Anonyme [1649], REMONSTRANCES A LA REYNE REGENTE, SVR LE GOVVERNEMENT DE L’ESTAT. , françaisRéférence RIM : M0_3334. Cote locale : C_9_45.
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personne ou à ses seruiteurs, qu’il en a pour les obliger & pour leur faire misericorde.
Le Sauueur du monde ne regne sur les hommes durant cette vie, que
par la grace & par des effets continuels de sa bonté. Et bien qu’incessamment
nous l’irritions par nos crimes & par nos infidelitez, il ne peut neantmoins se
resoudre à retirer sa main, qui secourt nos foiblesse d’arrester le cours de tant de
profusions, & par vn exceds tout ineffable de bonté, il semble qu’il mesure ses
biens-faits au nombre de nos mesconnoissances, afin de flechir & de vaincre nostre
insensibilité, & de l’enseuelir dans vn torrent si profond de graces, qu’il ne
reste plus à l’homme, ny mouuement ny voix que pour adorer & publier vne
bonté qui ne peut plus comprendre.

 

Dieu ne fait iamais rien que de grand, parce qu’il agist continuellement en
Dieu, MADAME, vous estes Reyne, & vous estes Mere du plus Puissant &
du plus Chrestien des Roys ; Vous estes donc obligée d’agir, & comme Reyne
& comme Mere ; comme Reyne, vous estes redeuable à vos Subjets de l’amour,
de la douceur, & de la clemence, puisque, ce sont les vertus qui naissent auec la
Couronne : en qualité de Mere, la misericorde & la compassion doiuent estre
vostre plus ordinaire occupation ; Et ayant donné à ce Royaume vn Prince si
Iuste & si accomply, il n’y a pas d’apparence que vous trauailliez à ruiner le siege
de son Empire, & que faisant perdre le repos & la vie aux Subjets que Dieu
luy a donnez, vous le rendiez le plus pauure & le plus infortuné des Princes,
auant mesmes qu’il ayt peu se reconnoistre le Maistre & le Souuerain de tant de
peuples ; Ne souffrez point que l’on violente la douceur qui est si naturelle à
Vostre Majesté en vne occasion où le salut de la France est dangereusement engagé,
& que les promesses aduantageuses d’vn Prince qui veut flater vostre authorité
des vaines esperances que luy inspire la grandeur de son courage, ne fassent
plus aucune impression sur vostre esprit, qui doit auoir compassion de ce
ieune conquerant, qui dans vn dessein temeraire & iniurieux à la noblesse de son
sang, se prepare à obscurcir sa gloire, & enseuelir ses trophées dans les cendres
d’vne honteuse vengeance, & desseicher tout ce qu’il a moissonné de lauriers
dans les ardeurs d’vne passion inhumaine qui l’eschaffe à la ruine de sa patrie.
Conduite qui fait couler le sang du cœur & des yeux de toutes les personnes
qui l’honnorent, qui doit surprendre & les pensées & la creance des Estrangers,
& qui à peine passera dans les siecles à venir sans les offencer, & sans leur
imprimer l’horreur pour vn Prince, qui apres tant de succez à fait voir qu’il n’a
eu d’esprit, de valeur & de force, que pour enseuelir sa gloire & son nom dans
les ruines & dans les cendres de sa patrie.

Que vostre authorité, MADAME, ne seconde point vne main armée pour
la desolation du Royaume, de crainte qu’elle ne ressente la violence du coup
dont elle menace, & dont elle frappe desia tant d’innocens ; vous asseurant que
si Dieu iusques à maintenant la fait victorieuse pour l’abaissement des Ennemis
& pour la deffence de l’Estat, si tost qu’elle aura commencé à le perdre qu’il la
sçait affoiblir & la mettre en estat de ne pouuoir plus tirer Vostre Majesté de
l’abisme où elle l’aura precipité, & vous ne deuez point douter que cette mesme
main qui flatte auiourd’huy vostre esprit de la protection de vostre authorité,



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