Gondi, Jean-François Paul / [cardinal de Retz] [1649], SERMON DE S. LOVIS ROY DE FRANCE, FAIT ET PRONONCÉ DEVANT le Roy & la Reyne Regente sa Mere. PAR MONSEIGNEVR L’ILLVSTRISSIME & Reuerendissime I. F. Paul de Condy Archèuesque de Corinthe, & Coadjuteur de Paris: A PARIS DANS L’EGLISE DE S. LOVIS des PP. Iesuites, au iour & Feste dudit saint Louis, l’an 1648. , français, latinRéférence RIM : M4_79. Cote locale : C_10_11.
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mais il se souuint tousiours qu’il estoit homme ; c’est pourquoy les accidens
de la vie ne le surprirent point, ne l’estonnerent pas ; à la difference des grãds
du monde, à qui pour l’ordinaire la flaterie plus forte mesme que l’experience
fait perdre la memoire qui n’en sont pas exempts : & nous sans porter
des couronnes, receuons-nous auec plus de sousmission les ordres de Dieu,
& aux premieres afflictions que le Ciel nous enuoye ; ne parroist-t’il pas visiblement
à nos impatiences & à nos murmures, que nous oublions souuent
que nous sommes mortels.

 

S. Louys ne se lasse iamais de seruir Dieu, & quoy que ces bons desseins
n’ayent pas tousiours de bons succez, il les pousse auec vigueur, il ne
s’esbranle point : Au retour de l’Asie, il attaque l’Affrique, il porte l’estendard
de la Croix iusques sur les murailles de Thunis ; & rien n’arreste sõ ardeur
que la volonté de celuy qui la luy inspire. Ha qui que tu sois mal-heureux !
ame lasche & timide, qui prends vn bon dessein, & qui l’abandonne, ou
par crainte, ou par esperance, ou par foiblesse, ou par corruption, confond
toy en toy mesme, par l’exemple du plus grand des Roys mais confond toy
d’vne saincte honte, qui produise vne veritable penitence digne de ton crime,
digne de ta foiblesse, digne de ta lascheté.

Ie sens que ie m’enporterois dans vn nombre infiny d’oppositions qui se
rencontrent au des-honneur de nôtre siecle, entre la vertu de sainct louys &
nos pechez ; ie me perderois facilement dans ces grandes distances qu’il y a
de sa continence à nos desordres, de son humilité à nostre fausse gloire, de sa
charité à nos froideurs, de son courage à nos foiblesses ; ie m’areste, ie m’areste
contre mes sentimens pour voir mourir ce grand Monarque, mais non pas
pour parler de sa mort ; on peut exagerer la mort des hommes ordinaires,
parce qu’assez souuent on n’en est pas esmeu, qu’apres de longues reflexions,
mais celle des grands Roys touche par la seule veuë de leurs tombeaux. S.
Louis estendu sans sentiment, dans vn païs ennemy, sur vne terre estrangere,
marque plus fortemẽt la vanité du monde que tous les discours qu’on pourroit
faire sur ce suiet ; & à ce triste spectacle ie me contente de m’escrier auec
le Prophete : Vbi gloria Israël ? Où est la gloire d’Israël ; où la grandeur de la
France ? où est cette fleurissante Noblesse ? où est cette puissante armée ? où est
ce grand Monarque qui commandoit à tant de Legions ; & au mesme moment
que ie fais ces demandes, il me semble que i’entends les voix confuses
& ramassées de tous les hommes qui ont vescu en les quatre siecles coulez
depuis sa mort, qui me respondent, qu’il regne dans les Cieux. Ha ! que ce
dernier momẽt qui luy a porté auec tant de gloire, nous fournit d’exemples,
de constance, de fermeté, de generosité, de magnanimité vrayement Crestienne ;
toutes les paroles par lesquelles il a finy sa belle vie, & par lesquelles
ie pretends de finir ce discours, sont autant de characteres illustres d’vne
mort toute grande, toute heroïque, toute saincte.

Ce grand Monarque addressa ces paroles au Roy son fils & son successeur
en la terre dans le lict de la mort, & ie dois croire qu’il les addresse presentement
à vostre Maiesté, encore auec plus de force du Ciel, où il est dans la
gloire. Audi, fili mi, disciplinam patris tui ; Escoutez, SIRE, mais escoutez
attentiuement, voicy les paroles originales du testament de vostre Pere.



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