Mazarin, Jules [signé] [1649], LETTRE DV MAZARIN, ESCRITE A L’AGENT de ses affaires à Rome. , françaisRéférence RIM : M0_2119. Cote locale : A_5_62.
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Mais quand i’ay bien fait mes supputation, le trouue
que l’espargne qu’il peut faire sur ce trafic, & le peu d’argent que
i’ay fait transporter de France, qui ne se monte qu’à dix-sept
millions cinq cens cinquante neuf mille liures, suiuant le dernier
estat de compte que vous m’auez enuoyé le 28. d’Octobre, en cela
compris les interests engendrez par les sommes principales que
vous auez fait profiter sur les meilleures banques d’Italie. Tout
cela, dis-ie, ne seroit pas suffisant pour corrompre tant de testes
enluminées ; & i’aurois peur que pour vouloir gagner tant de
Chappeaux rouges, il ne me fallut porter le bonnet verd, principalement
quand ie songe aux trois millions qu’a cousté le Chappeau
du Cardinal de sainte Cecile. Ie ne sçay pas qui en voudroit
auoir à si haut prix, & moy-mesme quoy, que son frere, ie ne l’eusse
pas achepté à mes despẽs ; mais la Frãce est si accoustumée d’auoir
des Cardinaux qui luy coustent cher, qu’elle a fait cette despence
de grand cœur. Tout le regret que i’ay, est de voir que cét argent
ait esté perdu, & qu’il soit mort auant que de me donner vne voix
dans le Conclaue. Ie voy donc bien qu’il faut refrener vn peu
mon ambition ; & ne pouuant pas estre Pape, me contenter d’estre
plus riche qu’aucun Cardinal ne veu, aussi bien comment
aspirerois-ie aux grandes dignitez, puisque maintenant que ie suis
noté par Arrest, ie ne pourrois pas pretendre à estre Escheuin.
Quoy que personne priuée, ie marcheray à Rome auec grand
grand cortege. Ie viuray opulemment mal gré l’enuie diqueste
bestie oltramantane, & ne seray pas à plaindre, puisque du débris
de mon naufrage on feroit bien la fortune d’vn Potentat.
Vous serez-là Intendant de ma maison, mais il faudra que vous
songiez à estre bon mesnager, car ie ne seray plus en estat de faire
de grands gains, & puis il faut reparer la perte que i’ay faitte à
Paris depuis mon depart, car Messieurs du Parlement se sont saisis
de meubles, & les vendent ; & c’est celuy de tous leurs Arrests
qui me fasche le plus, parce que i’ay grand-mal au cœur de voir
qu’il me faut debourser de l’argent comptant pour en auoir d’autres.
Toutefois i’ay pitié d’eux, & ie leur pardonne, parce qu’ils
ne reprennent que le leur, & qu’il s’en manque beaucoup qu’ils


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