à deux, ou à trois visages : Il portoit bien les interests
du Prince de Condé ; mais la force luy manquoit
pour les soustenir : quelque iniustice qu’il vit en son
emprisonnement, il n’en dist mot, iusqu’à ce que sa
lacheté luy fit voir, que la tyrannie n’estoit pas assez absoluë
pour luy fermer la bouche : Il parla, mais c’est
qu’il ne pouuoit plus se taire : Il se declara, lors qu’il
vit que mesme, ceux qui estoient moins que luy s’estoient
declarez : Il fit l’empressé, pour l’eslargissement
des Princes, lors qu’il reconnut que la tyrannie n’étoit
plus en estat de le pouuoir plus refuser. Lors que le
torrent des voix l’emportoit, il parloit hautement faisant
le fier pour la defence des Princes ; lors que les autres
se taisoient, il se tenoit dans le silence, n’osant parler,
à moins qu’il ny fut inuité par l’exemple de quelqu’vn,
qui fut plus hardy que luy. Faisons quelque
reflection sur cette conduitte.

C’est estre Politique, dira quelqu’vn, que de se comporter
de la sorte : ie l’aduoüe, mais c’est estre Politique
interessé, ou pour parler franchement, c’est n’agir
que par le motif de ses interests particuliers ; & par mesme
raison, ce n’est point estre homme d’Estat.

Vn veritable Politique, c’est à dire vn parfait homme
d’Estat, ne doit iamais agir par complaisance : La
complaisance n’est que la vertu, ou pour parler plus
nettement, la sotize des Courtisans ; mais c’est la folie
des hommes d’Estat : Agir par ce principe, c’est auoir
l’ame basse : L’ame basse & le veritable Politique sont
incompatibles : Vn Courtisan voit le mal, & il le flate,
pour le rengreger : Vn homme d’Estat voit le mal ; & il
y applique le fer & le feu pour le guerir : L’homme d’Estat
ne parle pas comme on veut, mais comme il faut :
il ne considere pas ce qui plaist, mais ce qui conuient :
Le bien public est sa regle : Et pour bien agir il ne regarde
pas si les autres sont de concert auec luy : mais s’il
est iuste qu’il choque ceux qui ne sont pas de son aduis.