Davenne, François [?] [1651 [?]], REFLEXION MORALE SVR LA SAPIENCE estimée folie des Sages du Monde, adressée à sa Majesté Regente, à leurs Altesses, & à l’Autheur d’icelle. , françaisRéférence RIM : Mx. Cote locale : B_19_8.
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qu’elle fait charger des vituperes ceux qu’elle iette dans la penitence de leurs crimes, afin
de les en dépoüiller, & faire que tous en profitent. Pour cela elle leur fulmine des
anathemes, afin de les conuertir en benefices. Pour cette cause elle ioint ceux qu’elle
diuise, afin de leur faire resister à son esprit, en la personne de ceux par le moyen desquels
elle leur adresse sa parole. A cét effet elle se roidit toutes les intelligences rebelles
qu’elle arguë, pour se les rendre souples au moment qu’elle les flate.

 

Enfin Dieu voyant que l’homme mangea du fruit de vie, parce qu’il luy defendit, &
qu’il ne l’auroit pas sans doute fait, s’il luy eut commandé de le faire ; Il proteste aux Monarques
obstinez, lesquels s’amusent aprés vne guerre qui desole tout le monde, qu’ils
n’auront iamais sa paix, afin de les obliger à sa recherche de toute leur ame. Il les menace
de leur rauir la Couronne, mais s’il leur donne la grace de l’humilité il les affermit sur
le trône. Bref, le celeste Archer, sur l’arc tendu de sa voix, tire à soy la corde de ses jugemens,
pour leur en mieux decocher la sensible flêche.

Dieu pique auec dessein les Empereurs de la terre, en leur formant des Riuals qui les
affrontent. La Sagesse Eternelle qui donne & oste les Sceptres aux Roys, fait la Folle
en cette rencontre, afin de les prouoquer à ialousie. Comme c’est vne des plus viues passions
de l’ame, elle l’émeut viuement és Princes, afin de les faire rentrer en leurs deuoirs
par la crainte. Elle les aiguillonne auec des touches les plus chatoüilleuses, pour les intimider
dans leurs vies débordées. Elle les agite, elle les frape, & elle les poind, afin
qu’ils perseuerent en Iustice. En vn mot, MADAME, elle leur donne des anxietez
capables de faire mourir de terreur les plus parfaits, si la même main qui les cause n’en
moderoit l’excessiue violence.

Les hommes ont vne nature si corrompuë, qu’vn faux plaisir fait qu’elle s’oublie. La
douleur la jette dans vne tristesse qui la desespere ; & la fausse joye la plonge dans vne volupté
qui la rend insolente. Afin de nous tirer de ses extremités, Dieu nous flagelle par
la bouche de ses fideles, non seulement és plaisirs illicites & incirconcis qui nous perdent,
mais mesme és choses bonnes & permises par lesquelles il nous sauue : La mortification
qu’il nous applique nous empesche de retomber au precipice duquel il nous arrache par
la penitence : & quand mesme il nous a mis au chemin du Salut, il nous crucifie, pour
nous rendre incorruptibles durant toute sa voye.

Rejetter obstinement de telles fleurs, est se poindre de mille épines, & de fouler la
bonté Diuine qui nous tire de l’abysme, est irriter sa Iustice, & s’enfoncer de precipice
en precipice.

C’est de cette façon, MADAME, que Vostre Majesté & le Roy vostre fils, aussi bien
que leurs Altesses, ont eu des reprimandes de ce grand cœur qui foule les supplices, pour
plaire à Dieu, en vous disant des choses par lesquelles il vous épouuante, afin que chacun
en profite. Les souffrances luy sont des delices, si ses discours vous portent viuement
à la vertu, de la quelle il semble qu’il vous banisse. Il ne peut, à l’exemple de Mardochée ;
dérober son adoration au Dieu d’Israël, pour la prodiguer, comme font les flateurs,
à l’Aman du monde.

Ie croy pieusement, si j’ay la grace de penetrer ses pensées, que ses corrections sont
du naturel de celles de l’Apostre, c’est pourquoy, au lieu d’estre marry de vous auoir
contristés, j’estime qu’il se resioüit de vos angoisses, parce qu’elles operent la penitence,
& qu’elles vous éprouuent.

Il est vray que ses discours ont vn peu passé les bornes qu’il se deuoit prescrire, si ie ne
me trompe, mais ie croy que Dieu pretend par ses deluges choquants, de vous submerger



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