Anonyme [1649], LE PACIFIQVE OV L’ENTRETIEN D’ARISTE AVEC LVCILE, SVR L’ESTAT DES AFFAIRES presentes. Eccles. 4. Il y aura vn conseil de Paix entre l’vn & l’autre party. , français, latinRéférence RIM : M0_2641. Cote locale : A_7_1.
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Si cette rage, mon cher Lucile, est odieuse au Dieu de Paix,
elle ne sçauroit plaire aux ames iustes. Luy mesme se reposa si
tost qu’il eut fait l’homme : & bien que la condition de celuy-cy
soit malheureuse dans la guerre continuelle que se font
l’esprit & la chair ; toutesfois ces deux ennemis ne laissent
pas de se tenir embrassez, & de se baiser sans cesse l’vn l’autre.

Peut estre que tout ce qui est d’honnestes gens dedans &
dehors cette Ville affligée, ne trouuera pas étrange, que dans
la conioncture des affaires presentes, où chacun s’emporte selon
sa passion, ie ne resiste pas assez fortement à la tentation
dont tu me presse, Lucile, depuis si longtemps, pour te dire
mes sentimens contre les mouuemẽs aueugles, de cette multitude
d’esprits, qui s’échauffent en toute rencontre, à persuader
la continuation du malheur de nos troubles, & qui ne cessent
de ietter malicieusement de nouuelles semences de diuisions.
Et tu as bien raison de me dire, qu’il n’y a rien à craindre
pour moy, puis que ie n’ay aucun dessein de nuire, ny d’offenser
personne, & que tu me connois si éloigné de l’humeur
de ceux qui ne peuuent écrire, ny parler sans qu’ils déchirent.

Il n’y a rien de si facile, que de noircir la reputation d’autruy ;
Où l’on suit, ou l’on croit bien plustost le mal que le bien,
& chacun pense s’éleuer à mesure qu’il croit abbaisser ceux
qu’il attaque. Mais la plus insupportable médisance, est infailliblement,
celle qui sort de ces ames laches, qui sçauent le
contraire de ce que leurs plumes écriuẽt ; ou du moins qui passent
bien loin de la verité dans le mensonge. Quelque plaisir
qu’elles y trouuent, il y a neantmoins de la contrainte & de la
violence pour elles ; & certainement cette conduite me semble
bien rude, tres peu genereuse & fort contraire à la vertu.
Ce n’est point par les inuectiues, mais par la raison, ou par le
fer que se doit terminer cette affaire.

Tant d’iniures & tant de malheureuses productions qui font
gemir toutes les presses, & qui passent auiourd’huy sous les
yeux de tout le monde, à quoy peuuent elles seruir, qu’à nous
faire moquer de nos propres malheurs, ou bien de l’incapacité
& de la folie de leurs Autheurs ?



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