Rantzau, Josias de [signé] [1649], LETTRE DE MONSIEVR LE MARESCHAL DE RANZAV, GOVVERNEVR DE DVNQVERQVE, A MONSEIGNEVR LE DVC D’ORLEANS. , françaisRéférence RIM : M0_2024. Cote locale : A_5_6.
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Senar d’Athenes, qu’il ne signoit iamais de traitté de paix qu’auec
des robbes de deüil ? Mais qu’elle difference peut-on faire du genie
& de la conduite de nostre Ministre auec celle du tyran Bazilide, qui
pour assouuir sa conuoitise barbare, vouloit que ses subjets les Moscouites
luy apportassent en forme de tribut des verres pleins de
leurs propres sueurs ? Ie ne parle point, Monseigneur, de la perte publique
dõt la France vient d’estre affligée par la mort de Mr de Chastillon,
de qui la valeur m’estoit si conneuë & la bien-veillance si chere ;
ie ne dis rien de celle de Monsieur de Clanleu, de qui la generosité
& l’industrie au fait de la guerre, n’ont pas esté moindres que
son mal-heur : ny de tant d’autres qui s’estoient signalez par leur seruice
aux grandes occasions. Ie ne touche rien non plus de la barbarie
du peuple Anglois, de qui le Prince legitime laisse à estudier apres
sa mort, & aux Souuerains les regles du vray gouuernement, & aux
subjets cette sousmission & ce respect que la Sagesse diuine leur ordonne
de garder enuers ceux qu’elle a establis pour ses Lieutenans,
c’est à dire, Mõseigneur, pour les Protecteurs & les Peres des Peuples.

 

Mais enfin, ie laisse la voix libre au public, à qui on ne la peut oster
ny pour donner ses loüanges aux gens de bien, ny pour faire entendre
ses plaintes sur les desordres que l’on fait commettre contre
l’innocence & la saincteté mesme.

L’on dit que les rouës du chariot de Pharaon demeurerent long-temps
en veuë sur le riuage de la mer, pour marque d’vne punition
si fameuse.

Cét exemple a plû sans doute à Monsieur Mazarin autant que celuy
d’Angleterre est cruel, odieux à tous les autres Peuples, & tout à fait
contraire à l’vsage & aux loix fondamentales de la Monarchie Françoise,
où les Roys ont tousiours esté & seront eternellement les delices
de leurs subjets. Et sans doute, Monsieur le Cardinal n’a pas assez
fait de reflexion sur cét amour, qu’il a entrepris d’irriter par cét
esloignement du Prince, ou bien c’est qu’il sçauoit que c’estoit l’vnique
moyen pour tout perdre, & qu’il en auoit le dessein.

Quoy qu’il en soit, Monseigneur, il est certain que son humeur est
telle, que si quelque chose le fasche, c’est que sa puissance n’a pas
autant d’estenduë sur la mer que sur la terre, comme celle de Dieu,
ayant peut-estre ouy dire que ceux qui gouuernent les hommes, doiuent
paroistre & viure parmy eux comme des Dieux ; mais s’il se trouble,
c’est parce que tout autant d’hommes qu’il voit, ne courent
point à sa deffense, & qu’il apprend que tous ceux qui naissent, ne
viennent pas au monde tous armez, cõme ces enfans de Lacedemone,
qui sortoient du ventre de leurs meres auec des formes de lances
marquées sur leur costés. Il n’a garde de se contenter à la façon
des Perses, en faisant foüetter seulement les vestemens des condamnez.
La Clemence qui couronne la Vertu & la Reputation des Heros,
n’a iamais pû trouuer de place en son esprit. Depuis le tẽps qu’il



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