Anonyme [1652], LE SYNDICQ DV PEVPLE ENVOYE AV ROY. Pour faire entendre a sa Maiesté tout ce qui se passe dans son Royaume. , françaisRéférence RIM : M0_3741. Cote locale : B_2_6.
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LE
SYNDICQ
DV PEVPLE
ENVOYE
AV ROY.

Pour faire entendre a sa Maiesté
tout ce qui se passe dans son
Royaume.

M. DC. LII.

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LE SYNDICQ
DV PEVPLE
ENVOYÉ
AV ROY.

Pour faire entendre à sa Majesté tout ce qui
se passe dans son Royaume.

SIRE,

Ce me seroit vn extréme
contentement, si ie portois
Nouuelle à vostre Majesté
de quelque signalée Victoire acquise sur vos
Ennemis. Mais à regret le contraire se presente,
estant chargé du pauure peuple de
vous Remonstrer tres-humblement la misere

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qui l’accable, & l’estat auquel il se voit
reduit par le pernicieux Conseil de Mazarin,
& de ceux qu’il l’assiste, & qui mesme esbranle
tellement vostre Couronne que l’Estranger
n’atend autre chose que la démolition
de son fondement, pour prendre la proye sur
le débris de vostre puissance.

 

Si le maintien de l’Estat consiste en l’obeyssance,
& la fidelité que les sujets doiuent
à leur princes ? qu’elles forces pourront
faire teste à vostre authorité estant appuyées
de ces deux arresboutant ? I’auouë
que les Armes font craindre & redouter vn
Prince, mais la conseruation de sa Monarchie
gist en l’Vnion de son Peuple. Nos
corps subsistent par le temperament des quatre
qualitez : Les Empires par la concorde
de leurs Cytoiens, vn Ancien disoit que les
Royaumes estoient heureux qui estoient
commandez par des Philosophes, c'est à dire,
desquels les Roys s’exerçoient à la vertu.
Le Peuple est singe des actions de son Roy ?
Ce se seroit vne chose honteuse de blasmer
celuy qui se deuoit seruir d’Exemple.

La principale chose que vostre Majesté
doit faire pour se maintenir en Paix, & se

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conseruer en la bonne opinion que son Peuple
à conceuë d’elle, est de prester l’oreille
à ceux qui luy donneront des aduis Salutaires
concernant le bien du public, & qui par
conseil s’efforceront de corriger les deffauts
qui si rencontre au gouuernement general
de vostre Estat : Si le malade refuse l’ordonnance
de son Medecin, on desespere de sa
santé ; si le Prince rejette le Conseil des gens
de bien, qui poussez d’vn zelle & d’vne affection
particuliere s’offrent pour raffermir
l’Estat qui panche a sa ruyne, il ne doit rien
moins esperer que sa perte, il n’est toutesfois
necessaire que vostre Majesté croye à vn
chacun. L’Abeille n’extrait son miel que
des Fleurs les plus suaues & odorantes, le
trop de croyance & le peu de foy preiudicient
grandement à vn homme d’authorité,
& mesme le rendent mesprisable, il est vray
que le pretexe que premierement les Perturbateurs
de vostre Repos est foible, bien qu’il
porte quelque apparence de bien & d’vtilité ?
Ce n’est pas de ce temps que ces reuoltes
ont acconstumée de ce faire, & que
les mutins sous ombre du bien public, & de
la reformation de l’Estat, ont esmeu des seditions

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qui ont causé beaucoup de dommage,
il est besoin quelquesfois d’apporter vn
remede violent à vne maladie perilleuse.

 

Vostre Majesté n’en sçauroit donner vn
plus prompt & meilleur au mal present que
de contenter son Peuple : C’est vne mer qui
s’excite peu à peu de vent : vostre presence
ruynera les desseins de ces factieux, comme
le Soleil dissipe les nuages. Le passage du
Rubicon effroya tellement les Ennemis de
Cesar qu’ils ne cherchoient leur salut qu’en
vne honteuse fuytte : Ce n’est pas que ie
vueille porter vostre Majesté à la vangence ?
ce seroit donner à vos sujets plus de crainte
que d’amour, qui est vne chose fort dangereuse
pour reigner librement & paisiblemẽt,
il suffit a vn Prince qu’il a pour vanger, SIRE
en traittant vostre Peuple humainement cela
aura plus de forces que vos Armes.

Le bon Medecin desire plutost apporter
guerison au patien par remedes doux & lenitifs
que par medecines corrosiues, souuentefois
par moyens contraires on arriue à
vne mesme fin. Ce Peintre qui pour n’auoir
peu viuement representer l’escume d’vn cheual
vouloit effacer son ouurage ; le hazard

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luy donna ce que son Art & son industrie lui
auoient dénié, SIRE prenez vne autre voye
que celle dés Armes, qui ne peut estre qu’à
la foule de vostre Peuple. Mazarin qui y porte
vostre Majesté ne considere que l’estat present
de vos affaires, il faut en cette occasion
se seruir du double Visage de Ianus, preuoir
le future & prendre garde sur ce qui peut
adueuir de telle entreprises : Nous voyons
par experience que l’eau en allumãt la chaux
elle l’esteint, vostre Majesté feroit le contraire :
car pensant appaiser le trouble elle
embrazeroit d’auantage le feu, qui en sa
naissance se peut étouffer sans beaucoup de
peine. Le Soleil en Eclipse attire apres vn
mal-heur ou vne contagion mortelle, de
mesme la faute que commet vn Roy bien
que petite engendre de grands troubles parmy
ses sujets : Les choses passées peuuent
estre reprises, mais non pas corrigées, il ne
se faut point haster quand il est question de
prendre Conseil d’affaires inportentes. La
promptitude est ennemie de la raison & nous
aueugle le iugement, tout ce qui est fait par
precipitation ne peut auoir bonne issuë, vous

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estes plus a vostre Peuple, SIRE, que le peuple
n’est à vous,

 

C’est pourquoy vostre Majesté doit veiller
pour luy comme pour vn corps dont elle
dépend entierement, la plus belle Couronne
dont vous sçauriez estouffer vostre gloire,
c’est celle que vous aurez meritée pour la
conseruation de vos Citoyens, de vostre
Monarchie. Si ceux qui vous ont conseillé de
prendre les armes vous eussent premierement
remonstré le danger où vostre Majesté
se plongeroit, & les accidens qui en pourroient
arriuer, ie croy qu’elle se fusse retirée
du precipice où elle s’achemine ; mais ces
perfides Mazarins ne vous ont monstré qu’vn
costé de la Medaille, ils vous cachent celuy
auquel vous connoistreriez leurs desseins
pernicieux, qui ne tend qu’à se maintenir aux
despens de la ruïne totale de vostre Royaume.

Caton disoit qu’vn Empereur estoit digne
de loüange, qui commandoit à ses passions,
Certes il sied bien à vn Prince qui gouuerne
vn puissant peuple, de ne se laisser point emporter
à ses volontez, mais de se ranger au
rtain de la raison.

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Vostre Majesté considerera, s’il luy plaist,
comme elle s’est laissée gaigner insensiblement
à l’affection du Cardinal Mazarin & les
siens, & qui tous ensemble sont gens de peu
& de neant, qui comme sangsuës attirent la
substance de vostre peuple, vous despoüillent
de toutes commoditez, & comme vermines
qui rongent le bled iusqu’à l’escorce, épuiseront
vos tresors, vuideront vos coffres.

Vn certain personnage desiroit que les
Roys eussent esté personnes priuées, & mesme
pauures, afin qu’ils pûssent mieux connoistre
la misere de ceux ausquels ils commandent.

Si vostre Majesté auoit connoissance de la
miserable condition de son peuple, combien
il pastit & endure, sans doute qu’elle apporteroit
quelque soulagement à tant de pauures
creatures dont le trauail & le labeur
peut à peine suffire pour payer les subsides &
imposts dont elles sont chargées.

Sire, vostre Conseil ressemble à ces faux
Miroirs qui nous déguisent & nous font sembler
autres que nous ne sommes, ceux qu
vous assistent vous flattent les oreilles, & vou
celent la verité de vos affaires, & sous ombre

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de quelque profit, ou peur d’encourir la disgrace
de Mazarin, ils ne vous declarent les
deffauts qui ruïneront enfin vostre Monarchie.
Iamais la France n’a esté si chargée de
Tailles qu’elle est. Iamais on n’a veu introduire
les monopoles que ces miserables Mazarins
inuentent pour rassasier leur auarice ;
le bois augmente le feu, mais il s’y consomme,
les biens qu’ils semblent s’acquerir pour
leur seruir de maintien ; ce sont plustost cordes
qu’ils filent pour dernier recours de leur
necessité. C’est vne chose perilleuse que de
bastir sa fortune sur la ruïne d’vn miserable,
vn abysme mene en vn autre, le mal heur
d’autruy nous doit rendre sages, vsons des
biens de fortune, & ne nous y fions point.

 

Les Naturalistes disent que les arbres
meurent incontinent quand ils rapportent
plus de fruict qu’ils n’ont accoustumé, telle
est la fortune lors qu’elle nous rit d’auantage
& qu’elle se monstre fauorable outre l’ordinaire,
c’est lors qu’elle nous conduit le plus
souuent à nostre perte : Vn Prince de Perse
comparoissoit proprement les mignons des
Roys aux jettons que l’on fait valoir en nombre
tantost mille, tantost vn & deux, Socrate
interrogé ce que c’estoit que Felicité, respondit,

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vne volupté qui n’est suiuie d’aucune repentance.

 

Sire, vostre Majesté esleue des gens qui
receuront enfin, mais trop tard, encore le
loyer de leur insolence. Nos Historiens nous
fournissent assez d’exemples de ceux qui, ou
pour leurs fascheux ou insolens déportemẽs,
ou pour leurs richesses trop promptement
acquises, ont fait vne fin mal-heureuse. Sous
le regne de Philippes fils de S. Louys, Pierre
de la Brosse grand Chambellan, & le plus fauory
des Courtisans, mourut ignominieusement.
Enguerrand de Marigny sous Louys
Hutin courut la mesme fortune, & quantité
d’autres qui ayans vogué quelque temps le
vent en poupe, ont fait naufrage, & sont peris
en cette mer inconstante de faueur.

La liberalité en vn Prince est vn tesmoignage
de bonté, mais il doit prendre garde
comment & à qui il fait du bien : Car s’il donne
à vne personne indigne il perd le bien fait,
il se rend odieux aux gens de bien, & fortifie
le meschant en son vice. Cette question a esté
agitée de plusieurs Politiques, lequel est le
plus necessaire que le Prince soit liberal ou
chiche, & disent qu’il est bon de se faire estimer
liberal, mais qu’il s’y faut gouuerner

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auec prudence, en telle sorte que la liberalité
n’apparoisse que bien peu, & par son moyen
il peut s’exempter de l’infamie de son contraire :
& si vn Prince desire paroistre & se
maintenir le nom de liberal, il faut qu’il se
porte à toutes sortes de presomptions qui est
vn chemin pour se rendre necessiteux. Salomon
sert aux plus sages d’exemple, qui au
commencement ayant rendu l’argent aussi
commun que les pierres dans Ierusalem, enfin
fut contraint faire de grandes impositions
sur son peuple qui causa leur reuolte contre
son fils Roboam. Si donc vn Prince veut s’entretenir
au mesme estat, & fouler son peuple,
& pratiquer toutes sortes de moyens pour
leuer des deniers, c’est enfin d’acquerir la
mal-veillance de ses Sujets, les largesses immoderées
sont ordinairement suiuies de rapines,
& l’affection de ceux ausquels vous
donnez ne peut estre si grande que la haine
est immortelle de ceux à qui vous ostez. Il est
bien seant de donner, pourueu que ce ne soit
au détriment de personne. Vn Grand a plus
d’honneur d’enrichir ses Sujets que soy-mesme,
il n’y a rien qui nous fasse plus approcher
de la Diuinité que faire beaucoup de bien.
Alexandre le Grand se glorifioit de ce que

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personne ne l’auoit iamais vaincu par bienfaits.
Ce Prince estoit grandement liberal, &
pour tout bien il ne se reseruoit que l’esperance,
dont ses ennemis s’ébahissoient. Le Laboureur
qui veut recueillir quantité de fruits
doit semer de la main, & non pas verser du
sac, il faut epandre le grain & non pas le répandre.
Il vaut mieux qu’vn Prince soit auare
que liberal sans discretion & sans mesure,
l’excessiue largesse est vn foible moyen pour
s’acquerir de la bien-veillance, elle mécontente
plus de seruiteurs qu’elle n’en pratique,
combien de grands personnages ont esté sacrifiez
à la haine & à la fureur du peuple par
ceux mesme qu’ils auoient aduancez, estimãt
asseurer la possession des biens injustement
acquis s’ils monstroient auoir en haine & en
mespris ceux dont ils les auoient receus. Vn
Roy excessif en dons rend ses Sujets excessifs
en demandes. Plus vn Prince s’appauurit, plus
il se rend foible d’amis.

 

Sire, V. M. a esleué Mazarin & les siens en
de hautes Charges & dignitez, mais elles les
ont ruynez d’honneur, pource que chacun
curieux de rechercher la cause d’vne saueur
si extraordinaire, s’est enquis qui ils estoient

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& d’où ils estoient venus, & enfin l’on a trouué
que ce sont gens dont la Noblesse est de
paille, & n’est propre qu’à faire du fumier de
mesme qu’vn Sculteur fait parestre vne petite
Statuë encore plus petite s’il l’a pose sur vne
haute colomne : ainsi vostre Majesté ayant
constitué ces personnes au plus haut degré
d’honneur & de fortune, vous le donnez d’auantage
a connoistre a tout le monde : on
dit que Demetrius se faisoit admirer en toutes
ses actions, & que tous ses ouurages ressentirent
sa Royauté Sire, vostre Maiesté qui
a tant donné d’Arres & de preuues de sa
vertu, ne sçauroit se porter a vne telle action
que de donner la Paix à son peuple ? C’est là
où vostre sagesse se rendra admirable en l’exstinction
de ces seditieuses flâmes qui s’augmente
de iour en iour à vostre perte.

 

C’est où vostre courage se fera paroistre,
le Marinier décharge son Vaisseau de la Marchandise
qui luy pese le plus lors que la Mer
est couroucée, si vostre Maiesté desire sauuer
son Estat de l’orage qui le menasse, il est necessaire
qu’elle banisse d’elle le Cardinal Mazarin
qui est vn boute feu, qui comme Vipere
fera perir ceux dont il tire les biens & la

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vie, & empesche vostre Maiesté d’octroyer
à vos suiets ce à quoy vous estes oblige par
les Loix Diuines & humaines, de sorte que
tout ce que font son Altesse Royalle, les
Princes & le Parlement, n’est que pour vne
iuste intention, & non pas telle que leurs
calomniateurs vous font entendre : Ne differez
donc plus de l’Elongner, car plus vous
le retenez vostre Estat court vn grand risque,
vous auez tant esté prie pour cét Elongnement,
& moy ie vous en supplie de la
part de tous vos Sujets, dont ie vous suis venu
remonstrer la misere, & au nom desquels
ie vous demande la Paix.

 

FIN.

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