Rantzau, Josias de [signé] [1649], LETTRE DE MONSIEVR LE MARESCHAL DE RANZAV, GOVVERNEVR DE DVNQVERQVE, A MONSEIGNEVR LE DVC D’ORLEANS. , françaisRéférence RIM : M0_2024. Cote locale : C_3_30.
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Apres luy auoir donné plusieurs aduis des menaces & des nouueaux
desseins des ennemis, & sur tout, des manque mens que ie remarque
en nos places voisines, ie le priois de persuader à la Reyne, que ma
presence estoit necessaire en cette Frontiere, & de considerer luy-mesme,
qu’estant en France, ce que luy & moy nous y sommes, ie ne
pouuois fauoriser son dessein en allant commander contre la capitale
du Royaume, sans danger pour l’Estat, & sans imprudence pour moy,
puisque c’eust esté pour faire éclater plus hautement l’auersion & la
haine que la nature inspire contre les estrangers parmy toutes les
nations.

Il est vray, Monseigneur, qu’il m’est eschappé quelque legere marque
de la douleur que i’ay sentie, non seulement de ce qu’en cette
occasion si importante, & en laquelle il hazarde la perte de l’Estat, il
a trouué trop de facilité en vostre Altesse, & trop de feu dans l’esprit
de Monsieur le Prince, pour eschauffer vn party qui a esté formé
si à contre-temps, & qui d’abord excita contre l’vn & l’autre vn murmure
si general ; mais ç’a esté, Monseigneur, sans sortir des termes
de mon deuoir, & sans blesser en façon quelconque le respect qui
m’est inuiolable enuers le Sang Royal.

La nature vous a fait naistre auec trop de douceur, & vous a rendu
trop amoureux de la prosperité de ce Royaume, pour vouloir approuuer
le sentiment de [1 mot ill.], qui estimoit bien-heureux le vieux
Priam, d’auoir veu mourir auec luy les richesses & la beauté de son
pays ; & l’on peut bien dire que si vostre Altesse Royalle auoit eu
moins d’affection pour cét autre homme qui la possede si absolument,
elle n’auroit iamais laissé tout oser & tout entreprendre à la
violence & à l’ambition du Cardinal. Celuy-cy s’est imaginé que ie
n’auois rien de meilleur à luy persuader que la continuation d’vne
guerre qui a lassé toute l’Europe, & qu’il n’estoit n’y bien-seant ny
glorieux à vn homme de ma profession, de luy representer des voyes
plus douces & plus legitimes que celles qu’il a prises & qu’il a suiuies,
pour la durée de sa fortune.

Il a creu qu’il n’appartenoit qu’à luy de raisonner sur les maximes
de la plus excellente politique, & que i’estois ou trop ignorant ou
trop temeraire, pour toucher à la sublimité de sa science.

Mais ie n’ay pas laissé de luy dire qu’il ne deuoit iamais donner atteinte
aux loix & aux maximes du Royaume, ny choquer en aucune
façon ses premieres puissances ; qu’il deuroit enseigner au Roy
par sa conduite, que les Souuerains doiuent porter leurs subjets dans
leur sein, & non pas les fouller aux pieds ; que dans sa profession,
de laquelle il a banny la pieté, encore qu’elle en doiue estre inseparable,
il deuoit auoir appris que l’Illustre conducteur du peuple
choisi, & que les plus doctes appellent l’Arbitre de Dieu enuers les
hommes, n’a iamais institué de loy ny de punition, sans faire priere



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