Parlement
pour les verifier, & qui sont demeurez sans execution pour auoir esté
reiettés.

Mais nous auons encore vne preuue authentique de cette verité dans
l’Ordonn. de Louys XI. de 1467. qui est mesme cottee dans le dernier
article de la Declaration d’Octob. 1648. Ce Prince parlant de ses Officiers,
il dit : Qu’ils sont parties essentielles de la chose publique, & membres du
corps, dont il est le chef. Il ne parle pas là de son Conseil d’Estat. Il estoit
pour lors dans l’idée, du moins pour resoudre quelque chose qui regardast
la Police du Royaume, & faire la Loy au Parlement.

Et de faict cette Ordonnance ne fut faite que pour ne pouuoir à l’aduenir
destituer aucun Officier que par mort, où par forfaicture decretée,
c’est à dire, auec connoissance de cause. Cela ne peut estre appliqué
aux Conseillers d’Estat, qui peuuent estre destituez ad nutum, qui
n’ont aucun titre, ny aucun carractere public, & qui par consequent
ne se doiuent pas vanter d’vne puissance absoluë. Ce n’est point parmy
eux que les droicts de l’Empire & de la Souueraineté s’exercent, c’est
dans le Parlement que l’on delibere de la cause publique, & que l’on
prend les dernieres resolutions ; qui lient & engagent les Peuples, &
qui attachent leurs biens & leurs vies à leur Souuerain.

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D’où vient donc, dira quelqu’vn, que le Conseil d’Estat est Iuge des
Reglements, qu’il decide bien souuent les contestations qui sont entre
les Parlements.

La response est bien facile. C’est que les Parlements ayant esté multipliez
par la suitte des temps, il a bien fallu vn tiers pour les iuger dans
les differends qu’ils peuuent auoir les vns auec les autres. Le Grand
Conseil auoit esté autre-fois estably pour cela, le Conseil l’a vsurpé,
comme beaucoup d’autres choses : Mais ce n’est point vne marque de
superiorité, les parties sont bien souuent de meilleure condition que
les arbitres.

On sçait aussi que ces Reglements ne regardent iamais les affaires publiques,
ce sont matieres qui ne regardent que les particuliers, qui n’est
pas le plus noble employ du Parlement. I’ay monstré que ce n’estoit
qu’vn accessoire, lors qu’il se fit sedentaire, au lieu que nos derniers
Ministres, qui ont voulu tout corrompre, & que i’appelle plustost des
flateurs & des lasches courtisans que des Ministres, ont esté assez hardis
de dire souuentefois, que c’estoit leur principale occupation, &
mesme que le Parlement n’auoit esté fait que pour cela.

MAIS CE QVE IE TROVVE DE PLVS ESTRANGE, c’est
que l’Arrest pretendu de cassation, qui a donné subjet à ce discours, fait
injure au Roy mesme, & à la Monarchie toute entiere.

Premierement, on fait dire au Roy qu’il a fait reuenir le Cardinal en
France, à cause d’vne armée qu’il a leuée à ses despens : ce pretexte est-il
supportable. Le Cardinal Mazarin a leué vne armée à ses propres despens.
Le Cardinal Mazarin a reduit la France par son Ministere à ne
pouuoir se sauuer que par ses forces & par son secours. Nous n’auons
plus d’Alliez que luy, ce grand Estat n’est plus appuyé que sur cette
colonne, il tomboit sans luy & sans le credit de ses amis.

Est-il possible qu’il y ayt eu des François, qui ayent esté assez extrauagants,
qui ayent esté assez injurieux à la Nation, & à eux-mesmes, de
faire parler le Roy de la façon.

Ne sçait-on pas qui est le Mazarin, qu’il est de la lie du peuple dans
sa naissance, que ses mœurs ont tousiours fait scandale, que sa premiere
fortune a esté d’estre vn des derniers Domestiques des Barberins,
porteur de pacquets & de lettres : qu’il a seruy long-temps de Bouffon
au deffunct Cardinal de Richelieu : que ce qu’il a de biens il les doit au
pillage qu’il a fait en France, à ses Pirateries & à ses Brigandages : que
pendant son absence, lors qu’il estoit sur nostre frontiere attendant le
rappel de son bannissement contre toutes les Loix & les formes du
Royaume : on luy a enuoyé encore ce qu’il y auoit de plus net dans les

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Finances, & ce qui estoit destiné pour les gages de l’année presente, &
pour les Rentes de l’Hostel de Ville. Cependãt cet homme, dit-on, qui
n’auoit pas dequoy entretenir vn valet quand il est venu en France, à
fait vne armée pour le Roy à ses depens. Cet homme qui nous a perpetuellement
pillez, & qui n’est retourné que pour cela, a consommé
son propre bien pour sauuer l’Estat & le garantir d’vne totale ruyne.
Vn faquin, vn valet de son premier mestier, est venu au secours d’vn
Roy de France, il a fait vne armée à ses despens. Voila vn beau Conseil
d’Estat pour donner la loy au Parlement, voila des testes bien
faites. Ils maintiennent bien l’honneur de leur Maistre, de luy faire
tenir ce langage. Ils conseruent bien la reputation de nos armes, l’honneur
& la gloire de la Nation, de la faire dependre du dernier de tous
les hommes ? Que dira toute la France de prostituer ainsi sa gloire ?
Que diront nos Alliez de cette lascheté & de cette foiblesse ? Quel
auantage n’en prendront point nos Ennemis ?

 

On dit en second lieu, par ce pretendu Arrest de cassation, que
l’Arrest du Parlement blesse le College des Cardinaux, qu’il est aussi
contre les mœurs & les maximes de l’Estat.

Il semble qu’on veuille dire par là, que les Cardinaux François ou
Naturalisez, & qui ont mesme des emplois publics, ne sont point iusticiables
du Parlement.

Cette proposition a t’elle peu sortir du Conseil du Roy ? y a-t’il
vn François ? y a t’il vn Estranger residant en France, qui se puisse
dire exempt de la Iurisdiction du Parlement ? Les Princes du Sang sont
sousmis à cette authorité, ce sont leurs Iuges naturels. Ils l’ont tousiours
reclamée.

Est ce à cause que les Cardinaux font vn serment au Pape, & qu’ils
se disent les Princes de l’Eglise.

C’est vn serment que nous ne connoissons point en France, qui
n’oblige point nos Rois, & qui ne peut donner atteinte à leur Iurisdiction
& à leur authorité sur tous leurs Subjets, & sur tous ceux qui
demeurent dans le Royaume.

Et de faict nous auons vne infinité d’exemples de Cardinaux &
d’Euesques à qui l’on a fait le procez en France & dans le Parlement.

En 1217. Philippes Auguste rendit Arrest contre Manasses, Euesque
d’Orleans.

La Saulsaye en sa
vie.

Il y a eu aussi Arrest au Parlement en 1373. contre l’Archeuesque
de Rouën.

Lucius libro 2. Tit.
2. lib. des Libertez
pag. 73.

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Le Cardinal Baluë Euesque d’Angers & l’Euesque de Verdun furent
emprisonnez du temps de Louys XI. & leur emprisonnement iugé
legitime à Rome ; & par le Pape mesme à qui le Roy en donna aduis,
apres auoir esté instruit que par les Loix du Royaume personne
n’estoit exempt de la iurisdiction du Roy & de ses Officiers.

Philippes de Commines
lib. 2. cap. 15.
Iacobus Card. Papiensis
lib. 7. Commentariorum.

Sous le mesme Louys XI. Messire Iean Hebert Euesque de
Constances fut assigné pour respondre deuant le Parlement des crimes
dont il sut accusé. Il y comparut, & apres auoir esté interrogé il fut
arresté & mené prisonnier dans les prisons de la Conciergerie, & tous
ses biens & le temporel mesme de ses Benefices confisqués.

Chronique de
Louis XI. adjoustée
à la fin de
Monstreles. Preuues
des Libertez de
l’Eglise Gallicane,
pag. 159 :

Messire Helie de Bourdeille Archeuesque de Tours & Cardinal,
qui viuoit encore sous Louys XI. fut aussi plusieurs fois assigné au Parlement,
& son temporel confisqué pour auoir esté refractaire aux Arrests
rendus contre luy.

En la vie dud. Card.
qui est vn manuscrit
qui se trouue
dans la Biblioteque
de M. de Thon.

En 1549. il y eut des Arrests rendus contre les Euesques d’Agen &
de Beziers.

Lucius lib. 2. tit

Celuy contre le Cardinal de Chastillon est assez connu, & celuy
rendu contre Messire Guillaume Roze Euesque de Senlis. Ils sont raportés
l’vn & l’autre dans la compilation des Libertés de l’Eglise
Gallicanne.

Tout le monde sçait aussi les Arrests rendus au Parlement de Bourdeaux
contre le Cardinal de Sourdis les 15. & 19. Nouembre 1615. Et la
raison qu’ont les Parlemens de iuger ainsi les Euesques & les Cardinaux,
principalement dans les accusations celebres & de crimes d’Estat
sans qu’ils puissent demander leur priuilege, c’est que le priuilege des
Ecclesiastiques est de droict positif. Ce sont les Roys & les Empereurs
qui leur ont accordé, comme il paroist dans les Codes de Theodose,
& Iustinien aux tiltres de Episcopis & Clericis, & de Episcopali audientia.
Tellement que dans les regles, le Roy, n’estant iamais presumé auoir
donné des priuileges contre luy-mesme, celuy des Ecclesiastiques cesse
à son esgard.

Ie n’ay pas seulement
trouué ces
exẽples dans l’Histoire,
mais ie les
ay encore trouuez
tout ramassez dans
vn Manuscrit de
defunct M. Maistre
Guy Loisel, Conseiller
Clerc de la
grand’Chambre,
homme de grande
probité & suffisance,
& qui estant
Ecclesiastique a
prononcé luy-mesme
en sa cause.

Et cette regle est si inuiolable que les Ecclesiastiques de quelque qualité
qu’ils soient, n’ont point d’autres Iuges que les Officiers du Roy
dans les grands crimes, que si le Pape auoit cité le dernier des subiets
du Roy, la citation seroit abusiue. Il ne peut vendiquer personne en
France, cela est de droict public.

Mais quand ie me ressouuiens que depuis quelques années, le Pape
ayant fait vne Bulle, par laquelle il ordonnoit à tous les Cardinaux de
se rendre à Rome dans vn certain temps, le Conseil luy-mesme s’opposa
hautement à l’execution, & que la seule raison dont il se seruit fut

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que les Cardinaux, qui estoient en France & sous la protection mesme
du Roy, n’estoient point iusticiables de sa Saincteté. Quand ie me ressouuiens
que Monsieur le Chancelier en fit pour lors vn grand discours
au Nõce du Pape, & auec vne hauteur qui ne sentoit point du tout cette
Reuerence filiale, de laquelle le Conseil veut faire vanité aujourd’huy
pour s’accommoder tousiours aux interests du Cardinal Mazarin.
Quand ie me ressouuiens enfin que le Conseil excita encore la voix de
Messieurs les Gens du Roy, qui interietterent appel comme d’abus de
cette Bulle, sur cette seule consideration que le Cardinal Mazarin, &
les Barberins mesme qui estoient pour lors en France, ne pouuoient
par les loix du Royaume estre iustïciables de sa Saincteté, Ie m’estonne
apres cela comme nos nouueaux Ministres ont tombé dans cette absurdité :
Il faut qu’ils soient ignorans ou meschans, qu’ils ayent conspiré
contre le Royaume auec le Cardinal, ou qu’au lieu de ces belles connoissances,
que leurs partisãs leur ont tant de fois attribuées, ils n’ayent
iamais payé que de grimaces & d’hypocrisie.

 

On veut encore par ce preteudu Arrest de cassation, que l’Arrest du
Parlement soit contre les mœurs & la police du Royaume, parce qu’il
a ordonné que le Cardinal seroit representé mort ou vif à Iustice.

Cela est-il nouueau dans nos Mœurs ? Tous les iours le Parlement
prononce de la sorte, quand on ne peut faire executer les Arrests par les
voyes ordinaires, comme quand l’accusé s’est ietté dans vne maison
forte, ou qu’il marche tousiours accompagné de gens armez : il faut que
l’authorité en demeure à la Iustice. On ordonne que l’Accusé sera pris
mort ou vif.

Le Cardinal Mazarin marche auec vne armée toute entiere, il vient
insolemment triompher de toutes les loix, il fait violence au droict public,
& on ne veut pas qu’on prononce contre luy, comme on fait tous
les iours contre vn particulier, qui n’est accusé que de crimes ordinaires.
On veut que l’authorité du Roy, du Parlement, l’honneur & la
gloire de la Nation Françoise, soient mesprisez par l’insolence d’vn
Estranger, & qu’on n’employe pas les remedes les plus frequens pour
venger cet affront & cette iniure. Bref on veut que le Cardinal Mazarin
viole tout, & qu’il soit luy seul inuiolable.

Le Parlement n’a-t’il point d’exemples celebres pour appuyer encore
son Arrest. Nous sçauons ce qui s’est passé autrefois à l’esgard du
deffunt Duc de Rohan : Sa teste fut mise à cinquante mil escus par le
Parlement de Thoulouse, lors qu’il auoit les armes à la main dans les
Seuennes, & qu’il n’auoit pas voulu obeïr aux premiers Arrests rendus
contre luy.

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Le Parlement de Paris donna pareil Arrest sous Henry IV. contre
Landriano Legat enuoyé par le Pape pour mettre le Royaume en
interdict.

Il prononça aussi de la mesme sorte contre l’Admiral de Chastillon
sous Charles IX.

Tout le mõde sçait aussi ce que Plutarque a rapporté de C. Gracchus
de Sertorius, de Marius, sur lesquels il fut ordõné de courrir sus, & d’aporter
leurs testes, par vn Arrest du Senat & par Ordõnance des Magistrats.

Le mesme Senat ayant osté l’Empire aux Maximins pour les cruautez
qu’ils auoient exercées à Rome, & confirmé l’eslection de Gordian
& de son fils, l’on demanda de quelle façon on arresteroit la violence
& les entreprises de si puissans ennemis que les Maximins : Le Senat
ne trouua point d’autre voye que de proscripte leurs testes & celles
mesmes de tous leurs fauteurs & adherans. Patres Conscripti de Maximinis
quid placet : Hostes, Hostes, qui eos occidit præmium merebitur. Item cõsul
dixit, de Amicis Maximini quid videtur ? acclamatum est, hostes, hostes,
qui eos occiderit præmium merebitur. Ita acclamatum est. Inimicus Senatus
in crucem tollatur, hostis Senatus vbicunque feriatur, inimici Senatus
viui exurantur.

Iul. Capito[illisible]nus.
Maximini
duo.

Mais quand il n’y auroit point d’exemples, la raison & la prudence
politique en pouuoit-elle pas faire dans cette occasion.

On voit entrer vn homme les armes à la main, qui au iugement de
tout le monde va mettre par son retour le feu par tout, qui hazarde la
Courõne pour se maintenir dans le Ministere contre les Loix du Royaume,
contre vne Declaration du Roy, contre les Arrests des Compagnies
souueraines, & les vœux de tous les bons François, qui met en
proye la vie & les biens des sujets du Roy, la fortune publique & particuliere.
Et apres cela on regardera, si le moyen qu’on a pris pour arrester
le cours d’vn mal si épouuentable, & qui nous rendroit sans doubte
tributaires & l’opprobre de toutes les Nations de l’Europe, est vn
moyen nouueau. Le Conseil qui n’a iamais gardé de mesures ny de
formalitez, qui depuis trente ou quarante ans n’a suiuy que la fantaisie
de deux ou trois personnes sans foy, sans loy, & qui n’ont fait agir nos
Rois que suiuant leurs caprices & leur ambition, cherche auiourd’huy
l’exemple & non pas la raison, comme si la souueraine Loy n’estoit pas
le salut du peuple.

Il faut bien faire difference entre les particuliers coupables, qui
sont sans forces & fans credit, & les ennemis publics qu’on ne sçauroit
deffaire par les voyes ordinaires de la Iustice.

Seneque ne blasme point Alexandre, d’auoir fait tüer Parmenion

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sans l’ouyr, mais il le condamne d’auoir traitté ainsi Callisthenes qul
n’estoit qu’vn Philosophe, qui pour toutes armes n’auoit que ses Liures,
& pour toutes forces que ses Escoliers.

 

Plutarque accuse bien Galba de violence d’auoir fait perir sans ordre
iudiciaire Cingonius Varro, Mitridate le Pontique, & Petronius
Turpillianus, qui n’estoient que des hommes priués : Mais à l’esgard de
Fonteius & de Macer, il dit au contraire que Galba fit fort sagement
de les faire mourir sans les formalitez de la Iustice, par ce qu’ils commandoient
les armées & qu’ils auoient toutes les forces de l’Empire.

Le Tribun Virginius se rendit ridicule à Rome, quand il assigna Sylla
de comparoistre deuant ses Iuges.

On ne se moqua pas moins de Metellus, qui creut par des intercessions,
& de simples remonstrances empescher Iules Cæsar de se saisir
des deniers publics, lors que sa coniuration faisoit desia trembler la
Republique, & que Pompée fut sorty de Rome.

Les Magistrats & tous ceux à qui l’on a commis la cause publique, ont
des loix pour la paix & pour la guerre : ils en ont pour ceux qui les
craignent & qui les reuerent. Mais ils en ont aussi d’autres pour ceux
qui les mesprisent & qui veulent triompher de leur authorité. C’est
comme les Pilotes qui ont des Quadrans pour le iour & pour la nuict,
pour la Bonnace, & pour la Tempeste.

Les scrupules & les formalitez de Iustice sont pour les Citoyens &
non pas pour les ennemis. Ceux qui viennent comme le Cardinal Mazarin
à main armée, qui viennent faire violence à la police du Royaume,
& à toutes les loix, n’en doiuent pas reclamer la protection & le secours.
Il n’y a point d’Azile pour les criminels & pour les coupables, on
n’en donne qu’à ceux qui sont persecutez, & non pas à ceux qui persecutent.

Ie demande enfin à nos Politiques Modernes si c’est obseruer la loy,
que d’attendre qu’elle perisse, & de perir auec elle. Ie leur demande lesquels
des Iuifs furent plus Religieux ; ou de ceux qui n’ayant pas voulu
combattre le iour du Sabat contre Vespasian & Pompée, par ce que
la Loy le defendoit, deuinrent esclaues des Romains, virent piller leurs
Autels, & prophaner tous leurs Temples : ou de Iesus Naué & des
Machabées, qui le iour du Sabat triompherent de leurs ennemis. Au
contraire, dit le grand Tertullien, les premiers abandonnerent la Loy &
les derniers combattirent pour elle : Ils maintinrent le Sabat, la Religion
& les Sacrifices.

Il faut donc conclure que quand il s’agist de venger l’iniure publique,
les formalitez ne sont plus de saison, c’est l’esprit de la loy, c’est

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ainsi qu’elle s’explique. Si la baguette du Iuge est trop foible pour soustenir
son authorité, si ses armes ordinaires sont mesprisées, il doit abandonner
pour lors les formes iudiciaires, il doit opposer la force à la force :
Sceleratus ciuis, aut Domesticus potius hostis, si legibus vti licet, iudicio
certé frangendus est : sin ipsa iudicia vi impediuntur, ac tolluntur : audacia,
virtute : furor fortitudine : Temeritas consilio : manus, manu : vis, vi
superanda est.

 

Mais ie demanderois encore à ce Conseil celebre d’Estat, dans lequel
il n’y a ny Princes du sang, ny Ducs & Pairs, ny Chancelier, ny
aucun Officier de la Couronne ; Ie demande a ce Conseil Heteroclite,
qui veut des formes, & des exemples quand il faut sauuer la Monarchie ;
s’il a trouué dans nos meurs, de faire aller deux lieües au deuant d’vn
homme fait comme le Cardinal Mazarin, vn Roy de France auec toute
sa Cour, de luy faite mettre pied à terre dans les boües, au milieu de la
campagne, & prés d’vn quart d’heure auparauant que le Mazarin fust
seulement descendu de son carosse. Le Conseil a-t’il trouué quelque
loy qui decerne le triomphe à vn condamné, à vn proscript, qui assassine
ses Iuges, qui vient à la teste d’vne armée, qui pille les Temples & les
Autels, & qui a signalé son entrée par vne desolation generalle dans le
Royaume.

Allez lasches François, Esclaues du Tyran & de vos propres crimes,
qui trahissez l’hõneur du Roy vostre Maistre, & la gloire de vostre pays,
qui le voulez faire le joüet de la fortune, pour satisfaire à vostre ambition,
vous ne trouuerez point d’exemples de cette perfidie. Parcourez toute
nostre Histoire, voyez celles de nos voisins, & des Nations les plus portées
à la seruitude, vous ne trouuerez point d’exemple d’infamie semblable
à la vostre.

Vous demandez au Parlement, qui n’est que trop formaliste pour
vous, qui a maintenu tousiours l’honneur des Rois & de la Couronne,
vous luy demandez des exemples d’vne resolution iuste, necessaire, illustre
& glorieuse. Il vous en demande luy-mesme de vos trahisons, de
vos perfidies, & de la derniere de toutes les laschetez.

Vous estes, dites vous, les seuls moderateurs de la France, parce que
vous auez parmy vous vn Brachet, vn Bartet, & d’autres gens de cette
estoffe. Et le Parlement que i’ay fait voir estre aussi Ancien que la Monarchie,
ou le Roy a son lict de Iustice, ou les Princes du sang & les
Ducs & Pairs sont Conseillers nais, ou tous les Officiers de la Couronne
doiuent le serment, qui a tousiours luy seul connû des grandes affaites
du Royaume, qui est enfin le grand Tribunal, Iudicium Francorum
ne pourra que ce que vous voudrez. Vous aurez droict de casser ses

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Arrests, qu’il rend auec son Altesse Royale, Oncle du Roy, auec tous
les Ducs & Pairs qui s’y trouuent. Vous qui n’auez aucune Iurisdiction
contentieuse par l’ordonnance & par vostre propre confession, donnerez
atteinte par vne simple lettre de cacher, ou par vn Arrest pretendu à
vne Declaration verifiée, à vn contract fait entre le Roy & son peuple.

 

Vous pensez sous pretexte que vous auez la personne d’vn Roy de
treize-ans, que vous auez desrobé aux Princes de son sang, à son Parlement,
à la capitale Ville de son Royaume, & à tous les bons François,
pour le mener de Prouince en Prouince, & le rendre esclaue d’vn
Estranger, que vous auez l’authorité Royale parmy vous : Vous vous
trompez. Le Roy n’est point libre, vous n’en possedez que l’ombre ou
le corps, la Royauté n’y est point. I’ay fait voir qu’elle est dans la Iustice,
quelle est dans l’ordre public : que c’est dans le Parlement seul où le
Roy prononce ses Oracles : que c’est là où se trouue principalement la
Souueraineté, & où le Roy exerce tous les droicts de l’Empire : Que le
Parlement represente l’authorité de l’Assemblée generalle des Francs
en la premiere race, des Grands du Royaume en la seconde & trois cens
ans dans la troisiéme : que c’estoit vn abregé des trois Estats : que depuis
qu’il estoit sedentaire, il n’auoit pas moins connû qu’auparauant des affaires
publiques. Et ainsi ie puis conclure hardiment que l’Arrest pretendu
de cassation du dixhuictiesme Ianuier dernier est vne suite des
entreprises du Conseil, qui n’a iamais esté fait pour regler la police du
Roy : ceux qui voudront trouuer l’authorité veritable & legitime, la
doiuent donc chercher dans la volonté du Roy expliquée & verifiée
dans son Parlement, qui est le lieu de son throsne & de son Tribunal,
dont les Princes du sang font partie & les principaux Officiers de la
Couronne. Le Chancelier mesme qui est le premier Officier du Royaume
y a sa place. Il est bien dans le conseil secret du Roy : Mais il n’y
peut faire aucun acte de Iurisdiction, quand il s’agit d’vne affaire qui regarde
le Roy & le people : c’est dans le Parlement seul qu’il l’a doit resoudre,
comme nous le voyons encore tous les iours. Le deffunt Roy
y enuoya luy-mesme son testament : Il sçauoit bien qu’il ne pouuoit
auoir d’authorité sans cela dans le public, parce qu’il y disposoit de la
Regence & de l’ordre du gouuernement.

L’on ne peut pas dire pour cela que nostre gouuernement ne soit pas
Monarchique. Les Monarchies ne sont pas toutes d’Espotiques, il n’y a
que celle du Turq : Toutes les autres que nous auons auiourd’huy sont
temperées par vne espée d’Aristocratie, qui les maintient & qui les conserue.
Tout s’y fait bien sous le nom d’vn seul, mais vn seul ne fait pas

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tout. Il n’y a qu’vn sceau, qu’vn caractere public, qu’vne authorité,
qu’vne Puissance legitime, mais cette puissance se forme de l’vnion des
subjets auec le Souuerain, & du Souuerain auec les subjets.

 

Enfin pour finir par où i’ay commencé, il est certain que les François
ont choisi le gouuernement Monarchique, non pas pour perdre leur
liberté, mais au contraire pour la maintenir & pour la deffendre. I’ay
monstré qu’ils s’assembloient tous les ans, in campo Martio, & depuis in
campo majo, pour voir si cette liberté dont ils estoient si jaloux n’auoit
point esté entamée. Qu’on deliberoit dans toutes ces assemblées & auec
liberté de suffrages de tout ce qui regardoit le gouuernement & le
droict public. Mox, dit Tacite, parlant des Assemblées des Germains
dont nous sommes descendus, & qui passant dans les Gaules apporterent
auec eux leur police : Mox Rex vel Princeps prout ætas cuique,
provt nobilitas, provt decus bellorum, provt facundia est, audiuntur, autoritate
suadendi, magis quam iubendi potestate. Si displicuit sententia, fremitu
aspernantur : sin placuit, frameas concutiunt, honoratissimum assensus
genus est armis laudare.

Tacétus de moribus
Germanom num. 4.

Et dans le mesme lieu voicy comme Tacite parle encore des mœurs
de nos Peres : Reges ex nobilitate, Duces ex virtute sumunt. Nec Regibus
infinita aut libera potestas. L’idée de ce Gouuernement a passé iusques
à nous. Ie l’ay fait voir de siecle en siecle, & dans le Parlement
mesme sedentaire, où tout se doit decider auec connoissance de cause.
Le Roy souffre encor tousiours qu’on y plaide contre luy, son Procureur
general ou ses Aduocats passent le Bareau comme parties. Personne
n’a trouué estrange que depuis quelques années vn grand Personnage
parlant de la mauuaise administration de l’Estat ait escrit,


Ie hay ces mots de puissance absoluë,
De plein pouuoir, de propre mouuement
Aux saincts Decrets ils ont premierement
Puis à nos Loix la puissance toluë. Cependant ce langage est vn blaspheme auiourd’huy. On traitte vn
homme de seditieux & de mauuais François, dés qu’il parle de la Iustice
qu’on doit au Peuple, & des Loix fondamentales de l’Estat, sur
lesquelles les Rois font serment quand ils sont sacrez.

 

Tacitus de Moribus
German. num. 7.

Pybrac 83.

Mais i’ayme encore mieux souffrir ce reproche, que d’estre esclaue
d’vne domination estrangere, d’vn condamné, d’vn proscrit. Tirera
vanité qui voudra de ses chaisnes, & d’vne honteuse seruitude. Pour
moy ie veux seulement obeyr au Roy & aux Loix de mon pays, qui
sont deux puissances inseparables.

FIN.

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Anonyme [1652], LES VERITABLES MAXIMES DV GOVVERNEMENT DE LA FRANCE, IVSTIFIÉES PAR L’ORDRE des temps, depuis l’establissement de la Monarchie iusques à present : Seruant de Response au pretendu Arrest de cassation du Conseil du 18. Ianvier 1652. DEDIÉ A SON ALTESSE ROYALE , français, latinRéférence RIM : M0_3969. Cote locale : E_1_86.