Anonyme [1651], LES PROPOSITIONS QVE LE CARDINAL MAZARIN FAIT A LA FRANCE, Pour obtenir son restablissement dans le Ministere d’Estat. , françaisRéférence RIM : M0_2922. Cote locale : C_11_15.
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LES PROPOSITIONS
QVE LE
CARDINAL
MAZARIN
FAIT A LA FRANCE,
Pour obtenir son restablissement
dans le Ministere d’Estat.

M. DC. LI.

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Les propositions que le Cardinal Mazarin fait à la
France, pour obtenir son restablissement
dans le Ministere d’Estat.

SI ie n’estois conuaincu par l’experience de
tous les Siecles ; que la jalousie n’a iamais
abandonné les premiers Ministres d’Estat, & que
mesme dans les plus irreprochables de leurs deportemens,
ils n’ont iamais manqué d’encourir
les disgraces de la haine publique, quelque grand
soin qu’ils eussent de se moderer dans toute la
conduite de leurs desseins : ie n’aurois garde de
faire des efforts pour me restablir dans mon premier
esclat apres en auoir esté honteusement
chassé par les Arrests de toutes les Cours Souueraines,
& par les poursuites generalles de toute
la Monarchie ; & la seule apprehension que i’aurois
d’estre le premier Ministre que les peuples
auroient renuersé, ne me laisseroit pas assez d’asseurance
pour presser le restablissement d’vne fortune,
dont la ruine seroit sans exemple.

Mais les histoires nous font retentir si souuent
les fatales cheutes des premiers Ministres dans
les reuolutions des Estats, que ie ne m’estonne
plus, que de ce qu’on en voit encore si rarement,

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attendu qu’il semble du moins en apparence, que
ceste condition estant fatalle à la bonté du gouuernement,
il seroit necessaire que les peuples
ne marchandassent pas tant de casser la teste, à
ceux qui donneroient d’abord des pressentimens
d’vne mauuaise conduite, par les premiers auant-coureurs
de leur tyrannie.

 

Sur la seureté de ceste creance que ma disgrace
me fait auoir du deuoir des peuples, & de l’obligation
des Ministres ; ie fonde en partie les esperances
de mon restablissement ; auec les sinceres
protestations que ie fais à toute la France, que ie
ne pretends rentrer dans le gouuernement de son
Estat qu’auec des conditions, que mes plus grands
ennemis iugeront luy deuoir estre tres-aduantageuses,
& que les propositions que ie m’en vay
faire leur feront auoüer, que i’ay reformé mon
humeur pour la faire symboliser auec la leur ; &
que ie commence enfin à mespriser les richesses,
parce que ie connois qu’elles me ruinent entierement
dans l’estime du monde.

Tous les points sur lesquels on a si souuent batu
mon Ministere se peuuent reduire à six principaux
chefs ; à l’abbaissement des Princes ; à l’oppression
de la Noblesse ; aux extorsions faites sur
le Clergé ; à la ruine des peuples ; aux intelligences
secrettes auec les ennemis de l’Estat ; & à la
perte des Alliez de la France, par le peu de soin

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que i’ay eu d’en cultiuer l’amitié. N’est-il pas vray
qu’il ne peut point estre de crime de tous ceux
que mes plus grands ennemis me reprochent,
qui ne soit deriué de quelqu’vne de ses six sources ;
& que par mesme raison ie n’auray point de
peine à mon restablissement, pourueu que les
conditions que ie proposeray, ne soient point
desaduantageuses à ceux qui se sentiront interessez
dans ce fauorable changemẽt de ma fortune.

 

Pour le premier qui touche l’abaissement des
Princes, comme ie pense n’auoir point choqué
que les Maisons d’Orleans, de Condé, de Vandosme,
d’Angoulesme, de Lorraine : Ie m’imagine
aussi qu’elles ne s’opposeront point à mon restablissement,
pourueu qu’elles se trouuent satisfaites
des propositions que i’auanceray pour cet
effect. Que me peut reprocher la Maison d’Orleans,
si ce n’est que i’ay rompu par mes calomnies,
l’estroite vnion qui estoit entre Son Altesse
Royale, & le Prince de Condé ; que i’ay disposé
presque de tous les Gouuernemens de France,
sans luy en auoir iamais communiqué ; que i’ay
transporté les Princes de Marcoussy dans le Havre
de Grace contre son adueu ; que ie me suis efforcé
de le seduire pour le faire consentir à la perte
des deux Archi-Frondeurs ; que mesme i’ay
voulu persuader à la Reyne, qu’il falloit s’asseurer
de sa personne pour regner sans apprehension ; &
que ie me suis tousiours contenté de luy laisser

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porter le titre de Lieutenant general de l’Estat,
pendant que i’en faisons toutes les fonctions, &
que ie iouissois de tous les aduantages qui en
pouuoient reueuir.

 

Quels sont les crimes que la Maison de Condé
m’impute ? N’est-ce pas d’auoir trahy la France,
pour perdre vne partie de ses conquestes ? & d’auoir
exposé Monsieur le Prince dans les hazards
de la guerre en Catalogne sans le secourir, de
m’estre opposé en toute sorte d’occasions, à l’agrandissement
de sa maison ? d’auoir empesché
que la Coadiutorerie de Liege ne tombast pas entre
les mains du Prince de Conty ? d’auoir mis des
obstacles à la negociation que le Prince vouloit
faire auec le Duc de Mantouë, touchant Charleville
& le Mont-Olimpe qui la commande ? d’auoir
fait deux crimes d’Estat des iustes demandes
qu’il faisoit de l’Admirauté, apres la mort de son
beau-frere, & de l’espée de Connestable ? d’auoir
voulu faire desdire le Roy du don qu’il luy auoit
fait de la Principauté de Clermont, en faisant interuenir
Madame la Duchesse de Lorraine ; de
m’estre opposé à la Coadiutorerie de Mets pour
son frere ? d’auoir fait commettre vn assassinat
dans son carrosse, pour en charger la Fronde, &
la diuiser d’auec luy, afin de se perdre mutuellement ?
de l’auoir voulu faire passer pour vn esprit
ambitieux de la souueraineté, parce qu’apres auoir
refusé d’entreprendre la conqueste de Naples

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dans son desespoir, il me proposa celle de la Comté
de Bourgogne ? de luy auoir mis en teste le siege
de Paris, ou pour l’y faire perdre, ou pour l’y decrediter,
en luy faisant porter tout le faix de la
haine publique : d’auoir emprisonné les trois freres
sans autre raison que celle que i’empruntois
de mes propres interests ? d’auoir sacrifié la Princesse
Doüairiere leur mere, a la tyrannie des desplaisirs,
qui luy estoient causez par l’iniustice
de ma persecution ? d’auoir obligé la Duchesse
de Longueville de chercher vn azile ; mesme
parmy les ennemis de l’Estat ? d’auoir fait auorter
les esperances de la paix que le Duc de Longueville
auoit concluë dans Munster ? de m’estre trop
declaré contre luy dans l’affaire du Pont de l’Arche
dont le Gouuernement estoit destiné pour le
mesme Duc de Longueville, par vn article secret
du traité de Ruël ? Bref, de n’auoir iamais eu de
sincerité auec ceste maison, que dans l’apparence,
quoy qu’en effect ie n’aye iamais eu de dessein
que de la fourber en toute sorte de rencontres.

 

Ie voy que la maison de Vandosme me iettera
d’abord aux yeux, l’exil volontaire ou constraint
du Duc de Vandosme en Italie ; l’iniuste emprisonnement
du Duc de Beaufort dans le Bois de
Vincenne ; les trahisons que i’ay brassé soubsmain
pour le perdre, en luy procurant l’inimitié
du Prince de Condé ; les intrigues que i’ay fait
iouër, afin de le faire passer dans l’esprit de S. A. R.

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pour le Farfax de France, & le plus grand ennemy
de la Royauté ; le dessein que i’ay proiecté pour le
faire assassiner dans son carrosse, ne pouuãt autrement
m’en deffaire que par la seule voye de la trahison ;
les efforts que i’ay fait pour luy faire dõner
du poison par son cuisinier, sur l’esperance de 15.
mil liures que ie luy faisois promettre sous-main ;
la honte que i’ay fait subir au Duc de Mercœur,
en luy proposant le mariage de ma niepce de Mãcini,
que ie luy ay fait aymer par le moyen des
Philtres ; Bref, toutes les menées secretes dont ie
me suis seruy, pour semer le schisme entr’elle, &
la maison de Condé.

 

La Maison d’Angoulesme ne sçauroit m’accuser,
que d’auoir trahy le Comte d’Alais, en luy faisant
entreprendre contre les anciens Priuileges
que les Bourgeois de Marseille ont d’élire leurs
Consuls, cependant que ie faisois secrettement
agir mes creatures dans ceste mesme Ville pour
la sousleuer contre luy ; & que mesme afin d’irriter
les affaires de plus en plus pour les acheminer à la
necessité, d’éloigner ce Prince de ce Gouuernement,
ie protestois aux Deputez de Marseille
que le Comte d’Alais choquoit directement les
ordres de la Cour, en choquant les anciens Priuileges
qu’ils auoient de faire le choix de ces Magistrats
annuels.

Apres que la Maison de Lorraine m’aura accusé
d’auoir trahy le Duc de Guize dans l’affaire de

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Naples ; d’auoir exposé le Comte de Harcourt deuant
Lerida ; de luy auoir fait porter le blasme du
retardement du secours deuant Liege, contre le
Duc de Bauiere ; de l’auoir exposé honteusement
à leuer le siege de Cambray ; de l’auoir laschement
fait consentir à conduire les Princes dans le Havre
de Grace ; d’auoir constamment choqué le
Duc de Lorraine dans les iustes poursuites qu’il
faisoit pour rentrer dans son Duché, ie pense
qu’elle ne trouuera rien plus à redire dans la conduite
de mon Gouuernement.

 

A bien considerer tant de suiets du mescontentement,
on diroit que ie ne sçaurois faire des
propositions qui peussent disposer les affaires à
quelque sorte d’accommodement pour rentter
dans mon Ministere. Mais quand ie proposeray à
la Maison d’Orleans, le mariage du Roy auec Mademoiselle,
celuy de Monsieur auec Mademoiselle
d’Orleans ; quand ie luy promettray de remettre
entre ses mains les gouuernements des places
dont i’ay disposé sans son adueu ; De luy donner
vn Palais dans Rome de 14. que i’y ay fait bastir :
de ne me mesler iamais du gouuernement de l’Estat,
que pour seconder toutes ses dispositions : enfin
lors qu’en recompense de toutes les pertes
que S. A. R. pretend auoir fait, ie luy feray toucher
quatre millions, ie pense qu’il n’aura point
raison de s’opposer à mon restablissement.

Que le Prince de Condé irrite ses desirs ? qu’il

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me demande l’espée de Connestable, deut-elle
estre estoffée de tous les diamans que ie porte sur
moy ; qu’il pretende l’Admirauté ; qu’il poursuiue
la satisfaction de la perte des Coadiutoreries de
Liege & de Mets ? qu’il ambitione la conqueste
de la Franche Comté ? si sa maison n’est pas assez
puissante pour en venir à bout, i’auray dix millions,
qui n’attendront que ses volontez, pourueu
qu’il ne choque point le dessein que i’ay de me
restablir.

 

Si le Duc de Beaufort ne se contente point de
l’Admirauté dont il a la suruiuance ; il de sire que
ie le fasse iustifier en plein Parlement de toutes
les calomnies que ie luy ay imposé, en me declarant
ouuertement criminel de leur imposture ; Si
le Duc de Mercœur veut se contenter d’auoir ma
niepce pour ses petits plaisirs ; & si toute la maison
ne refuse point de souscrire à mon restablissement,
apres vne promesse que ie luy fais de lui
faire toucher six millions, elle n’a qu’à me le tesmoigner
pour m’obliger bien-tost à luy faire paroistre
ma bonne volonté dans les effets.

Ie pense que le Comte d’Alais ne pretend pas
que ie fasse ressusciter son Capitaine des Gardes,
qui fut massacré dans la sedition que ie fis sousleuer
contre luy à son entrée dans Marseille ; sa vengeance
sera pleinement assouuie, si ie luy proscris
les testes de tous ceux qui l’ont trauersé dans le
dessein qu’il auoit de choisir les Consuls dans

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Marseille ; & si pour le dédommagement des
grandes despences qu’il a fait dans la guerre de
Prouence, ie luy promets de lui faire toucher trois
millions, supposé qu’il ne contre quarre point le
bon-heur de mon restablissement.

 

La Maison de Lorraine ne sera point mescontente
des propositions que ie luy feray, si toutes-fois,
elle veut considerer, qu’en enrichissant le
Comte d’Harcourt, en payant la rançon du Duc
de Guize, en fournissant outre cela quatre millions
pour toutes les branches de cét illustre tige,
ie donne tout ce qu’elle sçauroit attendre d’vn
malheureux Ministre.

Mais il ne sufit pas d’auoir auancé des propositions
pour l’accommodement que ie pretends
faire auec les maisons des Princes : Toute la Noblesse
n’est pas moins interessée pour s’opposerà
mon restablissement, si ie ne l’y fais consentir par
les grandes amorces des auantages que ie lui proposerai.
Quoy i’auray empoisonné le Mareschal
de la Mothe sans aucun pretexte de Iustice ? i’aurois
chassé le Mareschal de Ranzau de son Gouuernemẽt
pour le faire mourir soubs les fers d’vne
rude captiuité ? l’aurois exilés de la Cour les Comtes
de Chauigny & de Charaut sans autre raison,
que parce qu’ils estoient plus grands Politiques
que moy ? Bref, i’auray frustré tous les Gentilhommes
de France des grandes recompenses qu’ils
pretendoient iustement, tant pour m’auoir seruy
dãs mes affaires particuliers, que pour auoir mille

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fois exposé leur vie dans les guerres sans en auoir
iamais esté reconus ? Non, il n’est pas iuste, il faut
que cét illustre corps ne soit point priué des iustes
pretentions qu’il peut auoir sur le bon-heur de
mon restablissement, & que mes propositions lui
soient d’autant plus aduantageuses, que plus il est
constant que ie ne sçaurois subsister que par sa
faueur ou par son appuy.

 

Puis que ie l’ay choqué dans ses plus illustres
membres, la Iustice demande que la satisfaction
commence par eux, & que le Mareschal de la Mothe,
les Comtes de Chauigny & de Charaut soit
remis, l’vn dãs la possession de son Duché de Cardonne,
& dans la Vice Royauté de Catalogne,
l’autre dans son Gouuernement du Bois de Vincenne,
& dans le Ministere d’Estat ; & la troisiéme
dans sa premiere faueur, & dans la charge de Capitaine
des Gardes du Corps. Si la Mareschalle de
Ranzau poursuit la vengeance de l’iniuste mort
de son mary, ie ne puis la soulager d’autre chose
que de la disposition de Duinkerkeins que ie luy
ay rauy, pour le donner à d’Estrades ; & du rembourcement
de tous les frais ou de tout l’argent
que ce Mareschal a perdu depuis la perte de ce
Gouuernement ? Pour la mort du sieur de Barillon,
comme ie n’i ay iamais pretendu que le dessein
de choquer les Cours Souueraines, ie ne puis
aussi la reparer, qu’en protestant à tous les Parlemens
de France, que ie n’aurai iamais de plus
grand soin que celui de procurer leur vnion.

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Pourquoy esse que le Clergé m’en veut ?
n’est-ce pas pour auoir saisi toutes les plus riches
Abbayer de France ? & bien ie m’en demets pour
en pouruoir ceux que le Clergé mesme iugera
les plus capables de les remplir ? n’est-ce pas pour
auoir retenu des pensions excessiues sur la plus
grande partie des Benefices Ecclesiastiques que
i’ay cõferé ? & bien ie fais offre de debourcer dix
millions pour le dédomagement des grãdes pertes
que l’Eglise pretend auoir fait : n’est ce pas
de n’auoir fait passer par l’examen de conscience
establi par la Reine, que ceux que ie voulois faire
refuser, pour n’admettre que ceux qui se rendroient
complaisans à toutes mes inclinations :
pour celà mesme i’offre à tout le Clergé la liberté
de choisir tels Censeurs qu’il luy plaira, pour iuger
du merite de ceux qui n’ont esté admis que
par ma seule authorité, & pour n’ẽ receuoir d’ors
en auant, qu’apres vn examen rigoureux de leur
capacité : Ne’st ce pas pour n’auoir que foiblement
appuyé le party de l’Euesque de Nismes
contre les Huguenots ? pour en reparer l’affront
ie me soubmets à toutes les conditions qu’il leur
plaira me prescrire, lors que ie seray remis en
estat de les executer : N’est ce pas pour auoir fait
espouser trop honteusement m’a querelle, à deux
des plus apparens de leur corps ; & bien ie laisseray
de les appuyer, afin de leur laisser la liberté

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toute entiere de les punir : N’est ce pas pour les
auoir chassé du confessional du Roy, afin d’y donner
entrée aux Iesuites leurs plus grands ennemis :
comme ces derniers ny sont entrez que par
ma faueur ils en sortiront par ma haine si le Clergé
me la veut prescrire pour vne condition : N’est
ce pas enfin pour auoir troqué les Benefices
comme des cheuaux, pour auoir acheté ceux
que ie ne pouuois pas me faire resigner ; & pour
auoir estably le honteux commerce du bien sacré
qui ne peut estre marchandé que par les impies !
à tout cela ie respons que l’argent que
i’en ay tiré n’est point encore perdu, & que la restitution
est tres facille, si mon restablissement
en depend.

 

Ie ne doute pas que mon accõmodement ne
soit plus difficile du costé des peuples, sur la seule
idée qu’ils ont que ie les ay ruinez ; & que i’ay
succé leurs substance iusqu’à la derniere goutte
de leur sang : Ils s’imaginent que les quatorze
Palais qui i’ay fait bastir dans Rome sont simentez
de leur sang ; Ils croyent que les onze millions
que mont serui de baterie contre Piombino
& Portolongone sont sortis de leur bourse ; Ils
pensent que les vint-cinq milliõs dont i’ay acheté
dix sept terres en Italie, quatre dans la Marche
d’Ancone, six dans la Champagne de Rome,
sept dans le Royaume de Naples, ont esté les effets

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de leurs contributions ; Ils se figurent qu’ils
ont fourni les deux cent mil escus, que la prise
de Rhetel me coûta dernierement ; Ils me font
passer pour Protecteur des Intendans & des fuseliers
c’est à dire des voleurs & des brigands
dont ie me suis serui pour piller impunement ;
Ils m’imputent les grandes desolations dont l’iniuste
emprisonnement des Princes, & les sieges
de Paris, de Bellegarde & de Bordeaux ont esté
suiuis ; Ils m’accusẽt de leur auoir extorqué trois
millions pour acheter le Chapeau Rouge à mon
frere de Signora Olimpia ; Ie ne finirois iamais si
ie voulois renouueller tous les chefs d’acusation
dont ils me chargent : Mais ie pense neanmoins
que ie les contenteray si ie leur promets le retour
du Siecle d’Or, par les esperances asseurées d’vne
Paix Generalle ; ou par la continuation de la
guerre à mes seuls despens ; par l’abondance des
bleds & des biens que ie leur feray porter iusques
sur leurs foyers à tres grands marché, par
la cassation de tous les officiers & Intendants qui
les oppriment ; par la confiscation des biens de
ceux qui se sont enormement enrichis pendant
que les tailles estoient en parti, & par les promesses
que ie leur fais que ie remetre toutes les impositions
en vn si bon estat qu’on ne se faschera
desormais, que de ny auoir point vne bonne
place.

 

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L’affaire qui concerne les alliez de l’Estat, ne
me sera pas si facille à renoüer, & les Suedois, les
Princes cõfederez d’Allemagne, les Hollandois
auront bien de la peine à n’estre point choqués
des nouuelles de mon restablissement ; lors qu’ils
se resouuiendront de ma lascheté ordinaire à les
secourir lors qu’ils estoient trauersez ; des grands
manquemens de foy que ie leur ay fait, en leur
donnant souuent mille paroles sans en tenir pas
vne ; des iustes payemens dont ie les ay frustrez
pour en retenir les sommes, & des obstacles que
i’ay opposez à la paix de Munster, lors qu’elle
s’en alloit estre concluë, au grand soulagement
de toute l’Europe : Le Grand Seigneur se sentira
interessé dans ce retour, par le souuenir de l’iniustice
que i’ay fait à ses subiets Armeniens qui vogoient
sur la Mediterranee, les ayant fait voler
par le Cheualier Paul, & n’ayant iamais voulu
consentir à leur rembourcement : Genes, la
Toscane, l’Angleterre, Hambourg & les villes
Anseatiques d’Allemagne, auront de la peine à
ne s’iriter point de ce restablissement, sur le souuenir
des brigandages & des pirateries, que i’ay
fait exercer sur les mers Oceanes & Mediterranée,
au preiudice de la neutralité qui estoient entre
ces prouinces & la France.

Mais neãmoins ie pense qu’il est encore quel-resource
pour ce desespoir, principallement

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dans le dessein que i’ay de reuomir entierement
tout ce que i’ay pillé sur autruy, de vendre toutes
mes terres d’Italie, tous mes Palais de Rome,
tous mes Diamants, & tout ce que ie peux auoir
dans le monde, pour en rachetter l’amitié des
peuples, en leur rendant tout ce que ie leur ay
rauy : si ces conditions ne sont pas capables de
faire consentir nos alliez à mon restablissement,
ie promets à la Frãce que i’ay assez d’argent pour
le leur faire agreer par force, si toutefois elle veut
me permettre de les y cõtraindre par les armes :
& que mesmes pour cet effet, ie ne demande pas
qu’elle contribue que des personnes qui sont
innutiles dans son Estat.

 

A qui est-ce maintenant que ie dois rendre
conte des intelligences secrettes que i’ay eu auec
les ennemis de la Monarchie ? à qui est ce que ie
dois satisfaire pour les reprises de Courtray & d’Ipre,
pour les sieges honteux de Lerida, pour l’abandonnement
du secours de Naples, & pour la
prise de Liege par le Duc de Bauiere auec lequel
ie m’entendois sous main ; qui doit estre le depositaire
des menées que ie faisois ioüer sous main
pour tacher de faire releuer le Roy d’Espagne
dans son premier esclat, pour l’asister à detrosner
le Roy de Portugal, pour perdre le Duc de Modene
dans le siege de Cremone, pour fauoriser le
parricide dessein des Anglois sur la personne Sacré

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de leur Roy : Pour irriter le Pape contre la
France, afin de renforcer la faction d’Espagne
dans Rome.

 

Ie pense que la satisfaction en appartient à la
France, puisque c’est les interests de la France
que i’ay trahis, & que les dix huict millions qui
m’en sont reuenus, ne doiuẽt estre fournis qu’au
restablissement de ses affaires que i’ay ruiné par
mes perfidies. C’est aussi ce à quoy ie ne recule
point comme ie suis entierement resolu d’espouser
desormais ses interests auec vn si grand detachement
des miens, qu’on ne s’estonnera de rien
tant que de voir le Cardinal Mazarin conuerty.

Enfin il n’est point de proposition à la quelle
ie ne souscriue tres volontiers, fallut il consentir
à perdre toutes mes creatures qui me gardent
encore vne fidelité inuiolable dans cet Estat ; à
prostituer mes niepces à la discretion de mes
ennemis, à mettre à l’ancan tous les biens de
ceux qui se sont enrichis par mes pratiques, à
n’entrer dans Paris que la corde au col, à reuomir
cent soixante & dix sept millions que i’ay pillé :
à faire amande honnorable aux manes du
Mareschal Ranzau, du President Barillon à metre
à genoux deuant le Duc d’Orleans, le Prince
de Condé, le Duc de Beaufort & toute la Fronde :
à sacrifier tous les Intendãs & toutes les sangsues
du Royaume à la passion du peuple : à enrichir

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tous les pauures premierement de mes propres
despoüilles, & puis apres de toutes celles
des Partizans, qui se sont engraissez du sang
du Peuple, bref à quiter toutes mes Abbayes,
à renoncer à toutes mes fourbes, & à secoüer la
pourpre Romaine de mes espaules, pour porter
à iamais le dueil de tous les crimes que i’ay iamais
commis.

 

FIN.

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Anonyme [1651], LES PROPOSITIONS QVE LE CARDINAL MAZARIN FAIT A LA FRANCE, Pour obtenir son restablissement dans le Ministere d’Estat. , françaisRéférence RIM : M0_2922. Cote locale : C_11_15.