Laffemas, abbé Laurent de [?] [1649], L’ENFER BVRLESQVE, OV LE SIXIESME DE L’ENEIDE TRAVESTIE, ET DEDIÉE A MADAMOISELLE DE CHEVREVSE. Le tout accommodé à l’Histoire du Temps. , françaisRéférence RIM : M0_1216. Cote locale : C_4_3.
page précédent(e)

page suivant(e)

-- 23 --


Est entouré du lac d’Auoine,
C’est vne profonde cauerne,
Mise à couuert par des forests,
Que Pluton fit planter auprés.
De sa gueulle large & vilaine
Elle engloutiroit la balaine :
Elle a ses costes de fin roc,
Et peut dire cela m’est hoc,
Dans l’instãt que quelque hyrõdelle,
Ou qu’vn oiseau vole sur elle :
Iamais vn moineau seulement,
Ny sceut passer impunement,
Tant iette odeur de reculée
Sa gueulle demantibulée.
En ces quartiers il fait beau voir
Quatre grands taureaux à poil noir,
A qui le Prestre auec hommage,
Verse du vin sur le visage,
Qu’ils ont salle & plein de bourbier,
Ce Prestre, assez mauuais barbier,
Leur ayant fait vne garcette,
Le petit bout du poil il iette
A la mercy des sacrées feux,
Et se met à meugler comme eux,
D vn ton de voix peu delicate,
Inuoquant la puissante Hecate,
A qui pourtant il ne parla,
Bien qu’il soit vray qu’il l’appella.
Son apprentif prés de la gorge,
De la victime qu il égorge,
Ainsi que s il auoit dessein
De la raser, tend vn bassin
Sous cette victime saignée.
Mais garre, le vaillant Enée,
Tire sa serpe le premier,
Ie pense que ce grand guerrier
Desire auoir part à la gloire,
De tuer vne brebis noire ;
Il court apres, il la poursuit,
Enfin il l’immole à la nuit,
Et la partage en vne escuelle,
Pour sa sœur la terre & pour elle.
L’esprit de la femme à Pluton,
Qui ne doit pas estre trop bon,
Fait qu’il la veut rendre propice,
Par le trespas d’vne genisse.
Or le soir desia venu,
Le Roy des Diables n’a rien eu :
Ou met ordre pour des grillades,
Des saupiquets, des estouffades,
N’ayant plus les pauures mondains,
Rien de reste que les boudins,
Que pourroit-on faire autre chose ?
On les fait cuire, on les arrose,
Mais voicy bien vn autre jeu.
Enée estoit aupres du feu,
A la mesme heure que fit Gille
Sa Majesté de nostre ville ;
La terre commence à mouuoir,
D’abord le Troyen crût auoir
Vapeur vineuse en sa caboche,
Il luy semble que chacun cloche,
Luy mesme de luy mesme rit,
Et sans qu’il vit branler son lit,
Comme vn de ses gens se répandre,
Il ne le pourroit pas comprendre ;
Ce valet tombe de son haut,
Ou ie suis yure, ou ce maraut,
S’écria ce grand Capitaine,
Ou bien le monde se promeine
En effet il n’estoit point fou,
Il n auoit beu ny peu ny prou,
Et la terre sans railleries
Estoit pour lors aux Tuilleries,
Il entend aboyer des chiens,
Mais d’vn autre ton que les siens,
Qui gardent ses maisons champestres,
Mon Heros trousseroit ses guestres,
Tant il eut pour deux ou trois fois,
N’estoit qu’il connoist à la voix,
Que c’est la [illisible] Cumée,
Qui ne parut point enthumée,
Ains crioit à s égosiller,
Ne veulent ils pas s’en aller
Tous ces Mazarins, ces prophanes,
Ces petits maistres, ces grands asnes ?
Sortez dis je, & n’approchez pas,
Les bois seulement de cent pas ;
Pour vous aduancez sieur Enée,
Tenant flamberge degainée,
C’est à present que nous verrons,
Si vous estes de ces poltrons,

page précédent(e)

page suivant(e)