Anonyme [1649], LE PACIFIQVE OV L’ENTRETIEN D’ARISTE AVEC LVCILE, SVR L’ESTAT DES AFFAIRES presentes. Eccles. 4. Il y aura vn conseil de Paix entre l’vn & l’autre party. , français, latinRéférence RIM : M0_2641. Cote locale : A_7_1.
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tellement la veuë, que ne voyant point la misere ny la calamité
des pauures, les cruels qu’ils sont, n’en ont aucune compassion.
Que l’ambition & la malice ont cruellement refusé de guerir
nos playes auec les douceurs d’vne Paix tant desirée, & partant
de millions d’ames : qu’ainsi l’on peut dire, que la prudence
qui gouuerne aujourd’huy, n’est pas cette prudence de l’esprit,
laquelle renferme en soy, la Vie & la Paix, selon l’Apostre,
mais la prudence de la chair. Que les hommes ne doiuent
point estre conduis comme des bestes ; que des brigands s’estant
enrichis de nos dépoüilles, les mains des Citoyens demeurent
vuides aussi bien que celles des pauures, & qu’il ne
leur reste plus que les larmes & les prieres. Tu me disois encor,
cher Lucile, que ce desordre & ce brigandage sont d’autant
plus cruels, qu’on les laisse commettre impunément contre
l’inclination naturelle de l’homme, auec laquelle on le voit
naistre sociable, & enclin à faire du bien, qui est presque la
seule chose, par laquelle il est en quelque façon semblable à
Dieu. Que la Nature oblige tous les hommes à leur conseruation
& à leur defense, en toutes sortes de rencontres, lors qu’il
s’agit de la vie ; que cela se pratique parmy les Nations les plus
polies, comme parmy les plus barbares, & qu’enfin il n’y a
point de raison de s’estonner, si l’extreme misere de la pauureté
est cause de l’impuissance, & si de l’impuissance procedent les
dangers & les effets de la violence.

 

Mais, Lucile, pour ne respondre point icy en particulier à
tous ces poincts, ausquels ie dois tascher de satisfaire en general,
au moins en quelque façon, & qui sont, ou les plaintes
communes d’auiourd’huy, ou des traits de ta politique.

Quand tout cela seroit veritable (& il ne l’est que trop) ie
demande aux plus moderez, & à toy-mesme, si ce grand corps
est en estat de souffrir tout à coup vn changement general ? Si
le malade qui commande & qui veut estre obeï dans ses plus
dangereux accez, ne rend pas cruel le Medecin qui le traitte ?
Si la multitude ne domine pas tousiours auec orgueil, lors
qu’elle n’est point conduite dans la soumission & dans l’obeissance ?
Ne faut-il pas auoüer, que laissant à part les habiles meschans,
qui causent ou qui fomentent les desordres, le peuple



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