Provence, Pierre de [signé] [1649], LETTRE DE PIERRE DE PROVENCE A LA REYNE. En forme d’auis, sur ce qui s’est passé en son Pays. , françaisRéférence RIM : M0_2043. Cote locale : A_5_12.
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qui se joüoit de l’authorité de son Maistre, se voyant à la fin de ses
artifices, iugeant que la peau de Renard n’estoit pas assez forte
pour venir à bout de ces gens-là, prit celle de Lyon, & les poussa
de telle sorte, qu’il fit mettre à bas la teste du Duc de Montmorency ;
& chassa de son gouuernement, & du Royaume, Monsieur
le Duc de Guise ; Ainsi il acquit ce qu’il desiroit, & se fit Maistre
de la mer, comme il l’estoit de la plus grande partie du Royaume,
par les Gouuernemens des Prouinces & des Places fortes qu’il y
tenoit.

 

Il luy manquoit du costé de la mer vne piece importante, &
qui estoit de sa bien-seance, c’estoit la Generalité des Galeres,
possedée depuis long-temps par Monsieur le Comte de Ioigny,
auec tant d’honneur & d’auantage, que n’estimant pas assez d’exercer
les Galeres dans la paix, par les courses continuelles qu’il
faisoit contre les Corsaires d’Alger & de Tunis, dans le Gouffre
de Leon, il entreprist ce grand Voyage d’Auran, auquel il reüssit
si heureusement, & fit de si belles prises en deux mois de temps,
qu’il emmena prés de deux mille esclaues, & prit ou coula à fonds,
soixante & quatre vaisseaux. Le Combat de la Rochelle luy fournit
des moyens pour se signaler dans la guerre : car y ayant conduit
vne esquadre de dix galeres, il s’en seruit si iudicieusement, & si
courageusement, qu’aprés auoir coulé à fonds quelques vaisseaux
des ennemis, & garenty ceux de son party d’vn embrasement ineuitable
sans sõ secours, il reuint plein de gloire dans nos mers, auec
bien plus de bon-heur que cét autre General, qui perdit quarante
galeres en vn semblable voyage. Aprés ces belles choses, lassé du
tracas du monde, & des galanteries de la Cour, qu’il auoit si
long-temps pratiquées, il fit cette belle & saincte retraitte, &
laissa à Monsieur le Duc de Retz son fils, tous ses biens auec sa
charge : lequel suiuant les traces de son Pere, la mit au plus haut
point d’estime qu’elle pouuoit aller : Mais celuy qui la desiroit
auec tant de passion, ialoux de la gloire de ce Seigneur, comme
tout dépendoit de luy, le laissant manquer de toutes choses pour
l’entretien des Galeres ; il fut obligé pour marque de sa fidelité,
de soustenir cette grande despense, & d’employer son bien & son
credit, iusques à ce que le Ministre ne pouuant l’exclurre par ce
moyen, le rendit suspect dans l’esprit du Roy ; le fit chasser de
la Cour, & l’ayant mis en cét estat, obtint par violence vne demission
de sa charge, sans se mettre en deuoir de la recompenser,



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