Anonyme [1651], LE VOEV DES BONS BOVRDELOIS FAIT A MONSEIGNEVR LE PRINCE DE CONDÉ GOVVERNEVR DE GVYENNE. , françaisRéférence RIM : M0_4045. Cote locale : B_7_38.
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LE VOEV DES BONS
Bourdelois fait à Monseigneur
le Prince de Condé.

S’IL est permis de prendre de la Doctrine & Prophetie de Platon,
l’augure de nostre salut ; nous voilà bien-heureux, puisqu’il
nous promet que toutes nos Prouinces seront heureuses
& pacifiques, si elles sont commandées & regies par des Gouuerneurs
sçauans & d’Illustre naissance. Icy MONSEIGNEVR, nous
ne voulons vous flatter de vaines loüanges, car vous portés assés la
marque d’vne saincte Pudeur en toutes vos actions, & vous sortés
du plus pur Sang de nos Roys : D’ailleurs la grandeur de vos loüanges
perdroit l’honneur de ses merites & la grace de ses beautés dans
la vilité & bassesse de ma bouche : Ce n’est à vn corbeau, dit Mercure,
à chanter les loüanges d’vn rossignol, non plus qu à vn chathuant
& hybou à chanter les loüanges du Soleil, & beaucoup moins
à moy inconnu mesme du vulgaire à loüanger vn Prince, duquel le
moindre honneur est celuy que les hommes prisent & ambitionnent
le plus : Ie ne veux point imiter aujourd’huy la coustume de ces Orateurs
qui s’en vont puiser dans les loüanges des Ancestres pour en
faire vn amas dans la personne de ceux qu’ils loüent. Louys de Bourbon
n’a pas besoin qu’on aille puiser & chercher les loüanges de ses
Predecesseurs, puisqu’il leur a donné plus d’éclat & de splendeur
qu’il n’en a receu de tous, ie m’adresse à vous, MONSEIGNEVR,
Chef du Conseil du plus grand Monarque du monde, qui est de nostre
Hercule le digne Chiron, le Linus, l’Eumolpe, l’Arpalique,
l’Autolique ; qui estes le Phœnix de nostre Achille, le Leonidas, le
Lysimachus, & l’Aristote de nostre grand Alexandre : l’Apollodore
de nostre Auguste, le Lactance, l’Orateur, & la bouche d’or de
nostre Constantin, autant par dessus Chiron & les autres, que nostre
Roy est par dessus les Hercules, & les Alexandres qui n’estoient
que des balons enflés d’ambition : Gouuernés s’il vous plaist heureusement

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cette Prouince de Guyenne, vous estes le Maistre Pilote,
à qui le Roy a donné de sa main le timon & le gouuernail ; c’est à vous
à employer les rays de ce Soleil, à éclairer toute cette Province, c’est
à vous à employer toutes les forces de vostre tout-puissant esprit à
établir la Paix, & la vertu à détruire le vice, fortifier la Religion, &
affoiblir l’heresie : puisque vous tenés le gouvernail en main de cette
Prouince, regardés toûjours l’honneur de Dieu comme vostre
étoille & Cynosure : Et asseurés-vous que la moindre recompense
que vous en aurés, sera l’immortalité de vostre renommée. Chassés,
chassés les pestes de l’Estat qui veulent gouverner nos Provinces par
des principes humains, sans les conjoindre auec la Religion, ce sont
des Phaetonteaux qui veulent prendre les resnes en main pour nous
consommer quant & eux dans les feux & les flames de leur ardente
ambition : ce sont des Dædales qui par leurs desirs ambitieux veulent
monter trop haut, & s’approcher de l’éclat & de la chaleur du
Soleil, & ne pouuant soûtenir ses rayons brillans, se precipitent
dans des abismes de malheur : permettés-nous aujourd’huy que
nous fassions vne priere à Dieu, la plus grande, la plus importante
que nous puissions conceuoir, offrant à Dieu vn Vœu en forme de
priere pour le plus grand Prince de la terre, & qui est autant par dessus
tous les autres Princes que sa justice surpasse leur grandeur, sa
vertu triomphe de leurs forces, & sa valeur remporte la victoire de
leurs courages. Prince autant beny de Dieu que la France a esté
toûjours la bien-aimée du Ciel, Prince l’honneur de la terre, le bras
guerrier de Mars, le laurier des combats, la palme des victoires,
temple de la vertu, miroir de iustice, le fauory de Dieu, les delices
des hommes, & les amours du Ciel : C’est pour vous qu’au nom de
tous vos bien-aimés & fi de les sujets, ie fais cette priere.

 

ROY du Ciel & de la terre, qui portés écrit & graué en lettre d’or
sur vostre cuisse cét éloge de Royale grandeur, Rex rigum,
Princeps principum, Roy qui fondés les Empires & les Empereurs,
établissés les Royaumes & leurs Roys, protegés les Prouinces & leurs
Gouverneurs éleués les Diadêmes, conserués les Couronnes, & cherissés
les Sceptres ; regardés du plus haut du Ciel assis en vostre
Thrône éclatant & rayonnant de Majesté, regardés de l’œil le plus
fauorable que vous ayés iamais regardé vostre Roy Salomon ; nostre
Gouverneur Louys de Bourbon, nostre Prince de Condé, & ie

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m’asseure que s’il y a rien qui puisse plaire à vos yeux, ce sera sa
vertu & son innocence, puisque vous tenez en main tous les cœurs
des Roys & des Princes, & portez penduës à la ceinture les clefs de
leurs Royaumes & de leurs Gouuernemens : Cor Coudæi sit in manibus
Dei : soyez l’ame de ses affections, l’entelechie de ses mouuemens,
& la seule butte de ses soûhaits, soyez le flambeau de son entendement,
le concierge des Thresors de sa memoire, & le brasier enflammé
de sa volonté ; soyez la prunelle de ses yeux, la langue de sa bouche,
l’Oracle de sa voix, le guide de sa main, & l’aisle de ses pieds,
l’aisle de la victoire : comblez-le de vos graces en remplissant son entendement
de la clarté de sapience, bonté de conseil, haine d’erreur,
& sa volonté de pieté, & d’vne sainte crainte, il ne regne que pour
vous & par vous : Tenez d’vne main, & luy de l’autre, les resnes de
cette Prouince, soyez auec luy assis au timon & gouuernail de cette
Nauire de Guyenne, laquelle affermie de l’ancre dorée de vos faueurs
brauera les orages, défiera les tempestes, méprisera les vents,
verra gronder les flots sans iamais s’estonner, & la rage des ondes ne
fera autre effort que briser son effort & écumer sa baue : Loüis de
Bourbon vous consacre toute sa Prouince, vous offre les fruits &
tous les honneurs de son gouuernement, & dit hautement Dieu soit
mon Roy & celuy de ma Prouince : Il nous a desia appendu les plus
verdoyants lauriers de ses trophées ; il n’a iamais oüy retentir parmy
ses conquestes le Pæan de victoire, Viue Condé, que son cœur,
écho de vos loüanges, n’aye respondu Viue Dieu. Son espée n’a iamais
tranché que pour vous, son bras guerrier n’a esté estendu qu’à l’amplification
de vostre nom, & sa main de Iustice ne s’est portée qu’a
conseruer vos droits ; ses conquestes ont esté des conquestes de l’Eglise,
& ses dépoüilles ont esté les dépoüilles de l’erreur ; C’est pour
vous qu’il a laissé si souuent la Ville Royalle de paris ; C’est pour vous
qu’il a entrepris de si fascheux voyages ; c’est pour vous que non comme
Prince, mais comme simple soldat, il a enduré les rigueurs de
l’hyuer, les ardeurs de l’esté, & toutes autres iniures du temps : c’est
pour vous qu’il a porté si souuent sa Teste à la teste de son armée : Teste
Royale ! qui a tellement estonné le peril & la mort, qu’elle a rendu
les armes à ses pieds : Face majestueuse qui en ses meslées a tellement
estonné l’élement desloyal & perfide de la mer, qu’elle luy a fait retarder,
si semble, son cours, luy a fait laisser sur la gréve ses vaisseaux
ennemis, luy a fait abandonner en proye ses rebelles, comme des

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poissons muets & languissans sur l’arene ; espée fatale qui n’a plûtost
veu l’air & le iour qu’elle a fait voir les tenebres & la mort à ses
ennemis ; presence épouuentable, qui ne s’est plustost presentée à
l’armée, qu’il a esté veritable de dire en vn moment veni, vidi, vici,
Il est venu poussé par vostre Saint Esprit, & le Genie sacré de toute
la France : Il a veu le nombre innombrable de ses ennemis ; il a
veu les villes rebelles, les forteresses mutinées, les ports & les passages
assiegez : mais il n’a plustost veu cette engeance il n’a plustost
veu ses forces ennemies qu’il les a vaincuës, non pas que la fortune
les luy aye peschées & mises dans ses reths en dormant ; mais la sueur
du Carquois, la force de son bras, la foudre de l’espée beniste de son
Dieu les luy a renduës entre ses mains, auec vne si douce & clemente
victoire exempte d’insolence, que les vaincus s’estimoient plus
heureux que les vainqueurs mesmes ; Il n’a voulu teindre ses lauriers
du sang de ses ennemis, que lors que par humble soubmission, ils ont
refusé l’oliue. Il a donné tout à la vertu & rien à la fortune, attribué
tout à la clemence, & rien à la rigueur, consigné tous ses droits à la
iustice & rien à la passion : Continuez mon Dieu à benir ses armes
Royales, afin qu’il puisse vn iour grauer cette deuise sur la lame de
son espée d’vn costé : Nulla placet nisi sit clemens victoria ferri : & de
l’autre costé, Hic quicumque Dio rutilabit lethifer ensis. Continuez à luy
inspirer le mesme courage pour le zele de vostre Eglise, que rien
n’arreste le cours de ses victoires, l’aisle de la victoire, aisle aussi viste
que son pied, les trophées accompagnent tousiours ses combats, la
Castille & l’Austriche chantent incessamment ses loüanges, Norlingue,
Ftisbourg & Rocroy, loüent tousiours ses exploits guerriers,
que le champ de Mars ne se lasse iamais de luy porter des lauriers,
puis qu’il ne se lasse iamais de luy fournir de nouueaux suiets de conqueste:
sur tout mon Dieu ie vous prie que sa valeur soit secondée
de la fidelité de ses suiets, & sa vertu soit accompagnée du bon & masle
courage de toute la Gascogne, que comme pour l’amour de nous
il s’est dépoüillé de tous ses propres interests, nous ne regardions
aussi que son seruice : Vous auez beny nos vœux, vous auez exaucé
nos prieres, vous nous auez accordé le premier Prince de la terre
pour estre nostre Gouuerneur, si nous n’eussions pas souffert long-temps
vne iniuste tyrannie qui a veu brûler nos maisons, rauager nos
campagnes, destruire nos moissons sans s’émouuoir, nous n’aurions
pas le bon-heur de ioüir d’vn Prince dont toutes les actions sont heroïques ;

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nous ne regrettons pas d’auoir souffert tout ce que les tyrans
ont pû faire souffrir aux martyrs, toutes nos langues sont embrasées
de l’amour du S. Esprit qui a beny toute cette Prouince, en nous
donnant cét Illustre Gouuerneur & Prince, de qui toutes les actions
sont Royales, comme le nom incomparable de LOVIS DE BOVRBON
qu’il possede à si iuste titre, comme digne du Throsne ; enfin apres
l’orage & la tempeste nous ioüissions du calme & de la bonasse d’vn
air tres-pur & bien faisant. Benie soit à iamais l’adorable main de
nostre aymable Sauueur, qui nous a sauuez & preseruez amoureusement
du naufrage & de luge de sang, qui alloit inonder & abismer
cette Prouince partagée & diuisée ; aussi l’Escriture Sainte, dont toutes
les paroles sont des Oracles, dit tres-veritablement, Omne regnum
in se diuisum desolabitur : Toute nostre Prouince est pacifiée, tous
nos Citoyens sont d’accord, le seul nom de LOVIS DE BOVRBON
porte la paix & le repos dans toutes les Prouinces ; cela estant, vous
benissant ses armes, luy prenant la querelle pour vous remply de valeur,
assisté de vos forces, secondé de nos courages, seruy de nos fidelitez,
il luy sera autant facile de traisner ses ennemis liez & garrotez
pieds & poings suiuans son Char Triomphant, qu’il luy est aisé
d’estre inuincible & infatigable aux exercices de Mars : Ie m’asseure
que lors que les ennemis verront cette bonne intelligence entre le
Capitaine & ses Soldats, le Gouverneur & ses Suiets, ils n’attendront
point qu’il leur aille porter les nouvelles de la guerre, car ils
preuiendront par des humbles prieres & articles de la paix ; que tous
les Princes & Gouverneurs de la terre entendent cette voix prononcée
auec verité, & non point par flatterie, car ie ne trempe aucunement
à l’espoir des recompenses, LOVIS DE BOVRBON beny de
Dieu & fauory du Ciel, regne auec telle asseurance qu’il peut regarder
du coing de l’œil sans mesme le cligner (comme le Lion) tous
ses ennemis. Son courage, sa vertu, la fidelité & l’amitié de ses
suiets luy font vn tel rampart, que quand l’Occean borderoit son
Royaume d’vn costé, & tous les rochers le flanqueroient de l’autre il
n’est pas plus asseuré, & s’il n’y a Prince au monde qui puisse auec
plus sainte vengeance & punition, tirer raison de ses ennemis que
le Prince de Condé, car des Princes de la terre, les vns ont la multitude
des suiets, les autres de grosses & fortes puissances, les autres
de riches minieres d’or & d’argent, les autres ont les artifices, ruses,
& stratagemes de guerre : mais il ne s’en treuue que celuy-cy qui ait

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la multitude auec le courage, la fortune auec la vertu, & les richesses
auec les forces, la resolution auec la pieté, & la victoire auec la
clemence, les autres ne peuuent estre victorieux qu’ils ne soient insolens :
cetuy-cy ne pouuant estre vaincu par autruy, est vaincu par
sa Françoise douceur, si les autres Royaumes sont feconds & fertils
en richesses, ce n’est que pour de leurs perles gresler ses couronnes,
leurs odeurs ne sont que pour parfumer ses Autels, & leurs lauriers
que pour estofer ses trophées, ou pour mieux dire des lauriers qui y
croissent, ils n’en reçoiuent que l’ombre, & nous en cueillons le fruit
& la gloire. Ie demande de plus, ô grand Dieu ! Protecteur de nos
Princes, que plein de santé il prolonge l’heureux cours de ses années,
afin qu’il continuë le cours de ses victoires ; Conseruez le premier
Prince de la terre, le Roy de nos cœurs, le Gouuerneur de cette Prouince,
& les delices des peuples, le conseruant vous conseruez
toute la Guyenne, qui a tousiours tant reueré l’Auguste Nom de
LOVIS DE BOVRBON : Vous conseruez la paix dans vne Prouince,
qui a tousiours eu en si grande veneration le Nom de Condé ; faites
qu’apres auoir ioüy de la presence de Madame la Princesse son
épouse, & de Monseigneur le Duc d’Anguien son fils, nous ayons
le bon heur de posseder le pere, & luy témoigner par nos ioyes &
par nos acclamations que toute la Guyenne ne respire que pour son
seruice, que le tonnerre de nos Canons saluë son arriuée, que nostre
musique veut accompagner son Char triomphant, & que tous nos
lauriers veulent couronner sa teste, que tous nos feux d’artifices &
nos feux publics ne sont rien en comparaison du feu brûlant de nostre
cœur.

 

FIN.

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