M. L. [signé] [1650], LETTRE OV EXHORTATION d’vn Particulier A MONSIEVR LE MARESCHAL DE TVRENNE, Pour l’obliger à mettre bas les armes. , françaisRéférence RIM : M0_2249. Cote locale : D_2_38.
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que les Grands s’imaginent des Peuples, qu’ils sont le
joüet de leur caprice, & comme vn instrument mort dans
leurs mains, duquel ils disposent sans empeschement. Comme
leur orgueil les abaisse infiniment, ils s’imaginent qu’ils
doiuent s’abaisser de mesme, & comme des Cieux, les superieurs
entraisnent les inferieurs sans resistance, ne considerans
pas que tout le mouuement vient du premier mobile ;
sans auoir receu puissance du Souuerain ils s’imaginent
que tout les doit suiure. Mais ne sçauez vous pas, Monsieur,
combien cette imagination est fausse, & combien de fois
les plus grands hommes ont esprouué que ce peuple n’est pas
vne puissante morte, qu’elle est viuante : & que mesme souuant
elle a de tres-opiniastres & de tres-dangereuses volontez ?

 

Ie voy bien que vous prendrez de specieux pretextes.
Que vous caresserez cette beste furieuse ; que vous prierez
ceux que vous ne pouuez contraindre, & que vous tascherez
d’esblouyr de promesses ceux que vous sçauriez assuiettir
aux commandemens Mais pensez vous que le monde soit
borgne, ou plustost aueugle & ne voye goute ; & que le voile
que vous luy mettrez sur les yeux soit si espais qu’il ne puisse
pas descouurir la honte & le crime de vos desseins ? Il vous en
arriuera la mesme chose qu’à ces indiscrets cajoleurs, qui
donnent pour l’honneur d’vne femme mille sermens & de
belles paroles, & qui ne gagnent rien que des refus. Faites
tout ce que vous pourrez ; dites les plus belles choses du
monde, l’ameçon paroist sous l’apas & le piege proche de
l’amorce, & vostre voix sera tousiours redoutée, comme l’est
celle d’vne hiene qui n’appelle que pour deuorer. Chacun
se ressouuient encor & craint les maux qu’ont enduré nos peres,
& cette crainte est si soubçonneuse & si fine, qu’elle en est
clair-voyante & penetre tout. Comme les experiences se
multiplient tous les iours, les cognoissances se perfectionnent ;
tel à dix ans est plus raffiné auiourd’huy, qu’à trente on
ne l’estoit autrefois. C’est où ie voy certainement, Monsieur,
que vostre credulité sera trompée ; elle ne croit auoir a piper



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