Monaco,? [signé] [1649], LETTRE CONTENANT DES AVIS DE POLITIQVE ET DE CONSCIENCE, enuoyée au Cardinal Mazarin à sainct Germain en Laye, par son Confesseur le Pere Monaco, Superieur des Theatins. Traduite fidellement d’Italien en François. , françaisRéférence RIM : M0_1831. Cote locale : C_3_45.
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son cœur, & ses entrailles, comme Lepidus Crassus fauory de l’Empereur
Maximin. Voila l’interest qu’il faut payer pour iouyr de ses faueurs.
Le mesme Polycrates qui s’estimoit content, fut mis en Croix
par vn des Satrapes du Roy de Perse. Themistocles ne sçachant plus
que souhaitter de la fortune elle luy enuoye vne coupe pleine de sang
de taureau pour noyer sa vie dedans. Iettez les yeux sur ce grand Marins
l’ornement du peuple Romain & contemplez la misere où lest reduit,
au sixiesme Consulat, mandiant le pain de sa vie dans Carthage Voulez
vous des asseurances de sa cruauté ? Prestez les oreilles aux cris du malheureux
Eurrope, fauory d’Arcadius, que ses ennemis déchirent en
pieces. Doutez-vous de ses tromperies, Seianus vous en asseurera, lors
qu’vne potence luy sert de thrône.

 

Que Vostre Eminence arreste ses Meditations sur ses exemples,
qu’elle pense serieusement que la faueur des Princes a deux visages diuers.
C’est vn iour d’hyuer, dont la beauté nous menace de la pluye.
Alexandre se iouë auec vn de ses fauoris auant se mettre à table, & au
sortir, il luy donne la mort pour dessert.

La bien-veillance des Rois est vn heritage d’vne belle recolte en esperance ;
il ne faut qu’vn coup de vent pour faire vn miserable. Therates
fut fauory de Denis, Tyran de Syracuse : mais il apprit bien tost
qu’on ne pouuoit estre amy du Tyran, sans ressentir sa tyrannie, & cét
apprentissage luy cousta la vie. Harpacis fut cherement aimé de Phesilas,
Roy des Parthes. Qu’en arriua-t’il ? cét excez d’amour se change
en vn excez de cruauté, il le donne en proye aux Lyons, pour assouuir
la rage & la fureur qui le possedoit.

Mais supposons que la rouë de cette fortune aye quelque fermeté ;
quel succez en verra-on ? (c’est en ces dernieres paroles que ie fais le deuoir
de ma charge pour la conduite de vostre Ame dont ie seray vn iour
responsable deuant Dieu.) Ie veux que vous vieillissiez en la Cour des
Rois ? Qu’est ce que tout cela ? vous aurez gousté quelques plaisirs,
mais ces plaisirs passeront, & le regret vous en demeurera. Vous serez
honoré des grands : mais ces honneurs de vent s’enuoleront, & ne laisseront
qu’vn triste souuenir de leur vanité ? Vous aurez esté tousiours
logé dans le Palais Royal ; mais il en faudra sortir pour entrer dans vn
sepulchre. Voila, Monseigneur, vos felicitez tant enuiées.

Que desiriez-vous ? si c’est d’estre tousiours heureux, vous souhaittez,
sans y penser, le plus grand mal-heur du monde. Les felicitez de
la terre, vous ostent l’esperance de posseder celle du Ciel ? Qu’esperez-vous
donc ? peut estre de mourir dans vos prosperitez ? cette mort est
cruelle, l’Ame fort bien plus contente d’vn corps gisant sur vn fumier,
que sur vne couche de satin & de soye ; il n’y a pas si loin de la misere au
Paradis que de la grandeur.

Le fauory de l’Empereur Theodose, establit sa demeure dans les deserts,
vne obscure & affreuse cauerne estoit son Louure, où il couchoit
sans estre visité que du Soleil, & de la Lune. Lothaire premier du nom,



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