Anonyme [1649], REMONSTRANCES A LA REYNE REGENTE, SVR LE GOVVERNEMENT DE L’ESTAT. , françaisRéférence RIM : M0_3334. Cote locale : C_9_45.
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& les ardeurs du feu, sans en posseder ny la lumiere ny l’eclat qui luy seroient
necessaires pour la conduite de ses desseins, & pour se defendre du precipice
qu’il a preparé à de plus innocens & de moins passionnez que luy. Souuenez-vous,
MADAME, de ce Prince qui mist le Royaume d’Israël en proye,
& qui de douze Tributs, à peine s’en peût conseruer vne seule pour auoir
reiettée auec mespris les sages & les moderez conseils des plus anciens de sa
Noblesse & de son Estat, & s’estre laissé emporter aux conseils violens d’vne
jeunesse sans pieté, sans religion & sans experience. Il n’y a point de conseil
pour aduantageux qu’il paroisse, qui merite d’estre suiuy lors qu’il combat
les loix de l’humanité, & qu’il tend à la ruine des fortunes, de la vie, des biens
& du repos d’vn Estat : il n’y a rien de si cher ny de si considerable, qui ne doiue
ceder aux interests de la paix & de la tranquillité publique : Il n’y a point de
particulier pour esleué qu’il soit, qu’il ne soit obligé de renoncer à sa propre
conseruation, si-tost qu’il la voit en compromis auec la vie d’vn million de
testes, auec le salut & le bien de tout le Royaume : & si il ne peut sans crime,
souffrir que sa vie & sa fortune soient preferez aux mal-heurs & aux desordres,
qui sont les suites & les consequences de la guerre, il ne peut sans vn dernier
aueuglement estre le motif de tant de miseres, & consentir que pour le conseruer
on expose les plus belles Prouinces aux rigueurs de la famine, au tumulte
des seditions, à la profanation des Autels & des Temples, au violement des
Cloistres & des Vierges, au sang, aux incendies, à la perte de la Religion, à
l’establissement de la tyrannie, & à la ruïne entiere d’vn Estat.

 

Moyse voyant Dieu irrité contre le Peuple qu’il auoit confié à ses soins & à
sa conduite, & le voyant prest à punir vn crime tres-enorme par vne derniere
ruïne, Il prie, il presse, il conjure cette Majesté infinie par toutes les raisons
que luy peuuent inspirer sa pieté & sa douceur naturelle, d’arrester le dessein
de sa vengeance : Mais apres tant de vœux & de larmes respanduës, n’ayant
peû fléchir sa colere, il fait vn dernier effort qui le fait victorieux de toutes les
resistances de cette Majesté irrité, donnant à sa justice le choix de ces deux offres,
ou d’effacer Moyse, le Pere de tant de peuple, du liure de vie, & de le
condamner eternellement, ou bien de faire à son peuple la misericorde qu’il
luy demande auec tant de passion.

Ce Patriarche renonce, non pas a des grandeurs humaines, mais à son propre
salut, afin d’obtenir la grace du pardon à vn peuple qui n’auoit que de l’ingratitude
& de la méconnoissance pour tant de biens faits. Saint Paul consent
a estre separé de Dieu & priué pour vn temps de sa gloire, s’il iugeoit que cette
priuation pust donner plus de lieu à la conseruation de ses freres les Israëlites.
Et le Fils de Dieu s’est fait sur l’Autel de la Croix vne hostie d’expiation & d’anatheme
pour le salut des pecheurs. Il a souffert des playes & des miseres sans
nombre pour obliger des ingrats & captiuer des rebelles ; il a répandu son sang
espuisé ses forces & sa vie, il a immolé son honneur & sa gloire sur la Croix, afin,
de faire grace à des coupables, & associer ses ennemis mesme au throsne de ses
grandeurs, & iamais il n’a paru plus obligeant que lors qu’il s’est senty plus
affligé, & le gage le plus considerable qu’il nous a laisse de son amour, a



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