Anonyme [1650 [?]], LE REVEILLE-MATIN DE LA FRONDE ROYALLE, SVR LA HONTEVSE PAIX de Bourdeaux. , françaisRéférence RIM : M0_3537. Cote locale : B_19_23.
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LE
REVEILLE-MATIN
DE LA
FRONDE
ROYALLE,
SVR
LA HONTEVSE PAIX
de Bourdeaux.

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LE REVEILLE-MATIN
DE LA FRONDE
ROYALLE,
SVR
LA HONTEVSE PAIX
de Bourdeaux.

LA France, qui entre toutes les Monarchies de la
Chrestienté, a eu de tout temps l’aduantage d’auoir
eu des Rois les plus iustes du monde, a esté
neanmoins reduite à cette extremité de misere,
que le Sceptre venant à tomber entre les mains des Rois
mineurs, elle n’a iamais esté gouuernée que par des Ministres
si cruels & si barbares, que les Reynes Regentes ne
leur ont pas si-tost eu donné l’administration de l’Estat,
que seduisant la bonté de ces meres bien intentionnées,
leur propre vtilité les a obligez de leur persuader, que tout
leur estoit indifferamment permis pour regner auec authorité,
sans auoir le iugement de considerer si l’on peut
regner souuerainement en permettant tout : Que toute
sorte de cruautez estoient licites pour se rendre absolu
dans le Royaume, sans estre bien certain si la violence est
le meilleur fondement de la domination : En vn mot ils ont
fait entendre à ces Reynes, qu’on peut sans scrupule rauir
le bien de ses subjets pour estre maistre de leur vie, sans
sçauoir si la tyrannie est le plus fort appuy de la Souueraineté.

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Le Cardinal Mazarin a si malicieusement mis en vsage
depuis quelque temps ces pernicieuses maximes en France,
que leurs suittes nous ont assez fait connoistre combien leur
pratique est dangereuse & funeste à vne Monarchie, qui
n’a accoustumé de subsister que par la douceur, & par la Iustice,
puis qu’elles ont esbranlé si souuent le trône de nostre
ieune Monarque, & auec tant de danger, que son authorité
a beaucoup perdu de son esclat toutes les fois que
sa Maiesté a suiui les pernicieux conseils de son Ministre !
O monstre plein de cruauté ! ô vaze rempli du sang des
François ! ô auare insatiable, & Ministre sans honte, que ta
police est differente de celle de nos Souuerains, & que tes
desseins abominables sont esloignez du sentiment de nos
Rois.

Ce beau Polytique, qui dans l’esperance qu’il auoit de
s’aller auec le Duc de Candalle, a fortifié son pere le Duc
d’Espernon dans le dessein de rassasier son auidité, d’acquerir
des richesser (quoy qu’insatiable) aux despens du peuple ;
voulant à cette fin le rendre si absolu en Guyenne,
qu’il y peust aisément exercer tous ses brigandages, n’a pas
fait difficulté de prostituer honteusement l’authorité Royale,
de hazarder la personne du Roy, & de tout risquer pour se
faire valoir dans la resolution qu’il auoit prise, de maintenir
contre toute sorte de iustice son nepveu presomptif dans la
suruiuance du Gouuernement de Guyenne.

Ce Ministre si interessé dans le seruice du Roy, n’a pas
dis ie, fait difficulté de hazarder sa Maiesté aux iniures du
chaud & du froid, dans vn voyage de deux cens lieuës,
pour la rendre tesmoin oculaire du peu d’intelligence qu’il
a à gouuerner vn Estat, exposant le ROY à la honte de voir
chasser ignominieusement deuant ses yeux vn Gouuerneur,
pour la seule conseruation duquel, abandonnant la
France à la discretion des ennemis, il a desgarny nos Frontieres,
pour mener deux armées entieres deuant Bourdeaux,
chercher le cimetiere des plus illustres personnages

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qui y au oient du commandement, pour y reüssir si
bien qu’il a fait.

 

On eut pû en quelque façon supporter vne telle imprudence,
si elle eut pû estre legitimement protestée de
quelque apparence de bon succez, ou de quelque resolution
equitable ; Mais sçachant qu’il n’a entrepris ce
honteux voyage, que pour conseruer vn Gouuerneur,
qui en depit de son Eminence, a esté exclus auec toute sa
posterité des pretentions qu’on luy faisoit esperer sur la
Prouince de Guyenne ; estant tres-certain que le seul dessein
qu’il auoit de la donner pour appanage à vne de ses
niepces, l’a obligé d’y faire inutilement perir six mil hommes
à la confusion du Roy, & de ceux qui l’ont appuyé à
l’execution d’vne si belle entreprise ; & estant encore
plus constant que ce voyage n’a esté fait que pour authoriser
sa tyrannie en France, il n’y a point d’homme d’honneur
qui puisse approuuer vne telle conduitte.

Vn bon Ministre n’eut-il pas deu auoir esgard (sans porter
les choses à l’extremité) aux tres-humbles remonstrances,
que le Parlement de Bourdeaux fit à sa Maiesté,
la suppliant de ietter ses yeux de compassion sur les violances
du Duc d’Espernon, duquel il demandoit auec
soûmission l’esloignement pour la tranquillité de la Prouince,
pour le repos du peuple, & pour le bien de l’Estat,
dans vn temps mesme, auquel on eut pû aduantageusement
pour le Roy donner du remede aux maux de cette
Prouince, que le Cardinal a rendus apres incurables par
son caprice, Il pouuoit, dis-ie, dés l’heure appaiser les
troubles de Guyenne sans sortir du Palais Royal, & sans
en faire souffrir l’affront au Roy par son peu de iugement.

Cette nation qui a tousiours donné des veritables preuues
de sa generosité, a encore fait voir dans ce rencontre,
que l’aduersion naturelle qu’elle a pour la captiuité, ne
luy permettoit pas de fléchir honteusement à l’impetuosité
de son ennemy, qui s’emparoit effrontement de l’authorité

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Royalle pour s’acquerir de la gloire, par le bon
succez qu’il esperoit de la subuersion de cette Prouince,
qui monstre assez ouuertement à toute l’Europe que la
valeur du Generalissime Iules, n’estoit pas si considerable,
qu’elle n’ait honteusement eschoüé dans son port,
dans lequel il a submergé la gloire de l’Estat, pour y releuer
la sienne, par l’establissement qu’il y croyoit faire
de sa race, en fabricant sur le sang du peuple le mariage
d’vne de ses Princesses, auec vn homme qu’il a perdu de
bien, d’honneur, & de reputation, pour cela seul qu’il là,
voulu Mazariniser.

 

Apres que ce grand Ministre a esté contraint de donner
par force aux Bourdelois beaucoup plus qu’ils n’eussent
demandé de bon gré, il s’est porté à vne telle extremité
d’impudence, que soûmettant auec vanité la gloire
de l’Estat à celle de sa propre personne, il n’a pas eu de hõte
d’offrir aux Bourgeois, aux despens & à la confusion
du Roy, le desdommagement entier de leur armemente
si le Parlement venoit en Corps le salüer ! impertinence
qui n’a pas encore trouué là des limites, mais par vn debondement
d’arrogance insupportable, il a esté assez ozé
de persuader la Reyne de faire deffences au Parlement
de voir Monseigneur le Duc d’Anjou, ny Mademoiselle,
s’ils ne vouloient aussi aller faire hommage à son premier
Ministre, esleuant insolemment la corruption du sang de
sa race en pareil degré que la pureté de celuy de celle de
nos Rois.

Mais comme ce sont des excez de gloire & de superbe,
dont on ne peut apparemment tirer d’autres consequences,
que celle de la honte que la France reçoit en souffrant
toutes ces extrauagances ; ie reuiens à ses autres mazarinades,
dont les suittes sont si dangereuses, qu’ayant
introduit les diuisions en France, elles pourront encore
renuerser le trosne si l’on n’y remedie promptement.

Outre que la detention des Princes a esté l’action du
monde la plus perilleuse à entreprendre, la fin, pour laquelle

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cet attentata esté proiecté, auec toutes les circonstances
de trahison, & de mauuaise foy, qui s’y sont rencontrées,
nous oblige d’auoir en horreur vne telle coniuration,
qui a esté fabriquée par la personne du monde
la plus abiecte, contre le plus grand Prince de l’Europe,
par le plus ingrat des hommes, contre celuy à qui il estoit
le plus obligé, Enfin par le plus descrié de tous les viuants,
contre le plus glorieux Prince, & le plus estimé que la
France ait iamais produit, puis qu’entre vn si grand nombre
de conquerans, qu’elle nous a fourny, toutes les actions
de ceux qui ont le mieux fait pour le seruice du
Roy iointes ensemble, n’approchent de beaucoup des
merueilleux exploits, dont la France sera eternellement
redeuable à ce Prince, qui, comme par miracle fera voir
à la posterité que les Alexandres, ny les Cesars pendant
vne longue suitte d’années, n’ont donné de si belles marques
de leur valeur, que ce grand Heros en a donné à l’âge
de 25. ans de la sienne.

 

C’est, dis-ie, cet emprisonnement, qui est si dommageable
à la France, que tous les desordres du Royaume
en sont prouenus, & si aduantageux pour la conseruation
du Mazarin, qu’il n’a pas eu de crainte, de dire aux Bourdelois,
qu’il souffriroit plustot la perte de tout le Royaume,
que l’eslargissement des Princes, sçachant bien que
leur liberté ne peut estre autre chose que sa perte ; d’où il
est aisé de iuger, qu’il trauaille moins pour l’Estat, que
pour sa conseruation, puis qu’il ne peut s’empescher de
le publier apres quoy y a il homme d’honneur qui puisse
alleguer vn legitime subiet de leur detention, s’il ne pretend
nous persuader en mesme temps, qu’il vaut mieux
perdre tout le Royaume, que Mazarin.

Si l’on considere toutes ces choses sans interests particulier,
& sans y cõprendre que le seul seruice du Roy, auec
le bien general de toute la France, il n’y a point d’homme
d’honneur, qui ne soit obligé en conscience d’en détromper
la Reyne, quand il n’y auroit d’autre consideration,

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que celle d’estre assurez, qu’il n’y a plus de resource
pour la guerison de tant de maux, que la deliurance
de la tyrannie estrangere, soubs le miserable ioug de laquelle
la France gemit depuis si long temps.

 

Toutes ces raisons friuolles de ces escriuains à gages à
part ; vn chacun ne sçait-il pas ? qui Monsieur le Prince
est, & qui Mazarin est ; que le dernier est estranger, &
que le premier est issu du vray sang de nos Roys ; que Mazarin
est declaré ennemy de l’Estat, & que Monsieur le
Prince est reconnu pour l’appuy de la Couronne ; que celuy-cy,
est celuy, qui a gagné quatre fameuses batailles,
pour le seruice du Roy, & soubsmis à l’Authorité de sa
Maiesté les plus importantes villes de l’Europe, faisant
rougir les campagnes de son propre sang mesle auec celuy
qu’il espanchoit des ennemis de l’Estat ; que l’autre est
celuy qui laissant perdre toutes ses belles conquestes, a
laissé venir les ennemis iusques au milieu de la France ; enfin
ne sçait-on pas que Iules est l’obiect de la haine du peuple,
& que Monsieur le Prince est celuy de l’amitié de tous
les plus genereux du Royaume ; Et le digne pere des enfants
de Mars, de l’eslargissement duquel despend entierement
le repos du Royaume, & la paix d’entre les
deux Couronnes de France, & d’Espagne.

Ceux qui voudront considerer murement l’honneur
qu’il y a de procurer la liberté à vn Prince, par la valeur
duquel l’Estat a receu tant de gloire, & tant d’aduantage
ceux-là verront en mesme temps par contrarieté la honteuse
lascheté, qu’il y a de s’attacher aueuglement au seruice
d’vn homme condamné par Arrest du Parlement,
en consequence duquel ses meubles ont esté vendus en
plain marché deuant l’Hostel de Ville, d’vn homme dis-ie,
qui a tant de fois mis le Royaume sur le penchant de
sa ruine, & qui n’en a peu estre releué que par le bras de
Monsieur le Prince ; qui ne s’est iamais mis à la teste des
troupes du Roy sans attaquer les ennemis de sa Majesté ;
qui ne les a iamais attaqués qu’il ne les ait vaincus ; Et qui

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ne les a iamais vaincus sans admiration, portant au seul
bruit de ses victoires de la terreur & de l’effroy par toute
la Chrestienté, qui n’entendoit iamais parler que des
actions de ce grand Conquerant, n’y ayant point d’endroit
en toute sa vaste estenduë, où l’on n’ait sceu, qu’il
a tousiours mené au triomphe tous ceux qu’il a conduit
au combat.

 

En effet, le Parlement de Bourdeaux, qui entre tous
ceux de France s’est acquis à plus iuste tiltre le nom de
Protecteur du Peuple, a iugé que la personne de Monsieur
le Prince estoit si necessaire pour la conseruation de
l’Estat, qu’il a estimé ne pouuoir iamais rendre d’action
plus digne de ses genereuses entreprises, que dans ses interests
propres demander au Roy l’eslargissement du plus
necessaire support de sa Maiesté. Au contraire cét auguste
Senat contre toutes les sollicitations qu’on luy a pû
faire de la part de la Reyne & de Mademoiselle, de voir
le Cardinal, a iugé cette action de bassesse si honteuse à la
reputation des vrais gens d’honneur, qu’il a mieux aymé
se despartir genereusement de tous les aduantages, qu’on
luy faisoit esperer, pour l’obliger à vne si indigne soumission,
que de reconnoïstre le Mazarin, que pour vn
Criminel, comme vn Domestique priué de la Reyne, &
non comme vn premier Ministre d’Estat, puis qu’il n’a
pas esté esleu pour tel par les Estats de France, ny approuué
par aucun Parlement du Royaume ! action certes, qui
deuroit seruir de prototype à tous les gens de cœur à l arriuée
du Cardinal dans Paris.

Entre toutes les actions, que ce faux Ministre a mis
au iour, il n’y en a point, (& ne m’en puis encore taire)
qui nous fasse mieux connoistre insques où peut aller son
ambition dereglée, que l’impudence qu’il a euë d’obliger
la Reyne de faire commandement au Parlement de
Bourdeaux de ne point voir Monseigneur le Duc d’Anjou,

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ny Mademoiselle, s’il n’estoit en dessein de voir le
Cardinal ! ô prodige de vanité ! ô monstre de gloire, qui
faits trancher de pair le plus infame de tous les Italiens,
auec le Frere & la Cousine germaine du Roy ? Mais que
dis-ie, il ne s’arreste pas là, sa superbe le porte si haut,
que Monsieur le Duc d’Orleans n’est rien en comparaison
de ce que ce glorieux s’estime, puisque voulant deuancer
en honneur Monseigneur le Duc d’Anjou, a plus
forte raison voudra-il estre preferé à ceux, qui sont plus
esloignez d’vn degré de la Couronne.

 

Mais les Bourdelois incapables d’errer en ce rencontre,
aussi-bien qu’en tous autres, ont fort bien sceu discerner
la race de Bourbon d’auec celle de Mazarin, &
mesprisant auec fierté la derniere, ont rendu auec toute
sorte d’humilité leurs hommages au Sang Royal, suppliant
auec soûmission la Reyne, d’auoir agreable que
le Parlement fit son deuoir, sans commettre vne telle lâcheté ;
ce qui a fait dire à Mazarin, qu’en Gascogne il
auoit trouué chaussure à son pied.

Les plus simples s’imaginent que le Cardinal n’a pas
mal reüssi, puis qu’il est entre dans Bourdeaux, mais
considerant le suiet qui l’a obligé à entreprendre ce
voyage, & sçachant qu’il n’est sorty de Paris que pour
maintenir Monsieur d’Espernon en Guyenne, sçachant
qu’il n’a iamais monstré son nez dans le Traicté de Paix ;
sçachant qu’il n’y a point esté compris ; qu’il ne l a
point signée ; qu’on n’a iamais voulu conferer auec luy ;
qu’il n’a point esté dit dans le Traicté qu’il y entreroit,
ignorant qu’il fut au monde ; il n’y a personne, qui ne
iuge qu’il y a receu l’affront entier, puis que quand le
Roy a proposé qu’il vouloit que son Ministre y entrast,
on a respondu à sa Maiesté, qu’elle le pouuoit de son authorité
absoluë, mais qu’on ne le reconnoissoit point
que comme simple Domestique de sa Maison, non plus

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qu’vn de ses Valets de pied ! digne ressentiment ! [1 mot ill.]
colere ! admirable resolution, qui a appris à Mazarin
que sa Calotte rouge n’est pas plus estimée en Gascogne,
que le bonnet violet d’vn Vigneron de la Coste de
Guaronne.

 

Ce seroit peu de chose, de faire sçauoir au public la
confusion, qu’il a fait receuoir au Roy dans le Traicté
d’vne Paix si honteuse, si l’on ne vous donnoit aduis du
peu d’asseurance qu’il y a en tout ce qu’il promet, puisque
non content de fausser sa foy toutes les fois qu’il negocie,
il viole encore impunément celle du Roy, si solemnellement
qu’elle puisse estre donnée.

Apres auoir fait naistre cent equiuoques dans les premiers
articles qu’on auoit fait au commencement de cette
Conference, dont on a esté obligé de reformer la
pluspart des termes par sa duplicité, il n’a pas neanmoins
encore resté de commettre cent actes d’hostilité apres
la Paix faite & publiée, dans le temps mesme que le
Roy estoit dans Bourdeaux il a fait brusler la maison de
Monsieur de Bordes Conseiller au Parlement, il a souffert
que les Suisses ait commis cent insolences, à la discretion
desquels il ne se contentoit pas de liurer le bien
des Bourgeois au dedans & au dehors de la Ville, mais encore
il leur vouloit prostituer auec insolence l’honneur
& la pudicité des femmes ; ce qui a pensé causer vn tel desordre,
que si la presence du Roy & la conduitte du Parlement
n’eut reprimé l’animosité du Peuple, on ne sçait
à quelles extremitez de cruauté les Bourgeois se fussent
portez, qui ne peurent pas si bien retenir leur rage, qu’il
n’en soit resté vn bon nombre sur le carreau, qui ayant
laissé leurs corps en ce monde, pour apprendre aux Italiens
qu’on ne doit pas se frotter de trop pres aux Gascons,
ont enuoyé leurs ames en l’autre annoncer le danger
qu’il y a de suiure les sentimens de Mazarin.

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S’il y a quelque chose digne de remarque en tout ce
qui s’est fait au voyage de Bourdeaux, & qui doiue plus
animer les bons François, doit estre l’aduersion naturelle
qu’on a reconneu que nostre ieune Monarque auoit
pour ce Monstre de Sicile, qui apres en auoir donné
plusieurs fois connoissance à toute la Cour, apres s’en
estre plusieurs fois plaint à la Reyne, & apres auoir iugé
les deportemens de ce beau Ministre si dommageables à
son Estat, sa Maiesté n’a peu s’empescher, nonobstant
tous les obstacles qu’on y a portez, d’en faire secrettement
aduertir son Altesse Royale, à qui elle a fait escrire
vn billet, par lequel elle le prie d’escrire à sa Maman,
qu’il est necessaire pour le bien de sa Couronne, que sa
Personne soit à Paris.

Quoy que le Cardinal voyant la haine que le Roy auoit
pour luy, ait fait toutes les choses possibles pour empescher
que sa Maiesté n’eut point de confidant, il n’a neanmoins
pas sceu descouurir celuy qui auoit escrit ce billet
signé de la propre main du Roy, auquel suiuant la volonté
de sa Maiesté, Monsieur le Duc d’Orleans a obeï par
message exprez, qui dans l’instant de son arriuée obligea
la Cour de se resoudre à sortir de Bourdeaux contre la volonté
du Cardinal, qui vouloit caballer pour trahir le
Parlement.

Tous ceux qui ont quelque peu de zelle pour le vray
seruice du Roy, ne devroient ils pas rougir de honte,
voyant sa Maiesté reduitte à l’extremité de ne pouuoir
auoir d’autre Conferance, que celle de celuy qui est l’obiet
de sa haine mortelle, & le dissipateur de ses Finances ;
Ceux dis-ie, qui apparamment prennent tant de part au
bien de l’Estat, seront-ils si aueuglez de souffrir à leur
barbe vn si dangereux Ministre, qui ne laisse rien dans
les Coffres du Roy, & qui prend tout pour remplir les
siens.

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Il n’y a personne qui ne doiue sçauoir, que le Cardinal
n’a obligé le Roy d’auoir visée sur Portolongone, que
pour luy seruir de passage, afin de faire passer plus aisement
les Conuoys de l’Argent que d’Estrades à conduit
en Italie, soubs pretexte de l’enuoyer pour la subsistance
de cette place, dans laquelle il auoit des sommes immenses
lors que les Espagnols l’ont assiegée, qui neanmoins
n’a iamais esté reduitte à vne telle extremité qu’on ait
creu, quelle pouuoit estre prise, n’ayant pas neanmoins
resté, pour plus grande asseurance, d’y faire entrer vn
secours, qui la rendoit absolument imprenable : Mais
Monsieur Mazarin y ayant ses Thresors a tant apprehendé
de les perdre, qu’il l’a donnée volontiers pour auoir permission
d’en sortir son butin, bien que tout le monde
sçait qu’on n’y manquoit de rien, qu’on n’y auoit point
fait de breche, ny forcé pas vn de-hors ; Chose si constante,
que le Gouuerneur qui en est sorti à dit hautement
arriuant à Thoulon, qu’il n’en est forty que par ordre
du Cardinal, & que si cella auoit despendu de sa volonté,
il n’en seroit iamais sorti, sans y faire perir deux
fois plus de monde qu’il n’y en auoit deuant. Cet Argent
a esté porté à Rome pour achepter vn Chapeau
de Cardinal au beau frere de Mazarin.

Comme le Cardinal est si acharné à la cruauté, qu’il
ne peut viure sans guerre, aussi ne pert-il pas d’occasion
propre, pour immortalizer les desordres dans le Royaume,
qui n’a pas si tost oüy parler de Paix en Guyenne,
que par ses inuentions ordinaires il a fait naistre des troubles
en Prouence, pour desposseder Monsieur le Comte
d’Alaix de son Gouuernement & le donner à son nepueu,
afin d’auoir presentement (qu’il n’a plus de Portolongone)
toute la coste de Prouence libre, quand il voudra faire sortir
du Royaume l’Argent, qu’il pretend encore y griueler
n’ayant dessein d’arrester en France, que tant qu’il y

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aura les mains libres pour y exercer ses rapines & ses brigandages.

 

Vn tesmoignage euident du peu d’affection qu’il à pour
la France, se prend de ce qu’il n’y à iamais voulu faire nul
establissement, ny achepter vn pouce de bien, quoy
qu’il y ait voulu auoir des Benefices pour luy, & des meilleures
charge de la Couronne pour son nepueu, estant assez
apparent que ce n’estoit que pour mieux remplir ses
coffres, lesquels il n’a iamais crus assurés en France, pour-ce
que ce n’a iamais esté le lieu, qu’il à choisi pour son
domicille, mais bien pour celuy de sa Fortune, n’ayant
iamais fait samblant d’y chercher des alliances, qu’a dessein
d’y mieux authoriser ses mauuaises entreprises, ou
pour perdre par ce beau semblant ceux, à qui il d’estinoit
ses niepces, les attirant par la à l’execution de ses pernicieux
desseins comme il en vient de faire à Monsieur de
Cãdale, qui a esté sous ce beau pretexte depossedé de son
Gouuernement, & faisant semblant d’aymer Monsieur
d’Espernon, s’en est serui d’instrument pour exercer les
effaits de sa vengeance sur les Bourdelois, & pour s’estre
rendu trop complaisant à ses volontés il là perdu par des
semblables fourberies, que celles, dont il s’est seruy,
pour rendre odieux Monsieur le Prince aux Parisiens,
affin de mieux executer la trahison qu’il auoit proietée
contre luy, c’est ainsi qu’il traite ceux à qui il est le plus
obligé.

Ceux qui ne sçauent pas l’artifice, dont le Cardinal
Mazarin s’est serui, pour rompre la Paix que l’Archiduc
demandoit à son Altesse Royalle, ont tousiours creu que
la conclusion n’en à esté empeschée, que pour ce que les
Espagnols ne l’ont point souhaittée, quoyqu’ils fissent
samblant de la demander : Mais quand ils sçauront qu’il
n’y à point eu d’autre obstacle que celuy que Mazarin y a
fait naistre, pourront ils encore souffrir vne telle meschanceté ?

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qui voyant Monsieur le Duc d’Orleans dans
le dessein de terminer bien tost la guerre, à d abord enuoyé
vn courrier Secret à ses Agents qu’il à laissez dans
Paris, par lequel il leur ordonne de tenir en longueur cette
resolution iusques à ce que les affaires de Bourdeaux
luy permettent de s’en venir, pour y faire n’aistre d’autres
difficultez, & que pour colorer leur dessein, il falloit
dans le Conseil de S. A. R. mettre l’Authorité du
Roy, eu auant pour la conseruation de laquelle, disoit-il,
on entretiendroit l’Archiduc en luy enuoyant message
sur message.

 

Cette longueur à si bien reücy à Mazarin qu’on ne
s’en apperçoit presque pas, mais pour d’estromper tout
le monde, il est necessaire de sçauoir que l’on faisoit encore
naistre vne autre difficulté sur ce que l’Archiduc ne
vouloit point traiter auec le Cardinal, disant que l’Archiduc
vouloit choisir des persõnes desquelles il eut peu
receuoir des gratifications, mais toute la France estant
tesmoing qu’on n’en pouuoit choisir vne moins suspecte
que Monsieur le Duc d’Orleans, ny plus interressée dans
le seruice du Roy, il est aisé à cognoistre que toutes ces
inuentions ne tendoit qu’a rompre le train d’vn ouurage
qu’on eut facilement peû acheuer sans le Cardinal qui à
fait cognoistre à toute l’Europe sa mauuaise foy. Et principallement
aux Espagnols, qui s’apperceuans de son
dessein, ont tout quitté, pour aller trauailler pour le
seruice de leur maistre.

S’il y a des personnes, à qui il reste encore quelque sentiment
d’honneur, qui se sont laissées surprendre par le
faux brillant de la Fortune du Mazarin, tout le monde
espere d’eux, que la suitte du temps leur fera connoistre
la honte, qu’il y a, de s’estre lâchement desuoüez au seruice
d’vn tel personnage, qui n’a point d’attachement à
la qualité, ny au merite des hommes, mais seulement

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au seruice qu’il en peut retirer, d’où ceux qui se sont veus
si bien dans l’esprit du Peuple peuuent connoistre la differance
qu’il y a d’estre Mazarins à estre Protecteurs des
Pauures, puis que si cette premiere qualité semble estre
aussi maudite de Dieu, qu’elle l’est des hõmes ; la derniere
n’est pas moins agreable dans le Ciel, qu’elle est suiuie de
benediction dans la terre ! Consideration assez forte pour
destacher les plus barbares du monde de cette tyrannie
Estrangere, pour s’vnir indissolublement au soulagement
du Peuple, duquel s’ils ont vn peu perdu le souuenir,
on espere que reuenant sur leur pas, & donnant ce
premier lustre au credit qu’ils s’estoient acquis sur le peuple,
ils se remettront dans la memoire les prieres que tout
le monde faisoit à Dieu pour leur conseruation, quand
on les voyoient ennemis de Mazarin, combattre pour la
liberté publique, & pour l’expulsion du Tyran de Sicile.

 

Si le Peuple peut estre encore assez heureux, pour voir
ces grands Frondeurs animez contre l’Ennemy commun,
iamais leur reputation n’aura esté si bien establie, qu’elle
le peut estre par cette action ; qu’ils nous fassent donc
voir, qu’ils n’ont couuert leur feu, que pour le mieux
conseruer, l’ardeur duquel peut encore ralumer cét
amour, que les peuples auoient pour eux, qui n’a esté
esteint, que par les larmes, qu’ils ont versé, les voyant
attachez aux interests d’vn homme, qui leur sera toûjours
en horreur.

Il n’est pas croyable, que les François soient si despourueus
de iugement, de recognoistre le Cardinal pour Mynistre,
apres que les Bourdelois ne l’ont point voulu approuuer
pour tel, la fonction de cette charge luy ayant
esté par eux honteusement interditte autant de fois, qu’il
à esté qu’estion de parler de leurs affaires, le contraignant
mesme de sortir de la Chambre du Roy, lors que les

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Deputez y entroient, pour leur ceder la place, qu’ils
ont iugé qu’il ne pouuoit occuper qu’à la confusion de
tout le Royaume.

 

Aprés qu’on à veule Cardinal estre traité si ignominieusement,
sera on bien si lasche dans Paris, que de se soubsmettre
encore aux ordres d’vn homme, qui vient d’estre
la risée d’vne populace bien inferieure en nombre à celle
du plus petit Faux-bourg de cette ville ? Les Princes,
Ducs & Pairs, Mareschaux de France, & autres Officiers
de la Couronne le recognoistront ils apres que le Parlement
de Bourdeaux l’a tant mesprisé ? Celuy de Paris, ne
le mesprisera il pas, puis que le Presidial de Bourdeaux ne
l’a daigné regarder, enfin les Protecteurs du peuple Messieurs
de Beaufort & Coadiuteur pourront-ils voir encore
la sansuë du sang des pauures sans auoir de l’aduersion
pour ce mesme Tyran, qui tasche de les destacher
par presens, par caresses, & par charges des interests du public,
pour les attacher vn iour au ioug d’vne captiuité
perpetuelle, quand il verra l’occasion propre à l’execution
d’vne telle entreprise ? Non, non, ces Messieurs se
doiuent faire valoir dans cette ferme resolution, puis que
tout le monde le souhaite tant qu’vn chacun s’attend luy
voir porter vn tel coup de Fronde, qu’il n en releuera iamais.

C’est cette Fronde dis-ie, qui doit releuer la Royauté
abbatuë par la faction des Mazarins, qui l’ont reduitte à
vne telle extremité, qu’il est impossible de reparer vn si
grand mal, que par l’vnion fraternelle des suiets du Roy,
qui doit premierement estre cymatée sur celle de tous les
Princes, dont la pierre fondamentalle se trouuera dans la
liberté des prisonniers ioints auec les Frondeurs, pour destruire
la source venimeuse de tous les troubles qui sont en
France, d’où prouiendra le meilleur seruice qu’on puisse
iamais rendre au Roy, puis que de cette intelligence despend

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absolument le salut de son Estat, le soulagement du
peuple, & la tranquilité de toute la Chrestienté.

 

Si quelque critique veut opposer, que le Cardinal n’a
trahy son Bien-facteur, que pour le bien de l’Estat, sans
auoir esgard à sa propre conscience, on luy respond qu’il
se ressouuienne de la perte de Stainé, du desordre de Belle-garde,
de la prise du Catelet, de la reddition de la Capelle,
du rauage de Bourgogne, du saccagement de
Champagne, de la ruine de la Picardie, des troubles
de Normandie, & enfin de ceux de Guyenne, tout cela
n’ayant esté que les simples aduertissemens que Messieurs
les Princes estoient en prison ; C’est pourquoy
ne leur donnant pas bien-tost liberté, (de laquelle
despend la perte du Cardinal, le repos de la France,
& la gloire de l’Estat) il est à craindre que tous
ces desordres venans à esclore ce Printemps auec plus de
force qu’ils n’ont fait cy-deuant, ils produiront des effets
bien plus dangereux, que ceux, dont la France a esté continuellement
affligée de toutes parts depuis dix mois,
qui, quoy que bien au dessous de ceux qui nous menassent
encore, n’ont pas resté de reduire la puissance Royale
à ne sçauoir y porter du remede, & le Peuple à ne sçauoir
quel party tenir, tant le throsne a esté en balance
par le contre-poix de la tyrannie Estrangere, & celuy
de la Iustice, qu’il y a de retirer la France du precipice
dans lequel le Mazarin l’a abismée par sa mauuaise conduite,
ses desseins n’ayant d’autre objet que celuy de sa
conseruation parmy les troubles qui rendront, selon ses
pernicieuses maximes, son administration necessaire, &
nostre perte infaillible.

FIN.

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Anonyme [1650 [?]], LE REVEILLE-MATIN DE LA FRONDE ROYALLE, SVR LA HONTEVSE PAIX de Bourdeaux. , françaisRéférence RIM : M0_3537. Cote locale : B_19_23.