Anonyme [1649], REGRETS HEROIQVES DV SOLDAT AMOVREVX, RESOLV DE MOVRIR POVR SA PATRIE. , françaisRéférence RIM : M0_3089. Cote locale : C_8_46.
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Quand ma raison m’eust dit qu’vn ouurage si beau,
Deuoit dans peu de iours enrichir vn tombeau,
Amour me fit bien prendre vn autre personnage,
Ie changeay de couleur, ie changeay de langage,
Et tous mes sentimens reuoltez contre moy,
Tesmoignerent ma crainte, & trahirent leur foy :
Cette belle malade interprete mes larmes,
Explique mes souspirs, iuge de mes alarmes,
Elle lit sur mon front son lamentable sort,
Et voit de dans mes yeux les signes de sa mort :
Ce n’est pas son tourment, mais le mien qui l’outrage,
Son mal & non le mien estonne mon courage,
Nous ressentons tous deux ce que nous n’auons pas,
Elle plaint ma douleur, & ie crains son trespas.
Pour les maux estrangers nos ames sont passibles,
Et nos propres malheurs nous treuuent insensibles :
La fievre cependant se rit de nos douleurs,
S’accroist par nos souspirs, s’enflame par nos pleurs,
Et son ardeur fait voir que toute son enuie
Est de borner le cours d’vne si belle vie.

 

 


Amaranthe voyant qu’vn sort iniurieux
Alloit bien tost fermer & sa bouche & ses yeux,
Me tendit en pleurant sa belle main tremblante,
La mit dedans la mienne, & d’vne voix mourante,
Exprima dans ces mots sa viuante amitié :
Mais helas ! ses souspirirs en dirent la moitié.

 

 


S’en est fait, à ce coup, la vigueur me delaisse,
Ie vais perdre la vie, & tu perds ta maistresse,
Ie meurs, mais ie meurs tienne, & la severe loy,
Qui peut tout sur mes iours, ne peut rien sur ma foy,

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