Anonyme [1651], LE TRIOMPHE DE L’INNOCENCE MANIFESTÉ Par la destruction des impostures & faux bruits qu’ont semé les Partisans du Cardinal Mazarin contre l’integrité de Monseigneur LE PRINCE. Auec les foibles raisons par lesquelles ils taschoient de déguiser leur médisance, pour rendre sa conduite odieuse & suspecte, que l’Autheur monstre ne pouuoir subsister, sans que ce Prince eut manqué contre toute sorte de bonne maxime. , françaisRéférence RIM : M0_3873. Cote locale : B_6_5.
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RESPONSE.

Ne voila pas des accusations friuoles, puis
qu’elles ne produisent que des coniectures, des
obiections foibles qui n’ont rien à dire sur ce
qu’on a fait, mais seulement à chicaner ce
qu’on n’a pas fait, & pretendent faire passer pour

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des crimes enormes & conuaincus les motifs
qu’on n’a point eu, & qu’on a pû auoir pour ne
le faire pas. Si l’on prend la peine de respondre
à ces discours qui combattent l’innocence auec
la malice, & la verité auec l’artifice, ce n’est pas
qu’on redoute leurs efforts, mais plustost le
silence & la negligence : & qu’on sçait assez de
l’experience, que des petites forces font quelquesfois
de grands effets, lors qu’elles ne rencontrent
point de resistance. Nous sçauons qu’vne
femme garrotta Samson l’inuincible qui faisoit
de ses deux bras vne armée, & donnoit les
batailles luy seul : Mais ce fut apres qu’elle l’eut
dépoüillé de sa vigueur, & des forces sur humaines ;
quoy qu’on estime grandement foible la
médisence qu’on employe depuis quelque
temps pour descrier les bonnes & sinceres intentions
de Monsieur le Prince, on ne doit pas
pourtant la traiter auec tant de mespris qu’on ne
l’estime capable de surprendre les esprits par ses
artifices, si elle n’a qu’a combattre vne innocence
inconnuë. On se persuade que cette response
sera suffisante pour faire voir la sincerité qu’on
attaque, & luy donner tous les aduantages qu’elle
peut attendre de la verité sur le mensonge. Or
c’est elle-mesme qui parle lors qu’on vous dit
que Monsieur le Prince n’a point d’autres volontés
pour le Mazarin, & pour son party que

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celles du peuple, qu’il a fait ce qu’il a sçeu pour
la paix qu’on desire, & que ses intentions sont
celles que doit auoir vn Prince fidelle à son Roy,
& qui ne veut pas estre ingrat de sa liberté enuers
les bons François, qui l’ont tous procurée, ou
souhaitée.

 

On sçait aujourd’huy, & des connoissances
certaines nous apprennent que sa Prudence s’est
trouuée plus grande que sa prison, & qu’auec
l’addresse de ses ordres elle animoit dans Paris le
peuple contre cét ennemy commun ; détachoit
Monsieur de Beaufort de ses interests, de ses sentimens,
& de sa frequention par des ressorts secrets
& esgalemens inconnus à l’vn & à l’autre,
se seroit de la sottise de ce Politique pretendu, &
s’en ioüoit pour obliger cét illustre Frondeur à
rechercher sa perte, gagnoit Monseigneur le
Duc d’Orleans, interessoit le Parlement, arrachoit
de Paris auec l’effroy cét objet de la haine
publique, & le poussoit hors du Royaume auec
vne necessité qui s’est trouuée plus puissante que
ses ruses. Apres auoir fait dans la prison contre
le Mazarin tout ce qu’vne extréme haine pouuoit
entreprendre, & vne pareille prudence executer,
peut-on presumer auec apparence qu’il soit
à cette heure appaisé ? A ce compte il faudroit
dire que l’entreueuë du Havre de Grace, & l’auancement
de sa liberté auroit operé cette étrange

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reconciliation : Si Monsieur le Prince ne pensoit
plus a la vengeance, il faudroit aduoüer que
c’est le bon heur de cette liberté recouurée qui
bannit de son cœur auec les joyes toutes ces passions
orageuses, qu’il a appris auec loisir par sa
propre experience à considerer auec compassion
plustost qu’auec colere les miseres illustres, soit
que l’innocence en fasse vne persecution, ou que
le crime leur donne la qualité honteuse de supplice
pour les rendre moins supportables.

 

La haine
de Mõsieur
le Prince
contre le
Mazarin,
prouuée
par ce qu’il
a fait cõtre
luy dans la
prison.

Ceux qui n’ont pas oublié qu’il s’est trouué à
toute les assemblées du Parlement qui ont esté
faites depuis quatre mois contre ce Ministre, que
luy & tous ceux qui ont quelque inclination à
luy plaire, y ont tousiours opine pour son éloignement ;
& pour s’opposer à son retour,
ne peuuent pas croire que Monsieur le Prince
vueille le Mazarin : On sçait ce qu’il a contribué
à cet Arrest memorable, qui declare les
Cardinaux incapables du Ministere, les industries
qu’il a fait jouër pour le faire confirmer
par vne Declaration du Roy : Que s’il y’en a
qui ne le sçachent pas, ils n’ont qu’à se rendre
attentifs aux discours des Mazarins, &
prendre garde au mal que luy en veulent ceux
qui ne croyoient auoir besoin que de la Pourpre
pour y arriuer : Il n’y a que ce desplaisir
qui les oblige à conspirer contre luy,

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ils n’estiment donc pas qu’il n’y aye rien fait ?
quel dessein peut il auoir en obligeant le plus qu’il
peut ceux que le Mazarin à persecutez, s’y ce
n’est pas d’armer leur vengence & opposer à son
retour non seulement de grands ennemis, ce que
sont tous les gens de bien, mais encore puissens,
& qui sçachent luy faire le mal qu’vne iuste
haïne les oblige a luy vouloir. Il trauaille tous
les iours si bien à ruïner ce party, qu’il est à
croire qu’il aura bien tost fait, s’y le malheur de
la France ne l’empesche : N’est-ce pas si prendre
comme il faut, entretenant comme il fait auec
ses principaux ennemis, vne particuliere intelligence,
le faisant haïr de ceux qui l’ont aymé, &
obligeant ses Partisans à estre ses plus grands
aduersaires. Tous ceux que le Mazarin a mis
dans le Conseil ne sont pas en humeur d’y maintenir
ses interests, & l’on n’ignore pas qu’il y
en est retourné qui ne pensent qu’a les renuerser,
n’est-ce pas vn tesmoignage que Mr le Prince
a voulu luy rendre de ses inclinations ? il ne la pas
mal seruy faisant oster à ses creatures la conduite
de l’armée de Catalogne, & donner à ceux qui
croyent qu’ils l’ont pour l’empescher aussi bien
que les troupes ennemies de mettre le pied en
France, & c’est sans doute qu’il pretendoit luy
rendre vn seruice de mesme nature, lors qu’ils faisoit
tout ce qui se peut sans violence, pour voir

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hors des Conseils les deux principaux instruments
de sa malice, les deux demons qui possedoient
son ame, & luy donnoient le mouuement
de leurs interests ? Les deux furies qui sans fiction
entretiennent les feux de la guerre l’vne pour
profiter de la charge qui luy en donnoit l’Intendance,
& l’autre pour en acquerir vne où il n’auoit
pas auec la reputation de sçauoir estre bon
seruiteur d’vn meschant maistre. Qu’on considere
tout ce que Monsieur le Prince a fait pour
soy ou pour autruy depuis sa liberté : il n’est pas
possible qu’on l’examine comme il faut, sans y
trouuer par tout des marques sensibles de la hayne
qu’il à contre le Mazarin, s’il quitte le gouuernement
de Bourgogne, qui luy portoit de plus
grands émoluments que ne sçauroit faire tout
autre, c’est pour donner à la Reyne le moyen d’aquitter
sa promesse enuers les Bourdelois, en
ostant la Guyenne à celuy qui croyoit que la desolation
de ceste vaste Prouince deuoit luy faire
le dot de la niepce du Mazarin, & seruir de ciment
à cette noble alliance. La Bourgogne à des
Estats dans lesquels le credit de sa charge ioint à
celuy de sa naissance, luy mettoit en main la disposition
de toutes les faueurs : Il y possede enco-
la proprieté ou le gouuernement des meilleures
places, s’il en a souffert la permutation auec vne
Prouince qui manque de tous ces advantages, ce

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ne peut estre que pour se ioindre à vn peuple resolu
de ne souffrir point dans le Royaume son
perturbateur, ny ses adherans dans ses Villes. Il est
constant qu’il n’a peu auoir d’autre motif, puisqu’il
a genereusement renoncé à ses interests &
aux moyens les plus cours de s’y rendre puissant ;
ce qu’il a fait en abandonnant la Duché d’Albret,
qui luy faisoit posseder six Seneschaussées dans
cette Prouince, & se reduisant a ny auoir plus
rien que les cœurs de ce peuple qu’il s’est aquis &
qu’il se conserue par la haïne irreconciliable qu’il
tesmoigne auoir contre le Mazarin. Aussi les agents
de ce fugitif preuoyans les grands empeschements
que ce changement pourroit porter au
retour de leur Maistre n’ont rien laissé à faire pour
le rompre : ce qu’ils pretendoient faire le portant
dans la majorité du Roy par les difficultez qu’ils
opposoient & les grands retardements qu’ils y
causoient, & qu’ils vouloient faire iuger necessaires.
Vn illustre Seigneur sorty de la maison de
Sauoye par vne generosité qui n’est pas moins
noble que son sang, a constamment refusé quelque
offre qu’on luy aye fait d’aymer ou de seruir
le Mazarin, qu’il estimoit d’igne de la hayne de
tout le monde, quels remercimens n’en a il pas
receu de Monsieur le Prince ? qu’elle affection
pour ses interests & qu’elle promptitude à le seruir
contre ses propres amis, ny trouua il pas ses

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iours passez dans vn differend suruenu auec vn
Prince de la maison de Lorraine ? Il n’a iamais
rien demandé pour soy auec tant de passion, qu’il
en a tesmoigné pour faire auoir à ce braue Prince
le gouuernement d’Auuergne, & recompenser ce
noble cœur de la hayne qu’il à tousiours entretenuë
contre celuy qui vouloit en achepter les affections,
& auroit resté contant d’en auoir les apparences.
Enfin la recompense que mille personnes
de toute condition ont receu de Monsieur le
Prince pour auoir contribué diuersement au malheur
du Mazarin, doit passer pour vn tesmoignage
qu’il a donné au public de la grande auersion
qu’il à de cét ennemi commun, puisqu’il la payée
en autruy, & l’aduouë pour vn seruice rendu à sa
personne. Qu’on voye les requestes de ceux qui
luy ont demandé recompense, & l’on verra que
la plus part n’expose que ce qui s’est fait cõtre le
Mazarin, sont ce des traits d’vn amy reconcilié
ou d’vn indifferent ? Il conste donc de ce que Mr
le Prince a fait contre le Mazarin durant & apres
sa detention, qu’il a tousiours gardé contre luy
les iustes ressentiments des estranges affrons que
luy & toute sa maison en ont receu : Et ie veux
qu’on sçache que quand nous ne l’apprendrions
pas de ses actions qu’on empeschoit auec la violence
& l’artifice, nous n’en pourrions non plus
douter, si nous prenons garde qu’il ne peut point

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faire autrement, s’il veut faire ce qu’il doit pour
s’empescher de perir, & nous tesmoigner le zele
qu’il à pour la Iustice & le bien de toute la France :
S’il escoute la passion, il faut qu’il le haïsse, &
s’il escoute la raison aussi : Et ne trouuant rien ny
du costé de la vertu, ny du costé du vice, qui ne
luy donne cette obligation ; ie ne voy que la médisance
aueugle qui puisse publier cette insensibilité
pretenduë, cette reconciliation imaginaire,
où vne extreme foiblesse qui puisse la croire.
Sans mentir elle seroit tout à fait merueilleuse si
elle pouuoit estre veritable, & l’histoire qui voudroit
la faire admirer à la posterité n’auroit qu’à
luy persuader que ce n’est pas vn recit du mensonge,
& vne gentilesse de la fable. Il est certain
qu’elle ne sçauroit proceder que des motifs de la
charité Chrestienne, où des maximes de la prudence
Politique : Mais si la charité veut qu’il oublie
ses offences particulieres, elle ne souffre pas
qu’il abandõne l’interest public à l’auarice de cet
insatiable, qui croit que la disette & la misere de
sa premiere condition le suit par tout, comme il
void que la rose traine auec soy les espines dans
lesquelles elle a pris sa naissance : Elle ne permet
pas qu’il expose l’Estat à sa ruyne, & la vie des
meilleurs François à la vengeance d’vn ennemy
puissent & lasche. Nous pouuons croire que
Monsieur le Prince est assez Chrestien pour

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estouffer dans son cœur les sentimens de la vengeance :
Mais cette creance ne nous empesche
pas d’estimer qu’à-mesme temps il y fait viure
ceux de la Iustice, qui luy ordonne de poursuiure
ce criminel auec la rigueur des suplices. S’il
l’arrache vn iour de son azile, ou le fait perir
dans son sein, il en fait vne victime, & la consacre
par son malheur ; S’il le met entre les mains
du peuple, il fait ce que les Loix veulent, & qu’on
ne leur laisse pas dire : ce que l’équité iustifie, &
ne peut tenir de l’attentat & de la violence en vn
Prince du sang, qui participe à la Iustice à mesure
qu’il à plus de part aux Fleurs de Lys, qui font
voir le simbole veritable de cette vertu en leur
feuilles, & l’authorité en leur condition qui est la
plus proche de Royale. La Iustice donc luy commande
cette haïne, & la Charité ne la defend pas,
sera-ce la Prudence Polit. auec les maximes qui
veulent qu’on mesprise des petits dangers pour
des grandes esperances, qu’on ayme tout ce qui
doit estre vtile, & qu’on embrasse les ennemis qui
profitent ? Peut-estre qu’il est preuenu de ceste
Philosophie, propre des Princes & des hommes
d’Estat, qui ne considerent dans le temps que le
present & l’aduenir, ausquels la prudence peut
s’attacher, estiment que le passé tombe dans vn
grãd abisme, & perit dans le neant, que c’est folie
de conseruer de ses disgraces passées, les desplaisirs

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& ce qu’elles ont de pire, ce qui est estre volontairement
miserable, & parce qu’on là esté :
peut-estre qu’il passe outre & ne regarde plus qu’auec
ioye les maux passés comme vne blessure
guerie, comme vn danger de Mardic ou de Lens,
eschappé. Il est vray que les heureux peuuent
brauer les dangers qui ne les abordent plus, mespriser
les orages qui creuent sous leurs pieds, &
considerer la misere auec le plaisir qu’il y à pour
la seureté : Mais Monsieur le Prince se connoissant
bien ne peut rien voir en soy d’immuable
que sa vertu, ou d’inesbranlable que sa generosité :
il n’ignore pas qu’il ne soit plus foibles que la
puissance pour laquelle il a esté inuincible. Si la
malice d’vn Ministre vient pour la seconde fois
à la tourner contre luy, ne faut il pas qu’il succombe
& qu’il respecte la main qui luy donne le
coup, s’il haït celle qui la mesnage ? Puisque la
memoire du passé doit animer son zele, & instruire
sa prudẽce, il n’est point à propos de l’oublier ;
pour l’interest, il est certain qu’il ne le trouue pas
dans le retour du Mazarin, & qui ne void qu’agissant
auec les lumieres d’vne prudence mediocrement
esclairée, il ne doit rien esperer du Maz.
& qu’il en doit tout craindre. On ne doute pas
qu’il ne promette pour faciliter son retour vne
amitié sincere, vne faueur constante, vne reconnoissance
extremé, & tout ce qui peut dependre

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d’vn premier Ministre, ce qu’il a refusé autrefois,
ce qu’on n’auoit pas osé demander, ce que l’ambition
d’vn Prince digne de tout peut esperer,
& l’extrauagance conceuoit ; Mais ses promesses
sont de telle nature qu’elles donnent le de espoir
à ceux qui sçauent en recognoistre la perfidie,
cõme celles des gens de bien, produisent l’esperance
auec des ioyes qui ne valent guerre moins
que la iouissance ; Bien souuent elles ressemblent
à ces nuages qui font esperer l’abondance aux
terres seiches, & ne leur portent que la desolation
& le rauage. Il auoit tout promis à Monsieur le
Prince pour sa protection, sans laquelle sa premiere
sortie de Paris, n’auroit pas moins esté vn
veritable banissement que la seconde ; comment
là il payée ? de la façon qu’on deuoit attẽdre d’vn
lasche, qui considere l’hõneur & l’infamie auec indifference,
d’vn scelerat qui a renoncé à la vertu,
& n’en veut que l’apparance lors qu’elle sert mieux
que le vice à sa Politique. Ses promesses ne
sont que des amusemens pour rendre l’ambition
esclaue, & la payer auec des biens enchantés qu’on
n’a iamais & qu’on croit tousiours tenir : ce ne
sont que des pieges tendus à l’innocence, s’il rencontre
quelle soit credule : ce sont les plus grandes
aydes qu’il trouue pour faire reussir ses fourbes ;
Et cette cognoissance qui ne manque à personne,
doit asseurement estre suffisante pour nous

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persuader qu’vn esprit penetrant comme celuy
de Monsieur le Prince ne se laissera pas ioüer par
vn fourbe, qui ne pretend que faire du mal lors
qu’il promet le bien, & s’ayder de l’esperãce qu’il
donne pour surprendre la credulité sans resistance.
Le Maz. est l’hõme le moins enclain à donner
qui soit dans le monde, que peut-il attendre d’vne
source perpetuellement glacée, qui ne coule iamais
pour pleine qu’elle soit ? Il est insatiable &
n’est pas content ayant tout : il en veut encore apres
la plenitude, & ne souffre à lors mesme rien
moins que le debondement, qu’en doit-il esperer
s’il ny a pour luy que ses restes ? Il manque d’inclination
enuers les Princes, & s’est tousiours opposé
à tous les auantages que la maison de Condé à
peu rechercher, ce peut il faire que le coup qu’il
vient d’en receuoir aye changé cette mauuaise
humeur en vne bonté obligeante, & que le Maz.
puisse dans son esloignemẽt donner à Mr le P. les
asseurances necessaires pour se fier à sa parolle, &
attendre de luy toute sorte de faueur ? Supposons
qu’il retourne en France pour y estre ce qu’il y a
esté, que peut-il faire auoir à Mr le Prince, que
l’espee de Connestable, apres que toutes les autres
charges ont esté dõnées ? mais sçaura-il bien
faire trouuer bon au Roy que cette charge si dangereuse
soit entre les mains d’vn Prince qu’il luy
a tant descrié ? pourra-il luy mesme affoiblir son

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Ministere, par le retranchement du pouuoir qui
le rend si considerable, & si ce n’est qu’vn nom
comme l’Admirauté & la Lieutenance Generale
du Royaume, peut-il esperer qu’on s’en contente ?

 

Et depuis
qu’il est en
liberté.

Seruient.

Le Tellier
& Seruient.

Il ne peut
auoir aucune
raison
de le
souffrir.

Non pas
la Charité
Chrestienne.

N’y la
Iustice.

N’y la
Prudence
Politique.

Monsieur
le Prince
ne doit rien
attendre
du Maz.

Pour se maintenir par la voye des honestes gens,
le Maz. auroit besoing de payer sa tolerence aussi
bien à Mr le Duc d’Orleans qu’à Mr le Prince, ce
qu’il ne sçauroit faire sans regret & sans peine : Et
partant il y a plus d’apparance qu’il suiuroit plustost
son inclination & les maximes de sa Politique,
qui luy conseilleroient de s’affranchir de ces
deuoirs importuns, en la maniere qui ne luy seroit
pas nouuelle. Iamais la grandeur des Princes n’a
donné plus de ialousie à Ministre qu’elle le doit
faite aujourd’huy à cét estranger, qui se void hay
de tout le monde, & n’est desiré que de peu de
personnes, qui ayment ses crimes, où pour le profit
ou pour le plaisir. Il sçait que l’authorité d’vn
seul Prince, auec la terreur d’vn autre ont esté suffisants
pour le ietter hors du Royau. qu’ils n’ont
espargné son honneur & sa personne, que pour
le respect qu’ils ont eu pour la puissance qui luy
est fauoroble, il aymeroit son danger & trauailleroit
à sa perte s’il ne sçauoit pas les obliger autrement
qu’en leur mettant en main les moyens de
le faire perir. Sa timidité l’exemptera de cette sotise,
qui donne des faueurs que celuy qui en dispose
doit craindre. La nature n’estime rien contraire

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que ce qui luy nuit, & la prudence Politique
tient pour ennemy ce qui le peut faire, en
quel rang croyez vous donc que le Maza. tienne
Mr le Prinee ? comme à present cét illustre vainqueur
est l’object de sa plus grande hayne, c’est
sans doute qu’il le seroit de mesme de sa colere s’il
se voyoit remis n’estat de luy faire sentir. Il se
souuiẽt que les menaces de ce Lyon offencé l’ont
autrefois reduit à des fraieurs extremes, & à des
sous-missions qui pouuoient estre bien-seantes à
sa personne, non pas à l’Eminence de premier
Ministre. Il sçait que de la prison auant il estonoit
tout son parry par la terreur qui fait par tout
la moitié de ses auantages, & que dans ce rencontre
elle à resté victorieuse de la violence ; il ne
doute pas que c’est l’obstacle qui s’oppose le plus
opiniastrement à son retour, & puisque ce grand
Prince luy veut mal de ce que parmy les estrangers
il prend audacieusement la qualité de premier
Ministre de France, il cõprend s’il est loing
de souffrir qu’il en vienne faire l’exercice, tandis
qu’il pourra l’empescher : il n’ignore pas que ce
grand cœur ayme mieux souffrir la disgrace de la
puissance qui nous gouuerne, que dissimuler le
desplaisir sensible qu’il à de ce qu’on donne connoissance
des affaires d’Estat à celuy qu’on vient
d’en chasser, qu’on en recherche les aduis, &
peut-estre qu’on en reçoit les ordres. Ie vous

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laisse à penser si cét esprit malicieux preuenu de
ces pensées, est disposé à faire bon party à Mr le
Prince, au cas que la fortune vint à luy rendre les
auantages qu’elle luy auoit autrefois donné dans
ce Royaume. Il y a grande apparance qu’agissant
auec l’authorité d’vn Roy majeur ce Ministre
entreprendroit ce que sa timidité naturele,
ses interests, le desir d’estre absolu, & son humeur
brutale eschauffée par la vengeanee luy
pourroient suggerer contre vn aduersaire si redoutable.
Apres auoir experimenté qu’il n’en
a poit fait assez pour ses desseins & pour sa seureté
en esclipsant ce Soleil, qu’elle resolution
cét interessé pourroit-il prendre que de l’esteindre
tout à fait, & nous priuer de sa lumiere
pour se deffendre de ses ardeurs ; Apres auoir
veu que la prison n’auoit pas esté suffisante pour
arrester les effors de cet heros, & le deliurer de
ce grand obstacle de sa fortune & de sa malice,
pourroit-il se satisfaire qu’en passant outre,
& commettant sur sa personne le crime
que ie n’ose pas declarer, & que ce meschant
homme ne feroit pas difficulté d’entreprendre ?
Son naturel brutal en pourroit trouuer les
moyens dans la violence, son esprit de protée
dans les surprises, & son adresse à mentir, dans
les calomnies estudiées : Si l’on mesprisoit ses
grandes promesses auec la connoissance qu’on

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à de leur perfidie, si l’on se iustifit de la ialousie
& des ombrages que cét imposteur pourroit
faire naistre dans l’esprit du Souuerain, on
ne sçauroit eschapper sa violence. La foiblesse,
la negligence, la sous-mission & la bonne foy
seroient indubitablement accablées par ses efforts,
& la resistance passeroit pour vne rebellion
manifeste, pour vne ambition conuaincuë
& pour vn crime de leze-Majesté qui attireroit
contre soy toutes les forces de l’Estat, & tout
le poids de l’autorité Royale. S’il faut croire
que Monsieur le Prince veuille estre la victime
qui se presente pour appaiser la mauuaise
fortune du Mazarin, qu’il puisse se resoudre à
bastir de ses ruines, la grandeur de son capital
ennemy, à faire les auantages de ce prodige,
qui a sceu faire subsister vne grande fortune
sans aucun merite, qu’il pretende contribuer
par sa honte & sa trop grande credulité à la
gloire de cét estranger qui passeroit pour aussi
grand Politique qu’il l’auroit esté heureux, si
l’on peut se persuader qu’il puisse agreer que
toutes les grandeurs du Royaume & toutes les
belles charges aillent fondre dans la maison
de cét homme qui n’en à point, & n’en doit
non plus auoir en France, que le Ministere
passe de l’oncle au nepueu, & que l’vn & l’aupossedent

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les affections & les faueurs des deux
premieres personnes de l’Estat à l’exclusion de
ceux qui le meritent, on peut aussi tenir pour
veritable ce que la medisance seme des affections
pretenduës de ce Prince pour celuy que
toute la France hayt en sa consideration, & ce
qu’elle veut faire croire des inclinations particulieres
qu’il à pour son retour. Mais qui sçaura
les disgraces qu’il souffre à present pour y auoir
resisté, par vn silence prudent & genereux,
qui vouloit dire qu’on n’en deuoit point
parler, qui prendra garde que rappeller cét
homme c’est remettre entre ses mains ses biens,
sa liberté, sa vie, & celle de ses amis, & dépendre
de la bonne foy d’vn perfide, de la sincerité
d’vn fourbe qui croyoit auoir fait vn
chef-d’œuure de Politique en immolant vn
Prince à ses interests, & se ioüant de sa facilité,
ne croira iamais qué Monsieur le Prince
puisse agreer le retour & souffrir le restablissement
du Mazarin. Tout le party de ce Ministre
renuersé le croid ainsi, & ne se trompe
pas iugeant qu’il n’est personne dans le Royaume
qui veuille moins le bon-heur du Mazarin
que Monsieur le Prince : Si ces gens
preuiennent l’esprit du Roy par des discours
qui ne tendent qu’à le faire hayr ; S’ils aygrissent

-- 27 --

celuy de la Reyne, s’ils trauaillent à le
desunir de Monsieur le Duc d’Orleans, à le
mesler mal auec les grands, à le faire redouter
du peuple, ce n’est qu’auec connoissance de
la hayne extreme que ce grand cœur à conceu
contre cét estranger qui destruit l’Estat, flestrit
nostre gloire, vend nos conquestes, profite
des victoires de nos ennemis, & apres auoir
attiré injustement à ses coffres tour l’argent
du Royaume, en dissipe le fonds par vne
œconomie estrange, laquelle vend l’arbre apres
l’auoir depoüillé de ses fruits.

 

Le retour
du Maz.
ne peut
estre que
funeste à
Monsieur
le Prince.

Ie sçay bien que plusieurs personnes qui
n’ont que de bonnes intentions pour le public
attendoiẽt de Monsieur le Prince autant de violence
que de hayne, qu’elles se promettoient
de sa vigueur, que le procez seroit fait à ce
criminel, sa memoire flestrie, ses biens saisis,
& ses Partisans arrachés de la Cour & de toutes
les charges qu’ils y possedent : Pour contenter
ces esprits on ne peut leur dire autre
chose, si ce n’est que Monsieur le Prince à
les mesmes souhaits que nous de voir l’autheur
de nos maux tout à fait aneanty, & non seulement
esloigné, que ces inclinations sont celles
qu’ont tesmoigné iusqu’à present tous les
bons François contre cét ennemy commun,

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qui enuelopoit les particuliers dans le
mal heur general de l’Estat, mais qu’il a
veu qu’il ne pouuoit ny ne deuoit entreprendre
ces grands effects, qu’il ne souhaite
pas moins que tout autre. Il falloit donc d’abord
apres sa desliurance ietter feux & flammes,
& poursuiure cét ennemy iuré de sa personne,
de sa maison & de l’Estat, auec les
passions de la vengeance & de la Iustice, &
auec ceste mesme generosité qui la fait triompher
des armées entieres ? cependant nous
voyons que Monsieur le Prince dans tout son
procedé à retenu les saillies de la violence, &
n’a fait voir que les douceurs qu’on à voulu
rendre suspectes d’intelligence auec celuy que
tous hayssent.

 

Monsieur
le Prince
ne pouuoit
agyr auec
plus de
prudence
qu’il a
fait esuitant
toute
violence.

C’est qu’effectiuement cette affaire est de telle
nature qu’elles à besoing pour estre bien traittée
de la conduite d’vn esprit fort, d’vne prudence
extraordinaire d’vn parfait Politique, &
d’vn Courtisan consomme, plustost que de
l’impetuosité d’vn turbulent qui sous-leue des
tempestes qui l’accablent auec les autres, où
des efforts d’vn inuincible & d’vn conquerant.
Si la violence ne rencontroit que le
Mazarin à renuerser, ses excés tiendroient de
la perfection, & feroient voir la iustice de

-- 29 --

ses rigueurs dans l’égalité qu’il y auoit auec l’enormité
des crimes ; Mais on rencontre des puissances
superieures qu’on ne peut choquer sans
rebellion, ny traiter sans respect que ce ne soit
auec insolence. C’est donc auec la priere, auec
les humbles remonstrances, & auec la force de
la raison & les adresses de la prudence qu’il faut
s’y prendre. Pour y proceder autrement il faut
auoir des forces qui soient pour le moins égales
à celles du Souuerain, & ce qu’on en peut atendre
alors, c’est que le danger qu’il y a de faire
voir dans l’estat des forces pareilles aux siennes,
ou le hazard d’vn mauuais succez l’obligent à
faire ce qu’il voudroit le moins, & accorder ce
qu’il ne peut pas refuser. Vn accomodement appaise
les peuples, & les desarmant abandonne
leur chef à la haisne du Prince qui ne manque
non plus de moyens que de pretextes de le faire
perir. N’est-ce pas vn escueil que la prudence
deuoit esuiter, & où la violence ne pouuoit
manquer de se defaire ? On n’a iamais offert à
Mons. le Prince aucunes forces pour ce dessein,
croit-on qu’il d’eut l’entreprẽdre auec celles de sa
Maison qu’il trouuoit dissipée, & ses amis débauchez
par l’esperãce où par la crainte. Dans ce rencontre,
n’estoit il pas plus à propos de ramasser
ses petites restes comme on feroit sortant du naufrage,
de connoistre ses bons seruiteurs, & les

-- 30 --

contenter, ce qu’il ne pouuoit faire autrement
qu’en recompensant leur fidelité, & non pas l’exposant
à des nouueaux dangers. Outre qu’on ne
doit pas estimer que tous ceux qui seruent en vne
necessité soient disposez à le faire de mesme en
vne occasion qu’on a fait naistre. Supposez
qu’on luy eut donné les forces necessaires, contre
qui les pouuoit il employer que contre le
party Mazarin, en se rendant l’auteur d’vne guerre
Ciuile, & de tous les desordres qui l’auroient
suiuie, qu’auroit fait cepandãt le Mazarin ? N’est
il pas certain, que s’il n’est le plus lasche & le
plus mal conseillé des hommes qu’il seroit venu
d’abord fortifier son party d’argent, d’armes &
de troupes. Ne sçait-on pas qu’il a sollicité nos
alliez & leur a demandé des forces pour venir
deliurer leurs Maiestez d’vne detention & d’vn
siege imaginaire, qui n’et toit en effet qu’vne garde
respectueuse. Les anciens attachoient leurs
Dieux à leurs niches de peur qu’ils ne se retirassẽt
dans le Ciel, l’amour causoit cette apprechẽsion &
la iustifioit suffisamment. En effet cette passion
bien loins d’offenser les Dieux, c’est elle qui les
appaise beaucoup mieux que les sacrifices. Cette
consideration, & le peu de creance que nos alliez
ont accoustumé d’auoir aux paroles du Mazarin
les retint cheux eux & dans les postes qu’il ont
peut estre qu’vn besoin veritable les auroit remué,

-- 31 --

& atttiré dans nos prouinces, pour nous
apprendre par nostre desolation qu’ils nous
auoient suffisamment vengez de nos ennemis.
La guerre Ciuile reculoit sans doute la paix que
nous recherchons auec l’Estranger, luy donnoit
le moyen de regagner ses pertes, porter le rauage
par tout, & profiter de nostre sotise durant
cette campagne autant qu’il profita l’Esté
passé, de la malice & de l’auarice de nostre Ministre,
qui ne cherchoit que des pretextes pour luy
laisser tout faire. Il ne sçauroit arriuer à la France
vn plus grand mal-heur que le dessein ou la ne necessité
de faire vne guerre Ciuile, apres que les
ennemis ont épuisé ses forces, que le Mazarin
la depoüillée d’argent, & notablement affoibly
l’authorité Royale, par sa conduite. Il est
certain qu’elle seroit à cette heure allumée par
tout le Royaume si Monsieur le Prince eut attaqué
le party du Mazarin auec la vigueur d’vn
guerrier. Sa moderation nous à exempte de
tous les maux qui deuoient en reussir. Il
nous faut donc reconnoistre qu’il a consideré
nos interests, prenant la resolution de n’employer
contre ses ennemis que la vigueur des
loix & de la Iustice. Qu’on y prenne bien garde,
& l’on verra qu’il ne pouuoit s’ecarter de cette
moderation, qu’il ne se broüillast auec tous ceux
qui peuuent luy donner l’obligation de rien entreprendre,

-- 32 --

& les moyens suffisens d’executer. Il
choquoit la Reyne qui ne doit pas souffrir qu’vn
particulier prenne les soins de l’Estat independamment
de ses ordres. Il donnoit de la jalousie
à Monsieur le Duc d’Orleans qui ne peut pas
agreer qu’vn autre qui doit luy ceder, soit le
chef d’vn party dans lequel il se trouue, & qu’on
le partage si mal qu’il ni aye point d’autre employ
que de voir bien faire, il importunoit ses amis
qu’il trouuoit las des fatigues qu’ils venoient de
souffrir à son occasion, & épuises de toute sorte
de moyens, il iustifroit sa detention, donnoit
grande couleur aux pretextes qu’on publia &
qu’on voulut faire passer pour des motifs veritables
de cette resolution, & n’agissant plus qu’auec
vne puissance suspecte il se mettoit en danger
de la voir bien-tost destruite par ces apprehensions
generales par l’enuie des grands, & la legereté
du peuple. N’estoit-ce pas trauailler à sa perte
en recherchant celle du Mazarin ? Il n y a dõc que
la passion de la vengeance & la necessité de perir,
qui pouuoient luy donner des conseils plus violents
que ceux qu’il a suiuy : la prudence ne pouuoit
pas lesclairer auec de meilleures lumieres,
& des connoissances plus raisonnables que celles
qui luy ont fait descouurir le retour du Mazarin
dans sa persecution, & que pour luy oster auec
flectrissure le ministere, on alloit luy faire auoir

-- 33 --

la qualité de Generalissime, pour laquelle il n’auroit
besoin que de se voir moins espargné. La passion
haït, mais il n’y a qu’vne prudẽce extraordinaire
qui sçache le faire, s’il est vray ce qu’on a dit
autrefois qu’il n’y a que les Dieux qui sçachent
aimer, il n’est pas moins asseuré qu’il n’y peut
auoir que les grands hommes, & ceux qui approchent
le plus des intelligences, qui sçachent
haïr ; Dans la guerre l’on ne frappe pas tousiours,
les combats & les batailles ne se donnẽt que rarement,
& si l’ambition & le courage y redoublent
la haïne, vne bonne conduite la mesnage tellemẽt
qu’elle n’esclate iamais que ce ne soit par necessité
ou pour des auantages certains & grandement
considerables. Il n’est point homme dedans
ny hors du Royaume, qui entende mieux à
faire valoir la passion d’vne armée entiere, & de
tout vn Estat contre vn autre que Monsieur le
Prince. Peut on penser qu’il ne sçache pas faire
reüssir la sienne contre vn particulier ? Il a si bien
fait qu’il a poussé le Mazarin hors du Royaume,
& reduit à ne trouuer point de retraite que chez
vn Electeur, qu’il auoit obligé sans autre motif
que d’empescher vn grand accroissement qu’alloit
faire la Maison de Condé, il a refusé de consentir
à son retour, & a mis si bon ordre que les
Estats generaux ne concluront qu’a luy ouurir
les prisons, & luy presenter les lieux de supplice

-- 34 --

qu’il a merité. C’est des Estats qu’on doit attendre
cette resolution, & non pas du Parlement,
qui vient fraichement de luy ouurir Sedan par
vn Arrest. Les grandes esperances qu’ont ces
Messieurs qui portent le mortier, ou qui en approchent,
en font des Courtisans, & non pas des
Iuges. La complaisance regle leurs suffrages &
non pas la verité connuë, ou le zele du bien public.
L’experience l’a fait voir dans tous les
Parlements qui ont eu besoin de maintenir
leurs interests particuliers ou ceux de leur prouince
contre les entreprises du Ministre ou de
ses Partisans, que les dernieres Chambres ont
témoigné plus de vigueur & d’opiniastreté pour
l’interest commun, que les plus hautes. Ceux qui
composent l’assembleé generale des Estats, sont
des Deputez des Prouinces autant détachez de la
Cour qu’ils en sont esloignez, qu’on n’a choisi
que pour leur integrité, pour leur zele & la connoissance
qu’on a de leur experience. Voila qui
ne sçauroit opiner que pour l’esloignement du
Mazarin auec la persuasion qu’a toute la France,
que c’est luy qui l’a perduë par sa conduite imprudente
& malicieuse, que c’est vn esprit qui ne
vaut qu’à broüilier, qu’il ne manqueroit pas incontinent
apres son retour de rechercher sa vengeance,
pour obliger ses ennemis par la necessité
de la defense, ou autrement, à former vn
party & donner commencement à vne guerre

-- 35 --

ciuile. Cependant cét Estranger, comme si c’estoit
le genie tutelaire de la Couronne, voudroit
nous faire croire que la Prouidence auroit
iugé son retour necessaire pour reprimer la rebellion,
& gagneroit cét auantage, qu’il feroit
hayr d’vn Roy majeur tous ses ennemis, & ne le
verroit approcher que de ceux qui affectionneroient
son establissement. Or les Estats ne peuuent
point auoir d’autre dessein que d’obuier à
ces desordres, & l’on doit croire que cette assemblée,
animee du zele de toute la France, agissant
par ses sentiments & pour ses interests, ne laissera
rien à faire de ce que la constance & la bonne
foy iugeront possible & raisonnable, pour
s’opposer au retour de ce Ministre, qui n’a point
affaire de la gloire que son predecesseur retiroit
de l’affoiblissement de nos ennemis, & ne recherche
que l’abondance & la richesse qu’il trouue
dans nostre desolation. Le Clergé des-honnoré
par les simonies de ce prophane & par ses
infamies, le reiettera constemment. La Noblesse
irritée de voir son sang vendu par la trahison
de cét Estranger, qui ne pretend que l’auantage
de nos ennemis en la guerre qu’il leur fait, criera
hautement contre luy. Le tiers Estat espuisé
par ses voleries, n’en voudra point du tout ; &
les Parlemens qui n’en attendent que la persecution,
le considereront comme vn Comete funeste

-- 36 --

à leur corps, & ne trauailleront que pour le
tenir loing, s’ils n’abandonnent l’interest commun
pour le particulier. De sorte que tous les
suffrages de cette Assemblée generale, doiuent
estre contraires au Mazarin, & le traiter auec la
rigueur que ses crimes & nostre passion nous
peut permettre. Si le bon-heur de la France est
si grand, que les Sujets y puissent faire passer
leurs sentimens dans l’esprit du Prince, nous
verrons auec plus dauantage que de merueille,
que les lumieres ne descendent pas tousiours,
que la terre esclaire quelque fois le Ciel, & que
les hommes peuuent instruire les intelligences
par la communication de leurs connoissances.
Ce’st là, qu’on peut se promettre d’effacer
les mauuaises impressions, que cét imposteur
auoit donné à nostre Roy, & le voir esclairé
des mauuais seruices qu’il en a receus, & de l’obeyssance
qu’il doit attendre de son peuple : s’il
n’est pas infaillible que nous retirions tous ces
grands auantages de l’Assemblée des Estats, c’est
pour le moins hors de doute, que Monsieur le
Prince ne pouuoit s’aduiser d’vn meilleur expedient
pour nous les procurer, que d’en obtenir
la tenuë. S’il faut demander auec des humbles
supplications la poursuitte du Mazarin, peut-on
la faire plus efficacemẽt, qu’en menant aupres du
Roy toute la France ? S’il est à propos de prendre

-- 37 --

des resolutions plus vigoureuses contre ce criminel
conuaincu par ses crimes qui sont publics,
condamné par les Loix, qui ne demandent
qu’execution, se peut-il mieux faire, que
par le consentement des trois Ordres assembles ?
Cette sage conduite de Monsieur le Prince, ne
vaut-elle pas autant pour le moins qu’vne de ses
Victoires, & cette prudence ne traine-elle pas
des effets preferables à tout ce que nous pouuoit
produire la violence ? Enfin pour le prendre au
pis, supposons que le Mazarin reuienne en France
& à la Cour, auec la qualité de premier Ministre,
ou de Generalissime, & qu’on doiue imputer
ce retour à Monsieur le Prince, ne faut-il pas
aduouër que ce seroit vn traict de prudence, autant
que de bon-heur, de remettre ce criminel
entre les mains de la Iustice, de ramener la Victime
au pied des Autels, pour consacrer toutes
les mains qui seruiroient d’instrument à son supplice ?
Mais peut-on bien se persuader que le
Roy, ou que la Reyne souffrent son retour, tandis
qu’ils le sçauront hay de la France ? Sans doute
que ce seroit armer tous ses ennemis, & les
obliger à faire vn party, qui combatroit presque
auec toutes les forces du Royaume, & prendroit
tous les auantages qu’il voudroit sur la resistence.
Le Roy ne sçauroit en autoriser que le plus
foible, qui n’a que l’auantage d’auoir preuenu

-- 38 --

son esprit des persuasions, que l’âge & la verité y
doiuent bien-tost effacer, seroit ce pas la plus
grande faute que pourroit commettre son Conseil,
de mettre en cõpromis l’autorité Royale dãs
le commencement de la maiorité, & peut estre
remettre la Couronne entre les mains des Sujets
qu’on tiendroit pour rebelles, & qui pourroient
apprehẽder que la soumission ne leur en fit souffrir
la peine ? Nos Rois ont fait autrefois ce qu’ils
ont sceu, pour dissiper tous les partis que les malicieux
faisoient naistre dans l’Estat sous des
specieux pretextes, & pour empescher vn tel
crime de faire exemple, ils en estouffoit la memoire,
les deschargeant de ce blasme par leurs
declarations : N’auroit-on pas mal profité de
cette politique, si l’on n’auoit point appris qu’vn
Roy ne doit point partager ses Sujets, & se retrancher
du plus grand nombre, pour n’estre
chef que du plus petit & du plus odieux ? Que le
peuple & tous les bons François conseruent l’affection
qu’ils ont pour Monsieur le Prince ; que
luy-mesme, employe comme il a fait sa prudence
à preuoir la malice de ses ennemis, & garentir
sa personne de leurs attentats, & tenez pour asseuré
que ce Ministre banny ne sera ny rapellé ny
restabli. Il ayme trop ce qui le fait haïr de tous
les gens de bien ; c’est a sçauoir vne vie infame,
noircie de toute sorte de crimes, pour en venir

-- 39 --

faire hommage à la colere qui anime contre luy
Monsieur le Prince, & l’exempte par sa justice
du blasme, & du vice qui peut se trouuer dans la
vengeance. Il en iuge comme ses amis, que
tandis que Monsieur le Prince sera, il ne sçauroit
trouuer de sceureté en France, ny de resistence
capable d’arrester cét inuincible, soustenu
des affections & des assistances des peuples.
Aussi voyons nous que tous les efforts se font
conrre luy, qu’on prend conseil de ceux qu’on
estime les plus passionnés pour le perdre : on y
employe les nuits entieres, on promet tout à
ceux qu’on vouloit faire perir, pource qu’ils offrent
de mettre fin à mesme temps au banissement
du Mazarin, & à la vie de Monsieur le
Prince. A quel dessein auoit-on disposé tant de
pelotons d’hommes armez en diuers endroits
du Faux-bourg S. Germain, durant la nuict du
sixiéme, iusqu’a ce qu’ils se virent decouuerts,
& qu’on cut appris que Monsieur le Prince,
au lieu d’aller voir à Trye Monsieur de Longueuille,
auoit pris le chemin de S. Maur ? Tout ce
monde ayant disparu à la pointe du iour, il faut
croire que c’estoient des phantosmes qui vouloient
qu’on parlast d’eux, ou que c’estoit pour
vne entreprise qui ne pouuoit pas attendre le
grand iour Grand mercis, à la preuoyance extreme
de Monsieur le Prince, qui a sceu descouurir

-- 40 --

les desseins malicieux de ses ennemis, & le garentir
de leurs efforts : si elle eut pû luy manquer
dans cette occasion, il ne nous resteroit
à present qu’à desplorer sa perte, & nous voir
perir apres luy. Celuy qui est allé chercher le
Mazarin le rameneroit en triõphe, & c’est alors
que ses Partisans nous le proclameroit pour
l’Ambassadeur des Dieux, & pour vn autre Mercure
qui en auroit plus que le nom, non pas le
Caducée qui porte la paix par tout. Il pourroit
auoir si mal reussi, qu’il trouueroit fermé pour
luy mesme le chemain de France, qu’il pretend
ouurir à vn autre. La necessité qui fait esclater
auiourd’huy le zele de Monsieur le Prince,
pourroit enuelopper le Nepveu auec l’Oncle
dans vne mesme cause, & faire de leur alliance
vne peine, comme ils y ont souffert du crime
& beaucoup de lascheté. Apres que toute
l’Europe a consideré auec admiration l’incomparable
generosité de Monsieur le Prince, n’est-il
pas raisonnable que la France aye des sentimens
qui ne soient pas plus bas pour la politique
qu’elle a pû remarquer en sa conduite
depuis quatre ou cinq mois, & si elle ne veut
point estre ingrate, qu’elle l’aime & la cherisse
comme la source veritable de son bon-heur ? La
paix interieure, l’vniõ des Princes, & l’obeysãce

-- 45 --

elle estre plus grande ny plus heureuse que de
rencontrer le moment critique, dãs lequel nous
pouuons trouuer nostre salut auec la perte de
l’ennemy commun ? On ne sçauroit prendre garde
à la part qu’y peut auoir M. le Prince, qu’on ne
reconnoisse à mesme temps la perfection de sa
politique, & la grandeur des obligations que
tous luy ont pour cette action.

 

Les preuues produites pour iustifier le zele que
M. le Prince témoigne pour la cause publique,
& la haine irreconciliable qu’il a raisonnablement
conçeu contre le Mazarin, pouuoit estre
suffisantes pour détruire les calomnies de la
mesdisance, qui tasche de faire passer sa moderation
pour vne intelligence secrete, les
esclats qu’elle a fait de temps en temps, pour des
industries pratiquées par la dissimulation, & son
voyage de Guyenne pour vn abandonnement
ingrat de l’interest commun, & vne protestation
manifeste qu’il ne veut plus s’opposer au retour
que nous apprehendons. Voicy que la verité
ialouse de ses aduantages me fournit vne
preuue de ce que j’auance, si sensible qu’il n’est
besoin que d’auoir des yeux, & voir faire Monsieur
le Prince pour demeurer conuaincu de son
innocence, qui consiste en la resolution qu’il a
de seruir le public par la perte de celui que tous
reconnoissent esgalement pour leur ennemi. Ie

-- 46 --

ne diray donc rien de ses lettres, ses plaintes, ses
Declarations, & les Requestes qu’il fait au Parlement,
puis qu’elles sont connuës de tout le
monde, pour respondre à la seconde obiection
qui veut que nous soyons persuadés de son auersion
pour la paix, par les connoissances que nous
auons de sa valeur & de son humeur guerriere.
Il est vray que comme le sang fait vn Prince, la
generosité aussi en fait vn grand Prince, & lui
donne vne grandeur que nous remarquons plus
au cœur qu’en la personne, & qu’on doit mesurer
autrement qu’à laune, comme on feroit celle
des Colosses & des Geans. Mais aussi faut il reconnoistre
que si cette perfection lui donne l’auantage
de bien faire la guerre, elle l’oblige aussi
à ny rechercher que la paix. Monsieur le Prince
n’a pas eu plustost recouuré sa liberté, qu’il a demandé
& obtenu de la Reyne, la permission de
traiter auec les ennemis vne suspension d’armes ;
Il a depesché pour ce suiet en Flandre diuerses
personnes qui n’ont rien sçeu aduancer auprés
d’vn Prince qui nous offrit l’année passée ce
que nous lui demandons, & ne le desiroit pas
moins que nous, au commencement de celle-cy.
Qui peut auoir changé ses volontés, si ce n’est les
ennemis & les enuieux de Monsieur le Prince,
qui ne veulent pas le voir aimé du peuple, de
peur qu’il n’en fust protegé, s’il en estoit le Protecteur,

-- 47 --

qui peut auoir obligé l’Espagne à refuser
la tréve qu’elle souhaittoit, si ce n’est ceux qui
peuuent luy faire trouuer en la guerre des aduantages
plus grands que ceux de la paix, comme ils
auoient desia fait plusieurs fois ? qui peut auoir
empesché le bon succés de cette negotiation, si
ce n’est ceux qui disposent des armées, qui croyẽt
les pouuoir employer pour leur defense, s’ils
estoient attaqués, qui les entretiennent du pillage
des Prouinces pour profiter des deniers destinés
à leur subsistance, qui pretendent faire regreter
le ministere du Mazarin par l’excez des
desordres que ce grãd & subtil politique leur ordõne
de cõmettre au nom d’autrui. Qui sçait que
le Mazarin dõne les ordres dãs vn estat duquel il
se void bãny, que tous les chefs de l’armée sõt ses
creatures, n’aura pas peine de croire que les forces
qu’on a leué cõtre les ennemis, ne sont que pour
luy : que la paix n’estant pas pour le remettre par
l’affection des peuples, la guerre le peut faire
auec la terreur & la violence. C’est l’auantage de
tout ce parti, que le Roy venant à estre Majeur,
recouure d’abord toute l’authorité que la mauuaise
conduite de son Ministre lui auoit fait perdre
durant sa Minorité, ce qu’il ne peut mieux
faire que parles armes, & vne puissance si grande
que les Grands ne pensent qu’à la ioindre, afin
de ne l’auoir pas contraire, & que les Prouinces

-- 48 --

ne cherchent d’autre moyen pour l’appaiser que
que la soûmission & l’obeïssance.

 

Response à
la seconde
obiection.

Qui monstre
le zele
qu’à M. le
Prince
pour la
paix.

Ce pouuoit absolu du Roy sera mesnagé par
les Agents du Ministre, & ayans en main l’execution
de ses volontés à raison de leurs charges,
ils auront assez d’âdresse pour la faire aboutir au
poinct de leurs pretentions, qui ne void que ces
persõnes haïes du peuple & resoluës de bâtir leur
maison de sa ruine, auoient besoin de forces
pour agir efficace ment auec la contrainte, & de
la guerre pour donner pretexte aux leuées excessiues
qu’elles font dans les Prouinces ?

Puis que c’est aux seuls Mazarins que la guerre
profite, faut-il douter que c’est eux qui l’entretiennent
à present, & non pas Monsieur le Prince
qui ne recherche que la paix, & ne peut souhaiter
autre chose, s’il connoist les auantages de sa maison,
s’il considere le bien de l’Estat, & celuy
du peuple comme il a tousiours fait. Pour le
moins la médisance qui nous veut faire croire
que son ambition luy donne des desseins sur l’Estat,
doit aduoüer que pour les faire réüssir, il
n’est rien qui puisse tant y contribuer que la paix
generale ; & partant qu’il n’est rien que sa politique
doiue iuger si necessaire. En ce cas, la paix
desarmeroit la puissance que son dessein luy feroit
attaquer, elle luy seroit donc profitable ; & la
guerre au contraire ne pourroit estre que grandement

-- 49 --

preiudiciable à son entreprise, pource
qu’elle luy opposeroit des forces prestes. On retira
l’année passée les trouppes qu’on auoit en
Flandre, en Italie, & dans la Catalogne, & l’on
laissa prendre à l’Espagnol & au Duc Charles les
conquestes de plusieurs belles campagnes pour
pour attaquer Bourdeaux, ne croyés pas qu’on
en fit moins pour resister à cét ennemy qu’on
veut comme quoy que ce soit opprimer ? Nous
ne sçauons qu’auec trop d’asseurance que les aduantages
de l’Espagne ne font pas mal au cœur
aux puissances qui gouuernent d’intelligence
auec le Mazarin, & que la consideration du bien
de l’Estat, ne les empeschera iamais d’employer
toutes les forces contre Monsieur le Prince, s’il
venoit à leur en donner vne si belle occasion :
Voila comme quoy la médisance se desfait elle-mesme,
& découure la fausseté & la malice de
ses accusations. Si Monsieur le Prince aspire à la
Souueraineté, & ne peut pas souffrir ce petit baston
qui trauerse ces armes, sa fortune & son ambition,
il est faux qu’il trauaille à maintenir la
guerre : Et l’auersion de la paix qu’on luy obiecte
pour le rẽdre odieux au peuple ne sçauroit subsister
auec cette ambition supposée. Ie ne voy pas
que l’interest ou l’ambition aye pû luy faire voir
quelque phantosme dauantage en la continuation
de la guerre, puis qu’il ny vouloit point
d’employ, comme il a tesmoigné par le refus

-- 50 --

qu’il a fait de la generalité. Les offres qu’on lui
a fait de cette charge importante dans l’Estat, &
l’aduantage qu’il en retiroit empeschant qu’elle
ne passat au party qui le choque, n’ont sçeu luy
faire agréer : N’a-il pas donné lieu à la calomnie
de chanter aux oreilles de tout le monde, qu’il ne
veut que guerre, & qu’en ayant profité pour sa
gloire & pour le bien honorable par dessus tous
les hommes qui viuent, il croit auoir droict de
n’en esperer pas moins du bien vtile.

 

Le bien que Monsieur le Prince recherche
auec les soins qui l’ont fait resoudre ces iours passés
à vne retraite, c’est la seureté qu’il ne sçauroit
auoir s’il manque de l’affection des peuples : Pour
les attacher d’inclination & d’interest à sa personne,
il ne sçauroit entreprendre rien plus à propos
que de leur procurer la paix. N’est ce pas toute
sa passion ? N’a-ce pas esté son premier soing &
son plus grand zele depuis sa prison ? Il experimente
que Bourdeaux s’attache à luy d’vne façon
extraordinaire, & tout à fait obligente,
pour ce que cette Ville estime qu’elle luy est obligée
de sa conseruation ; N’a t’il pas sujet d’attendre
que Paris, & toute la France en fera de mesmes,
s’il luy procure la paix, & la déliure de l’apprehensiõ
que luy donne le voisinage & la faueur
du Mazarin. Il n’entreprend que pour cela, ce
zele trouble tout le party contraire, & le fait esclater
en plaintes ; N’est-ce donc pas vne impudence

-- 51 --

insupportable qui nous vient dire que M. le
Prince haït la paix, pource qu’il veut la ruiné du peuple ?
On le dit à ceux qui sçauent qu’il est étroitement
vny auec M. le Duc d’Orleans, auec M. de Beaufort, &
auec tous les ennemis du party Mazarin, & l’on pense
que c’est assés pour le décrier, & nous faire croire qu’il
en veut au peuples ? Ceux qu’on a soupçonné d’auoir
causé la maladie du Duc de Beaufort, & qui ont triomphé
du desespoir de sa santé peuuent sans doute passer
pour les ennemis du peuple, non pas celuy qu’on en
appelle desia le protecteur, pour ce qu’il le veut estre,
& semble vouloir terminer son ambition par cét illustre
tiltre. Sçauez-vous qu’elle paix luy déplait, celle
qu’on entretient auec le Mazarin & ses partisans, ausquels
il declare hautement la guerre. Encore par respect
qu’il a pour la paix, il les poursuit auec les voyes
de la Iustice, comme des criminels, non pas auec la
main & la force, comme des ennemis.

 

Pour rendre M. le Prince souuerainement odieux à
vn peuple le plus passionné qui soit au monde pour la
Monarchie, le party Mazarin ne cesse de publier contre
son innocence, qu’il en veut à la Couronne, & que
ses desseins sont de la partager, s’il ne peut l’auoir entiere.
Demandez à ces médisans d’où c’est qu’ils ont
appris le secret de M. le Prince, cette rebellion interieure,
cette perfidie cachée dans le fonds de l’ame,
tandis que ses paroles ne respiroiẽt que la soûmission
que ses mains rendoient les seruices d’vn parfait obeïssant,
& qu’il ne souffroit dans ses veines vne goutte de

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sang qui ne fut d’vn Prince François, & bon parent de
son Monarque. Ils disoient deuant qu’il sortit de Paris,
que son ambition ne luy laissoit pretẽdre rien moins
que cela, & que la grande puissance qu’il s’estoit acquise
ne pouuoit pas moins entreprendre ; A present
ils asseurent que cette sortie arriuée depuis peu de
jours, n’est que pour se disposer à cét attentat, qui doit
éclater apres qu’il aura débauché le peuple par des faux
pretextes & gagné tout vn party. On ne sçauroit connoistre
les heures voyant dans vne monstre le mouuement
des ressorts qui fait la mesure du temps, si l’on
ne jette l’œil sur l’aiguille qui les marque àu dehors, &
l’on pretend auoir la connoissance des intentions les
plus secretes d’vn cœur plus sombre que les caos, plus
profond que les abismes, où les lumieres qui découurent
vn Dieu inuisible, & les priuileges du bonheur
ne font rien voir aux esprits qui nous gardent ?
N’est ce pas vne entreprise temeraire qui ne peut seruir
qu’a rendre incroyable tout ce qu’on auance ? Si
nous estions dans le temps des Fables, auquel toutes
les pensées estoient publiques, parce qu’on les voyoit
naistre dans le cœur que chacun portoit à la paume de
la main, nous pourrions douter si ces gens n’ont pas
quelque connoissance des desseins de M. le Prince :
Mais à present que le priuilege de nostre liberté ferme
nos cœurs à tout le monde ; On ne peut sçauoir ce qui
se passe au dedans, que par les effets qui la manifestent
au dehors. Et quels effets peut-on attribuer à M. le
Prince, qui ayent quelque dépendance d’vn dessein

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ambitieux & d’vne pensée de rebellion. Ce
n’est pas le gain de quatre batailles, & les grandes
conquestes qu’il a fait dans la Flandre &
dans l’Alemagne. Quoy donc ? la puissance de
sa maison, l’affection, des peuples, sa generosité,
son bon-heur, & le credit qu’il s’est acquis
parmy les gens de guerre ? Sans mentir voila
des aduantages capables de faire vn suiet considerable,
mais non pas vn rebelle heureux.
Monsieur le Prince sçait mieux que tout autre
que les forces d’Espagne & d’Allemagne ne
sont pas capables de resister à celle de France,
lors qu’elles sont menagées par vn zele qui ne
prefere pas aux victoires, l’opiniastreté des ennemis,
l’immortalité de la guerre ; est il croyable
qu’auec cette experience il se considere si
aueuglement qu’il ne voye pas l’inegalité de
ses forces, & ne se prenne pas garde qu’il manque
d’argent, de fer, de terre, & de sang, qui
sont les quatre rouës qui font aller le char de
la victoire ? On n’aprehende rien moins à la
Cour que ces desseins de furieux qui cherche à
perir, & ie ne voye que ses ennemis qui le veillent
voir engagé dans ces malheureuses resolutions
qui ne sçauroient aboutir qu’à sa
perte.

 

Response à
la troisiéme
obiection.

Et la iustification
de
ses intentions.

Il s’est retiré sans l’auoir communiqué à personne
qu’à trois ou quatre qui l’ont accompagné
dans sa retraicte, sans s’estre asseuré d’aucun

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de ses amis, non pas mesme de ceux qui
l’auoient le plus vtilement seruy durant sa prison,
sans aucune sorte de preparatif, L’armée
Royale estant extraordinairement puissante, cõduite
par des Chefs qui obeïssent au Mazarin,
sont ce les suittes d’vn mauuais dessein qui
veut attaquer la Monarchie, ou plustost des
petites asseurances que la prudence cherche
dans le danger auec la fuite. Ce n’est pas dans
son Gouuernement qu’il s’est retiré, Mais à deux
lieuës de Paris dans vne maison de diuertissement,
auec l’embaras de sa maison ; & l’on
sçait qu’il a prié ceux qui le sont allé voir de
n’y retourner plus, affin de ne donner point
des ombrages à la Cour de quelque dessein,
par des frequentes visites. Il ne demande que
seureté pour sa personne, & l’esloignement
de trois Mazarins, n’est-ce pas rencontrer
vœus les de tout le monde ? Il s’adresse à Monsieur
le Duc d’Orleans auec tant de confiance,
qu’il luy promet vne parfaicte dependence
de ses sentimens, il soumet ses demandes
aux Arrests, & formalités du Parlement,
& luy declare ses intentions par
ses lettres, & par la bouche de Monsieur son
frere le Prince de Conty, proteste qu’il retournera
dans Paris & à la Cour aussi tost qu’il
y trouuera de la seureté pour sa personne, &
si sa conduite est suspecte, offre de remettre

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tous ses biens, ses charges, & ses Gouuernements
entre les mains du Roy, & se contenter
de la pension qu’il plaira à sa Majesté luy
ordonner. Est-ce le procedé d’vn esprit ambitieux
& violent qui veut engager ce qui n’est
pas Mazarin en vne guerre ciuile, pour estre
plus que premier Prince ? sont-ce des efforts à
renuerser les Trosnes & enuahir les Monarchies ?
Que pouuoit faire la plus grande moderation
dans vn danger si manifeste qu’attendre
sa seureté d’autruy, & la demander à des esprits
pacifiques qui seroient ses iuges, pour le
condamner s’ils y remarquoient du crime, &
& de l’inclination à la broüillerie ? de quelle resistence
plus raisonnable & moins suspecte se
pouuoit aduiser vn Prince de ce merite pour
l’opposer à la malice d’vn proscrit, & aux attentats
de trois suposts qu’il a laissé dans la Cour ?
Où sont les monopoles, les armements, les entreprises,
les violences, ou la prudence trouue
de grandes apparences, & des fortes presomptions
qui luy permettent de douter de la conduite
de Monsieur le Prince ? où sont les effets
publics & sensibles d’vne cause secrette comme
sont les intentions, pour dire qu’on les blasme
auec connoissance, & par consequent auec suiet,
& non pas auec l’impudence de la plus l’asche
calomnie ? Nous ne voyons que respect en
ses paroles, que soubmission en ses declarations,
que moderation en toutes ses actions, vne parfaite

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innocence sans impuissance pour le mal,
vne grande prudence pour sa conseruation, &
vn pareil zele pour le public, ce qu’il nous faut
admirer si nous ne sommes stupides, & aimer
si nous ne sommes ingrats ; & l’on nous veut
persuader sans preuue & sans couleur, qu’il n’y a
que des crimes estranges, des ambitions enragées,
des desseins cruels contre les particuliers,
furieux contre le public, & des mal-heurs ineuitables
pour tout le monde ? Vne obiection de
telle consequence manquant de preuue raisonnable,
ne doit passer que pour vne calomnie conuaincuë
qui choque la verité auec le mensõge, &
& destruit la charité auec des pretentions souuerainement
malicieuses.

 

Quoy que les desseins de la medisance qui s’en
prend à Monsieur le Prince soient noirs comme
l’enfer, ils ne l’aissent pas de pousser certains rayons
de lumiere auec lesquels ils se descouurẽt
eux mesme, & nous rẽdent sensible leur malice.
Ils pretendent si bien preuenir les esprits, que
tous le iugeront digne du mal qui doit à leur aduis
luy arriuer, & que la pluspart restera satisfaite
lors qu’elles luy verra souffrir. Ils veulent que tous
condamnent sa conduite, & que le plus grand
nombre haisse sa personne, affin de le pouuoir
mieux opprimer lors qu’il ny aura presque personne
qui veuille empescher, ou regreter sa perte.
D’où c’est que i’apprends que c’est le dessein
de la medisance ? Des sentiments cõmuns que ie

Sub2Sect précédent(e)


Anonyme [1651], LE TRIOMPHE DE L’INNOCENCE MANIFESTÉ Par la destruction des impostures & faux bruits qu’ont semé les Partisans du Cardinal Mazarin contre l’integrité de Monseigneur LE PRINCE. Auec les foibles raisons par lesquelles ils taschoient de déguiser leur médisance, pour rendre sa conduite odieuse & suspecte, que l’Autheur monstre ne pouuoir subsister, sans que ce Prince eut manqué contre toute sorte de bonne maxime. , françaisRéférence RIM : M0_3873. Cote locale : B_6_5.