Brousse, Jacques [?] [1649], LETTRE D’VN RELIGIEVX, ENVOYÉE A MONSEIGNEVR LE PRINCE DE CONDE, à S. Germain en Laye. Contenant la verité de la vie & mœurs du Cardinal Mazarin. Auec exhortation audit Seigneur Prince d’abandonner son party. , françaisRéférence RIM : M0_1895. Cote locale : C_3_76.
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l’endroit des vns, qui doute qu’il eust manqué d’en faire autant à l’endroit de vostre
personne, lors que l’occasion s’en seroit presentée, & que vostre espée luy auroit esté
moins necessaire qu’elle n’a pas esté iusqu’à maintenant. Aussi combien de fois vous
a t’il exposé à dessein de vous perdre ? Combien de fois vous a t’il engagé dans les
combats en Flandres & en Catalogne, auec des forces extremement inegales à celles
des Ennemis, d’où vous n’estes sorty victorieux que par vne espece de miracle ; Dieu
fauorisant vos intentions pour le bien de la France contre celles de cét orgueilleux, qui
eust voulu vous auoir perdu auec la perte de dix Batailles & de trente Villes, afin de
s’oster le seul obstacle qu’il voyoit en vostre personne, pour venir au but de ses pernicieux
desseins ?

 

N’est ce pas dans ce mesme esprit qu’il a tant fait depenser d’argent & perdre d’hommes
dans les guerres d’Italie ? Quel dessein a t’il eu pour Orbitello, Portolongone, &
Piombino, sinon d’auoir des Places pour l’establissement d’vne Principauté, ayant
assez de Finances pour la rendre la plus riche d’Italie ? Quel motif l’a porté à la rebellion
de Naples, & d’y engager Monsieur de Guise, sinon celuy d’y establir quelqu’vn
des siens pour y regner, apres que ce Prince y auroit employé auec ses trauaux, son
sang, & peut-estre sa vie, pour tirer ces peuples de la domination de leur Souuerain legitime ?

Et afin que vous n’estimiez pas que i’entre trop auant dans ses intentions ; que ie
fasse le Prophete, ou entreprenne sur l’office de Dieu, à qui seul il appartient de penetrer
le cœur des hommes : iugez, s’il vous plaist, de ses desseins pour Naples, par ce
qu’il a pratiqué en Catalogne. Ie rougis de honte quand i’y pense, la main me tremble
quand ie l’escris ; & ie voudrois pour l’honneur de la France & de ses Princes, le
pouuoir effacer auec mon sang de la memoire des hommes, & des Histoires estrangeres,
auec la mesme facilité que ie ferois auec de l’ancre sur ce papier. Car qui le croira
iamais ? qui ne l’estimera au de là des Romans & des Fables ? Que la France, cette
Nation belliqueuse, ces Peuples nais pour commander & non pour obeïr, au mesme
temps qu’ils passoient sur le ventre à leurs ennemis, & portoient la terreur & l’effroy
par la generosité de leurs armes dans tous les Royaumes voisins : Que ces François,
dy ie, & dans cette glorieuse conioncture, se soyent trouuez tellement dépourueus
non seulement de Princes, mais de simples Soldats ou hommes de conduite, qu’ils
ayent esté necessitez d’aller en Italie chercher vn Moine. Mendiant, Iacobin de profession,
luy faire quitter son froc & sa besace pour en faire vn Viceroy en Catalogne ?
Qui le croira d’icy à cent ans, quand mesme vous seriez encore viuant pour l’asseurer
en foy de Prince ? C’est vne tache sur le front de la France, qu’elle n’effacera iamais, que
par l’impossibilité que les generations futures auront d’y adiouster foy, comme à vne verité
plus fabuleuse qu’aparente. Dés là il ne faut plus s’estõner s’il tranche du souuerain.
S’il ne parle que de son ministere. S’il s’est ioüe de Monseigneur le Duc de Longueuille
durant sa negociation de Munster, par les intrigues secrettes de son fidele Seruient.
Si Monseigneur le Duc d’Orleans n’a pas l’authorité de donner passeport à vn Valet
de pied pour venir à Paris & qu’il faille l’auoir signé de Mazarin. Si dans le plus
grand bruit de ces tonnerres qu’il a excitez pour ruiner l’Estat, il emprisonne les principaux
Officiers & les Gardes de l’Oncle du Roy & Lieutenant general de la Regence,
par la perfidie & la trahison d’vn coquin, qui suiuant l’allusion de son nom n’est
bon que pour la riuiere. S’il oste les Gouuernements aux Princes & casse les Capitaines
des Gardes, pour y mettre ou des Italiens ou des personnes de sa caballe. Si la
Cuisine du Roy ayant manqué, la sienne dans le mesme Palais fumoit auec plus de
de lices que celle d’aucun Prince de la terre. S’il a remply la Cour & Paris d’Italiens
qui gourmandent insolemment & les Bourgeois & les Courtisans. S’il a fait venir de



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