M. L. [signé] [1650], LETTRE OV EXHORTATION d’vn Particulier A MONSIEVR LE MARESCHAL DE TVRENNE, Pour l’obliger à mettre bas les armes. , françaisRéférence RIM : M0_2249. Cote locale : D_2_38.
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premier amour estant deub à Dieu, le second estoit deub à
nostre Souuerain ? Il s’ensuit doncques que la premiere fidelité
que nous deuions aux hommes luy est deuë. Il s’ensuit
donc que sans vous trahir, vous ne pouuez seruir Monsieur
le Prince, puis que son seruice est contraire à celuy du vostre
legitime. Si vous considerez sans passion ce qu’est la parole
que vous pouuez luy auoir donnée, vous direz que c’est
plustost vn vain esbat de vostre gayeté & de vostre bonne
humeur, que non pas vn serieux renoncement de vostre deuoir.
Vous direz, i’estois subiet du Roy quand ie vous ay promis
d’estre le vostre. Ie ne pouuois pas disposer d’vne fidelité
que ie suis obligé de conseruer comme ma vie, puis qu’elles
sont nées toutes deux ensemble, & que i’ay auec toutes
deux de semblables ou de peu differens attachemens.

 

Nous sçauons bien que les Princes, ordinairement ne
veulent point d’amis ny de seruiteurs à demy. Ils entendent
qu’on leur donne tout le cœur & toute l’action sans reserue ;
les exceptions que l’on doit faire dans l’amitié, & dans le
deuoir ne leur plaisent pas. Mais il leur faut donc des esclaues,
& non pas des gens de merite & de qualité, pour amis
& pour seruiteurs. Il faut donc qu’ils s’acheptent des amis
mercenaires & infames, qui estiment le prix du vice plus excellent
que la vertu. Et ie ne veux pas penser, Monsieur, que
vous veilliez estre de ces infames & de ces mercenaires, ny
que vous ayez mis à vn prix si bas & si indigne, ce grand courage
qui nous a tant valu.

Ainsi quelque amitié que vous ayez promise à Monsieur
le Prince, vous l’auez bornée aux Autels & au Throsne de
vostre Roy, & vous n’auez point voulu la rendre contraire à
l’amour de Dieu & du Souuerain. I’en parle ainsi, Monsieur,
parce que vostre merite m’en asseure, & qu’il ne faut pas
auoir de moindres sentimens de vostre vertu. Laissez donc
dans son malheur vn Prince declaré coupable, puis que vous
ne pouuez l’y suiure ny l’en retirer iustement. N’escoutez
plus la voix d’vne amitié criminelle, puis qu’il y va de vostre
deuoir de la reietter ; & quoy qu’elle ait de triste & de pitoyable



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