Bourbon-Condé, Anne Geneviève de (duchesse de Longueville) [?] [1650 [?]], APOLOGIE POVR MESSIEVRS LES PRINCES, ENVOYEE PAR MADAME DE LONGVEVILLE A MESSIEVRS DV PARLEMENT DE PARIS. , françaisRéférence RIM : M0_126. Cote locale : B_6_48.
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Le Cardinal Mazarin ne se rebutte point pour ces grandes
difficultez, se laissant traisner aueuglément au torrent de sa passion ; il insiste
à vouloir trouuer des auantages pour S. A. R. capables de le satisfaire
de son costé, & se charge de luy faire continuer sa fonction de Lieutenant
general de l’Estat, encore apres la Majorité du Roy. Prenez garde
MESSIEVRS, comme cét homme songe desia à empieter l’authorité
sur le Roy Majeur ; & considerez les desseins qu’il fait pour la continuation
de sa tyrannie. Alors Monsieur le Prince rejette entierement cét affaire,
& le Mariage se rompt. C’est là le fait, de la preuue duquel ie me remets
à Monsieur le Duc de Rohan, trop honneste homme pour nous refuser
de vous en éclaircir si vous en doutez. Estant vray qu’on ne peut assez
loüer en cette occasion la retenuë de Monsieur le Prince, d’auoir rebutté
la fortune lors qu’elle le venoit trouuer : & refuser vn honneur qu’il pouuoit
prendre sans peine, & seulement parce que s’il l’eust accepté sans le
sceu de Monsieur le Duc d’Orleans, cela auroit pû causer quelque alteration
dont l’Estat auroit pasty : ou bien que si l’on l’eust voulu satisfaire, cela
seroit allé à la domination de l’authorité Royale, ce que ce Prince n’eust
sans doute pas accepté, & que Monsieur mon frere n’auroit iamais pû
souffrir. Quant au droit, nul n’auroit pû trouuer à redire, que le premier
Prince du Sang eust porté vne Espée, que de simples Gentilshommes ont
si souuent meritée, & que sortant des mains des Connestables de Lesdiguieres
& de Luynes, elle fut venuë entre celles du Prince de Condé.
Tout le monde luy eust fait la justice, d’auoüer que ses seruices l’en
auoient rendu plus digne, que tous ceux à qui les seruices l’ont iamais
fait meriter. Il n’eust point esté nouueau de voir vn Connestable sorty
des Maisons de Bourbon & de Montmorency, apres en auoir veu naistre
vn si grand nombre, & de si Illustres de ces deux tiges. Et enfin Monsieur
le Duc d’Orleans y eust trouué toute sa grandeur conseruée, s’il eust voulu
se resouuenir que son Bisayeul Antoine Roy de Nauarre auoit exercé la
fonction de Lieutenant de l’Estat soubs la Regence de Catherine de Medecis,
au mesme temps qu’Anne de Montmorency nostre bisayeul se trouuant
auec luy aux sieges de Bourges & de Roüen, faisoit sa charge de
Connestable : luy qui auec sa charge auoit encore eu celle de Grand
Maistre.

 

Ie ne craindray donc pas que personne se puisse estonner que Monsieur
le Prince ayt pretendu à cette Espée. Il y aura sans doute plus de lieu d’admirer
sa vertu à n’en auoir pas voulu receuoir les esperances. Ie ne craindray
pas non plus apres cét exemple de sa moderation, que personne (si
elle n’est entierement passionnée) qu’il aye voulu assembler ses Trouppes
pour en assurer la possession contre S. A. R. ny que pour ce sujet il aye fait
fortifier ses places : ce sont des mensonges qui paroissent quelque chose &
ne sont rien. Semblables en cela à ces éclairs, dont la lumiere violente ne



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