Caussin, Nicolas (R. P.) [1649], LETTRE DE CONSOLATION DV REVEREND PERE Nicolas Caussin, à Madame Dargouge, sur la mort de Mademoiselle sa fille. , françaisRéférence RIM : Mx. Cote locale : A_5_39.
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corps vierges, & ne s’en destachent qu’auec quelque sorte de regret :
Sur les approches de la mort elle conceut des esperances de
sa vie, & m’entretint auec vn esprit gay & contant, me demandant
si ie m’estois souuenu d’vne affaire qu’elle m’auoit recommandé,
& qu’elle ne manqueroit pas de me venir voir pour en sçauoir le
resultat, elle adjousta à ces paroles vn petit sousris ; & comme Madame
d’Ablege, qui la continuellement assistée, luy demanda si elle
ne parloit point trop pour son mal, elle repliqua qu’elle ne s’ennuyoit
iamais de m’entretenir ; ie la vis alors en vn si bon estat,
que ie ne pouuois m’imaginer qu’elle fut proche de sa fin, tant elle
auoit l’esprit present, la parole ferme, & le iugement asseuré.
Cependant sur le soir le mal redoubla ses furies, & apres le combat
d’vne nuict, l’emporta sur le poinct du iour. Qu’ay-ie fait ? i’ay
trop dit : ie sens le contre coup du glaiue de douleur qui entre en
vostre cœur. Ie sçais que vous estes vertueuse, mais aussi ie n’ignore
pas que vous estes mere : donnez des larmes à la meilleure des
filles ; ie ne suis pas vn rocher pour empescher vn sacrifice que la
Nature doit à la douleur. Si vous quittez icy ma lettre pour pleurer,
reprenez-la vne autrefois pour vous consoler. Si vous auez des
raisons pour iustifier vos larmes, vous en auez d’autres qui authorisent
vostre consolation. Vous me direz d’abord que vous auez
perdu vne tres-excellente fille, & j’auouë qu’elle estoit accomplie
en toutes façons ; l’esprit en estoit rauissant, & le corps bien auantagé
de la Nature ; elle estoit deuote sans fard & sans humeur ; sa
pieté n’auoit rien de trop libre, ny de trop bas ; elle n’estoit ny foible,
ny affectée ; mais soigneuse de rendre ses deuoirs à Dieu, sans
oublier ce qu’elle deuoit au prochain : sa charité estoit vn feu qui
brusloit tousiours en son cœur, & ne le consumoit iamais : elle
estoit naturellement bienfaisante, misericordieuse enuers les pauures,
seruiable à ses proches, & officieuse enuers tout le monde. Sa
pudicité estoit erigée en exemple, sa prudence pleine de lumieres,
sa discretion de retenuë, & son accortise d’agrément Elle estoit secrette
par dessus l’infirmité de son sexe, douce & serieuse, adroite,
persuasiue, & capable de bonnes affaires. Elle estoit humble parmy
tous les dons du Ciel, & retenoit les estoiles soubs la clef, pour
parler auec Iob, quand elle couuroit par sa modestie tant de perfections.
Son visage estoit vn Ciel tousiours riant ; la prosperitẽ n’enfloit
point son cœur, & l’aduersité n’auoit point assez de force pour
l’abbatre. Dans l’inegalité des choses humaines, elle estoit toujours


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