Gio. Battista Lucrino [signé] [1649], LETTRE DECHIFFRÉE D’VN MAZARINISTE A MAZARIN, TROVVÉE ENTRE S. GERMAIN & Paris, &; traduite d’Italien en François. , françaisRéférence RIM : M0_2067. Cote locale : C_3_27.
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C’est ce que V. E. ne me deuoit point dissimuler, & mon esprit
n’eust pas manqué d’intrigues pour broüiller leurs amours. Au
reste ie m’asseure, que la nouuelle de ce grand coup d’Estat l’aura
plus faschée qu’elle ne l’aura surprise : leur feu le plus beau,
dit-on, & le plus legitime du monde, brilloit trop manifestement
aux yeux de chacun, pour estre inuisible aux vostres ; &
vostre Eminence elle-mesme, Monseigneur, qui ne doit pas
en ignorer les plus diuins mouuemens, doit bien auoir appris
de ces dernieres Barricades, la part qu’elles prennent dans les
interests l’vn de l’autre, qui rend cette deuise, Chi tocca l’vno
tocca l’altro, la plus veritable qu’ils puissent choisir. Vostre Eminence
croyoit n’auoir choqué l’Amant que d’vne Amante vulgaire,
& du rang de celles que la foiblesse de leur sexe expose à
l’insolence du nostre : Mais elle fit bien voir, que c’estoit vne
Amazone à qui vous auiez affaire ; & i’apprehende fort, que si
vous ne luy rendez son Roy, comme vous auez fait de Monsieur
de Broussel, elle nous fasse publier hautement ce qu’elle
nous a fait aduoüer en grondant, assistée de la valeur de ces
Alexandres François, qui se sont si genereusement declarez
pour son Roy, pour son Espoux, & pour elle. L’vn & l’autre a
tousiours fait de ses Rois ses plus cheres delices ; l’vn & l’autre
naturellement les cherit, ou plustost les adore, deust il leur en
couster iusques à la derniere goutte de leur sang, ils veulent absolument
r’auoir ce ieune Monarque. Et c’est pour conspirer
plus vnanimement à ce beau dessein auec leurs Alliez les autres
Parlemens & les autres villes de France, qu’ils ont hasté leur
Mariage, qu’aussi bien n’eussent-ils pas long temps differé. Leur
diuorce ne seroit pas moins auantageux aux desseins de vostre
Eminence, que leur vnion semble leur estre contraire : mais,
à ce que ie voy, elle est indissoluble, & l’effort que l’on feroit
de rompre vn si beau lien, ne pourroit seruir qu’à serrer plus
estroittement l’estreinte de son nœud sacré. Si de tant de clauses
dont leur Contract de Mariage est composé, & qu’il seroit
superflu d’enfiler icy, nous pouuions en accuser vne seulement,
de sapper les fondemens de l’Estat, ou ceux de la Religion : ce
seroit, Monseigneur, vne bonne affaire pour vostre party.
Mais i’ay beau les examiner, ie n’en voy pas vne qui ne respire


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