Brousse, Jacques [?] [1649], LETTRE D’VN RELIGIEVX, ENVOYÉE A MONSEIGNEVR LE PRINCE DE CONDE, à S. Germain en Laye. Contenant la verité de la vie & mœurs du Cardinal Mazarin. Auec exhortation audit Seigneur Prince d’abandonner son party. , françaisRéférence RIM : M0_1895. Cote locale : C_3_76.
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petites harangeres de Rome, les fait esleuer dans la maison du Roy auec train de Princesses
du sang, & sous la conduite de celle qui a eu l’honneur d’estre Gouuernante du
Roy. S’il a trouué vn nouueau genre de supplice pour tirer le sang du peuple, sçauoir
les Partisans & les Fusilliers, des demons desguisez sous des apparences humaines. S’il
a donné la grace à vne troupe de filous & de coupeurs de bources pour s’en faire vne
compagnie d’assassins, marchant par Paris en forme de bataillon autour de son carrosse,
comme s’ils conduisoient vn Empereur dans vn Char de Triomphe. Si la Noblesse
en foule se presse à sa porte pour entrer, & attend les mois entiers pour receuoir
seulement vne œillade de son Eminence. S’il a fait donner des Gardes à Madamoiselle,
& l’a tenuë long temps captiue dans son logement des Tuilleries. S’il a fait faire affront
au Pape sous le nom du Roy, afin d’empescher la restitution des vols que les Barbarins
ont fait au tresor de sainct Pierre. S’il a traitté auec tant d’indignité & si souuent le
Parlement de Paris, le plus auguste Senat de l’Vniuers. S’il luy a fait non seulement
casser, mais deschirer ses Arrests ; Et si au milieu des triomphes du Roy sous vostre
conduite, il a fait enleuer les plus zelez des Magistrats, afin de ternir l’esclat de vostre
gloire par cette action tyrannique, & changer les acclamations publiques en des larmes
vniuerselles. Si par vn attentat contre l’Eglise & sans exemple dans le passé, il a
fait emprisonner vn sçauant Docteur de Sorbonne & celebre Predicateur, parce qu’il
auoit parlé trop auantageusement de l’authorité du Roy, fait prier Dieu pour sa Majesté
& pour les necessitez de l’Estat. S’il fait obseruer Monseigneur le Duc d’Orleans,
& le tient comme captif, de crainte qu’il a qu’il ne se vienne mettre à la teste des Princes
vnis pour la conseruation du Roy & la liberté de sa personne sacrée d’entre les mains de
ce Tyran. Toutes ces choses & beaucoup d’autres que ie passe sous silence, & que
nous tiendrions pour fabuleuses si nous ne les voyons, à nostre grand regret, ne causeront
point d’estonnement dans l’esprit des Royaumes estrangers, ny des generations
futures. On les croira facilement apres auoir appris qu’vn Sicilien, Moine, Mendiant,
Iacobin, a esté fait Viceroy en Catalogne à la place du Mareschal de la Motte, du
Comte d’Harcourt, & du Prince de Condé, les Hercules de nostre Siecle, parce qu’il
estoit Frere Mazarin : Et qu’on l’a veu depuis pompeux & magnifique dans Paris, dans
vn luxe digne de sa nation, mettre la main sur le sein des plus belles Dames de la Cour,
se persuadant que les Françoises n’estoient pas plus chastes que les Italiennes. Apres
cela, qui peut douter que son dessein pour Naples fust autre que de s’en faire Roy, apres
l’auoir conquis auecl sang des Princes : François : Qui peut douter qu’il n’eust resolu
d’establir en France vne Monarchie plus barbare & plus dure que celle des Ottomans ?
& apres auoir mis les Princes & les Grands de l’Estat comme en captiuité & à la chaisne,
disposer de la vie & des facultez de tous les Peuples, selon ses humeurs capricieuses,
& le mouuement irregulier de son imagination ou pour mieux dire de sa fureur ?

 

En suitte de ces excez il n’est point necessaire de parler de l’abondance prodigieuse
de ses richesses, par ses larcins & ses voleries sur les Finances, ny des artifices barbares
qu’il a inuentez pour les amasser. Il est superflu de dire les millions qu’il a rauis sous la
couuerture des Comptans dont il a remply les bourses d’Amsterdam, les banques de
Venise, & les Monts de Pieté de Rome, tant sous son nom que sous celuy de ses confidents.
Depuis trois ans on ne sçait plus en France s’il y a eu autrefois des pistoles d’Italie ;
Celles d’Espagne ne sont pas moins rares que les roses en Hyuer ; Et l’on aura de
la peine à croire, encore qu’il ne soit que trop vray, par la deposition des tesmoins oculaires,
que les nouueaux Louis d’or ont esté fondus & mis en lingots, pour estre transportez
en Italie auec plus de facilité & moins de soupçon, dans des ballots de meubles
& de marchandises.

Voila, Monseigneur, vne partie de la vie, de la conduite, & de l’esprit du Cardinal



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