Provence, Pierre de [signé] [1649], LETTRE DE PIERRE DE PROVENCE A LA REYNE. En forme d’auis, sur ce qui s’est passé en son Pays. , françaisRéférence RIM : M0_2043. Cote locale : A_5_12.
page précédent(e)

page suivant(e)

-- 6 --

ny restituer les auances qu’on auoit faites, & les arrerages qui estoient
deubs.

 

Il l’a donna au St. de Pont-Corlay son neueu, lequel il creut si peu
capable de la posseder, qu’aprés que les Galeres eurent fait deuant
Gennes, vn combat des plus signalez qui ait iamais esté sur la Mediterranée,
qu’elle y eust eu l’auantage, que le champ de bataille
leur fust demeuré, il la luy osta honteusement auec raison, pour
auoir par lascheté laissé aller six Galeres des ennemis qu’il pouuoit
prendre, sans rien hazarder : & perdu trois Galeres du Roy qu’il ne
voulut pas secourir, mesprisant les conseils de ses Capitaines, qui
l’auoient fait combattre par force.

Du depuis cette charge fut exercée par commission, sous le nom
du Cardinal, iusques aprés sa mort ; l’ayant donnée par testament au
Duc de Richelieu, vn de ses heritiers : mais à cause de son ieune aage,
elle a esté exercée par vne Dame, si intelligente en fait de mesnage,
qu’elle a sceu iusques à combien d’escuellées de féves, on donnoit
tous les iours pour la chiourme de six Galeres.

Cette conduitte dura iusques y a enuiron deux ans, que le ieune
Duc de Richelieu, à la sollicitation de quelqu’vn des siens, vint à
Marseille, pour seruir à sa charge, & ayant fait deux campagnes, se
trouuant sans secours & sans argent, pour la paye des Soldats, aussi
bien que pour la nourriture des forçats, n’ayant pas la disposition de
ses biens, & sa tutrice n’estant pas d’humeur d’employer son heritage
pour maintenir l’honneur de sa charge, il courut risque d’estre mis
en pieces par les Soldats, qui vouloient estre payez de leur solde ; &
il auroit esté tué sans le secours des habitans de Marseille. Il a esté souuent
sur le point de donner la liberté aux forçats, ne pouuant leur donner
la nourriture.

Ce ieune Seigneur a vne si grande generosité, & ayme si fort la
guerre, qu’ayant esté mandé par Monsieur le Comte d’Alais, qui armoit
puissamment contre le Parlement d’Aix ; il abandonna les belles
Dames de Marseille, les bals, & les collations, pour se trouuer à
cette fameuse expedition, & commander la Caualerie, où il a esté
fait prisonnier auec son general, par les femmes de la ville, sans qu’il
aye tiré l’espée, ny mis la main au pistolet.

Voilà comme cette Prouince fut priuée de Messieurs le Duc
de Guise, & Duc de Retz, deux Seigneurs qui l’aymoient tendrement,
pour l’auoir recognuë tres-affectionnée au seruice de son
Prince.



page précédent(e)

page suivant(e)