Anonyme [1652], LE SOVPER ROYAL DE PONTOISE, FAIT A MESSIEVRS LES DEPVTEZ des six Corps des Marchands de cette Ville de Paris. En Vers Burlesques. , françaisRéférence RIM : M0_3705. Cote locale : B_15_42.
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LE SOVPER ROYAL DE
Pontoise, fait à Messieurs les Deputez
des six Corps des Marchands de cette
Ville de Paris.

En Vers Burlesques.

 


Plusieurs Bourgeois de bõne Mine
S’en furent pour prescher Famine,
Se ietter aux pieds d’vn grand Roy
En Pompe & en piteux arroy.

 

 


Pour mettre à chef cette Ambassade
Qui n’estoit laide ny maussade,
Non plus au-dedans qu’au dehors,
Ils prirent fix de chacun Corps
Tant Drapiers que d’Epicerie,
Pelleriers, que de Mercerie
Tant Orpheures que Bonnetiers :
Bref ces six Corps estoient entiers
Representés par anciens gardes
Qui porterent leurs belles Hardes
Pour honorer la Royauté
Et luy dire la cruauré
Dont ont vsé les gens de guerre
Qui ont empesté nostre terre
Et sont cause que le public
Ne peut plus faire aucun trafic.

 

 


Pour loy representer l’audace
Que le Duc Voisin de l’Alsace
A eu de ioindre son patois
Auec le naturel François ;
Enfin pour dire les desordres
Que causent gens de tous les ordres.

 

 


Estant disposés au Depart
Aucuns se retirans à part
Dirent, faut songer à monture
Et faut faire vie qui dure,
Lors vn d’eux homme fort expert
Fust en la place de Maubert
Vn s’en fust aux deux Bergeries
Lautre en ruë des Boucheries
Autre en la ruë Saint Martin
Et tous tendans à mesme fin,
C’estoit pour auoir les Carosses
Où l’on attelle Cheuaux rosses
Dont les cuirs tous rapetassés
Villains crasseux & mal passés
Representoient le simulacre
De l’ancienne Voicture à Fiacre
Qui fut le premier du Mestier
Qui loüoir Carosse au quartier
De Monsieur S. Thomas du Louure
Que maïntenant de thuile on couure.

 

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On auroit pris pour des Vachers
La plus part de tous leurs Cochers,
Tant-ils auoient mauuaise garbe
Et tant ils auoient longue barbe,
Qui pendoit sur leur deuanteau ;
Ils auoient au lieu de manteau
Certaines casaques à manches
Qui pendoient plus bas que leurs hanches,
Afin de couurir leurs habits
Moitié rouges & moitié gris.
En fin ils prirent l’attelage
Et les carosses de loüage ;
Ainsi que i’ay dit il fut fait,
Puis afin que tout fust parfait
Comme ils firent de la voiture,
Ils firent de la nourriture.

 

 


Le Maistre Clerc des Bonnetiers
Entreprit, & tres volontiers
Comme il est homme sans reproche,
De faire mettre en certain coche
Que l’on auoit loüé exprés,
Ce que l’on nomme des apprés :
C’estoit de bon bœuf à la mode
Dont le manger est fort commode,
C’estoient pastez, c’estoient d’Indons
Reuestus de bons gros lardons,
Dont les corps pleins d’epicerie
Venoient de la rotisserie,
C’estoient des langues de pourceau
Du bon Charcutier du Ponceau ;
C’estoient des jambons de Mayence
Bref tout estoit manificence.

 

 


Auec telle munition
Et de vin la prouision,
Cette noble trouppe Bourgeoise
Fut sans débrider à Ponthoise,
Où, comme i’ay cy dessus dit,
Sans qu’aucun d’eux fust interdit,
Prosternez le genoü il en terre
Furent pour appaiser la guerre,
Appaiser I’ire & le courroux
D’vn Roy fasché, mais d’vn Roy doux,
D’vn Roy qui fut en apparence,
Plein de bonté & de clemence,
Voyant gens bandez de velours,
Le nez bas ainsi que des Ours,
Gens soûmis & fondans en larmes
Gẽs qui n’auoiẽt point d’autres armes,
Que la thoilerte & l’habit noir,
Gens qui estoient pour esmouuoir
A pitié & non pas à noise
Venus de Paris à Pontoise.

 

 


Apres qu’vn garde des Drapiers
Et vn des plus gros des Merciers
Eurent fait & dit leur harangue
Non par escrit, mais de leur langue,
Quoy que paroissans desolez
Se retirerent consolez,
Attendant du Roy la response
Qu’il leur deuoit donner par Nonce,
Chancelier, ou bien President,
Secretaire, ou Sur-Intendant,
Ainsi que l’on leur fit à croire :
Ils l’eurent, mais fut apres boire
Car sur les quatre heures du soir
La Reine les voulut reuoir,
Et manda cette compagnie
Qui y fut sans ceremonie,
Et sans auoir les pieds moüillez, ;
Mais aucuns auoient sens broüillez,
Pour s’estre mis en fantaisie,
Vne espece de jalousie,
Contre quelques-vns de leurs corps
Qui se disoient estre les plus forts.
La quelqu’vn fit vne escapade
Contre vn Seigneur, qui par brauade
Dit, pour vous sauuer du méchef
Vous faudroit auoir vn bon chef,
Pour vous desliurer de ces Princes
Qui font rauager vos Prouinces,

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A quoy ne fut rien respondu,
Et ie veux bien estre tondu
Ou deuenir en escabelle
Si on ne recherchoit querelle.

 

 


Lors on dit bas & non pas haut,
Voicy monsieur de Guenegaut
Qui monte seul & sans escorte,
Et qui quelque nouuelle apporte,
Le quel parlant au sieur Patin,
Luy dit, c’est pour demain matin,
Auant les huict heures sonnées
Que choses seront ordonnées,
Qu’aurez response par escrit
Pendant quoy le Roy a prescrit
De vous semondre & de vous dire,
Qu’aujourd’huy sans noise & sans ire,
Sans autrement vous esquipper
Vous faut tous ensemble souper :
C’est à quoy le Roy vous conuie
Qui de bien faire a grande enuie,
A tous les Bourgeois de Paris,
Les tenant pour ses Fauoris,
Qu’aucun donc ne soit en demeure,
Et qu’vn chacun se trouue à l’heure,
Pour ne pas perdre vn tel repas.
Vn dit, ie n’y manquerons pas,
L’autre pour honnorer la trouppe
Dit, ie suiuray Monsieur en crouppe,
Ainsi de l’vn à l’autre bout,
Rejoüissance estoit par tout,
Et en peu l’on vit l’allegresse
Se mesler auec leur tendresse,
Ne croyans pas ces Deputez
Estre du Roy ainsi traitez.

 

 


Rien ne seruit leur preuoyance,
Car ils eurent telle abondance
Que dans vn temps mesme de paix
On ne pouuoit trouuer iamais :
Onques on ne vit compagnie
Si fort joyeuse & si rauie.
Le mot alloit de main en main,
Nous ne mourerons point de faim,
Le Roy preuoit à ce desordre
Nous donnant à tous dequoy mordre
Et voit assez bien les deffaus
De ceux que l’on nomme badaus,
En faut vser de bonne sorte
Et empescher que nostre escorte,
Ne vienne nous escornifler,
Et qu’on n’entende renifler
Ny gens de sac, ny gens de corde,
Ny valets & que nul n’aborde,
Si ce n’est vn predestiné.
Au lieu qui nous est destiné.

 

 


Afin que rien on ne vous taise
Ie vous diray par parentaise,
Qu’on fit ce souper somptueux
Chez des gens qui sont assez gueux,
Qui pour symbole ont la besace,
Qui quelquefois est efficace,
Qui sont des quatre mendians,
Et comme tels sont supplians,
Qui n’ont aucun bien ny cheuance,
Bref, sont messieurs de l’Obseruance,
Qui retirez dans le dortoir
On ajusta leur refectoir.
Sur table on mit la nappe blanche,
Et quand c’eut esté le Dimanche
Tout n’eust pas mieux esté paré,
Tant tout estoit bien escuré :
Enfin comme l’on vid paroistre
Les Deputez de dans le Cloistre,
Ils furent conuiez d’entrer
Au lieu où ils deuoient souper,
Où ce qui estoit remarquable ;
C’est qu’il n’y auoit rien sur table
Qui ne fut semé de bouquets
Que pour s’asseoir c’estoient des aits,
Que les mains seruoiẽt de mouchettes
Qu’apres on en feroit fourchettes.

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Qu’il ny auoit que le plancher,
Qui peust seruir pour l’eau pancher.
Les voila tous dedans l’attente,
De ce qui rend l’ame contente,
Quand apres auoir bien jeusné,
Ou quand on n’a point déjeuné,
On voit rincer & verre & couppe,
Et qu’on voit apporter la souppe.

 

 


Pour rendre le tout solemnel,
Ils auoient vn Maistre d’Hostel,
Qui dans son manteau portoit panne,
Et en sa main tenoit la canne,
Afin que l’on vist son pouuoir,
Et qu’vn chacun fit son deuoir,
Il dit que grande porte on ouure,
C’est le souper qui vient du Louure,
Viste, que sur cloche ou bassin,
De gueulle on sonne le tocsin,
Et que si quelque place est prise,
Qu’on ne m’accuse de surprise :
Lors vn homme de probité
Dit haut le Benedicite,
Auquel en grande reuerence,
Respondit la noble assistance,
Les mains jointes, le chapeau bas,
Faisant honneur à ce repas.
Quoy fait, chacun se sied à table,
Ou l’on n’estoit point charitable,
Nul ne voulant prester cousteau
Au voisin pour coupper morceau :
Ils se ietterent sur la viande,
La meilleure & la plus friande,
Et sans tenir aucuns propos,
Ils deuorerent iusques aux os.
Quoy que grande fust l’assemblée
La feste n’en fut point troublée,
Quoy qu’estoient mis parmy ces gẽs,
Bon nombre de passeuolans,
Qui estans assis à leur aize
Vn seul mangeoit autant que seize,
Ce qui fut cause qu’apres tout,
Les Moines n’eurent tien du tout,
Car à ces escumeurs de nappe,
Aucun morceau ne leur eschappe,
Et sont si bien faits à cela,
Courant par tout & ça & là
Que quand on les void on peur dire,
Qu’apres eux n’y a dequoy frire,
Apres que l’on eust bien mangé,
Tout estant encore arangé,
Du reste du premier seruice,
On fit apporter de l’Office,
A plats creux, & à descouuert,
Le Fruit qu’on nomme le dessert,
Là les raisins & le fromage,
A ces Messieurs rendoient homage,
Ce fut pour lors qu’on beust d’autant,
Et qu’vn chacun paya contant,
Car la chere ny la vinée,
N’y fut en tout point épargnée,
Chacun beuuoit à la santé,
De la sacrée Majesté,
Du Souuerain de nostre France,
Qui auoit fait grace à la panse,
De tant de notables Bourgeois,
Et de tant de si bons François,
Qui apres auoir rendu grace,
Sortirent de fort bonne grace,
Et salüant les Officiers,
Prirent congé des Cordeliers,
Chacun tirant droit à son giste,
D’vn pas qui n’estoit pas trop viste.
Comme ces Messieurs s’en alloient,
Les vns aux autres se parloient,
Et du dessein & du mystere,
Et du festin & de la chere,
Comme ils auoient esté pressez,
Et comme on n’auoit mis assez,
De couuerts pour cette assemblée,
Qui plus belle vn peu m’eust semblée,

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Si vn devin ne se fust pris
Dont ie me trouuay fort surpris
Car cette sinistre auanture
Me fist dire à Dieu la Voiture,
A Dieu Messieurs iusqu’à demain
Ie vous baise humblement la main.
Telle se passa la Serée
Qui ne fust de longue durée.

 

 


Le Lendemain comme il fust iour
Fallut aller reuoir la Cour,
Affin d’auoir cette Responce
Que fist le Roy au lieu du Nonce
En presence de Guenegaut
Qui la ne fust trop nigaut,
Car il donna auec addresse
Vne Lettre au Roy dont l’addresse
Estoit à Messieurs les Marchands,
Qui autant ioyeux que contans
Crierent à gorge esployée,
Viue le Roy & la iournée
Que nous auons eu cet honneur
D’estre rentrés en sa faueur.

 

 


Le Roy retiré cette Trouppe
Qui lors auoit le vent en pouppe
Sortist promptement du Chasteau
Ayans tous en main le Chapeau
Salüant l’vn, salüant l’autre
Glorieux en Feste d’Apostre,
Sans s’arrester & sans discours
Descendirent droit aux Faux-bours
Ou là les attendoit leur Coche.
Qui portoit vn reste de Broche
Gardé par vn nommé Barquant
Homme d’vn poil fort rubicant,
Hõme vn peu plus longuet que large,
Homme qui fist fort bien sa charge,
Car sur la moitie du Dindon
N’y manquoit pas vn seul Lardon :
Ainsi le Bourgeois à son aize,
Si ie ments à Dieu n’en desplaize
En carossé vint à Paris,
Mais quand fust au droit de saint Pris,
Puis qu’il faut qu’vn Quidam l’exalte,
Ce Quidam à tous fit faire alte
Il auoit vn Baston d’Exempt
De bien faire tousiours exempt,
Et vouloit sans en rien demordre
Qu’vn chacun marchast dãs son ordre
Disant que c’estoit la raison
De ne faire comparaison
Auec ces Messieurs de la sorte,
Que si quelqu’vn suiuoit l’escorte
Il n’en falloit pas mésuser
Mais ce fut le temps abuser
Car toute la Caualerie
Tourna le tout en raillerie,
Et les Carosses bien montez
Laisserent la les Deputez
Auec leur Exempt, & Trompette
Qui les rendirent braye nette,
Dedans le Faux-Bourg saint Denis,
Dieu & ses Saints en soient benis.

 

FIN.

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