Brousse, Jacques [?] [1649], LETTRE D’VN RELIGIEVX, ENVOYÉE A MONSEIGNEVR LE PRINCE DE CONDE, à S. Germain en Laye. Contenant la verité de la vie & mœurs du Cardinal Mazarin. Auec exhortation audit Seigneur Prince d’abandonner son party. , françaisRéférence RIM : M0_1895. Cote locale : C_3_76.
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LETTRE D’VN RELIGIEVX ENVOYÉE
à Monseigneur le Prince de Condé à S. Germain en Laye.

MONSEIGNEVR, Les faueurs, & les insignes bienfaits
par lesquels vous vous estes acquis les cœurs, les affections & les
vœux de tous ceux de nostre Ordre, en quelque endroit qu’ils soient
dans toutes les parties du monde, obligent à present, par vn malheur
inopiné, l’vn de ses moindres Religieux de mettre la main à la plume
pour vous parler sur du papier, ne luy estant pas permis de le faire de
bouche, comme il auoit cy-deuant accoustumé, lors qu’il auoit l’honneur de trouuer
l’accez libre auprés de vostre personne. Et ie prens cette liberté d’autant plus hardiment,
que c’est en vn sujet où il y va de l’interest de vostre gloire, & de cette grande
estime que vous vous estes acquise par vostre generosité incomparable, pour la conseruatiõ
de laquelle nous voudrions sacrifier tout ce qu’il y a de bien, de credit, & de pouuoir
dans toute nostre Congregation. Car, Monseigneur, personne n’ignore que vous
estes de trop illustre naissance, trop bon François, trop seruiteur du Roy, trop vigoureuse
branche de la Tige de Bourbon trop sage dans vostre conduite, & trop genereux
dans vos actions, pour soustenir le party, où il semble d’abord que vous vous engagiez.
Tout Paris a de la peine de croire, (& sans doute toute la France, mais toute l’Europe
sera dans ce mesme sentiment) que vous veuillez fauoriser de vostre protection, contre
le bien du Roy & de l’Estat, vne personne que tout le monde sçait estre le Perturbateur
du repos public, l’Ennemy, le Destructeur, la peste & la ruine de toute la France :
Et chacun demeure d’accord, qu’il faut qu’il se soit seruy de quelque puissante magie
pour vous charmer les oreilles & siller les yeux, afin de vous empescher de voir l’excez
de ses voleries, & d’entendre les plaintes de la misere publique ; qui sont montées
iusques au Ciel, & ont attiré la misericorde de Dieu sur eux, & prouoqué sa Iustice à
en faire la punition sur l’Autheur de tant de maux. C’est dans cette deplorable conioncture
que nous sommes contrains de reconnoistre, que tout ce que nous auons
enseigné iusques à present auec tant de contention & d’opiniastreté, est notoirement
faux ; & d’auoüer que la grace de Dieu est necessaire à toutes les actions des hommes
pour estre bonnes ; qu’il ne la doit à personne, & ne la donne qu’a ceux qu’il luy
plaist ; & que la refusant aux meschans il les abandonne dans la licence de leur vie, les
aueugle dans leur conduite, & les laisse dans l’endurcissement pour y finir malheureusement,
qui est le seau & le dernier caractere de la reprobation. Car quel autre iugement
peut on faire du Cardinal Mazarin, apres tant de desordres causez, fomentez, &
entretenus dans toute l’Eupore, par ses brigues & par ses fourberies ? Apres auoir souleué
les sujets contre leurs Princes, & fait assassiner vn million d’ames dans la rage &
la furie des rebellions ? Apres la persecution de plusieurs personnes de toutes conditions ?
Apres le violement de toute Iustice tant diuine qu’humaine ? Apres le vol de
toutes les Finances ? Apres auoir succé le sang du peuple iusques dans les moüelles ?
S’estre porté dans cet excez de hardiesse & d’insolence que d’entreprendre sur la personne
du Roy ? le faire comme son prisonnier ? l’enleuer en pleine nuict, sans considerer
le peril de sa vie dans la tendresse de son âge ? le tirer de son Palais & du centre de la
seureté de sa personne, pour le conduire où bon luy semblera, dans la creance qu’il a
que Monsieur le Prince luy seruira de Bouclier, ou plustost de Preuost, d’Archer, de



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