Anonyme [1649], LE SOLDAT BOVRDELOIS, OV LA MISERE DV PAIS DE GASCONGNE. Ensemble ce qui s’est passé en la Bataille. , françaisRéférence RIM : M0_3677. Cote locale : C_10_15.
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LE SOLDAT BORDELOIS OV LA
misere du pays de Gascongne.

LES Armes sont justes lors qu’elles sont
necessaires, & le seruice du Roy, le salut
public, la deffence de la Patrie (qui est nostre
mere commune) l’honneur de la Iustice, ne
permettent pas que ie viue en repos, & allument
ces feux genereux qui me sont naturels ;
Ie sorts de la douceur de la Paix, & passe la Garonne,
pour faire executer les ordres & commandemens
du Roy portez par son Commissaire,
& deffendre l’honneur de sa parole & la foy
de son seing. La Guyenne estoit calme, & ceste
Noble Prouince, de laquelle on peut dire auec
plus de verité que de la France, qu’elle est mere
de Mars, estoit tranquille. Le plus grand seruice
que le Gouuerneur d vn Peuple belliqueux
pouuoit rendre au Roy estoit, de le tenir en
paix, & par la douceur posseder les cœurs de
ceux qu’il gouuernoit : Tous estoient obligez à
suiure cette Loy politique, qui fait subsister les
Estats & Monarchies ; Mais Monsieur le Duc

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d’Espernon le deuoit par des raisons particulieres :
car quoy que la Guyenne aye esté gouuernée
par des Roys de Nauarre, des Princes du
Sang, ausquels ont succedé ces genereux Princes
de Lorraine, iamais le Parlement & les autres
Ordres de la ville de Bourdeaux & de toute
la Prouince n’ont tesmoigné plus de respect,
de zele & d’amour, qu’à Monsieur d’Espernon.
Tout à coup son cœur s’est changé, & il a voulu
fonder son authorité sur la crainte, la pouuant
establir sur l’amour : On n’esleue de Citadelles
que dans les Prouinces conquises, pour
retenir des Peuples rebelles : encore les plus sages
politiques les condamnent, & les François
qui ont l’amour de leur Prince naturellement
empreint dans leur cœur, ne les ont iamais regardées
qu’auec horreur, comme marques d’vn
cruel esclauage, & d’vne basse seruitude, qui ne
conuiennent ny à leur valeur, ny à leur fidelité.

 

Le feu Roy de tres-heureuse memoire les a
faites ruyner & abbattre. Fronsac estoit vn ourage
de Charlemagne, & il sembloit qu’on deuoit
vn respect particulier à ce Grand Prince,
& aux rides venerables de l’antiquité : La Prouince
a donné cinq cens mille liures, & payé sa
démolition par les ordres du feu Roy : Neantmoins

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contre la parole donnée par le Sieur de
la Beluë on s’est saisi de Libourne, chassé la pluspart
des Habitans, desarmé ceux qui ont resté,
remply la Ville de Soldats ; Et parce que le Parlement
qui doit Iustice à tous, & sur tout aux
Peuples, & aux Villes qui viuent sous sa protection,
n’auoit pas voulu souffrir cette entreprise ;
on a r’enuoyé ses Deputez auec mespris, saisi
les passages de deux Riuieres, blocqué la ville
de Bourdeaux, qui est nostre Mere commune,
diuerty les troupes du Roy contre l’ordre exprés
qu’elles auoient d’aller en Catalogne, entrepris
sans ordre de sa Majesté d’assieger la Ville
Capitale de Guyenne : Et au mesme temps
que l’homme du Roy son Commissaire est arriué
à Cadillac, on a faict saccager tout le pays
d’Entre-deux-Mers, brusler les Esglises, tuer
les Prestres & Curez au pied des Autels, sans
espargner ny sexe, ny aage, ny l’honneur & pudicité
des femmes, ny le sang innocent. I’estois
armé, & pouuois repousser la violence,
& mettre l’ennemy public en estat de souffrir
les maux qu’il nous faisoit : toutefois on me lia
les mains.

 

Le respect qu’on eust pour l’Homme du Roy
fust si grand, que pouuant estre vainqueur, i’ay

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laissé la victoire entre les mains barbares & cruelles,
qui ont desolé la campagne. Ce n’est
pas lascheté, car qui ne sçait ma valeur ? & quelle
partie de l’Europe n’a esprouué ma generosité ?
Ie me suis vaincu pour faire voir à toute la
France, que le seul object de mes armes est le
respect des Loix, & l’obeyssance que ie dois au
Roy mon Maistre.

 

Apres la desolation & le dégast du pays de
Graues : La Garonne a veu ces deux riuages
rougir du sang des pauures paysans ! Glorieux
Lauriers, belles Palmes, qui ont crû dans le
champ de Gradignan : auquel contre la foy
donnée, le droict des armes, la Loy de l’honneur,
on a fait pendre vn homme de bien, deffendant
le lieu duquel son frere est Vicaire : Et
les Autels sur lesquels on immoloit les innocens ;
apres auoir à Camblanes jetté le Corps
de mon DIEV, & perdu le respect, que les
Sarrazins, les Turcs & Infidelles conseruent en
tous lieux. O ! Majesté des Roys, ô ! Dieu,
vengez vostre iniure, & frappez de vos foudres
les mains & testes criminelles, qui font
gloire de l’impieté. Apres auoir souffert toutes
ces babaries & fureurs, on a traitté. Voicy
la teneur des Articles.

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PREMIEREMENT.

Le desarmement & esloignement des Troupes
tant par eau que par terre, se fera au plustost,
& au mesme iour.

2. Les Troupes seront retirées à la distances
de dix lieuës ordonnées par le feu Roy : &
pour ne donner ombrage à la Ville de Bourdeaux,
suiuant la route qui leur sera ordonnée
par sa Majesté.

3. L’ouuerture des passages, & le commerce
sera libre, tant par terre que par les deux
riuieres.

4. Le Chasteau de Langoiran auec les
meubles qui y estoient, ensemble celuy de Vayres
& autres, seront rendus aux proprietaires.

5. Les Gens de guerre qui sont à Libourne,
seront en nombre necessaire pour la garde
du Reduict en l’estat qu’il est à present, iusques
à l’ordre du Roy, sans qu’on puisse cependant
continuer le trauail dudit Reduict.

6. Ceux qui feront l’aduance de la subsistance
dudit Reduict de Libourne, en seront
rembourcez souz le bon plaisir du Roy, par deduction
sur les deniers de la taille, subsistance
ou autrement.

7. Tous les prisonniers de guerre seront

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rendus de part & d’autre.

 

8. Il y aura seureté entiere pour les personnes
& les biens des particuliers, tant du Parlement
que de la Ville de Bourdeaux, & autres
qui les ont assistez : & à ces fins sa Majesté sera
suppliée de donner la Declaration necessaire.

9. Il sera mis dans le Chasteau Trompette
iusques à 40. sacs de farine au plûtost qu’il se
pourra, & sur l’aduis qui sera donne par le Parlement
du temps conuenable à cét effect.

10. Et pour la seureté desdites farines ont
esté données trois cautions, qui demeureront
deschargées dés lors que cela sera effectué.

11. On pourra continuer la garde de la Ville
tant qu’il sera necessaire.

12. Le Chasteau du Ha sera remis entre les
mains du Sieur Marquis de Roquelaure, ou
ceux qui auront charge de luy. Faict à Bourdeaux
le premier de May 1649.

Ainsi signez DV BERNET,
ARGENSON, DESVDIRAVT
Commissaire, DVSAVLT Deputé, RICHON
Deputé, CALVIMONT Iurat,
CONSTANT Deputé, & FOVQVES
Deputé.

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Souz la foy de ce traitté on m’a fait retirer,
on m’a desarmé : mais il n’y a plus de foy, plus
de parole. Lors que ie croyois que tout fust appaisé,
on a esleué plus haut ce trophée de la liberté
publique, ce nid de tyrannie, deux cens
cens miserables paysans iour & nuict, les iours
de Feste ont esté contraincts de bastir leur prison,
de forger leurs chaisnes & celle de toute
la Guyenne, de faire les entraues des Perigordins,
Limosins & tous les peuples du voisinage :
on a multiplié le nombre des harpies rauissantes,
& de ses vautours qui ne se nourrissent
que de vostre sang : on a faict conduire de
Broüage sans ordre du Roy, par le complot de
deux Gouuerneurs, qui abusent de l’authorité
de leurs charges, des Canons, des Mortiers, à
Bombes à Libourne : on a enuoyé contre les
Loix de l’Estat, les Ordonnances, la derniere
Declaration, leuer la subsistance de quatorze
cens hommes, quoy qu’en effect il n’y aye
dans Libourne que trois ou quatre cens malheureux,
qui ne meritent pas le nom de Soldats,
& cette leuée, ou plustost vollerie publique,
se fait à main armée. C’est le suject du depart
de Monsieur d’Argenson de cette Ville,
inserée en la Declaration dõt la teneur s’ensuit.

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Novs René de Voyer Sieur d’Argenson,
Conseiller du Roy ordinaire en
son Conseil d’Estat, Commissaire deputé par
sa Majesté, pour faire cesser les troubles de
Guyenne & de la Ville de Bordeaux ; Ayant
esté aduerty que nostre Ordre donné pour la
surceance du trauail du Reduict de Libourne,
& de la demolition de ce qui a esté faict depuis
le quatriesme du present mois n’a point esté executé ;
Nous partons presentement de la Ville
de Bourdeaux pour procurer l’execution d’iceluy,
suyuant les volontez du Roy, que Nous
auons receu depuis peu de iours plus particulieres,
& pour faire executer toutes les autres
clauses de nostre premier ordre faict pour pacifier
lesdits troubles de ladite Ville & prouince ;
Attendu que les Habitans de ladicte Ville de
Bordeaux nous ont tesmoigné qu’ils estoient
prests d’obeyr de leur part aux volontez de
leurs Majestez, & protesté n’auoir autre intention
que leur seruice. Faict à Bourdeaux le
vingt-huictiesme iour du mois de May mil
six cens quarante-neuf.

Signé ARGENSON.

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C’est le suject de nos armes : Tous ceux qui
seront ennemis du seruice du Roy, de leur patrie,
de la pieté, de la religion, qui ayment la
seruitude & les chaisnes, sont nos ennemis :
Ceux qui preferent l’interest du Roy, ses commandemens,
ses ordres à ceux d’vn Gouuerneur,
qui doit obeyssance à son Maistre, comme
tous les autres Sujects, qui a receu plus de
grace, de bien, d’honneurs, qu’autre du Royaume,
sont nos amis : Ceux qui demolissent
les Hospitaux, les Eglises, pour esteuer des
Citadelles, qui veulent opprimer le Clergé, la
Noblesse, le Tiers Estat, qui declarent la guerre
à Dieu, aux Euesques, à la Iustice, au Peuple,
sont nos ennemis, & nous partons pour
vanger la querelle de Dieu, seruir le Roy, &
nostre Patrie commune : Et esperons qu’il n’y
aura point d’homme si lasche, qui abandonne
nos interests, & soit traistre à son Roy & sa Patrie.

FIN.

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