Anonyme [1652], DIALOGVE DV CAR. MAZARIN, ET DV MARQVIS DE LA VIEVVILLE, Sur-Intendant des Finances. , françaisRéférence RIM : M0_1087. Cote locale : B_13_42.
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Dialogue de Mazarin & du Marquis
de la Vieuville, Sur-intendant
des Finances.

Mazarin, BON jour Monsieur le Marquis, ie vous
ay enuoyé querir, pour vous dire, que
voicy bien des affaires, & qu’il nous faut de l’argent.

Le Marquis, Monseigneur, ie l’ay bien préveu depuis
hier, quand i’appris la déroute de Monsieur d’Oquincourt.

Mazarin, Ie suis bien réjoüy que vous y ayez pensé,
vous estes le seul dans le Conseil qui me soulagez, il faut
que ie fasse tout.

Le Marquis, Monseigneur, ie le reconnois bien, & cela
me fait peine ; car ie crains que Vostre Eminence ne
succombe à tant de travail.

Mazarin, Ie me porte bien, je suis robuste, & viendray
bien à bout de mes ennemis, si i’ay de l’argent.

Le Marquis, Monseigneur, combien faut-il.

Mazarin, I’ay besoin de dix millions de liures, dans
le premier iour d’Octobre : Sçavoir, de deux millions
comptans, & de seize cens mil liures par mois, pendant
les mois de May, Iuin, Iuillet, Aoust, & Septembre.

Le Marquis, Monseigneur la somme est grande, si vostre

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Eminence veut examiner l’estat des affaires, ie luy
feray voir en demie heure, si cela se peut, ou non.

 

Mazarin, Ie le veux bien, & ie vous diray mesme en
quoy i’en ay besoin.

Le Marquis, Monseigneur, cela est necessaire, car il y
a quelques fois des dépences pressées, où il faut du content,
& c’est ce qui m’embarrasse le plus : Les autres, ou
on se contente d’assignations, ne me donnent pas tant
de peine.

Mazarin, Monsieur le Marquis ie vous entends bien ;
c’est à dire, que vous faictes des assignations ce que vous
voulez.

Le Marquis, Oüy Monseigneur, ie les recule ainsi que
bon me semble.

Mazarin, Cela est fort bien ; car pourveu que la dépence
soit faicte par les particuliers, il n’importe pas
qu’ils soient payez de leurs assignations.

Le Marquis, Monseigneur, i’admire vostre Eminence,
elle n’ignore de rien.

Mazarin, Cela est vray, i’ay tant veu d’affaires de
de toutes façons ; mais travaillons Monsieur le Marquis,
& couvrez-vous, ie ne veus pas de ceremonie.

Le Marquis, Monseigneur, iesuis en mon deuoir, ie
ne me couvriray pas devant vous, vous estes mon bien-facteur.

Mazarin, Ie vous aime, & i’ay faict vn bon recit de
vous à la Reyne.

Le Marquis, Monseigneur, mon fils le Cheualier me
l’a dit, & qu’il le sçauoir de bonne part.

Mazarin, Il me faut pour la maison du Roy, de la

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Reyne, & de Monsieur d’Anjou, Escurie, Venerie,
Gardes du Corps, Gardes Escossoises, cent Suisses, &c.
trois millions.

 

Pour vne armée Navale en la mer de Ponant, trois
cent mil liures.

Pour les galéres, deux cent mil liu.

Pour le pain de munition de l’armée qui est avec
nous, vn million.

Pour les Gardes Françoises & Suisses, trois cent
mil liures.

Pour les voyages, deux cent mil liures.

Pour le pain de munition des places frontiéres, &
conquises, deux millions quatre cent mil liu.

Pour l’artillerie de nostre armée, trois cent
mil liures.

Pour les Cheuaux-legers & Gens-d’armes, deux
cent mil liures.

Pour le bagage de nos Generaux qui a esté perdu,
trois cent mil liures.

Pour ma maison, entretien de mon Neveu & de
mes Nieces. dix-huit cens mil liures.

Somme dix millions de liures.

Le Marquis, Monseigneur, ie voy bien que c’est
quasi tout argent contant qu’il faut fournir.

Mazarin, Ie le croy comme vous, & vous voyez
bien qu’il ne se peut moins.

Le Marquis, Cela est vray, & Vostre Eminence se
réduit à fort peu de chose.

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Mazarin, En ce temps icy ie ne veux que le necessaire.

Le Marquis, Mais Monseigneur, il y a bien d’autres
dépences.

Mazarin, Il est vray, mais ie ne m’en soucie pas,
vous voyez bien que ie ne mets rien pour la Catalogne,
car ie la veus abandonner.

Ie ne mets que deux cent mil liures pour les galeres,
à cause que ie ne veus pas qu’elles aillent à la mer.

Ie ne parle point de l’armée du Comte de Harcour,
ie luy ay donné le Poictou, la Xainctonge & la Guyenne
pour sa subsistance.

Ie n’employe rien pour l’armée de Flandres, les places
se defendront comme elles pourront, ie me resous
à en perdre deux ou trois cette campagne.

Ie ne fais pas estat de payer rucune montre à mon
armée, ie la laisseray piller par tout.

Et pour l’Italie fasse le Duc de Sauoye ce qu’il pourra,
ie ne m’en soucie pas.

Pour les Garnisons de Brisac, Philisbourg, & de
toutes les autres places des frontiéres, ie ne leur veus
pas donner vn sol.

Mais voyons où nous prendrons nos dix millions
de liures.

Le Marquis, Monseigneur, ie vous le feray voir en
peu de temps, Vos finances consistent en quatre natures
de deniers : Sçauoir, les Fermes, les Tailles (ausquelles
sont compris le Taillon, & les ponts & chaussees)
les dons gratuits des Provinces, & les deniers extraordinaires.

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Pour les fermes, voicy prr estimation ce que vous
en pouvez tirer.

Du Convoy de Bordeaux, neant.
A cause que Monsieur le Prince en iouїt.

De la ferme de Broüage, neant.
A cause du Comte Dognon qui prend les droicts.

De la ferme des Aydes, neant.

Les Fermiers pretendent ; qu’elle ne suffit pas pour
payer les charges.

De la ferme des gabelles de France, neant.

Les Fermiers ont pareille pretention que ceux des
Aydes.

Des Fermiers des entrées, neant.
Ce sont bonnes gens qui ont avancé le prix de leur
ferme, lors que i’enuoiay de l’argent à V. E. au
au mois de Nouembre de l’année derniere, & puis ils
sont fort bons amis de Monsieur de Bordeaux Intendant.

De la Patente du Languedoc, cent cinquante mil
liures.

De la ferme des Gabelles de Lyonnois, neant.

Le sieur Terrat qui en est fermier, nous a avancé
quatre-vingt mil liures, lors que nous estions à Tours,
quoy qu’il soit Thresorier de monsieur le Duc d’Orleans.

De la ferme des Gabelles de Provence & Dauphiné,
neant.

Le sieur Amat qui en est fermier, a avancé le paix
de son bail, & il sera protegé par les Parlemens de Provence

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& Dauphiné, où il a plusieurs parens.

 

De la ferme des Gabelles de Languedoc, neant.
Le sieur Bossuet qui en est fermier n’en doit rien pour
cette année, & il ne veut plus faire d’auances.

De la ferme du fer, trente mil liu.

De la ferme des cinq grosses fermes par estimation
cinq cens mil liures.

Mais pour cela il faut reculer les assignations qui
sont leuées pour Monsieur le President de Maisons, à
cause du remboursement qu’il luy convient donner
pour son Domaine d’Evreux : celles qui sont leuées
pour les nouveaux Suisses, & plusieurs autres qu’il ne
sera pas aisé de retarder.

Voy la Monseigneur, six cens quatre-vingt mil liures
que nous pouuons tirer des fermes, à tout rompre.

Mazarin, Comment, & il se leve tant d’argent.

Le Marquis, Monseigneur, ce qui se leve sur les fermes
est quasi tout les rentes, & pour les gages des
Officiers.

Mazarin, Quand i’auray defaict le Prince de Condé,
ie ne veus plus payer de rentes, ny de gages.

Le Marquis, Monseigneur, c’est ce qu’il faut faire
le plus promptement qu’il sera possible.

Mazarin, I’en viendray à bout, quand les troupes
qui me viennent de toutes parts seront arriuées.

Le Marquis, Monseigneur, i’apprends que vos levées
vont bien lentement, à cause que vous ne leur
donnez point d’argent.

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Mazarin, Il est vray, mais ie leur donne de bons
quartiers pour les recompenser.

Le Marquis, Monseigneur cela empesche bien la leuée
des Tailles.

Mazarin, Que n’importe que la France soit ruynée,
ie veus mettre le feu par tout, ou subsister.

Le Marquis, Monseigneur V. E. fait fort bien de
se vanger, l’offence a esté grande, il faut tout desoler,
ie seruiray bien Vostre Eminence en ce rencontre ; car
si elle se retire, il faudra que ie m’en fuye aussi.

Mazarin, Mais voyons où nous prendrons le reste
de nos dix millions.

Le Marquis, Monseigneur, nous aurons bien pendant
les neuf mois de cette année de la Generalité de
Paris, vn million.

Des Generalitez de Rouën, Caën & Alençon par
estimation, vn million.

Bien entendu, que c’est de net, & deduction faicte
des avances des Receveurs, pour veu aussi que Monsieur
de Longueville demeure dans vos interests,
que l’armée de Monsieur le Duc d’Orleans commandée
par Monsieur le Prince, n’entre pas en cette Province,
& que la vostre aussi ne marche pas : car comme
V. E. ne luy donne pas vn sol, les pays où elle
passe sont perdus pour dix ans.

De la Generalité d’Orleans par estimation, trois
cens mil liures.

De la Generalité de Tours par estimation, septembre
cens cinquante mil liures.

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De la Generalité de Bourges, neant.
Le siege de Monrond a tout consommé.

Des Generalitez de Soissons, Amiens & Chaalons,
neant. Le quartier d’hyver a tout consommé.

De la Generalité de Moulins par estimation, trois
cens mil liures.

De la Generalité de Ryon, neuf cent mil liures.

De la Generalité de Lyon, cinq cens mil liu.

De la Generalité de Limoges, quatre cens m. liu.

Des Generalitez de Bordeaux, Montauban & Poictiers,
neant.
A cause qu’elles sont affectées pour le payement de
l’armée du Comte de Harcour.

De la Generalité de Grenoble, neant.
C’est à cause que le sieur d’Hervac Intendant des finances
est assigné sur icelles, de sept cens mil liures,
pour le remboursement de quelques avances qu’il a
faictes à vostre Eminence.

Peut-estre qu’on pourra encore tirer, à cause du
Taillon, & des ponts & chaussees, vn million.

Des Parties Casuelles, neant.

De la Province de Bourgongne par estimation,
deux cent mil liures.

De la Provence par estimation, cent cinqante
mil liures.

De la Bretagne par estimation, quatre cent mil liu.
Somme six millions neuf cens mil liu.

Et des fermes, six cens quatre-vingt mil liu.

Mazarin, Il me manque doncques deux millions

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quatre cens vingt mil liures.
Et que deuient donc tout ce qui se leue.

 

Le Marquis, Monseigneur, il s’employe aux charges,
aux remises & remboursements des Traittans &
Fermiers, Thresoriers de l’Espargne, & des Parties
Casuelles.

Mazarin, Ie veus que le Roy fasse banqueroutte
pour vne bonne fois à tous ses Subjets.

Le Marquis, Monseigneur, c’est mon intention, &
ie la feray ; mais il faut excepter les Tresoriers de l’Epargne,
A cause qu’ils sont informez de tout ce que
vostre Eminence a pris dans les coffres du Roy, & ils
le pourroient bien dire à Messieurs du Parlement, qui
n’en sçavent pas tout le détail.

Mazarin, Il faut donner ordre à cecy, asseurément
mes affaires ne sont pas bien ménagées, on vous trompe,
monsieur le Marquis, vous vous fiez à vn homme
qui est plus fin que vous, vous m’entendez bien.

Le Marquis, Monseigneur, i’ay demandé des memoires
contre luy, mais on ne m’en fournit point.
Mazarin, On m’a promis de me faire voir qu’il
prend à toutes mains, & d’autres aussi, que ie ne veus
plus souffrir.

Le Marquis, Monseigneur, ie n’en sçay rien, il est
vray que mon fils le Chevalier fait quelques affaires,
mais c’est tousiours pour servir vostre Eminence en
plusieurs intrigues qu’il a.

Mazarin, Il me faut fournir iusques à mes dix
millions, cherchez-les ou vous voudrez.

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Le Marquis, Monseigneur, cela ne se peut, si vostre
Eminence ne se veut aider.

Mazarin, Que faut-il faire ?

Le Marquis, Monseigneur, Vostre Eminence peut
vendre les Benefices, quand elle les devroit donner au
denier deux.

Mazarin, Ne le fay-je pas : c’est dequoy ie supplée
à plusieurs dépences particulieres qu’il me convient
faire.

Le Marquis, Vostre Eminence peut aussi vendre
les charges de la guerre qui vacqueront, & les donner
au tiers de leur valeur, les Gouvernemens aussi sur le
pied d’vne année du revenu, & les charges de la maison
de Monsieur d’Anjou, mesmes engager le fonds
& tre-fonds des bois de Boulongne & Vincennes,
Affermer la porte des Tuilleries & l’entrée du Cours
de la Reyne Mere.

De plus, si vostre Eminence veut faire créer en titre
d’office la charge de Sur Intendant, i’en donneray
vne notable somme, & vendray plutost quelque
terre.

Ie croy aussi que les sieurs de Bordeaux & Motteville
donneront bien quatre cent mil liures de deux
charges de Directeurs de nouvelle fabrique.

On m’a proposé vn aduis, qui est, de mettre le Gazettier
de Paris en titre d’Office, & faire aussi des Gazettiers
Provinciaux, en leur attribuant quelques
droicts d’exemption de Tailles, & leur donnant la nomination
des Colporteurs, desquels ils receuront le

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serment, mesme de prendre cinq sols de chacun d’eux
pour le droict Annuel chacun an, & dix sols pour resignation.

 

On m’en a donné vn autre, qui est, de créer en titre
d’Office vn Commissaire à la conduitte de tous
les nouveaux Regiments de Cavalerie & Infanterie,
que vostre E. met sur pied, aux droicts du dixiesme
seulement de tout ce qui sera pris & pillé par les Capitaines
& Soldats.

On a proposé d’establir seize Academies dans Paris
pour toutes sortes de jeux, lesquelles seront exemptes
des visites de police.

Plus, de créer les Ambassadeurs, A gens & Residens
en tiltre d’office.

Plus des Vendeurs iurez d’huistres à l’écaille, qui
iouyront des mesmes honneurs que les Vendeurs de
marée.

I’ay encor vn memoire de plusieurs autres avis qui
ne me semblent pas mauvais, & sur lesquels i’ay travaillé,
mais ie ne m’en souviens pas à present.

Mazarin, Ces avis sont bons ; mais il faut l’authorité
pour mettre les Cours Souueraines à la raison,
afin que ces Edicts soient facilement verifiez.

Le Marquis, Monseigneur vostre Eminence a raison,
ces gens-là sont difficiles, ils ne font beaucoup de
peine en execution des Declarations de Iuillet & Octobre
1648. lesquelles il faut supprimer.

Mazarin, C’est mon intention, & ie l’aurois fait,
si le Mareschal d’Oquincourt ne se fust pas laissé battre ;

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mais ce rencontre me rompt mes mesures.

 

Le Marquis, Monseigneur, vostre Eminence prend
trop cette affaire à cœur, ie l’en trouue bien changée
& abbatuë Mais Monseigneur, ie songe aux dépences
que vous m’avez proposé : Vostre Eminence ne
met rien pour tous les gages du Conseil, pensions &
montres d’armées : cela fera bien des mal-contents.

Mazarin, Que m’importe, ie ne leur veus rien
donner, ils n’oseroient avoir grondé ; car ie les ferois
sortir de la Cour.

Le Marquis, Monseigneur, il y a des gens bien fascheux,
qui ne souffriront pas volontiers ce retranchement.

Mazarin, Ie ne m’en soucie pas, ie suis le maistre,
vous le voyez bien, mais trouuez de l’argent; car il
en faut : Autrement ie seray contraint d’accepter quelques
offres qu’on me fait pour la Sur-Intendance, sans
la mettre en tiltre d’Office, on m’en a desia offert du
premier mot trois cens mil liures, & ie feray bien venir
iusques à six cens mil liures.

Le Marquis, Monseigneur, celuy qui vous offre
cette somme n’est pas plus homme de bien que moy.
Ie croy sçavoir quel il est : mais i’ay vn mot à dire à
V. E. elle vouloit retourner en Sicile, où aller en
Hongrie, Nous aurions la Paix, & l’argent ne seroit
pas si difficile à recouvrer, ie vous envoyrois tous les
ans trois millions de liures en Louys d’or, à dix liures
piece, pourveu qu’il luy plust me faire conserver dans
la sur-intendance.

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Mazarin, Monsieur le Marquis vous n’estes pas
mal plaisant, ie voy bien que vous pensez à vous, ie
penseray à moy, trouvez de l’argent seulement, sinon
ie sçauray bien vous faire rendre compte de vostre
administration : Ie sçay tout ce que vous auez faict, &
i’ay de bons memoires de ce qui s’est passé dans les finances,
depuis le mois de Novembre de l’année mil
six cens quarente-neuf.

Ce Dialogue a esté envoyé par vn Valet de Chambre des
Cardinal Mazarin, à vn sien Amy, le douziesme iour
d’Avril de la presente année.

FIN.

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