D. B. [signé] / Cyrano de Bergerac, Savinien de [?] [1649], LE GAZETTIER DES-INTERESSÉ, ET LE TESTAMENT DE IVLES MAZARIN , françaisRéférence RIM : M0_1466. Cote locale : E_1_58.
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conferance de Ruel, ie seray contraint de m’esloigner de la France, & ainsi ie
courray risque de mille dangers à cause de l’excez de mes richesses qui m’obligent
d’aduoüer que ce Sage auoit tresbonne grace de dire que les grands
tresors seruent à la felicité humaine, comme le bagage à vne armée, qui l’empesche
de marcher, & luy fait perdre bien souuent la victoire, ainsi les grandes
richesses empeschent vn homme de marcher en seureté dans le monde, &
le plus souuent luy font perdre la vie. Salomon pour monstrer qu’elles ne
sont pas dans vn estre parfait ny reel, dit simplement qu’elles sont comme
vne sortesse dans l’imagination du Riche, & si nous les examinons de pres,
nous trouuerons qu’elles ont remply de malheurs les personnes dont elles
ne peuuent remplir les desirs, & qu’elles en ont beaucoup plus vendu qu’elles
n’en ont iamais rachepté ; Si ie n’en auois pas tant ramassé, ie serois sans doute
en plus grande tranquilité, & ne craindrois pas de souffrir vn semblable
destin en France, que Lycurgus dans la Lacedemonie, & Solon auec Arstide
dans Athenes, dont ils furent bannis par la commune deliberation du peuple.
Athenes, auoir meurement consideré l’estat present, où ie me vois reduit ;
i’ay deliberé le faire le present Codicille pour faire participer de mes bienfaits,
& de mes tresors, plusieurs personnes de condition & de merite, dont
ie n’auois pas fait mention en mon testament datté du 29. Aoust de l’an dernier,
dans lequel i’auois premierement donné au Roy mon Maistre ma grande
Escurie, dont les cheuaux sont du prix de quatre cens mille liures, & à la
Reine Regente, vn reliquaire de la valeur de cent mille liures. A Monsieur
le Duc d’Orleans vn vase d’argent enrichy de figures, & graué de diamans :
Et à Monsieur le Prince de Condé vn Cupidon d’or, couuert de pierreries, &
vn Mars d’argent parsemé d’Emeraudes & de Saphyrs : & en second lieu,
apres auoir fait plusieurs legats à mes domestiques & fauoris, i’auois fait &
constitué heritieres vniuerselles de tous mes biens, Marie & Anthoinette
Mazarin mes deux niepces, & auois esleu pour executeur de mon testament
Monsieur de la Meilleraye & Monsieur le Chancelier, lesquels i’eslis aussi
pareillement pour executeurs de mon present Codicille ; par lequel ie n’entens
point reuoquer ny annuller mondit testament, voulant qu’il sorte en
son plein & entier effect ; mais ie desire recognoistre le merite de plusieurs
grands personnages de la France ; Si bien que ie supplie Monsieur le Prince
de Conty d’agreer la resignation que ie luy faits de tous les benefices que i’ay
en France du reuenu de quatre cens mille liures.

 

Ie donne à Monsieur le Duc de Beaufort auec vn desplaisir extréme de
l’auoir offencé, vn buffet d’esmail auec toute la vaisselle d’argent qui s’y
trouue renfermée, que l’auois acheté pour le festin où ie traitay les Ambassadeurs
de Suede.

Ie supplie Monsieur le Duc d’Elbœuf de me vouloir pardonner, & d’agreer
le present que ie luy faits, d’vn baudrier chargé de perles, & d’vne espée
de Damas, dont la garde est de fin or, enrichie & semée de rares pierres
precieuses.

Ie prie & coniure Monsieur le Mareschal de la Motte-Hodancourt de vouloir
oublier le mauuais traitement que ie luy ay fait, & de me pardonner :
L’enuie que i’auois d’auoir la Duché de Cardonne, & de faire feu mon frere
Vice Roy de Catalogne, estoient les motifs qui me suggeroient des inuentions
pour le faire detenir dans le Chasteau de Pierre-en-Scize de Lion, ie



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